19.03.2023 – HOMÉLIE DU 4ÈME DIMANCHE DE CARÊME – JEAN 9,1-41

HOMÉLIE PAR LE F. RAPHAËL DEVILLERS

Évangile de Jean 9, 1-41

Ah maintenant je vois !!

Les premiers évangiles racontent que Jésus annonçait la venue proche du Règne de Dieu et accomplissait quelques miracles, dont des guérisons d’aveugles. Quelques dizaines d’années plus tard, grâce à l’Esprit-Saint, la réflexion sur la personnalité de Jésus s’est approfondie : Jean a compris que ces faits passés étaient des « signes », des actions symboliques qui manifestaient toujours le salut apporté par le Seigneur Jésus. Ainsi le récit de Jean 9 « chef d’œuvre du récit dramatique de Jean » dit le grand exégète R. Brown.

Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogent : « Rabbi, pourquoi est-il aveugle ? Il a péché ou ses parents ? ». Jésus répond : « Ni lui ni ses parents. Mais l’action de Dieu doit se manifester en lui. Il faut réaliser l’action de Celui qui m’a envoyé pendant qu’il fait clair car déjà la nuit approche. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ». Il cracha sur le sol et avec la salive il fit de la boue qu’il appliqua sur les yeux de l’aveugle. « Va te laver à la piscine de Siloé, mot qui signifie Envoyé ). L’aveugle y alla, se lava et quand il revint il était guéri.

Qui sommes-nous ? Que devons-nous faire ? Quel est le sens du monde ? Aucun homme ne le sait. De naissance, nous ne voyons pas, nous sommes aveugles. Ce n’est pas un péché, il n’y a pas de notre faute. Des philosophes, des savants tentent des réponses : elles sont approximatives, partielles, fausses. Mais au cœur de cette histoire obscure, apparaît l’homme Jésus. Avec la boue, il renvoie l’homme à sa condition native : « Tu es poussière… ». Il va le re-créer.

Mais il profère la prétention inouïe d’être « la Lumière du monde ». Cette affirmation nous stupéfie, nous paraît folle, nous n’osons y croire. Mais si nous faisons confiance à cette parole, si nous acceptons la plongée dans l’eau offerte par Jésus l’envoyé de Dieu – comprenons : si nous faisons la démarche du baptême – alors nous commençons le processus de guérison. Ce sera un rude chemin.

Les gens habitués à le rencontrer dirent : « N’est-ce pas le mendiant ? ». Les uns disaient : « En effet ». Les autres : « Pas du tout. C’est son sosie ». L’homme, lui, affirmait : « C’est bien moi ». On lui demandait : « Comment tes yeux se sont-ils ouverts ? – L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue et m’a dit d’aller me laver à Siloé. Je suis allé, je me suis lavé et j’ai vu ! ». On lui demande : « Où est-il ? ». « Je ne sais pas ».

Un vrai converti ne change pas d’apparence mais il commence une transformation. La lumière vient dans son coeur : le monde n’est pas absurde, je puis y travailler, je découvre ma personnalité profonde, le sens de ma vie. « C’est bien moi » !!! « L‘homme ne se connaît que par Jésus-Christ » disait Pascal.

Mais du coup son entourage s’étonne : « Quel curieux changement ! Et où est-il ce Jésus ? ». La foi commence par une décision libre mais elle inaugure alors une recherche : tout n’est pas automatique, il ne suffit pas d’être inscrit sur un registre. Jésus a offert une aurore qui déclenche la recherche à tâtons de la pleine lumière. Ce n’est pas une théorie fulgurante ni une découverte scientifique mais une personne : Jésus. Sa découverte ne va pas sans de sérieux problèmes : après la stupeur, l’opposition se dresse.

On amène l’homme aux pharisiens. Car c’était un sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. Ils l’interrogent : « Comment se fait-il que tu vois ? ». Il répond : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et maintenant je vois ». Certains pharisiens disaient : « Ce type n’est pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat ». D’autres répliquaient : « Oui mais comment un pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ». Ainsi donc ils étaient divisés.

Quel scandale ! Si votre voisin aveugle revient guéri de Lourdes, naturellement vous sautez de joie, vous vous réjouissez avec lui, vous partagez son allégresse. Eh bien les adeptes d’une religion légaliste, eux, froncent les sourcils. La Loi est formelle : il est interdit de faire tout travail en sabbat, donc ce Jésus qui a malaxé de la terre  est un pécheur. Quelle idiotie ! Sous prétexte de sauver l’observance de la Loi, les pharisiens (en tout cas certains d’entre eux) en font un joug intolérable, un carcan, une prison.

Les pharisiens disent à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de Jésus ? ». Il répond : « C’est un prophète ». Ils ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle : ils convoquent ses parents : « Cet homme est-il bien votre fils ? Vous dites qu’il est né aveugle. Comment se fait-il qu’il voit ? ». Les parents répondent : « Oui c’est notre fils et il est né aveugle. Mais comment voit-il, nous ne savons pas non plus. interrogez-le : il est assez grand pour s’expliquer ».

Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet les Juifs s’étaient mis d’accord pour exclure de la synagogue tous ceux qui déclareraient que Jésus est le Messie. Voilà pourquoi les parents avaient dit : «  Il est assez grand : interrogez-le ».

On sait par les Actes des apôtres et les lettres de Paul que la conversion à Jésus scandalisait les autorités juives. L’hostilité grandit de plus en plus surtout après la défaite de l’an 70 et la destruction de Jérusalem et du temple : si bien qu’on en vint à interdire l’entrée dans les synagogues à ceux qui confessaient Jésus comme le Messie.

Comme c’est curieux : Jésus apporte la paix et l’amour et, en fait, il provoque la division. D’abord chez les voisins, puis chez les autorités, maintenant dans la famille. Mais ne l’avait-il pas annoncé : « On se dressera les uns contre les autres… » ?…La foi est une démarche tout à fait personnelle et elle doit s’attendre à être incomprise, à lézarder même les liens les plus chers. Le pauvre aveugle perd même l’appui de ses propres parents et est seul devant ses juges.

Pour la seconde fois, les pharisiens convoquent l’homme : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. – Moi je sais une chose : j’étais aveugle et maintenant je vois. – Comment a-t-il fait ? – Je vous l’ai déjà dit et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre une seconde fois ? Vous voulez devenir ses disciples ? – Toi, tu es son disciple ; nous, nous sommes disciples de Moïse car Dieu lui a parlé. Celui-là nous ne savons pas d’où il est. – Voilà l’étonnant. Vous ne savez pas d’où il est et pourtant il m’a ouvert les yeux. Chacun sait que Dieu n’exauce pas les pécheurs mais seulement celui qui fait sa volonté ! Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire – Tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance et tu nous fais la leçon ? ». Et ils le jetèrent dehors.

Les juges exigent du prévenu qu’il jure de dire toute la vérité et eux-mêmes affirment que de toutes façons leur opinion est faite : Jésus est un pécheur puisqu’il a « travaillé » en sabbat ! Et autre infamie : lorsque l’homme simple explique pourtant son raisonnement logique, ils l’enferment dans le mal : un handicapé est dans le péché. Et ils l’excluent. La lamentable scission Israël/Eglise se creuse !

Jésus apprit qu’ils l’avaient expulsé et il vient le trouver : « Crois-tu au Fils de l’homme ? – Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? – Tu le vois, c’est lui qui te parle – Je crois, Seigneur ». Et il se prosterna devant lui.

Le baptisé, comme l’aveugle, a d’abord eu comme un appel et s’est présenté au baptême. Commençant à sortir de la nuit où il était plongé, il n’a cependant pas eu d’extase. Pas de présence sensible de ce mystérieux Jésus : au contraire la solitude, les interrogations, la méfiance, puis la lâcheté de ses parents et l’hostilité violente des juges. Mais ces épreuves l’ont mûri, ont approfondi sa foi pour pénétrer l’identité de Jésus : il est plus qu’un rabbi, un homme, un thérapeute doué, quelqu’un qui vient de Dieu, la Lumière qui éclaire la marche du monde : il est le mystérieux « Fils de l’homme » que le prophète Daniel annonçait, celui qui, à la fin des temps, devait venir dans la gloire de Dieu pour opérer le jugement définitif de l’humanité. Et c’est pourquoi l’aveugle se prosterne dans le geste d’adoration.

Alors Jésus déclara : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui voient puissent voir et que ceux qui voient deviennent aveugles ». Des pharisiens entendirent ces paroles : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? – Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites « nous voyons », votre péché demeure ».

Attention : Jésus n’est pas un juge impitoyable qui comptabilise nos péchés sur un grand livre. Seigneur, Lumière divine, il connaît à fond les moindres secrets de nos histoires, il renverse nos propres jugements comme superficiels et faux. Et en outre il est la miséricorde divine en personne.

Ainsi pour lui l’aveugle-né n’est pas un pécheur et, au contraire ces pharisiens qui s’estimaient les modèles d’observances et de piété tout en excluant les handicapés du culte du temple, sont des fourbes, des hypocrites, des faux croyants. Ah s’ils reconnaissaient leur erreur !…Jésus leur offre la possibilité de changer mais s’ils s’enferrent dans leurs convictions : « Nous, nous savons », ils se condamnent eux-mêmes.

Conclusion

Oui cette page est un chef-d’œuvre à méditer longuement. L’homme ne naît pas pécheur mais aveugle sur son identité et son histoire. S’il consent, Jésus lui apporte la lumière : « Ah maintenant je vois ! ». Cette lumière est Quelqu’un : donc la foi est recherche, approfondissement.

Qui est donc ce Jésus ? Un homme, un rabbin, un guérisseur, un disparu, un pécheur (il enfreint la Loi), il provoque la division, l’hostilité….Enfin le baptisé « voit » : Jésus vient de Dieu…Il est Seigneur…le seul Juge authentique de l’humanité.

