« Le pape émérite et l’irréalisme de la «fuite dans la pure doctrine» », par Andrea Tornielli

Visite à Benoît XVI, 28 nov. 2020 © Vatican Media

Visite À Benoît XVI, 28 Nov. 2020 © Vatican Media

« Le pape émérite et l’irréalisme de la «fuite dans la pure doctrine» », par Andrea Tornielli

« Benoît XVI, le pape du Parvis des Gentils »

« Le pape émérite et l’irréalisme de la « fuite dans la pure doctrine » »: c’est le titre de cette réflexion du directeur éditorial du dicastère pour la communication, Andrea Tornielli, dans L’Osservatore Romano du 28 juillet 2021, sur la réponse du pape Benoît XVI à la « Herder Korrespondenz« .

Voici notre traduction, de l’italien, de la réflexion d’Andrea Tornielli.

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« L’idée d’une “fuite dans la doctrine pure“ me semble tout à fait irréaliste ». Le théologien Joseph Ratzinger, pape émérite, répond par écrit aux questions du mensuel allemand « Herder Korrespondenz ». Une fois encore, il semble vouloir se démarquer des clichés intéressés dont on l’a affublé.

Dans un passage de l’interview, sur lequel presque personne ne s’est arrêté dans les reprises ou les commentaires, Benoît XVI affirme ceci : « Et puis surtout, le croyant est une personne qui s’interroge, une personne qui doit continuellement retrouver la réalité de cette foi derrière et contre les réalités oppressantes de la vie quotidienne. En ce sens, la pensée d’une « fuite dans la doctrine pure » me paraît absolument irréaliste.

Une doctrine qui n’existerait que comme une sorte de réserve naturelle, séparée du monde quotidien de la foi et de ses exigences, représenterait en quelque sorte un renoncement à la foi même. La doctrine doit se développer dans la foi et à partir d’elle, et non à côté d’elle ». Les paroles du pape émérite, comme cela apparaît dans la suite de l’interview, révèlent le visage d’une Eglise qui parle avec le cœur et avec l’esprit, parce qu’une Eglise qui ne parle qu’avec le caractère officiel de sa doctrine ou le fonctionnalisme de ses structures, finit par éloigner au lieu d’attirer.

Dans son livre-interview avec Peter Seewald, « Voici quel est notre Dieu. Conversations avec Peter Seewald » (2001), celui qui était alors cardinal préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait affirmé : « La nature de la foi n’est pas telle qu’à partir d’un certain moment on puisse dire : je l’ai, d’autres ne l’ont pas… La foi reste un chemin. Tout au long de notre vie, elle reste un chemin et c’est pour cela que la foi est toujours menacée et en danger. Et il est aussi salutaire qu’elle se soustraie ainsi au risque de se transformer en idéologie manipulable. Au risque de nous endurcir et de nous rendre incapables de partager la réflexion et la souffrance d’un frère qui doute et s’interroge. La foi ne peut mûrir que dans la mesure où elle supporte et prend en charge, à toutes les phases de l’existence, l’angoisse et la force de l’incrédulité et la traverse finalement pour redevenir un chemin possible à une nouvelle époque. »

Ce sont des paroles que Benoît XVI, le pape du Parvis des Gentils, avait redites également dans le dialogue avec les journalistes, sur le vol qui l’emmenait à Prague, le 26 septembre 2009. Il rappelait que le non croyant et le croyant ont besoin l’un de l’autre. Et que « le catholique ne peut pas se contenter d’avoir la foi, mais qu’il doit être à la recherche de Dieu, encore plus, et dans le dialogue avec les autres, ré-apprendre Dieu de manière plus profonde ».

Le croyant qui ne sait pas déjà tout mais qui se pose des questions face à la réalité de la vie quotidienne, la foi qui n’est pas une possession acquise une fois pour toute, mais un chemin et un développement, bien loin de toute fuite dans la doctrine réduite à une réserve naturelle séparée du monde. Le croyant qui a besoin des questions et des doutes du non croyant, pour ne pas réduire sa foi à une idéologie, à un schéma : ce sont des thèmes que Benoît XVI a souvent approfondis en tant que théologien, cardinal et ensuite pape. Et c’est un regard que nous retrouvons souvent dans les paroles de son successeur François. Par exemple, dans le dialogue qu’il a eu avec les prêtres, les religieux et religieuses dans la cathédrale de Milan, le 25 mars 2017, lorsqu’il avait invité ceux qui évangélisent à être libres par rapport aux résultats et à ne pas s’attrister devant les défis que l’Eglise doit affronter aujourd’hui, mettant en garde justement contre le risque de transformer la foi en idéologie.

« C’est bien, avait dit François, qu’il y ait des défis parce qu’ils nous font grandir. Ils sont le signe d’une foi vivante, d’une communauté vivante qui cherche son Seigneur et garde les yeux et le cœur ouverts. Nous devons plutôt craindre une foi sans défis, une foi qui se considère complète, tout à fait complète : je n’ai besoin de rien d’autre, tout fait… Et qui se considère complète comme si tout avait été dit et réalisé ». « Les défis, avait ajouté à cette occasion le pape Bergoglio, nous aident à faire en sorte que notre foi ne devienne pas idéologique. Il y a les dangers des idéologies, toujours. Les idéologies grandissent, germent et croissent quand quelqu’un croit avoir la foi complète, et cela devient une idéologie. Les défis nous sauvent d’une pensée fermée et définie et nous ouvrent à une compréhension plus large du donné révélé ».

