Hommage à Benoît XVI: le cardinal Sarah dénonce les «loups» du Vatican
«Il possédait un regard de père et un sourire d’enfant», se souvient le cardinal Robert Sarah, préfet émérite de la congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements, dans Il nous a tant donné, un livre rendant hommage à la figure de Benoît XVI, édité par Fayard et publié le 12 avril 2023. Le cardinal insiste sur l’héritage du pape allemand dans le domaine liturgique et dénonce des manœuvres au sein de la Curie romaine.
L’ouvrage de 250 pages rassemble des méditations du cardinal guinéen sur celui qu’il décrit comme son «maître spirituel» ainsi que dix textes du 265e pontife. La préface et un essai de 40 pages, intitulé Portrait mystique de Benoît XVI, sont les seules contributions inédites.
Sans s’arrêter aux détails biographiques, le cardinal Sarah dresse le portrait d’un Benoît XVI qu’il a admiré, un homme «heureux d’une joie céleste» au «regard lumineux». Il se souvient aussi de «sa voix douce, tremblante devant le mystère» de l’existence de Dieu. Il rend aussi hommage à sa «paternité», exercée en tant que prêtre, cardinal puis pape, une autorité affectueuse vécue selon lui «dans la discrétion» en raison de son «extrême pudeur».
Sarah : « Personne ne peut nous interdire de célébrer l’Eucharistie ».
24-01-2023
Dans le nouveau livre qu’il a publié – Catéchisme de la vie spirituelle (Cantagalli) – le cardinal Robert Sarah indique un itinéraire de conversion à travers les sacrements comme moyen de construire une relation forte avec Dieu et de servir une Église en crise de foi. Placer l’Eucharistie au centre, sans laquelle nous ne pouvons pas vivre.
Si, depuis des années, l’Église vit dans la confusion, pour ne pas dire l’apostasie, ces derniers mois, nous avons assisté à une accélération qui ne peut que créer désorientation et amertume chez les simples fidèles. On parle beaucoup de la lutte contre les abus sexuels, puis on assiste impuissant à une méga-opération au plus haut niveau de l’Église pour protéger le père Marko Rupnik, jésuite et artiste, déjà reconnu coupable d’abus et dont l’excommunication a été mystérieusement levée en un temps record. Entre-temps, nous sommes confrontés à la possibilité réelle qu’un évêque qui épouse des thèses hérétiques devienne même le gardien de l’orthodoxie catholique : il s’agit de l’Allemand Heiner Wilmer, qui, en décembre, semblait destiné à diriger la Congrégation pour la doctrine de la foi, une nomination » freinée » par l’intervention auprès du pape d’une vingtaine de cardinaux, mais qui semble aujourd’hui à nouveau possible. Et encore, le triste spectacle qui se dégage du procès en cours au Vatican pour l’affaire du palais londonien au centre d’opérations financières très douteuses, dans lequel c’est l’image du pontife régnant lui-même qui est clairement écornée.
Et ce ne sont là que quelques exemples de ce qui se passe – auxquels on pourrait ajouter la honte de la » voie synodale » allemande, la guerre contre la liturgie qui appartient à la tradition de l’Église, une préparation plus qu’ambiguë du Synode sur la synodalité, les révélations et dénonciations contenues dans les témoignages de ces semaines de Monseigneur Gänswein, des cardinaux Müller et Pell – et qui donnent l’idée d’une Église transformée en champ de bataille.
Alors comment un simple croyant, mais aussi un consacré, un évêque et même un cardinal ne se laisserait-il pas entraîner dans des diatribes qui risque d’être toute » horizontales » ? Ne pas se laisser décourager par une Église qui semble obscurcir la présence du Christ au lieu de la révéler, dans laquelle la « trahison des apôtres », leur « souillure », comme l’a dit un jour le cardinal Ratzinger, est dramatiquement d’actualité ?
Se concentrer sur la tâche de notre vie, qui est la conversion. C’est ce que nous rappelle le livre du cardinal Robert Sarah, Catéchisme de la vie spirituelle (Edizioni Cantagalli), en librairie à partir du 27 janvier prochain, qui commence précisément par les paroles de Jésus, citées par l’évangéliste Marc : » Repentez-vous et croyez à l’Évangile « . Ce que propose le cardinal Sarah est un itinéraire pour faire l’expérience de Jésus, absolument incontournable pour ceux qui, en ces temps de grands bouleversements, dans le monde et dans l’Église, désirent un point solide et éternel sur lequel construire leur vie.
Ce que propose le cardinal Sarah est une « marche dans le désert » car « le désert, qui creuse le vide, la soif et le silence dans l’homme, le prépare à écouter Dieu et sa Loi », le désert est un lieu « où l’on peut faire une profonde expérience mystique de rencontre avec Dieu qui transforme et transfigure ». La sainteté, qui est notre but, exige ce corps à corps avec Dieu. Ce désert est un itinéraire spirituel incontournable si l’on veut vivre sérieusement : « Si nous acceptons de le parcourir, sur les traces d’Abraham, de Moïse, des prophètes et du peuple élu, nous mourrons à nous-mêmes pour ressusciter plus vivants, porteurs des fruits de l’esprit ».
Et l’itinéraire, à travers lequel se déroule ce livre, est celui des sept sacrements : baptême, confirmation, mariage, sacerdoce, pénitence ou confession, eucharistie et onction des malades. Car c’est ce que Jésus nous a laissé pour vivre toujours en sa présence. « Par ses sacrements, le Christ nous a pris par la main pour nous conduire au Paradis ». Vivre pleinement cette expérience, grandir dans une foi personnelle à l’épreuve du monde, c’est aussi le meilleur service que nous puissions rendre à l’Église : « Nous avons déjà beaucoup trop d’éminents spécialistes et docteurs en sciences religieuses », dit le cardinal Sarah, « Ce qui manque dramatiquement à l’Église aujourd’hui, ce sont des hommes de Dieu, des hommes de foi et des prêtres qui soient des adorateurs en esprit et en vérité.