Dans une société qui, en pleine explosion des progrès, titube vers le précipice, voit-on des baptisés éclairés, heureux de l’être, pleins d’assurance afin d’accomplir leur mission essentielle ?…

Fr. Raphaël Devillers, dominicain

Source : RÉSURGENCES.BE, le 14 mars 2027

05.03.2023 – HOMÉLIE DU 2ÈME DIMANCHE DU CARÊME – MATTHIEU 17,1-9

Évangile de Matthieu 17, 1-9

La Transfiguration

Si l’on s’en réfère à la quarantaine inaugurale de Jésus, le carême n’est donc pas d’abord un temps d’ascèse et de mortifications, mais la reprise de conscience d’une révélation bouleversante : par Jésus, nous sommes devenus, par adoption, des enfants de Dieu. Du coup, avec lui, nous sommes chargés de la mission vitale d’étendre le Royaume de l’amour dans l’humanité tout entière.

Cette vocation divine nous laisse libres si bien que nous devons combattre les méthodes séduisantes mais diaboliques de l’accomplir. La vie devient un combat contre ce qui pourrait nous paraître comme des évidences : assouvir la cupidité, hypnotiser par le spectacle, écraser par la violence. Le carême est donc un recentrement de nous-mêmes afin de mener une vie conforme à l’évangile de Jésus. Ce combat n’est jamais clos : la résistance à ce projet va se durcir et même provenir du milieu religieux.

Car Jésus, avec audace, ne cesse de dénoncer des cérémonies formalistes et des pratiques minutieuses qui semblent honorer la gloire de Dieu sans entraîner la justice et l’amour du prochain. Prêtres du Temple et laïcs pharisiens sont très vite exacerbés par ce paysan sans titre qui annonce la venue du Royaume de Dieu : c’est un imposteur qui a fait un pacte avec le diable, un gourmand qui profite de toutes les occasions de se goinfrer. Ce n’est pas possible qu’il soit le messie sauveur annoncé par les Écritures.

A nouveau Jésus plonge dans la prière, cherche la lumière de l’Esprit et un jour, il annonce le grand tournant qu’il va prendre. « Je monte à Jérusalem, on me haïra, on me mettra à mort mais mon Père me rendra la Vie et le Royaume naîtra. Quiconque veut être mon vrai disciple devra lui aussi prendre le même chemin et porter la croix du refus ». Abasourdis, sans comprendre, les apôtres acceptent de le suivre. C’est ici que nous rejoignons l’Evangile de jour.

La Transfiguration

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Elie qui s’entretenaient avec lui.

Parce qu’il a accepté de prendre cette terrible décision, pour l’encourager à poursuivre et en offrir le signe aux trois grands disciples, la présence divine du Père étreint le Fils. Son visage qui était crispé par la terreur se détend, rayonne de beauté et de paix. Le don total de son corps lui attire la lumière ; la pesanteur s’épanouit dans la grâce.

Les deux grands personnages de l’histoire, représentant la Loi et les Prophètes, apparaissent aux disciples. Tous les deux sont allés sur la montagne pour prier et écouter Dieu, la face de Moïse rayonnait, tous les deux ont lutté avec ardeur pour l’honneur de Dieu, mais tous les deux avaient encore employé la violence.

A présent, ils viennent s’incliner autour de Jésus et ils reconnaissent sa valeur ultime, sa suprématie. Ils parlaient à Jésus, ajoute Luc, de son exode qu’il allait accomplir à Jérusalem. Oui, c’est bien toi le Sauveur messianique ; par ta croix et ta résurrection, tu vas accomplir l’exode définitif. Non d’un pays à un autre ni le fait d’un peuple particulier. Mais la libération de l’humanité entière hors de l’esclavage du péché.

Pierre prit la parole : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici. Si tu veux, je vais dresser trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ».

Ebloui par la vision, Pierre souhaiterait prolonger ce moment de vision qui le comble de bonheur mais il demeure dans un monde de la division et il voudrait arrêter l’histoire. Dieu va faire éclater sa tentation.

Il parlait encore lorsqu’une nuée lumineuse les recouvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ».

Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d’une grande frayeur. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : «  Redressez-vous, n’ayez pas peur ».

Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus seul.

Dans la Bible, la Nuée représente la présence de Dieu. Le choc de sa venue provoque un certain recul car notre état de pécheur nous plonge dans la peur. Mais Jésus Seigneur nous relève, nous re-suscite. Devant Dieu nous retrouvons notre stature d’homme debout et nous découvrons notre état. Ce n’est pas d’abord aux hommes de construire des maisons de Dieu mais au contraire c’est Dieu qui spirituellement réunit sous son ombre tous les croyants. Abraham et Jacob, Moïse et Isaïe, Pierre et Paul, François et Dominique, Marie et Madeleine… : en Jésus enfin la communion est possible. Il ne faut plus rêver d’extase, de phénomène miraculeux mais faire converger tous nos regards sur Jésus, l’homme. Reconnu Seigneur, Jésus nous unifie

En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne avant que le Fils de l’homme ne soit ressuscité d’entre les morts ».

Les visions sont fugitives, les extases éphémères : elles ne sont offertes que pour encourager à poursuivre la route jusqu’au bout, à affronter l’opposition. Pour le moment, il serait dangereux de propager que Jésus est bien le Messie car la foule n’est que trop portée à attendre un sauveur glorieux qui par la force, écrase les ennemis et elle déclencherait l’insurrection – ce qu’elle fera en l’an 66 et la révolte s’achèvera par la guerre et la destruction de Jérusalem et du Temple.