Source: ZENIT.ORG, le 28 juillet 2021

Irak: « Repartir d’Abraham pour se reconnaître comme frères », par A. Tornielli

Andrea Tornielli @ Catholic Center for Studies and Media, Jordanie

Andrea Tornielli @ Catholic Center For Studies And Media, Jordanie

Irak: « Repartir d’Abraham pour se reconnaître comme frères », par A. Tornielli

« Le voyage raté de Jean-Paul II est resté une plaie ouverte »

« Repartir d’Abraham pour se reconnaître comme frères », titre Andrea Tornielli, directeur éditorial du dicastère romain pour la communication, et historien de formation, à l’avant veille du voyage du pape François en Irak (5-8 mars 2021).

*****François se prépare au voyage le plus difficile et le plus important de son pontificat, qui manifestera à la fois la proximité aux chrétiens, le soutien à la reconstruction du pays dévasté par les guerres et par le terrorisme, et une main tendue aux musulmans. Ainsi se réalise le rêve de Jean-Paul II.

Les chrétiens irakiens attendaient le Pape depuis 22 ans. C’est en 1999 que saint Jean-Paul II avait prévu un pèlerinage bref mais significatif à Ur des Chaldéens, première étape du voyage jubilaire vers les lieux du Salut. Il voulait partir d’Abraham, du père commun reconnu par les juifs, les chrétiens et les musulmans. Beaucoup l’ont déconseillé au vieux pontife polonais, lui demandant de ne pas faire un voyage qui risquerait de renforcer Saddam Hussein, encore au pouvoir après la première guerre du Golfe. Le Pape venu de Cracovie tenait à ce projet, malgré les tentatives de dissuasion, notamment de la part des États-Unis. Mais en fin de compte, ce voyage éclair d’une nature essentiellement religieuse n’a pas été fait à cause de la situation du président irakien.

En 1999, le pays était déjà à genoux en raison de la guerre sanglante contre l’Iran (1980-1988) et des sanctions internationales consécutives à l’invasion du Koweït et à la première guerre du Golfe, mais le nombre de chrétiens en Irak était alors plus de trois fois supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. Le voyage raté de Jean-Paul II est resté une plaie ouverte. Le Pape Wojtyla a élevé la voix contre la deuxième expédition militaire occidentale dans le pays, la guerre éclair de 2003, qui s’est terminée par le renversement du gouvernement de Saddam Hussein.

Lors de l’Angélus du 16 mars 2003, il avait déclaré: «Je voudrais rappeler aux pays membres des Nations-Unies, et en particulier à ceux qui composent le Conseil de sécurité, que le recours à la force représente le dernier recours, après avoir épuisé toute autre solution pacifique, selon les principes bien connus de la Charte des Nations-Unies elle-même». Puis il a livré ce plaidoyer: «J’appartiens à cette génération qui a vécu la Seconde Guerre mondiale et qui a survécu. J’ai le devoir de dire à tous les jeunes, à ceux qui sont plus jeunes que moi, qui n’ont pas fait cette expérience: « Plus jamais la guerre », comme l’a dit Paul VI lors de sa première visite aux Nations unies. Nous devons faire tout ce qui est possible.»

Il n’a pas été entendu par ces «jeunes» qui faisaient la guerre et étaient incapables de construire la paix. L’Irak a été frappé par le terrorisme, avec des attaques, des bombes, des dévastations. Le tissu social s’est désintégré. Et en 2014, le pays a vu la montée de l’État islamique autoproclamé proclamé par Daech, accentuant la dévastation, la persécution, la violence, avec des puissances régionales et internationales engagées dans la lutte sur le sol irakien, avec la multiplication des milices hors de contrôle. La population sans défense, divisée en fonction de ses appartenances ethniques et religieuses, en paie le prix, avec un coût élevé en vies humaines.

En regardant la situation irakienne, on touche du doigt le caractère concret et réaliste des paroles que François a voulu graver dans sa dernière encyclique Fratelli Tutti«Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste”. Plus jamais la guerre ! Toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé. La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal.»

Au cours de ces années, des centaines de milliers de chrétiens ont été contraints d’abandonner leurs foyers et de chercher refuge à l’étranger. Dans une terre de première évangélisation, dont l’ancienne Église a des origines qui remontent à la prédication apostolique, les chrétiens attendent aujourd’hui la visite de François comme une bouffée d’air frais. Depuis quelque temps, le Pape avait annoncé sa volonté d’aller en Irak pour les réconforter, suivant la seule «géopolitique» qui l’émeut, c’est-à-dire celle de manifester la proximité avec ceux qui souffrent et de favoriser, par sa présence, les processus de réconciliation, de reconstruction et de paix.

C’est pourquoi, malgré les risques liés à la pandémie et à la sécurité, et malgré les récents attentats, François a jusqu’à présent maintenu ce rendez-vous à son agenda, déterminé à ne pas décevoir tous les Irakiens qui l’attendent. Le cœur du premier voyage international après 15 mois de blocus forcé dû aux conséquences du Covid-19, sera le rendez-vous à Ur, dans la ville d’où est parti le patriarche Abraham. Une occasion de prier avec les croyants d’autres religions, en particulier les musulmans, pour redécouvrir les raisons de la coexistence entre frères, afin de reconstruire un tissu social au-delà des factions et des groupes ethniques, et de lancer un message au Moyen-Orient et au monde entier.

Source: ZENIT.ORG, le 2 mars 2021