18.09.2022 – HOMÉLIE DU 25ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – ÉVANGILE SELON SAINT LUC 16,1-13

HOMÉLIE- ÉVANGILE DE LUC 16, 10-13

Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent

Le commerce, les affaires, les échanges entre nous peuvent vite devenir une religion ; l’économie – notre économie – est souvent un culte rendu au dieu argent. Le matraquage est intense : il faut maintenir la croissance ; il faut que cette humanité poursuive son élan vers plus de bien-être et de confort.

On peut, même avec un grand esprit de noblesse, voire par esprit de charité, de religion, faire de l’économie un dieu : « Vivement que l’on éradique la faim dans le monde » ; « Hourra, aux progrès de la science qui nous sauve » ; « Quelle avancée, si la vivacité économique pouvait nous procurer un revenu universel ! » …

Et c’est vrai que cette humanité a accumulé du bien, qu’elle a progressé en savoirs et qu’elle a gagné en bien-être : tout de même, on guérit de maladies – certaines ont même été éradiquées ; on possède aujourd’hui des médicaments très performants ; il n’y a plus chez nous de famines, on est en passe de triompher de la dernière pandémie et il y a le progrès social qui vient en aide aux plus démunis. Tout cela est indéniable. Il y a un indéniable bien fait de la croissance, tant scientifique, technique, qu’économique.

Mais de là à dire que le progrès, la science, l’économie et même la médecine nous sauveront … ce n’est pas plus vrai aujourd’hui qu’hier. Et ça ne le sera jamais. Jamais cette humanité ne se sortira de la souffrance et du malheur par ses propres efforts, fussent-ils, comme le progrès scientifique, admirables. Tout au plus, nos progrès, nos talents et nos richesses nous aideront-ils un temps à porter nos croix, un temps à endurer la souffrance. Mais au-delà … ?

Parce que c’est ça qui rend vain le culte des richesses et de l’argent, le culte du progrès économique, et même scientifique, c’est qu’ils ne durent qu’un temps ; qu’ils sont d’une efficacité limitée. Et sans doute aucune génération n’a été aussi consciente que la nôtre, que nous pourrions tout perdre – le climat, la paix sociale et la qualité de la vie – justement à force de progrès et de ce culte inouï de la croissance à tout prix, en guise de planche de salut. C’est avant tout la fureur économique – notre fureur économique – qui est la cause du dérèglement du climat et de la pollution à l’échelle planétaire.

Les lectures d’aujourd’hui nous invitent à réfléchir à notre relation aux richesses, aux biens – tant matériels qu’immatériels – que nous accumulons. Pourquoi désirer être riche ? Vouloir vivre dans l’abondance ? Accumuler des biens ? Et quelles conséquences sur notre monde, notre vie, notre relation à Dieu, que ce désir d’accumulation ?

Le prophète Amos était un berger et un cultivateur de sycomores. On est alors en 750 avant Jésus-Christ et la Terre sainte est divisée en deux royaumes. Amos est originaire du sud, du royaume de Juda – aride, désertique et pauvre – et il prêche au nord, au Royaume d’Israël – verdoyant, riche et en pleine croissance. Amos est un petit éleveur qui prêche contre les riches et les puissants, contre leur hypocrisie religieuse voire contre leur idolâtrie assumée. Ce qu’il dénonce c’est essentiellement la décadence morale et spirituelle de son temps, ainsi que les injustices sociales que la cupidité des riches provoque.

On retrouve des tonalités qui résonnent avec notre époque … où règne aussi ce sentiment d’une caste privilégiée qui s’arroge toute la puissance économique et dont le mode de vie effréné se fait au mépris affiché de l’écologie et du bien commun.

Paul pourtant nous encourage à prier pour les chefs d’États et tous ceux qui exercent l’autorité. Mais justement pour qu’ils assurent les conditions équitables de vie et de tranquillité.

Il y a deux types de croissances – Jésus l’évoque dans l’Évangile – il y a une croissance honnête, le juste fruit de nos efforts, la récompense espérée de notre travail et il y a une croissance malhonnête, boulimique, qui vise à accumuler de la richesse par le déséquilibre, au détriment des autres et de l’environnement.