Bientôt, après la résurrection pascale et le don de l’Esprit, alors les apôtres pourront et devront certifier à tous vents que Jésus est bien l’authentique et l’unique Sauveur du monde qui utilise les méthodes qu’il avait choisies lors de son baptême.

Carême : Temps de conversion

L’Eglise nous presse de « faire pénitence » oui mais au sens premier de meta-noïa, conversion, retournement.

Le premier dimanche nous a replacé devant la révélation qui change notre vie : par le passage dans l’eau du baptême, Dieu nous a adoptés comme ses enfants. Méditons et n’oublions jamais le don de cette nouvelle identité spirituelle. Faisons confiance à notre Père qui ne nous abandonnera jamais et nous fera toujours miséricorde.

Par conséquent nous avons à réfléchir longuement dans la prière sur la mission reçue. Assumer votre mission, débusquer les fausses méthodes de laisser advenir le Royaume, rejeter les méthodes du monde, oser nous démarquer. Ne nous étonnons pas que le carême soit un temps de lutte acharnée pour écarter les tentations. Si votre fils refuse l’Evangile, montrez-lui que notre monde qui le rejette aussi s’enlise dans l’injustice, écrase les pauvres, se déchire dans la barbarie des guerres, détruit la planète. Mais votre affirmation ne sera valable que si vous pouvez lui montrer des communautés paroissiales qui, en effet, ont fait les options de Jésus Sauveur. Privons-nous de dessert mais surtout prenons du désert.

Le deuxième dimanche nous replace devant le mur de l’échec et provoque une prière plus torturée. Pourquoi refuse-t-on le message pacifique et miséricordieux ?…Pourquoi cette surdité à l’évangile ?…Comme Jésus montait dans la montagne, exhaussons notre vision et notre réflexion vers notre Père du ciel. Peut-être avec quelques autres, prions.

Comme Jésus, soyons attristés que tant de gens honnêtes, baptisés, et même des responsables de l’Eglise se cabrent devant toute proposition de changement et nous en veulent pour oser toucher à l’ordre établi alors que celui-ci montre ses insuffisances.

Alors, comme Jésus, au lieu de demeurer entre nous et nous lamenter sur l’incroyance, au lieu de nous plaindre d’être nous-mêmes des pécheurs (ce qui est exact), prions pour prendre la décision de secouer des structures moribondes, de démasquer la piété hypocrite qui ne donne pas de fruit.

Pour ne pas imposer nos idées personnelles ni nous décourager trop vite, une seule solution. Essentielle ! Regarder Jésus. Etre émerveillé par ce personnage unique. Recevoir sa Lumière. Pénétrer la magnifique déploiement du projet de Dieu qui va d’Abraham à Moïse puis Elie, Isaïe…Jean-Baptiste et, au sommet Jésus messie…puis Pierre, Paul, Marie-Madeleine…..des milliards de saints…

L’entreprise sera laborieuse, échouera souvent mais elle ne pourra capituler. Il faudra « prendre sa croix », être la cible éventuelle des moqueries, être condamnés comme aventuriers et menteurs. La Vérité sonne toujours à son heure. Notre chemin aboutira au calvaire pour rebondir dans l’élan éternel de Pâques.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Source : RÉSURGENCES.BE, le 28 février 2023

26.02.2023 – HOMÉLIE DU 1ER DIMANCHE DE CARÊME – ÉVANGILE DE MATTHIEU 4, 1-11

Évangile de Matthieu 4, 1-11

Par le Fr. Raphaël Devillers

Carême : Tournant de la Foi

Depuis mercredi (puisque les dimanches sont exclus du compte), nous voici à nouveau entrés dans la période de 40 jours appelée « carême » (le latin quadragesima signifie 40). Le mot évoque tout de suite privations, petits sacrifices anodins, air triste et compassé. Il faut aller plus profond : « en quarantaine » : donc pour discerner le mal, changer notre point de vue, nous convertir, prendre un tournant dans notre vie de croyant. Il nous faut aller à Pâques.

Lorsque Jésus s’est rendu au fleuve Jourdain pour entendre le nouveau prophète, savait-il ce qui allait lui survenir ? Après avoir écouté longuement les exhortations tonitruantes de Jean qui annonçait la prochaine venue du Règne de Dieu, il descendit dans le gué et tout à coup il fit une expérience bouleversante. Il entendit une Voix céleste qui lui disait : « Tu es mon Fils bien-aimé » et l’Esprit-Saint l’imprégna tout entier.

Tandis que les gens, après avoir confessé leurs fautes, se rhabillaient et retournaient à leur vie ordinaire, Jésus, lui, s’enfonça dans la région désertique afin de réfléchir à l’impact de la révélation qu’il venait de recevoir. L’heure avait sonné d’accomplir sa mission : seul, dépourvu de moyens, que dois-je faire ? Dieu n’a rien précisé. Il entra « en quarantaine » dans la solitude et le silence total afin d’échapper à l’agitation du monde, mener une vie frugale pour se concentrer sur l’essentiel. L’enjeu était capital : rien moins que changer la face du monde, guérir l’humanité pécheresse. Un homme pour la planète entière !