Il ne s’agit pas de fuir le monde, les problèmes et les contradictions, de se réfugier dans une spiritualité qui écarte une réalité que l’on ne sait pas accepter. Loin de là : le voyage au désert, l’expérience de la rencontre avec Jésus, sert à « retourner dans le monde pour annoncer Jésus-Christ ». Nous sommes dans le monde, mais « à la lumière de la foi, le monde nous apparaît tel que Dieu le voit, bien différent de ce qu’il apparaît aux yeux de ceux qui jugent selon leurs propres capacités ».
Cela donne la capacité de porter un jugement clair et très concret sur ce qui se passe dans le monde. Et le Cardinal Sarah nous le démontre dans de nombreuses pages de ce livre, par exemple dans le chapitre consacré à l’Eucharistie, que l’on pourrait définir comme le cœur de ce volume. « L’Eucharistie, nous dit le préfet émérite du culte divin, est un besoin primordial, une nécessité vitale. (…) Un chrétien sans sacrements et sans Eucharistie est un cadavre ambulant. Comme le disaient les martyrs d’Abitène (…) : « Nous, chrétiens, ne pouvons pas vivre sans l’Eucharistie ». (…) Sans la présence de Jésus Eucharistie, le monde est condamné à la barbarie, à la décadence et à la mort ». De cette conscience découle un jugement clair sur ce qui s’est passé ces dernières années, à l’époque du Covid, dont nous rapportons de larges extraits :
« Aucun gouvernement, aucune autorité ecclésiastique ne peut légitimement interdire la célébration de l’Eucharistie. Dans de nombreux pays, la fermeture récente d’églises pour des raisons de santé n’est pas la première tentative dans l’histoire de la part des pouvoirs en place d’étouffer et de détruire définitivement l’Église de Dieu, ni de remettre en cause le droit fondamental des hommes d’honorer Dieu et de lui offrir le culte qui lui est dû. (…) Trop de chrétiens croient que pour être des hommes de leur temps et y participer activement, il faut mettre leur foi et leur relation à Dieu entre parenthèses, comme si celles-ci ne relevaient que de la sphère privée, trop souvent décrite comme une fuite de leurs responsabilités et une manière d’abandonner lâchement le monde à son drame. D’où la passivité avec laquelle la banalisation de la foi et de la pratique religieuse a été acceptée par des peuples autrefois chrétiens, comme l’illustre tristement la manière dont tant de gouvernements ont empêché les croyants, pour des raisons de santé, de célébrer dignement, solennellement et communautairement les grands mystères de leur foi. Les gens se sont soumis sans résistance à des arrangements qui ne se souciaient pas de Dieu.
(…) Nos sociétés ont été saisies par la panique face à la mort. La vie, répète-t-on habituellement, est le bien le plus précieux, à protéger à tout prix. Mais vivre, est-ce vraiment simplement rester en vie ? Quelle est cette vie pour laquelle tout peut être sacrifié ? Sommes-nous arrivés au point où, pour ne pas perdre la vie, les gens ont paradoxalement cessé de vivre, de bouger, de se parler, de s’entraider, de montrer leur visage et leur sourire, de se serrer la main et de s’embrasser, de prier ensemble ? Pour quel genre de survie devrions-nous renoncer à entrer dans la maison du Seigneur pour l’adorer dignement et recevoir l’Eucharistie, source de vie, « drogue de l’immortalité », comme l’appelaient les Pères ? Quelle est la valeur de la vie qui nous reste, si nous ne pouvons même plus accompagner les personnes âgées vers la mort et leur offrir du réconfort ?
(…) Certes, au cours d’une épidémie, il faut prendre toutes les précautions hygiéniques nécessaires, mais pas au point de supprimer toute expression extérieure de charité en nous, ni de renoncer à l’Eucharistie, source de vie, présence de Dieu au milieu de nous, extension de la Rédemption à tous les fidèles, aux vivants comme aux morts. Tout en prenant les précautions nécessaires contre la contagion, les évêques, les prêtres et les fidèles doivent s’opposer de toutes leurs forces aux lois sanitaires qui ne respectent pas Dieu et la liberté de culte, car ces lois sont plus mortelles que le coronavirus ».
«Benoît XVI, mon ami», par le cardinal Robert Sarah
(Robert Sarah*, Le Figaro) Pour la plupart des commentateurs, Benoît XVI laissera le souvenir d’un immense intellectuel. Son œuvre durera. Ses homélies sont déjà devenues des classiques à l’instar de celles des Pères de l’Église. Mais à ceux qui ont eu la grâce de l’approcher et de collaborer avec lui, le pape Benoît XVIlaisse bien plus que des textes. Je crois pouvoir affirmer que chaque rencontre avec lui fut une véritable expérience spirituelle qui a marqué mon âme. Ensemble, elles dessinent un portrait spirituel de celui que je regarde comme un saint et dont j’espère qu’il sera bientôt canonisé et déclaré docteur de l’Église.
À son arrivée à la curie romaine en 2001, le jeune archevêque que j’étais – j’avais alors 56 ans – regardait avec admiration la parfaite entente entre Jean-Paul II et celui qui était alors le cardinal Ratzinger. Ils étaient tellement unis qu’il leur était devenu impossible de se séparer l’un de l’autre. Jean-Paul II était émerveillé par la profondeur de Joseph Ratzinger. De son côté, le cardinal était fasciné par l’immersion en Dieu de Jean-Paul II. Tous les deux cherchaient Dieu et voulaient redonner au monde le goût de cette quête.
Joseph Ratzinger était reconnu comme un homme d’une grande sensibilité et pudeur. Je ne l’ai jamais vu afficher le moindre mépris. Au contraire, alors qu’il était submergé de travail, il se rendait tout entier disponible pour écouter son interlocuteur. S’il avait l’impression qu’il avait offensé quelqu’un, il cherchait toujours à lui expliquer les raisons de sa position. Il était incapable d’un acte tranchant. Je dois dire aussi qu’il faisait preuve d’un grand respect pour les théologiens africains. Il acceptait même volontiers de rendre des services pratiques, ou de faire passer un message à Jean-Paul II. Cette profonde bienveillance et délicatesse respectueuse envers chacun sont caractéristiques de Joseph Ratzinger.