D’où vient cette tendance, que nous avons tous plus où moins, de vouloir accumuler des biens, parfois en surnombre, jusqu’au gaspillage ou à vouloir toujours plus de moyens ou d’argent ; d’où vient notre tendance à la surconsommation, à désirer toujours plus posséder ?

Sans doute y a-t-il là quelque part la peur de manquer, la peur de souffrir, la peur de l’abandon matériel et finalement la peur de se détacher de ce monde. C’est avant tout pour se rassurer qu’on accumule des biens. De là à mettre sa foi dans l’épaisseur de son compte en banque, il n’y a qu’un pas …

C’est précisément alors qu’on a fait de l’argent, de l’opulence, du progrès matériel un dieu. On pense que l’argent nous donnera une vie meilleure, que l’abondance nous sauvera du malheur. Ce n’est pas vrai. Le réconfort matériel ne dure qu’un temps …

Penser que le bonheur de demain dépende de la richesse, de la santé, de la science même – de l’accumulation de savoirs et techniques – c’est une illusion. Le génie humain, fût-il économique, social ou scientifique, est un faux dieux. Car malgré lui, persiste le malheur. C’est spirituellement s’aveugler que de penser que la médecine, la science ou la croissance économique sauveront le monde ; comme c’est une illusion de penser que nos propres progrès humains, spirituels, écologiques, économiques voire scientifiques nous sauveront du malheur. C’est encore espérer rejoindre le Ciel en construisant de nos propres mains une tour, comme à Babel.

« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » nous dit Jésus. « S’attacher à l’un, c’est mépriser l’autre ». Nous ne nous croyons pas sauvés par de petites satisfactions, des jouissances éphémères ou des biens matériels – tout ça ne dure qu’un temps – au contraire nous voyons leur attachement comme des entraves qui nous empêchent d’accéder à la joie durable, au vrai bonheur, celui qui est éternel.

Nous ne nous croyons pas sauvés par de petites satisfactions, des jouissances éphémères ou des biens matériels – tout ça finit par disparaître – nous nous croyons sauvés par l’amour, et essentiellement l’amour de Dieu, qui lui ne s’éteint pas.

Au soir de notre vie, la médecine, la science et le progrès s’éteindront. Il arrive toujours, pour tous, un moment où la croissance matérielle est vaine, et l’espoir fondé sur elle anéanti …

C’est peut-être ce stade que nous avons atteint à l’échelle de l’humanité. C’est peut-être globalement que la croyance en un salut matériel s’effondre. Aujourd’hui, peut-être enfin, notre monde se rend compte que le culte matérialiste voué au progrès, à l’abondance et à la croissance économique est une idole qui finalement, au lieu de bonheur, conduit au malheur et à la désolation.

C’est aujourd’hui peut-être que l’impact du culte de l’argent se fait le plus globalement ressentir. Et c’est sans doute un bien-fait.

Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Source: RÉSURGENCE, le 13 septembre 2022

18.09.2022 – HOMÉLIE DU 25ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – ÉVANGILE SELON SAINT LUC 16,1-13

Homélie par l’Abbé Jean Compazieu

« Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ? »


Textes bibliques : Lire

Aujourd’hui, Jésus nous invite à réfléchir sérieusement sur deux styles de vie qui sont opposés : le style mondain et le style de l’Évangile, l’esprit du monde et l’esprit de Jésus. Pour nous aider à mieux comprendre son message, Jésus nous raconte la parabole du gérant infidèle et corrompu : ce dernier va être licencié pour faute grave ; désormais, il va se retrouver à la rue, les poches vides. Il réfléchit très vite à la meilleure solution. Il pense s’attirer la bienveillance des débiteurs de son maître en abaissant leur dette. C’est de cette manière qu’il choisit d’assurer son avenir.