C’est alors qu’une autre voix, tel un serpent, s’insinua et lui présenta les trois manières les plus évidentes d’agir afin d’accomplir sa tâche.

  • Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains.

Les hommes ne seront-ils pas heureux s’ils sont assurés de nourriture gratuite, s’ils peuvent consommer de manière surabondante et variée ? Ce serait la fin des soucis, des angoisses, du travail éreintant. Un paradis où l’on peut se promener en paix, où l’on agit comme on veut. Illusion satanique, réplique Jésus.

  • Jésus répondit : Il est écrit : « Ce n’est seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ».

Laissés à eux-mêmes, les hommes ne pourront jamais s’abstenir du mal. Leur coexistence n’est possible que s’ils acceptent de se laisser instruire par Dieu. S’ils se font eux-mêmes la loi, ils se dresseront les uns contre les autres. Même s’ils reconnaissent que frapper, voler, haïr est mal, ils le feront quand même, convaincus que le mauvais penchant qu’ils ont est malgré tout un bienfait pour eux. Mettre son bonheur dans les nourritures terrestres, c’est demeurer sous le règne animal régi par la loi de la jungle : le plus violent, le plus pervers l’emporte.

  • Le démon emmène Jésus à Jérusalem, au sommet du temple : Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas car il est écrit « Dieu donnera ordre à ses anges, ils te porteront de peur que ton pied ne heurte une pierre ».

Notre autre grand rêve : nous élever au règne des anges. Échapper à la lourde pesanteur qui nous colle au sol, pouvoir planer, voguer dans l’azur, échapper aux chutes, aux échecs. Croire en Dieu pour qu’il ne nous arrive rien de grave. Nouvelle illusion, démasque Jésus.

  • Jésus lui déclara : Il est aussi écrit : «  Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ».

L’univers a été créé avec ses lois et nous devons les observer. C’est grâce à cette obéissance que nous avons pu, à la suite de calculs et d’expérimentations, nous échapper vers les planètes. Mais nous ne pouvons défier Dieu de résoudre nos problèmes, exiger de lui qu’il fasse un miracle pour nous tirer d’embarras, nous dispenser du travail. Certes Jésus a accompli des guérisons mais elles furent peu nombreuses, jamais accomplies pour faire du merveilleux, réalisées comme à contrecœur car il ne voulait pas forcer notre liberté.

  • Le démon l’emmène alors sur une très haute montagne et lui fait voir le monde avec sa gloire. Il lui dit : «  Tout cela, je te le donnerai si tu te prosternes pour m’adorer ».

Le pire : user de moyens diaboliques, diviser, encourager l’envie, la cupidité, la frénésie sexuelle, la traite des êtres humains, le trafic des drogues, éliminer les faibles, imposer la violence, déclencher des guerres, attiser les conflits. Hélas – l’histoire et l’actualité récente nous le montrent – des multitudes sont prêtes à foncer derrière des menteurs et rêvent d’empire, de gloire. Et toujours au prix exorbitant de victimes, de ruines, de massacres, de ravages. Et toujours pour retomber de son piédestal. Le communisme de Staline a fait le goulag, le nazisme du Führer a culminé à Auschwitz, le capitalisme risque de conduire le monde à la destruction finale. Et l’histoire semble ne rien nous apprendre : il y a toujours des foules hypnotisées par les promesses diaboliques de gloire et de bonheur.

  • Alors Jésus lui dit : Arrière, Satan ! Il est écrit : «  C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras et c’est lui seul que tu adoreras ».

Toute la Bible raconte l’histoire d’un petit peuple à qui Dieu apprend à se méfier, comme de la peste, de l’idolâtrie et qui, en dépit des appels des prophètes, n’y parvient guère. Jésus, comme ceux-ci, répète la déclaration solennelle de Dieu : « J’ai mis devant toi la vie et la mort : choisis la vie ». La foi n’est pas une pommade religieuse pour adoucir un peu les peines de la vie. Adorer un Dieu unique, n’adorer que lui, ne céder à aucune autre pression, se savoir aimé infiniment et porté à aimer indéfiniment. On ne discute pas avec satan, on ne cherche pas de compromis avec lui : on le chasse. Notre société glorifie « les idoles » : qu’elle prenne garde, c’est un signe de décadence.

  • Alors le démon le quitte. Voici que des anges s’approchèrent de Jésus et ils le servaient.

Jésus a vaincu les trois tentations fondamentales auxquelles toutes les autres se rattachent. Son Père l’a laissé libre et maintenant il l‘assure de son aide. Ce combat lui a permis de clarifier son engagement et il va commencer sa mission.

  • Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée. Quittant Nazareth, il vint habiter à Capharnaüm, au bord du lac de Galilée…. A partir de ce moment, il commença à proclamer : «  Convertissez-vous : le Règne de Dieu s’est approché. »

Par crainte d’une insurrection, le roi Hérode fait arrêter le prophète gêneur …et Jésus n’use pas de la force pour libérer son maître. Devant le danger, il fuit vers le nord et s’installe dans la province d’Israël marquée par la présence romaine. Son ministère débute au contraire des suggestions diaboliques : pauvre, seul, il circule dans les villages et utilise un moyen pauvre – parler – pour s’adresser à des pauvres. Mais en effet avec lui Dieu vient changer l’humanité non de manière spectaculaire avec armes et trompettes mais avec un appel pressant : « Changez de conception, n’adorez que Dieu ».

Nouveau Tournant

Mais que se passe-t-il alors ? Le jeune Prophète se heurte à une opposition farouche : non celle des grands pécheurs ni celle des Romains païens, mais bien celle des hommes qui se prétendent les plus pieux : pharisiens, prêtres, scribes ! Très vite leur hostilité se durcit, leurs attaques se multiplient, leurs menaces se précisent : « Cet individu a le diable au corps »…

Jésus de plus en plus prie pour pénétrer la volonté de son Père et recevoir la force de l’accomplir jusqu’au bout. Il ne peut ni se taire ni édulcorer ses exigences. La Vérité du Royaume est en jeu, il lui faut accomplir sa mission jusqu’au bout. Il monte au coeur d’Israël, le Temple, et dénonce le formalisme des liturgies, la fausse piété et la vanité des hauts responsables. Leur conduite et leur enseignement ne construisent pas une société basée sur le droit et la justice. Loin de mener le peuple à Dieu, ils le détournent de lui. L’issue est évidente : ce sera la condamnation et la croix. Mais l’infinie miséricorde de la victime, qui est bien le Fils, l’ouvre à la Vie nouvelle de son Père. A Pâques, le mystérieux Royaume est ouvert.

Autant les disciples étaient fiers de suivre un maître qui, par ses miracles, attiraient les foules, autant ils se braquèrent lorsque celui-ci leur annonça l’issue inéluctable de la croix, non par l’obligation de la souffrance mais à cause de la dureté des hommes. Au dernier moment ils l’abandonnèrent et s’enfuirent. Mais le Ressuscité revint vers eux et l’Esprit les combla enfin de la lumière, de la paix, de l’assurance : c’était eux d’abord qui devaient être convertis

Notre Carême

Baptisés souvent dès l’enfance, élevés dans la pratique des rites, nous ne remarquons pas que notre foi est tiède, routinière. Or elle n’est pas un opium pour nous tranquilliser. Le carême que nous n’avons pas fait au baptême, nous sommes appelés chaque année à le faire car on n’est pas chrétien une fois pour toutes. Comme les apôtres, nous renâclons devant le combat à mener, la croix que nous refusons de prendre.

Nous voulons, avec le Seigneur, changer le monde ? Commençons par nous changer et changer l’Eglise.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Source : RÉSURGENCES.BE, le 22 février 2023

05.02.2023 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATTHIEU 5,13-16

Évangile de Matthieu 5, 13–16

Les Béatitudes dans la vie sociale

Par le Fr. Raphaël Devillers, dominicain

Le texte des 8 Béatitudes est magnifique mais s’il n’est que mémorisé, récité, admiré comme un bel idéal ou si on le projette dans l’avenir, il n’a pas de valeur. C’est pourquoi Jésus immédiatement l’injecte dans l’actualité de ceux qui l’écoutent : « Vous êtes… ». Qui sont ces « vous » ?: évidemment ceux qui sont groupés sur la montagne, au premier chef les apôtres puis tous ceux et celles qui s’échelonnent sur la pente. Donc le premier devoir est de s’approcher de Jésus afin de bien l’écouter et de l’interroger pour mieux comprendre son message. Ne croyons jamais que nous savons un texte : il a été dit afin d’être expliqué et appliqué.

Le danger en effet chez beaucoup de baptisés est de ne recevoir la foi que comme un héritage familial, une façon de joindre une vie honnête avec l’observance de certains rites religieux et de se considérer ensuite comme « pratiquants». Or l’enseignement fondamental de Jésus commence par ordonner un changement de vie, il bouscule notre tranquillité routinière et nous pousse dans un Royaume où nous n’entrons que par nos actions. La foi « chrétienne » (il faut toujours le préciser) s’incarne dans la vie quotidienne et elle nous fait jouer un rôle capital dans l’existence du monde.

En conclusion des Béatitudes, Jésus précise donc les effets sociaux indispensables accomplis par ceux et celles qui les pratiquent : le sens de la vie, sa préservation, la lumière.

Le Sel

Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.

Extraordinaires sont les progrès que l’humanité a réalisés notamment depuis deux siècles. Maîtrise des forces cosmiques, victoire sur les dangers, amélioration de la santé, longévité : nous semblions en route vers un bonheur de plus en plus grand. Or aujourd’hui des crises éclatent de tous côtés et même le risque de destruction se précise. Les malaises, les dépressions, les suicides se répandent. Consommer davantage, se perdre dans les divertissements, être hypnotisés par les écrans : on courait mais on allait droit dans le mur. Notre modèle occidental de vie montre ses failles, dévoile son vide, se révèle absurde et mortifère. On nous préparait un banquet …mais il était fade, sans goût, immangeable.