À partir de 2008, j’ai remplacé le cardinal Dias, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples dans un certain nombre de rencontres, car il souffrait d’une maladie invalidante. Dans ce contexte, j’ai eu la chance d’avoir de nombreuses séances de travail avec le pape Benoît XVI. En particulier, je devais lui présenter les projets de nomination d’évêques des plus de 1000 diocèses des pays de mission. Nous avions des séances parfois assez longues, de bien plus d’une heure. Il fallait discuter et soupeser des situations délicates. Certains pays vivaient en régime de persécution. D’autres diocèses étaient en crise. J’ai été frappé par la capacité d’écoute et l’humilité de Benoît XVI. Je crois qu’il a toujours fait confiance à ses collaborateurs. Cela lui a d’ailleurs valu des trahisons et des déceptions. Mais Benoît XVI était tellement incapable de dissimulation qu’il ne pouvait croire qu’un homme d’Église soit capable de mentir. Le choix des hommes ne lui était pas aisé.
De ces longs entretiens répétés, j’ai acquis une meilleure compréhension de l’âme du pape bavarois. Il y avait en lui une parfaite confiance en Dieu, ce qui lui donnait une paix tranquille et une joie continue. Jean-Paul II montrait parfois de saintes colères. Benoît XVI restait toujours calme. Il était parfois blessé et souffrait profondément de voir les âmes s’éloigner de Dieu. Il était lucide sur l’état de l’Église. Mais il était habité par une force paisible. Il savait que la vérité ne se négocie pas. En ce sens-là, il n’aimait pas l’aspect politique de sa fonction. J’ai toujours été frappé par la joie lumineuse de son regard. Il avait d’ailleurs un humour très doux, jamais violent ni vulgaire.
Je me souviens de l’Année sacerdotale qu’il avait décrétée en 2009. Le pape souhaitait souligner les racines théologiques et mystiques de la vie des prêtres. Il avait affronté avec vérité et courage les premières révélations quant aux affaires de pédophilie dans le clergé. Il voulait aller au bout de la purification. Cette année a culminé dans une magnifique veillée sur la place Saint-Pierre. Le soleil couchant inondait la colonnade du Bernin d’une lumière dorée. La place était pleine. Mais contrairement à l’habitude, pas de familles, pas de religieuses, uniquement des hommes, uniquement des prêtres. Quand Benoît XVI est entré en papamobile, d’un seul cœur tous se sont mis à l’acclamer en l’appelant par son nom. C’était saisissant, toutes ces voix masculines scandant à l’unisson «Benedetto». Le pape était très ému. Quand il s’est retourné vers la foule après être monté sur l’estrade, ses larmes coulaient. On lui a apporté le discours préparé qu’il a laissé de côté et il a librement répondu aux questions. Quel moment merveilleux! Le père plein de sagesse enseignait à ses enfants. Le temps était comme suspendu. Benoît XVI s’est confié. Il a eu ce soir-là des paroles définitives sur le célibat sacerdotal. Puis la soirée s’est achevée par un long moment d’adoration du Saint-Sacrement. Car il voulait toujours entraîner à la prière ceux qu’il rencontrait.
Benoît XVI a aimé passionnément les prêtres. La crise du sacerdoce, la purification du sacerdoce était son chemin de Croix quotidien. Il aimait rencontrer les prêtres, leur parler familièrement.
Il aimait aussi particulièrement les séminaristes. Il était rarement plus heureux qu’entouré par tous ces jeunes étudiants en théologie qui lui rappelait ses jeunes années de professeur. Je me rappelle cette mémorable rencontre avec les séminaristes des États-Unis lors de laquelle il riait aux éclats et plaisantait avec eux. Tandis qu’ils scandaient «We love you», la voix du pape s’est brisée et il leur a dit avec émotion paternelle: «Je prie pour vous chaque jour.»
Ce pape avait un profond sens chrétien de la souffrance. Il répétait souvent que la grandeur de l’humanité réside dans la capacité à souffrir par amour pour la vérité. En ce sens-là, Benoît XVI est grand !
La prière, l’adoration était au centre de son pontificat. Comment oublier les JMJ de Madrid? Le pape était resplendissant de joie devant une foule enthousiaste de plus d’un million de jeunes du monde entier. La communion entre tous était palpable. Au moment où il commençait son discours, un terrible orage éclatait. Le décor menaçait de s’écrouler et le vent avait emporté la calotte blanche de Benoît XVI. Son entourage a voulu le mettre à l’abri. Il a refusé. Il souriait sous une pluie battante dont un pauvre parapluie le protégeait à peine. Il souriait en regardant cette foule dans le vent et la tempête. Il est resté jusqu’au bout. Quand les éléments se sont apaisés, le cérémoniaire lui a apporté le texte qu’il devait prononcer, mais il a préféré omettre le discours préparé pour ne pas entamer le temps prévu pour l’adoration eucharistique. Quelques instants après l’orage, le pape était à genoux devant le Saint-Sacrement, entraînant la foule dans un silence impressionnant et plein de ferveur.
En 2010, je rentrais d’un voyage en Inde. J’avais rendez-vous avec Benoît XVI pour une audience privée. C’est là qu’il m’annonça son intention de me créer cardinal au consistoire suivant et ma nomination à Cor Unum (le dicastère chargé des œuvres de charité). Je n’oublierai jamais la raison qu’il m’en donna: «Je vous ai nommé car je sais que vous avez l’expérience de la souffrance et du visage de la pauvreté. Vous serez le mieux à même d’exprimer avec délicatesse la compassion et la proximité de l’Église avec le plus pauvre.» Ce pape avait un profond sens chrétien de la souffrance. Il répétait souvent que la grandeur de l’humanité réside dans la capacité à souffrir par amour pour la vérité. En ce sens-là, Benoît XVI est grand! Il n’a jamais reculé devant la souffrance. Jamais reculé devant les loups. On a cherché à le faire taire. Il n’a jamais eu peur. Sa démission en 2013 n’est pas le fruit du découragement mais plutôt de la certitude qu’il servirait plus efficacement l’Église par le silence et la prière.