Il est bien sûr hors de question d’approuver cette fourberie. Ce qui est mis en valeur, c’est l’habileté des “fils de ce monde”. Quand il s’agit de leurs intérêts personnels, ils savent trouver des solutions. Le Christ voudrait bien que les “fils de lumière” soient aussi habiles pour que l’argent serve à tous. Le pape François nous invite “à répondre à cette ruse mondaine par la ruse chrétienne, qui est un don de l’Esprit Saint”. Il s’agit de s’éloigner des valeurs du monde pour vivre selon l’Évangile.

À travers cet enseignement, le Christ nous appelle à choisir entre l’esprit du monde et lui, entre la logique de la corruption et de l’avidité et celle de la rectitude, de la douceur et du partage”. “Faites-vous des amis avec le malhonnête argent, afin que le jour où il ne sera plus là, ces amis vous reçoivent dans les demeures éternelles”. Sainte Teresa de Calcutta avait bien compris ce message : Ces amis, ce sont les plus pauvres parmi les pauvres, les miséreux, les exclus. À travers eux, c’est Jésus qui est là. Chaque fois que nous nous mettons à leur service, c’est lui que nous servons. La principale amitié qu’il nous faut chercher c’est celle de Dieu. Il est notre richesse suprême qui nous permettra d’être accueillis “dans les demeures éternelles”.

la première lecture nous adresse une proclamation percutante du prophète Amos. Il s’attaque durement aux désordres, aux inégalités et à l’exploitation des pauvres. Lui qui était éleveur de bétail s’y connaissait en ce qui concerne l’enrichissement des riches au détriment des pauvres. Il dénonce la  tromperie sur les marchandises. Quand on profite de la dépendance des plus faibles pour les exploiter encore plus, ce n’est pas tolérable. Ce n’est pas pour en arriver là que Dieu a fait alliance avec son peuple. À travers les opprimés et les exploités, c’est lui-même qui est frappé.

Amos n’est plus là mais son message est plus que jamais d’actualité : il faut savoir que plus de la moitié du patrimoine mondial est détenue par un pour cent de la population. Et que dire des magouilles en tous genres, des tromperies sur la marchandise, des arnaques sur Internet ? Si Amos était là, il dénoncerait l’esclavage actuel : Des hommes, des femmes et même des enfants travaillent de longues heures pour gagner à peine de quoi manger. Quand nous achetons les produits ainsi fabriqués, nous participons à cette injustice. Il est urgent que nous entendions l’appel d’Amos à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel.

Dans la seconde lecture, nous avons le témoignage de saint Paul. L’âpreté au gain, ce n’est vraiment pas son problème. Bien au contraire, il s’est mis au service de la foi et de la vérité. Il annonce un Dieu qui veut le salut de tous les hommes. Jésus est mort pour tous, y compris pour ceux qui exercent des responsabilités politiques. Paul demande que l’on prie pour tous les hommes et plus spécialement pour les responsables de notre  société : que ces derniers facilitent le climat de paix et de dignité dont notre monde a bien besoin. La vraie prière c’est de parler à Dieu de son projet, c’est entrer dans son projet et nous en imprégner. Avec lui, nous deviendrons capables de répandre la bonne nouvelle comme une traînée de poudre. Le moment le plus important c’est la messe du dimanche. On peut la comparer à une  vaste réunion de chantier. Ce chantier, c’est celui du Royaume de Dieu. Si nous voulons être fidèles au Maître d’œuvre, notre présence est indispensable.

Dans quelques jours, nous entrerons dans le mois du Rosaire : en communion avec tous les pèlerins de Lourdes et d’ailleurs, nous demandons à la Vierge Marie de nous aider à choisir le chemin juste. C’est avec elle que nous trouverons le courage d’aller à contre-courant pour suivre Jésus et son Évangile.

Abbé Jean Compazieu

Source: DIMANCHEPROCHAIN.COM, le 10 septembre 2022

24.07.2022 – HOMÉLIE DU 17ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 11,1-13

« Le jour où je t’appelle, réponds-moi Seigneur. »

Par le Père Jean Compazieu

Homélie


Textes bibliques : Lire


L’Évangile de ce dimanche nous parle de Jésus qui prie seul à l’écart. “Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean Baptiste l’a appris à ses disciples.” Et il répond : “Lorsque vous priez, dites : Père.” Ce mot est le secret de la prière de Jésus. Il est la clé qu’il nous donne lui-même. C’est ainsi que nous pourrons, nous aussi, entrer en dialogue confidentiel avec le Père qui l’a accompagné toute sa vie.