Par l’image du sel, Jésus montre bien le rôle indispensable des Béatitudes. Par leur pratique, la vie quotidienne prend un sens, une signification. S’ouvrir à l’amour de Dieu dilate nos cœurs, et donne le goût de vivre. En outre, dans l’antiquité, le sel servait aussi à préserver un peu mieux la nourriture. « Une alliance de sel » désignait un traité plus solide, plus durable. L’évangile fait agir dans la durée, éloigne la corruption.

Il est remarquable que Jésus ne s’acharne pas contre les méfaits de ce monde, mais il met en garde ceux qui l’écoutent. Le danger n’est pas que le monde aille de plus en plus mal : c’est que nous, qui nous disons disciples de Jésus, nous ne mettons pas en pratique son message à la hauteur des périls qui le menacent. Si l’évangile perd sa force de frappe, s’il devient fade, si, comme dit le pape, l’Église n’apporte qu’un message soft, doucereux, tranquille, émollient, comme du talc, alors il ne sert à rien.

Nous croyons que l’Église souffre des attaques de la société moderne sécularisée. Mais peut-être que beaucoup l’ont quittée parce qu’elle avait perdu son tranchant, parce qu’elle n’assaisonnait plus la famille, l’entreprise, la société. Que ses dirigeants ne craignent pas d’insister sur les exigences premières et de pousser à l’acte nécessaire. On n’annonce pas l’évangile pour flatter l’auditoire mais pour le guider vers plus de vérité. De ce fait il bouscule nécessairement.

La Lumière

« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau mais sur son support et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même que votre lumière brille aux yeux des hommes pour qu’en voyant vos bonnes actions, ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux ».

Énorme affirmation ! La vie construite sur les béatitudes et l’enseignement de Jésus Seigneur n’est pas la religion particulière d’un peuple ni une option parmi d’autres. Elle est le vrai chemin de toute l’humanité jusqu’à la fin des temps.

Depuis Babylone, les hommes ont toujours créé des villes somptueuses, des mégapoles illuminées, rayonnantes de richesses mais toutes sont rongées par des foyers de violence, de traite des personnes, de pornographie, de luxe éhonté. Au contraire la communion de ceux qui pratiquent l’évangile constitue comme une ville illuminée que l’on aperçoit de partout et qui indique le chemin à suivre pour sortir des ténèbres et vivre comme Dieu le demande.

Et chaque vrai croyant n’a pas le droit de conserver seulement ce message dans sa mémoire : il se doit de le prendre comme un programme qui le pousse à l’action. Qu’il constate les dérives de la civilisation, qu’il souffre des malheurs des multitudes égarées dans les ténèbres des mensonges si souvent prônés par les médias. Et qu’il voit clairement qu’obéir à Jésus Seigneur est la Bonne Nouvelle. C’est dans l’action que nous recevons le véritable « bonheur ».

Par là, nous ne cherchons pas à nous faire remarquer ni à nous attirer des compliments. Au contraire, comme l’affirme la 8ème béatitude : « Vous serez persécutés » parce que vous vous ajustez à la Volonté du Père et que le monde préfère se laisser manipuler par les puissances du mal, de la cupidité, de la haine.

Mais en persévérant dans les épreuves, votre foi brillera davantage et les hommes – « en voyant vos bonnes actions » – seront conduits à rendre gloire à Dieu le Père. A 17 reprises, ce titre reviendra dans le Sermon sur la montagne et il en sera le coeur avec la révélation centrale du « Notre Père ». Ainsi viendra la paix entre tous ceux qui du coup se reconnaissent comme « frères ».

Conclusion

Ces deux petites paraboles semblent peut-être anodines à beaucoup : tellement entendues qu’elles ne disent plus rien. Or énoncées dès le début du grand enseignement essentiel de Jésus, elles disent :

« Faites bien attention ! Loin des grandes écoles philosophiques, proclamé par un artisan juif à des gens très simples, ce message est appelé à rien moins qu’à changer la face du monde ! Il déboulonne les idoles qui, sous de fausses apparences, font dérailler l’existence des multitudes. Il passe toutes les frontières nationales, culturelles, raciales pour que quiconque puisse entrer dans le Royaume de Dieu et en devenir acteur ».

Effectivement c’est ce qui s’est produit. Jésus a l’audace d’assurer que son enseignement donne le sens véritable à la vie, qu’il construit une existence solide et durable, qu’il rassemble les disciples en une communion vitale, qu’il doit absolument s’incarner dans de bonnes actions qui ouvrent les yeux sur la présence et l’action d’un Dieu Père.

Que les pasteurs prennent donc garde à ne guider que des célébrations ronronnantes et des catéchèses théoriques. L’enjeu est fondamental : il y va de l’avenir même du monde ! En commençant sa mission, Jésus en était conscient : ce qu’il disait allait stupéfier, crisper, et même éveiller la haine chez certains. Le Père ne pouvait être annoncé qu’à travers les « per-sécutions ».