Après ma nomination par François comme préfet du culte divin en novembre 2014, j’ai encore eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois le pape émérite. Je savais combien la question de la liturgie lui tenait à cœur. Je l’ai donc souvent consulté. Il m’a vigoureusement encouragé plusieurs fois – en effet, il était persuadé que «le renouveau de la liturgie est une condition fondamentale pour le renouveau de l’Église».
Je lui portais mes livres. Il les lisait et donnait son appréciation. Il a d’ailleurs bien voulu écrire la préface de La Force du silence. Je me souviens du jour où je lui ai annoncé mon intention d’écrire un livre sur la crise de l’Église. Ce jour-là, il était fatigué, mais son regard s’est éclairé. Il faut avoir connu le regard de Benoît XVI pour comprendre. C’était un regard d’enfant, joyeux, lumineux, plein de bonté et de douceur, et pourtant rempli de force et d’encouragement. Jamais je n’aurais écrit sans cet encouragement. Un peu plus tard, nous avons collaboré de près en vue de la publication de notre réflexion sur le célibat sacerdotal. Je garderai dans le secret de mon cœur le détail de ces jours inoubliables. Je garderai dans les profondeurs de ma mémoire sa profonde souffrance et ses larmes, mais aussi sa volonté farouche et intacte de ne pas céder au mensonge.
Quel portrait dessinent ces souvenirs? Je crois qu’ils convergent vers l’image du Bon Pasteur que Benoît XVI aimait tellement. Il voulait qu’aucune de ses brebis ne se perde. Il voulait les nourrir de la vérité et ne pas les abandonner aux loups et aux erreurs. Mais surtout il les aimait. Il aimait les âmes. Il les aimait parce qu’elles lui avaient été confiées par le Christ. Et plus que tout, il aimait passionnément ce Jésus à qui il a voulu consacrer les trois tomes de son œuvre maîtresse Jésus de Nazareth. Benoît XVI aimait celui qui est la vie, le chemin et la vérité.
* Préfet émérite de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Dernier livre paru Catéchisme de la vie spirituelle (Fayard).
Tous les dimanches, Aymeric Pourbaix et ses invités abordent l’actualité d’un point de vue spirituel et philosophique. Ici, l’émission du 28 novembre 2021 avec invité le Card. Robert Sarah, Guillaume D’Alançon et Véronique Jacquier.
Le Cardinal Robert Sarah, auteur de « Pour l’éternité » aux éditions Fayard, répond aux questions de Sonia Mabrouk au sujet des crises et des drames migratoires.
Invité(s) : Le Cardinal Robert Sarah, auteur de « Pour l’éternité » aux éditions Fayard
Traditionis custodes : le cardinal Sarah défend le motu proprio
Le but du pape François « n’est absolument pas de supprimer la liturgie ancienne », a indiqué le cardinal Robert Sarah dans un entretien accordé au Figaro, faisant référence au motu proprio « Traditionis custodes ».
Le motu proprio Traditionis custodes n’en finit plus de faire réagir. Dans un entretien au Figaro accordé à l’occasion de la sortie de son livre Pour l’éternité, le cardinal Robert Sarah, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin, s’est à nouveau exprimé sur le texte du Pape. « Je crois que le pape François a clairement expliqué son intention dans les diverses visites ad limina des évêques français et polonais », a-t-il rappelé. « Son but n’est absolument pas de supprimer la liturgie ancienne. Il est conscient que de nombreux jeunes et des familles y sont intimement attachés. Et il est attentif à cet instinct de la foi qui s’exprime dans le peuple de Dieu. »
Et il le rappelle : « Le Pape a demandé d’appliquer ce texte avec souplesse et sens paternel. Il sait bien que ce qui a été sacré pour tant de générations ne peut du jour au lendemain se trouver méprisé et banni. » Le pape François attend ainsi « que la liturgie actuelle s’enrichisse de ce que la liturgie ancienne a de meilleur. De même, il attend clairement que la liturgie ancienne soit célébrée dans l’esprit de Vatican II, ce qui est parfaitement possible. » Selon lui, « elle n’est pas et ne doit pas devenir un prétexte pour les contestataires du concile ».
Cardinal Sarah : « Je ne sais pas si l’Eglise a déjà connu de telles périodes »
Abus sexuels, corruption, crise du sacerdoce… Dans cet entretien vidéo à Famille Chrétienne, le cardinal Robert Sarah s’interroge sur la figure du prêtre dans notre monde sécularisé et dans une Eglise minée par les scandales.
A l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage « Pour l’éternité », le cardinal Robert Sarah, ancien préfet de la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, médite sur la figure du prêtre et sur sa vocation à la sainteté dans un monde marqué par la disparition progressive de Dieu. « On ne sait plus quelle est l’identité du prêtre. Il est entré dans une crise difficile, unique, inédite, explique le cardinal guinéen dans cet entretien vidéo accordé à Famille Chrétienne. Or, poursuit le prélat, « le prêtre n’est vraiment lui-même que s’il aspire profondément à la sainteté. Il n’est autre que Jésus Christ, présent, prolongé, aujourd’hui ». Le cardinal Sarah adresse un message de soutien aux prêtres et aux séminaristes dans cette vidéo : « Soyez toujours fidèles. Ne vous découragez pas par l’aspect massif de ces accusations », faisant référence à la crise des abus sexuels qui secoue l’Eglise, particulièrement en France depuis la publication du rapport de la Commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé.
Le cardinal Sarah : « Des prêtres ont détourné le sacerdoce pour en faire l’instrument de leur perversion »
Dans son ouvrage « Pour l’éternité. Méditations sur la figure du prêtre » à paraître ce 17 novembre, le cardinal Robert Sarah exhorte à une véritable réforme du clergé pour sortir l’Eglise de la crise qu’elle traverse. Un entretien en exclusivité pour Famille Chrétienne.