Les premières demandes nous disent que nous devons nous préoccuper de règne de Dieu, de sa gloire et de sa volonté. Nous sommes invités à donner toute sa place à Dieu dans notre vie. Il ne demande qu’à y exercer sa seigneurie d’amour. C’est dans notre vie que la sainteté de Dieu doit être manifeste. A travers ces demandes, nous exprimons notre reconnaissance au Père qui nous comble de son amour.

Trois autres requêtes viennent compléter cette prière que Jésus nous enseigne. Ces trois requêtes concernent le pain, le pardon et l’aide dans les tentations. C’est absolument important car on ne peut pas vivre sans pain ; on ne peut pas vivre sans pardon ni sans l’aide de Dieu dans les tentations. Mais saint Cyprien nous dit que le pain le plus essentiel c’est celui de l’Eucharistie. Nous devons souhaiter que les chrétiens se nourrissent de ce pain pour être transformés par le Christ. C’est là qu’ils trouvent la lumière et la force de sa grâce.

Le pardon est avant tout celui que nous recevons de Dieu : il se montre Père quand il libère nos cœurs et nous fait revivre. Nous sommes tous des pécheurs pardonnés par l’infinie miséricorde du Père. Ce pardon nous rend capables de gestes concrets de réconciliation fraternelle. Si nous ne reconnaissons pas que nous sommes pécheurs pardonnés, nous ne pourrons jamais accomplir des gestes de réconciliation fraternelle. C’est en accueillant le pardon de Dieu que nous apprenons à pardonner à nos frères.

“Et ne nous laisse pas entrer en tentation…” Nous savons que nous sommes tous exposés aux pièges du mal. Cette tentation c’est celle du désespoir ; c’est quand nous pensons que Dieu nous abandonne. Jésus nous apprend à nous tourner vers le Père pour lui demander de nous libérer de ce mal qui cherche à nous détruire.

L’enseignement de Jésus se poursuit par deux paraboles. Il rend pour modèle l’attitude d’un ami à l’égard d’un autre ami puis celle d’un père à l’égard de son fils. Nous y trouvons une invitation à avoir confiance en Dieu qui est Père ; il sait mieux que nous-mêmes de quoi nous avons besoin. Mais comme pour Abraham dans la première lecture, nous devons lui présenter nos demandes avec audace et insistance. C’est notre façon de participer à son œuvre de salut.

Comprenons bien : le but n’est pas de convaincre Dieu mais de fortifier notre foi et notre patience. C’est une lutte avec Dieu pour les choses importantes de notre vie. Comme Abraham (1ère lecture), nous sommes invités à nous tenir en présence du Seigneur ; la mission des communautés chrétiennes c’est précisément d’intercéder pour ce monde que Dieu a tant aimé. La prière que nous adressons pour eux à notre Père nous aide à changer notre regard sur eux. Comme Abraham, nous avons la ferme espérance que le petit reste des fidèles peut sauver la multitude.

Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus précise que ce qu’il faut surtout demander c’est l’Esprit Saint. C’était la prière des apôtres qui se préparaient à la Pentecôte. En communion les uns avec les autres, nous supplions le Père : Donne-nous ton Esprit Saint. Qu’il soit avec nous pour vivre cette semaine avec sagesse et amour en faisant la volonté de Dieu.

Dans sa lettre aux Colossiens, saint Paul nous rappelle que nous sommes associés à la victoire du Christ sur la mort et le péché. C’est au nom de cette bonne nouvelle que nous pouvons nous unir à sa prière confiante pour nous et pour le monde entier. Cette prière, nous la faisons passer par Marie. Toute son existence a été entièrement animée par l’Esprit de Jésus. Qu’elle nous apprenne à nous tourner vers notre Père avec confiance et persévérance.