Pourquoi publier un tel ouvrage sur la figure du prêtre dans le contexte actuel de l’Église ?
J’entends manifester mon affection, mon encouragement aux prêtres qui sont en difficulté – j’ai appris qu’en France des prêtres étaient allés jusqu’à se suicider -, mais aussi à tous ceux qui sont encore très vaillants, très convaincus de leur sacerdoce. Il s’agit de les encourager à ne pas perdre Dieu, à avoir le courage de suivre le Christ comme ils l’ont accepté dès le début, au jour de leur ordination. Car la crise que nous traversons aujourd’hui dans l’Église dépend essentiellement de la crise sacerdotale. Je souhaite donc que les prêtres trouvent une source de réflexion pour vivre pleinement leur sacerdoce. Si ce sacrifice n’est pas perpétué par des prêtres dans l’eucharistie, le monde est perdu.
Face à cette crise, certains proposent de réformer les structures, la gouvernance de l’Église. Vous appelez d’abord à réformer le sacerdoce…
Exactement, car ceux qui ont vraiment réformé l’Église sont les saints. Prenez par exemple Luther et saint François d’Assise : il y avait alors à leurs époques les mêmes scandales, les mêmes difficultés à croire encore à l’Église, mais l’un a voulu réformer les structures en sortant de l’Église quand l’autre a voulu radicalement vivre l’Évangile. C’est la radicalité de l’Évangile qui va réformer l’Église, ce ne sont pas les structures.
Cela signifie-t-il que les structures seraient inutiles ?
Le Christ n’a jamais créé de structures. Bien sûr, je ne dis pas qu’elles ne sont pas nécessaires. L’organisation est utile, dans la société, mais ce n’est pas premier. Ce qui est premier, c’est la toute première parole du Christ dans l’Évangile de Marc : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » Si les prêtres, si la société se tournent vers Dieu, alors je pense que les choses changeront. Si les cœurs ne sont pas changés par l’Évangile, la politique ne changera pas, l’économie ne changera pas, les relations humaines ne changeront pas. C’est le Christ qui est notre paix, qui va créer des relations humaines plus fraternelles, de collaboration, de coopération, ce ne sont pas les structures. Elles sont d’ailleurs souvent un danger, parce que nous nous réfugions derrière elles. Dieu ne demandera pas des comptes à une conférence épiscopale, à un synode… C’est à nous, évêques, qu’Il demandera des comptes : comment avez-vous géré votre diocèse, comment avez-vous aimé vos prêtres, comment les avez-vous accompagnés spirituellement ?
Comment réagissez-vous aux révélations fracassantes sur les abus commis par une petite partie du troupeau ?
Nous devons nous sentir profondément blessés, en souffrir comme le Christ a souffert lorsque Judas L’a vendu, lorsque Pierre L’a renié. Ces révélations doivent nous faire souffrir et même pleurer. Nous ne devons pas avoir peur de la vérité. Il faut évaluer ce qui est réel, cette exigence est juste car l’Église doit être un modèle, les prêtres doivent être des modèles et un seul cas d’abus serait de trop. La découverte de tant de péchés commis nous fait mieux comprendre l’apparente stérilité de nos églises locales. Comment pouvions-nous donner du fruit alors qu’un tel cancer nous rongeait de l’intérieur ? Nous devons retrouver le sens de la pénitence et la contrition. En vérité, nous avons parfois confondu miséricorde et complaisance avec le péché. Nous devons maintenant adorer Jésus présent dans le Saint-Sacrement en réparation des profanations commises contre son image dans l’âme des enfants. Il ne faut pas non plus nous laisser abattre par le découragement. D’abord, l’immense majorité des prêtres est demeurée fidèle, et c’est une source d’action de grâces. Leur fidélité quotidienne et cachée ne fait pas de bruit, mais elle porte silencieusement de profonds germes de renouveau. Il nous revient de voir comment les prêtres coupables peuvent être punis et, si possible, soignés, guéris, accompagnés, afin que de tels actes ne se reproduisent plus. Il nous revient, surtout, de ne plus laisser ces horreurs détourner les âmes du Christ et enfermer tant de victimes innocentes dans la souffrance.
Quelle réponse apporter à de tels abus ?
En état de choc devant la profondeur du péché, certains voudraient inventer un « nouveau sacerdoce ». Mais nous ne devons pas avoir peur. Il n’y a rien à inventer, ni à transformer. Il s’agit de vivre pleinement ce que le Christ nous demande. Dans mon livre, j’ai voulu laisser parler les saints, les Pères de l’église. Ils nous invitent à ne pas craindre de vivre pleinement le sacerdoce, malgré les difficultés et les défis, comme le Christ nous le propose. La sainteté du Christ est notre sainteté. Ce n’est pas parce que certains hommes sont de mauvais époux ou de mauvais pères qu’il faudrait supprimer la famille ou la paternité. De même, ce n’est pas parce que certains ont détourné le sacerdoce pour en faire l’instrument de leur perversion qu’il faudrait rendre le sacerdoce lui-même responsable de ces abus. Au contraire, il nous revient de prendre tous les moyens pour retrouver la beauté du sacrement de l’ordre tel que Jésus nous l’a laissé. N’ayons pas peur d’affirmer que les prêtres sont pour nous des pères, car ils transmettent la grâce de Dieu par les sacrements. N’ayons pas peur de dire qu’ils continuent parmi nous la présence du Christ. Par le sacrement de l’ordre, ils sont configurés à Jésus. Non pas psychologiquement. Mais spirituellement. Cela n’ouvre la porte à aucune forme de toute-puissance. Au contraire, cela conduit les prêtres à suivre le Christ sur la croix. J’ai voulu ce livre pour que tous, tant les laïcs que les prêtres, redécouvrent le vrai visage du sacerdoce si souvent déformé.
La prière, écrivez-vous, est essentielle dans cette recherche de sainteté…
Qu’est-ce qu’un prêtre ? C’est quelqu’un qui a reçu l’appel privilégié de Jésus : « Viens, suis-moi ! » Quelqu’un qui prolonge Jésus, qui agit en son nom, in persona Christi. Son regard doit donc être constamment fixé sur le Christ. Je suis bouleversé de voir que Jésus a passé trente années à Nazareth dans le silence, la prière et le travail auprès de Joseph et Marie. Trente années sans dire un mot, comme s’Il se recueillait en écoutant son Père Lui préciser sa mission, une mission difficile, méditant cette volonté divine qui s’incrustait progressivement dans son cœur. Puis, avant de commencer son ministère public, il s’est rendu quarante jours et quarante nuits dans le désert, dans un face-à-face avec son Père. Et plusieurs fois, dans les Évangiles, nous Le voyons partir dans le désert, seul ou avec ses disciples. Pour Jésus, la prière était centrale.
Elle est donc tout aussi centrale pour les prêtres, mais ont-ils seulement assez de temps à y consacrer aujourd’hui, alors qu’ils gèrent des paroisses devenues immenses ?
La tentation est de vouloir faire beaucoup de choses, d’avoir des réunions, des colloques, des engagements pastoraux à droite et à gauche… On est tellement fatigué à la fin de la journée que l’on n’a pas le temps de se mettre devant le tabernacle ! En agissant ainsi, on se vide de son identité sacerdotale. On perd de vue Jésus-Christ que nous devons imiter. Comme dans la vie de n’importe quel chrétien, la prière est donc essentielle dans la vie d’un prêtre, son ministère est plus fécond. J’ai été frappé par les missionnaires spiritains que j’ai connus lorsque j’étais enfant. Ils avaient beau être actifs, ils commençaient toujours par la prière du matin. Dans la journée, avant le repas, ils allaient à l’église, et y retournaient après. Et ils finissaient encore leur journée en prière. Ils ne comptaient pas seulement sur leurs propres capacités, mais ils comptaient sur Dieu. Un prêtre qui compte seulement sur ses capacités intellectuelles, sa capacité de travail et non sur Dieu, ne prie pas !
En quoi, dans le contexte actuel, la fraternité sacerdotale et la vie communautaire sont-elles nécessaires pour les prêtres ?
Le Christ a formé une communauté avec les Douze. Un prêtre ne peut pas vivre seul ! Il court de grands dangers d’isolement, et il court le risque de penser par lui-même s’il ne dialogue pas avec des laïcs ou d’autres prêtres. Regardez saint Augustin, il vivait avec son clergé ! Il est indispensable de trouver un moyen pour que les prêtres aient une vie communautaire, même si cela demande de leur part beaucoup d’humilité.
Comment les laïcs peuvent-ils collaborer avec les prêtres, efficacement ?
Le concile Vatican II nous a rappelé la présence des laïcs dans l’Église. Et saint Paul aussi nous le dit : l’Église est un corps. Un corps est fait de membres. Chacun doit fonctionner selon sa mission, et il faut développer une collaboration harmonieuse. En paroisse, les laïcs peuvent aider à l’organisation, ou préparer les catéchumènes. En Afrique, par exemple, nous travaillons tout le temps avec les catéchistes.
En mai dernier, justement, le pape a institué le ministère laïc de catéchiste. Les laïcs sont-ils également la solution dans l’Église de notre vieille Europe ?
Les catéchistes ont toujours existé et ils existeront toujours. D’ailleurs, ce sont vos missionnaires européens qui les ont installés chez nous et qui ont créé des écoles de formation ! Le catéchiste est indispensable parce que, choisi par le curé, il est dans un ou plusieurs villages où il s’occupe des catéchumènes, dirige la prière du matin, celle du dimanche. Il lit la parole de Dieu, il la commente, puis vient le prêtre. Les catéchistes ont existé dès le début de l’Église. Saint Paul, déjà, était accompagné par Priscille et Aquila, par des familles qui l’aidaient. Je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas exister en Europe.
Votre ouvrage est dédié aux séminaristes. Pourquoi ?
Ils vivent dans un contexte difficile qui ne les encourage pas. Ils se demandent ce qu’ils vont devenir, et si l’Église va continuer à survivre. Et je veux leur dire : si le Christ t’a appelé, Il va te donner les moyens de Le suivre réellement. Essaie d’imiter Jésus. Essaie de prendre au sérieux cet appel. Le Seigneur qui t’appelle ne va pas te laisser seul. Il te soutiendra par sa grâce mais il faut que, toi-même, tu sois un homme réalisé pleinement, un homme vrai, honnête, droit, qui a toutes les qualités humaines.
À vos yeux, cet apprentissage humain a-t-il suffisamment lieu au séminaire ?
Les séminaires ont abandonné le style initialement pensé par saint Charles Borromée. On a voulu moderniser, insister sur la pastorale en envoyant les séminaristes à gauche et à droite. Avant d’envoyer ses apôtres deux à deux, Jésus les a d’abord longuement formés. Il faut veiller à offrir aux séminaristes la capacité de prendre des décisions, d’être cohérents dans leurs choix et qu’ils osent prendre des responsabilités. Si quelqu’un n’est pas assis humainement parlant, c’est un homme léger. Il prend le risque d’être porté par le vent… Et le vent d’aujourd’hui ne nous porte pas toujours vers le Christ. On doit donc former des personnes assises sur leur identité humaine. Le Christ ne s’est pas incarné pour rien !
En quoi les familles peuvent-elles s’avérer précieuses pour les prêtres ?
Les familles ont un rôle important à jouer. Chacun de nous sort d’une famille et, lorsqu’on devient prêtre, c’est l’Église qui devient notre famille. Les familles présentes sur une paroisse ont alors un rôle d’accompagnement humain et affectif. Les prêtres ne prennent plus beaucoup le temps de visiter les familles, mais elles peuvent les aider à ne pas être isolés. Il faut inviter les prêtres à la maison, à venir prier, échanger sur l’éducation des enfants, sur les questions de la vie aujourd’hui. Et puis un prêtre qui a des contacts avec des familles peut aussi y apprendre comment on vit l’Évangile.