Père Jean Compazieu

Source: DIMANCHEPROCHAIN, le 17 juillet 2022

24.07.2022 – HOMÉLIE DU 17Ème DIMANCHE – ÉVANGILE DE LUC 11, 1–13

Évangile de Luc 11, 1–13

Par le Fr Raphael Devillers

La Prière

Marie, la jeune sœur de Marthe, nous a rappelé la valeur primordiale de l’écoute de la Parole du Seigneur. Le croyant est un disciple qui écoute, qui apprend à connaître l’évangile afin de le vivre avec le maximum de fidélité. La relation étant un dialogue, en retour aujourd’hui, Jésus lui-même nous apprend à nous adresser à Dieu : c’est la brève et magnifique prière du « Pater » que nous avons tellement dite mais qui doit être reméditée afin de toujours mieux en comprendre le sens. Ainsi nous cesserons de rabâcher une formule et nous rectifierons nos intentions. Nous sommes habitués à la version de Matthieu : ce dimanche nous écoutons la version de Luc :

Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière.

Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : «  Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples ».

Luc est l’évangéliste de la prière et il montre fréquemment Jésus en train de prier. Il s’écartait du groupe des disciples car il avait besoin de solitude et de recueillement. D’abord dans la joie de partager l’intimité de son Père et de lui dire son affection de Fils. Et pour savoir avec précision comment il devait accomplir sa mission.

Les groupes religieux se donnaient une prière caractéristique – ainsi celui de Jean-Baptiste, dont le texte est perdu. Jésus va donc livrer une prière qui sera propre à ses disciples et qui pourra les centrer avec précision sur l’essentiel de leur attitude à l’égard de Dieu. Une fausse prière peut en effet, sous des dehors religieux, perturber l’image de Dieu. Le Pater est aussi enseignement et formation de la foi authentique.

La version donnée par Luc est brève, elle se compose d’une adresse, de deux vœux pour Dieu, et de trois demandes pour nous.

Adresse

Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : Père !

Le premier mot est sans doute le plus important : il exprime l’identité de celui qu’on appelle Dieu et la nouvelle condition de celui qui prie, celle d’un enfant qui se tourne vers son Père. D’emblée l’atmosphère de la. prière est donnée : amour, tendresse, confiance. D’un coup toutes les idoles de divinités terrifiantes à tête d’animaux (Égypte) ou projections des passions humaines (Grèce) s’écroulent.

Des Juifs convertis – à qui on avait toujours sévèrement interdit de prononcer le nom ineffable de YHWH – expriment leur allégresse d’oser prononcer ce mot : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : « Abba »(Père). Tu n’es donc plus esclave mais fils » (Gal 4, 6)… « Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions « Abba -Père »(Rom 8, 15)… « A ceux qui l’ont reçu, qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu »(Jn 1, 12). Et dans sa première Lettre, Jean revient à six reprises sur cette audace inouïe.

La foi chrétienne n’est pas une amélioration à coup d’observances : comme Jésus le disait à Nicodème, le pharisien, elle est une authentique re-naissance effectuée par le don de l’Esprit : « A moins de renaître, nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3, 3)

Vœux pour le Père : son être et son projet

Que ton Nom soit sanctifié,

Le fils ne commence pas par exprimer ses envies. Ce qui l’intéresse au premier chef, ce qui le passionne, c’est que son Père soit reconnu en vérité. KADOSH – Saint : la notion, fondamentale dans la Bible, n’est pas perfection morale mais séparation. Éternellement les Anges chantent en chœur : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur ». La tragédie de l’humanité est qu’elle nie cette présence insensible, la caricature en père Noël bonasse ou dictateur féroce, adore à sa place des idoles. La formule au passif signifie : « Sanctifie ton Nom », ne permets pas qu’il soit bafoué, renverse nos profanations. Connaître le Dieu Père et Saint est le salut de l’humanité. Si l’Église ne l’avait pas oublié, elle ne serait pas tombée dans les horreurs de l’inquisition, des croisades, de la persécution des Juifs, de l’obsession de sa propre grandeur.

Que ton Règne vienne.