Un célèbre ouvrage évoquait, après-guerre, la « France, pays de mission ». Quatre-vingts ans plus tard, la France semble toujours être ce pays de mission. Dans ce contexte, quel rôle les prêtres, devenus des inconnus pour leurs semblables, peuvent-ils jouer ?
Non seulement la France, mais l’Occident tout entier a tué Dieu. Dieu n’existe pas. On n’a pas besoin de Lui. Dieu est mort, et on n’a pas besoin de ce qui est mort. Pourquoi ? Parce qu’avec ses prodiges sur le plan scientifique, technologique, avec sa puissance économique et militaire, l’Occident orgueilleux juge qu’il n’a pas besoin d’un père, qu’il n’a pas besoin de Dieu. Parfois, même au sein de l’Église, il semble que l’on n’ait pas besoin de Dieu… Un pays de mission, c’est à mes yeux un pays qui découvre Dieu dans son incarnation, en Jésus-Christ. Si la France, si l’Occident, grâce au ministère des prêtres, redécouvrent que Dieu est venu parmi nous, qu’Il nous aime, qu’Il veut notre Salut, qu’Il veut que nous découvrions la vérité et que cette vérité nous rendra libres, alors la mission sera possible. Mais tant que l’Occident reste fermé à cette prodigieuse redécouverte, tant qu’il ne s’ouvre pas à Dieu et s’enferme sur ses capacités technologiques, alors la mission ne peut pas se réaliser.
Mais il n’y a pas à désespérer. C’est pourquoi il faut que les prêtres redécouvrent leur mission, que les prêtres redécouvrent leur identité. Ils sont la présence du Christ au milieu de ce monde. S’ils se conduisent bien, s’ils sont la présence du Christ, alors la France comme l’Occident peuvent le redécouvrir petit à petit. Regardez ce qu’a fait le Curé d’Ars, tout seul, parce qu’il était un homme tellement en Christ, tellement en Jésus, tellement un homme de prière. Il est parvenu à changer son village, à changer toute la France.
Reste que la France du Curé d’Ars n’est pas la France du XXIe siècle !
En effet, mais l’homme est le même ! L’homme ne change pas. Il a les mêmes ambitions, il a les mêmes défauts, les mêmes vices depuis Adam jusqu’à aujourd’hui. Ce sont seulement les circonstances que nous avons créées qui peuvent nous désorienter, mais l’homme ne change pas. Le Français du Curé d’Ars, c’est le Français d’aujourd’hui, à la différence que le Français d’aujourd’hui a un téléphone portable… Mais dans ses ambitions, dans ses vices et ses défauts, il est le même. Nous avons encore besoin de saints prêtres identifiés au Christ !
Cardinal Robert Sarah célébrant la messe en la Basilique Saint Pierre à l’occasion du 50ème anniversaire de son ordination comme prêtre, le 28 septembre 2019 (photo: Evandro Inetti/CNA / EWTN)
Au-delà de la querelle des rites, c’est la crédibilité de l’Église qui est en jeu (Card. Robert Sarah)
Sur la crédibilité de l’Église catholique
COMMENTAIRE : Au cours de deux millénaires, l’Église a déjà joué ce rôle de gardien et de passeur de la civilisation. Mais en a-t-elle encore les moyens, et la volonté, aujourd’hui ?
14 août 2021
Note de la rédaction : Cette tribune a été publiée pour la première fois le 13 août dans le journal francophone Le Figaro. La traduction anglaise est reproduite ici avec la permission du Cardinal Robert Sarah. Le style a été modifié.
Le doute s’est emparé de la pensée occidentale. Intellectuels et politiques décrivent la même impression d’effondrement. Face à la rupture des solidarités et à la désintégration des identités, certains se tournent vers l’Eglise catholique. Ils lui demandent de donner une raison de vivre ensemble à des individus qui ont oublié ce qui les unit comme un seul peuple. Ils la supplient d’apporter un supplément d’âme pour rendre supportable la dureté froide de la société de consommation. Lorsqu’un prêtre est assassiné, tout le monde est touché et beaucoup se sentent frappés au cœur.
Mais l’Eglise est-elle capable de répondre à ces appels ? Certes, elle a déjà joué ce rôle de gardienne et de transmetteur de la civilisation. Au crépuscule de l’Empire romain, elle a su transmettre la flamme que les barbares menaçaient d’éteindre. Mais a-t-elle encore les moyens et la volonté de le faire aujourd’hui ?
Au fondement d’une civilisation, il ne peut y avoir qu’une seule réalité qui la dépasse : un invariant sacré. Malraux le constate avec réalisme : « La nature d’une civilisation est ce qui se rassemble autour d’une religion. Notre civilisation est incapable de construire un temple ou un tombeau. Elle sera obligée de trouver sa valeur fondamentale, ou bien elle se décomposera. «
Sans fondement sacré, les frontières protectrices et infranchissables sont abolies. Un monde entièrement profane devient une vaste étendue de sables mouvants. Tout est tristement ouvert aux vents de l’arbitraire. En l’absence de la stabilité d’un fondement qui échappe à l’homme, la paix et la joie – signes d’une civilisation durable – sont constamment englouties par un sentiment de précarité. L’angoisse du danger imminent est le sceau des temps barbares. Sans fondement sacré, tout lien devient fragile et inconstant.
Certains demandent à l’Église catholique de jouer ce rôle de fondation solide. Ils voudraient la voir assumer une fonction sociale, à savoir être un système cohérent de valeurs, une matrice culturelle et esthétique. Mais l’Église n’a pas d’autre réalité sacrée à offrir que sa foi en Jésus, Dieu fait homme. Son unique but est de rendre possible la rencontre des hommes avec la personne de Jésus. L’enseignement moral et dogmatique, ainsi que le patrimoine mystique et liturgique, sont le cadre et les moyens de cette rencontre fondamentale et sacrée. La civilisation chrétienne naît de cette rencontre. La beauté et la culture en sont les fruits.