La Sainteté de Dieu n’est pas retrait dans une transcendance impassible : Dieu créateur veut sauver les hommes du mal et son projet est d’instaurer peu à peu son Règne dans la liberté des personnes. Le disciple compatit de tout coeur au malheur de l’humanité : il supplie afin que les cœurs s’ouvrent à la miséricorde infinie. Voir les hommes s’entre-déchirer dans la haine, se détruire dans la guerre, s’écraser dans la cupidité et l’orgueil, ce spectacle excite sa douleur et le fait prier avec insistance.

Trois Demandes pour nous

Présent : Donne-nous le pain dont nous avons besoin chaque jour.

La prière n’est pas envol dans une spiritualité évanescente ni projection dans l’après-monde : elle naît au sein même de nos soucis fondamentaux. Le disciple demeure un homme assujetti aux besoins primaires : d’abord manger. Le disciple n’est pas paresseux, il travaille pour gagner son pain (Genèse) mais il reconnaît que la nourriture est un don de son Père. Cette prière l’empêche de se croire maître de tout et le met en garde contre la goinfrerie : il ne peut demander que le pain, c.à.d. l’essentiel. Il l’entraîne aussi à rendre grâce, à dire merci. Il lui rappelle qu’il fait partie du peuple en marche à travers le désert du monde et qui, de jour en jour, reçoit la manne. Cette demande n’est donc pas banale : elle apprend la simplicité, la reconnaissance, le respect de la nature, le souci du partage avec l’autre.

Passé : Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous.

Le disciple est conscient, sans culpabilité maladive, que sa foi ne supprime pas ses faiblesses. Mais il apprend un impératif essentiel : il doit d’abord, au préalable, pardonner lui-même à tous ceux qui l’ont blessé. Seulement ensuite il peut être certain que son Père lui pardonnera ses péchés. Il est remarquable que notre pardon aux autres est le seul acte laissé à notre responsabilité dans le texte du Pater. Il est d’une nécessité impérieuse.

Avenir : Et ne nous laisse pas entrer en tentation ».

A juste titre, la formule a été rectifiée car évidemment Dieu n’est pas un sadique qui nous mène au bord du gouffre pour que nous y tombions. Mais nous sommes dans un monde où bien et mal sont mêlés. Nous hésitons devant le dilemme et parfois le mal nous tente, nous paraît préférable. Le disciple expérimente sa faiblesse, il reconnaît la violence parfois terrible de cet attrait et il prie son Père de le remplir de force afin de résister. « Abba, pas ma volonté mais la tienne » priait Jésus en agonie à Gethsémani.

Parabole de l’ami importun

La prière a toujours posé un gros problème : pourquoi le Père si tendre ne nous exauce-t-il pas toujours ?

Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : «  Mon ami, prête-moi trois pains car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi et je n’ai rien à lui offrir ». Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : «  Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée : mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose ». Eh bien moi, je vous dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami et il lui donnera tout ce qu’il lui faut ». Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira.

Curieuse petite histoire. Le priant a l’impression de ne pas être entendu, même par « son ami ». Il est perdu dans la nuit, perplexe. Remarquez qu’il ne demande pas pour lui mais pour un autre qui a faim. Seule solution : continuer sans relâche, insister comme un casse-pieds. Jésus multiplie les verbes : demander, chercher, frapper. Notre problème n’est donc pas les « distractions » comme nous le pensons souvent (sujet jamais abordé dans toute la Bible) mais notre découragement trop rapide. Ce qui nous semble surdité de Dieu met à l’épreuve notre foi. Voilà qui questionne nos « intentions de prière » à la messe : expédiées en belles formules et aussitôt oubliées.

Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? Ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent ».

Nous croyons de bonne foi demander de bonnes choses mais nous ne connaissons pas tout. Il se pourrait que Dieu estime mauvais ce qui nous paraît dramatique, qu’il remette à plus tard ce qui nous semble urgent.. En tout cas, le don indispensable et jamais refusé est celui de l’Esprit-Saint : il nous donnera consolation dans la tristesse de l’échec et il nous réconfortera dans notre situation.

Fr Raphael Devillers, dominicain

Source: RÉSURGENCES, le 19 juillet 2022