Pour répondre aux attentes du monde, l’Église doit donc retrouver le chemin d’elle-même et reprendre les paroles de saint Paul : « Car je n’ai voulu connaître, pendant que j’étais avec vous, que Jésus-Christ et Jésus crucifié. » Elle doit cesser de se considérer comme un substitut de l’humanisme ou de l’écologie. Ces réalités, bien que bonnes et justes, ne sont pour elle que des conséquences de son unique trésor : la foi en Jésus-Christ.
Ce qui est sacré pour l’Église, c’est donc la chaîne ininterrompue qui la relie avec certitude à Jésus. Une chaîne de foi sans rupture ni contradiction, une chaîne de prière et de liturgie sans rupture ni reniement. Sans cette continuité radicale, quelle crédibilité l’Église pourrait-elle encore revendiquer ? En elle, il n’y a pas de retour en arrière, mais un développement organique et continu que nous appelons la tradition vivante. Le sacré ne se décrète pas, il est reçu de Dieu et transmis.
C’est sans doute la raison pour laquelle Benoît XVI a pu affirmer avec autorité :
« Dans l’histoire de la liturgie, il y a une croissance et un progrès, mais pas de rupture. Ce que les générations précédentes ont considéré comme sacré, reste sacré et grand pour nous aussi, et ne peut pas être tout à coup entièrement interdit ou même considéré comme nuisible. Il nous appartient à tous de préserver les richesses qui se sont développées dans la foi et la prière de l’Église, et de leur donner la place qui leur revient. »
A l’heure où certains théologiens cherchent à rouvrir les guerres de liturgie en opposant le missel révisé par le Concile de Trente à celui en usage depuis 1970, il est urgent de le rappeler. Si l’Eglise n’est pas capable de préserver la continuité pacifique de son lien avec le Christ, elle ne pourra pas offrir au monde « le sacré qui unit les âmes », selon les mots de Goethe.
Au-delà de la querelle des rites, c’est la crédibilité de l’Église qui est en jeu. Si elle affirme la continuité entre ce qu’on appelle communément la messe de saint Pie V et la messe de Paul VI, alors l’Église doit pouvoir organiser leur cohabitation pacifique et leur enrichissement mutuel. Si l’on devait radicalement exclure l’une au profit de l’autre, si l’on devait les déclarer inconciliables, on reconnaîtrait implicitement une rupture et un changement d’orientation. Mais alors l’Église ne pourrait plus offrir au monde cette continuité sacrée, qui seule peut lui donner la paix. En entretenant en son sein une guerre liturgique, l’Église perd sa crédibilité et devient sourde à l’appel des hommes. La paix liturgique est le signe de la paix que l’Église peut apporter au monde.
L’enjeu est donc bien plus grave qu’une simple question de discipline. Si elle devait revendiquer un retournement de sa foi ou de sa liturgie, au nom de quoi l’Église oserait-elle s’adresser au monde ? Sa seule légitimité est sa cohérence dans sa continuité.
En outre, si les évêques, qui sont chargés de la cohabitation et de l’enrichissement mutuel des deux formes liturgiques, n’exercent pas leur autorité à cet effet, ils risquent de ne plus apparaître comme des bergers, gardiens de la foi qu’ils ont reçue et des brebis qui leur sont confiées, mais comme des dirigeants politiques : commissaires de l’idéologie du moment plutôt que gardiens de la tradition pérenne. Ils risquent de perdre la confiance des hommes de bonne volonté.
Un père ne peut pas introduire la méfiance et la division parmi ses enfants fidèles. Il ne peut pas humilier les uns en les opposant aux autres. Il ne peut pas mettre à l’écart certains de ses prêtres. La paix et l’unité que l’Église prétend offrir au monde doivent d’abord être vécues au sein de l’Église.
En matière liturgique, ni la violence pastorale ni l’idéologie partisane n’ont jamais produit de fruits d’unité. La souffrance des fidèles et les attentes du monde sont trop grandes pour s’engager dans ces voies sans issue. Personne n’est de trop dans l’Église de Dieu !
M.MIGLIORATO/CPP/CIRIC – Cardinal Robert Sarah, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrement.
Le cardinal Sarah nommé membre de la Congrégation pour les Églises orientales
Le pape François a nommé le cardinal Robert Sarah, préfet émérite de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, membre de la Congrégation pour les Églises orientales, a récemment indiqué le Saint-Siège.
Le cardinal Robert Sarah vient d’être nommé par le pape François membre de la Congrégation pour les Églises orientales, a indiqué le Saint-Siège samedi 8 mai. Le souverain pontife avait accepté le 20 février 2021 la renonciation du cardinal guinéen. Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, il avait célébré ses 75 ans le 15 juin 2020, limite d’âge à laquelle le code canonique prévoit que les évêques doivent présenter leur démission au souverain pontife.
S’il ne dirige plus de dicastère à Rome, le haut prélat a cependant déclaré vouloir continuer d’œuvrer « au service de l’unité de l’Église, dans la vérité et la charité », et continue donc de travailler au sein de la Curie romaine. Le pape François a récemment élevé le cardinal Sarah au rang de cardinal-prêtre au sein du Collège cardinalice. Âgé de 75 ans, ce dernier pourrait donc participer à un éventuel conclave, mais ne serait alors plus cardinal proto-diacre, comme il l’était jusqu’alors.
Plus jeune évêque nommé au monde
Né en 1945 dans le nord de la Guinée dans une famille très modeste d’agriculteurs non-croyants, il a découvert sa vocation au contact des pères spiritains qui officiait dans une mission près de chez lui. Il est devenu à 34 ans, en 1979, le plus jeune évêque au monde. Robert Sarah s’oppose pendant ces années à de nombreuses reprises au régime, et reste en poste à Conakry jusqu’en 2001.
Repéré par Jean Paul II, il est nommé secrétaire de la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples. En 2010 il est créé cardinal par Benoît XVI. Quatre ans plus tard, en novembre 2014, le pape François le nomme préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrement. Nomination que le Guinéen a confié avoir refusé trois fois avant d’accepter devant l’insistance du pontife. Sept ans plus tard, il prend donc sa retraite : le cardinal Sarah aura œuvré pendant vingt ans au service du Saint-Siège.