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Source : RÉSURGENCES.BE, le 32 janvier 2023

29.01.2023 – HOMÉLIE DU 4ÈME DIMANCHE ORDINAIRE (À) – MATTHIEU 5,1-12a

Évangile de Matthieu 5, 1-12

Par le Fr. Raphaël Devillers, dominicain

Le Sermon sur la Montagne

La venue de Jésus se situe dans la ligne des Prophètes mais marque une nouveauté radicale vis-à-vis d’eux : « Convertissez-vous » dit-il – comme eux et Jean-Baptiste – mais il ajoute : « Car le Royaume de Dieu s’est approché ». Jésus est le Fils de Dieu, il possède la plénitude de l’Esprit et donne aux croyants l’entrée dans ce Royaume mystérieux qui n’est plus une échéance lointaine mais devient une réalité dans la manière de vivre.

Alors que Marc, le premier, entremêlait actions et paroles de Jésus au fil de sa vie, Matthieu, lui, très pédagogue, alterne scènes actives et grands enseignements de Jésus. Il structure son récit par 5 grands discours dont le premier est le célèbre « Sermon sur la Montagne » qui s’ouvre par la déclaration solennelle des 8 Béatitudes.

Heureux !

Jésus ne proclame évidemment pas que ses disciples vont vivre dans une allégresse permanente mais il les félicite d’avoir décidé de vivre selon son Esprit. Ils sont bénis de Dieu car ils marchent selon sa vérité, ils laissent Dieu diriger leur existence. On peut regrouper les 8 « béatitudes » par paires : elles cadrent les attitudes fondamentales du croyant évangélique.

Pauvreté de cœur et d’acte

  1. Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux.
  2. Heureux les doux car ils posséderont la terre.

Le péché fondamental en effet est l’orgueil qui n’est pas la vanité ostentatoire mais l’assurance de vouloir diriger sa vie selon ses propres conceptions. Son contraire est donc la pauvreté intérieure, l’humilité de reconnaître qu’il ne faut pas vouloir être roi de sa vie mais laisser Dieu nous entraîner sur ses chemins.

Évidemment cet état d’esprit dictera le renoncement à toute avidité et la décision d’une sobriété et d’une simplicité de vie. La 2ème béatitude le précise par une citation du psaume 37 : les « doux » ne sont pas des gentils mais des croyants qui refrènent leur cupidité, leur envie d’avoir toujours davantage. A l’inverse des impies qui cherchent leur assurance dans l’accumulation des biens, les doux mettent leur assurance en Dieu : ils « possèderont la terre »(au sens symbolique) c.à.d. ils entreront dans le Royaume. « Je suis doux et humble de coeur » affirmera Jésus.

Désir de la justice

  1. Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.
  2. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.

Il ne s’agit pas de ceux qui pleurent la mort d’un proche mais des croyants qui souffrent de tous les malheurs qui accablent encore le peuple de Dieu : ils recevront la consolation définitive de Dieu. De même ceux qui cherchent de tout leur être à être justes devant Dieu, à s’ajuster à sa volonté aussi fortement que l’on cherche la nourriture, qu’ils soient rassurés : leur désir sera rassasié.

Le cœur amoureux

  1. Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.
  2. Heureux les purs de coeur : ils verront Dieu.

Grandeur essentielle de la miséricorde, coeur de l’amour ! Elle est l’attrait du coeur qui compatit à la misère de l’autre, qui ne se contente pas d’un vague sentiment de compassion mais se porte à soulager le malheur de l’autre. Aimer autrui : il faut bien se rendre compte de ce que cela comporte. Le coeur miséricordieux voit le malheur de l’autre, devine même sa peine cachée, se porte à le soulager au plus tôt et le mieux possible. Le Bon Samaritain en reste le grand modèle.

En retour, celui qui fait miséricorde à autrui peut être certain de recevoir toute la miséricorde de Dieu à son égard. Pardonne : tu seras pardonné.

Le coeur qui se donne à l’amour est débarrassé des scories de l’égoïsme : il « verra » peu à peu qui est Dieu, débarrassé des images idolâtriques. Dans les ombres de la foi, il discernera sa véritable grandeur, sa majesté, sa bienveillance. Il se saura aimé tel qu’il est. Il vivra dans la confiance.

Artisan de paix et Persécuté

  1. Heureux ceux qui font la paix : ils seront appelés fils de Dieu.
  2. Heureux les persécutés pour la justice : le Royaume de Dieu est à eux.

Qui n’est pas épouvanté par la permanence des conflits entre les humains, par ces orages, ces tsunamis de violence, cette pandémie de la guerre qui explose partout et sans arrêt, multipliant les destructions, les morts, les handicaps. Déjà au sein des familles, entre frères, entre collaborateurs, entre nations, la tempête éclate, les coups sévissent , les armes sortent !

Le disciple de Jésus ne se contente pas de se lamenter sur l’état du monde, d’échanger de vagues souhaits de paix : là où il vit, il travaille, il cherche à réconcilier avec délicatesse, il invente, il est un « artisan » de paix, avec ses moyens limités et surtout sa prière. En lui les autres peuvent reconnaître quelque illumination sur l’authentique Visage de Dieu, si souvent déformé et caricaturé.

Ce portrait du vrai disciple de Jésus, membre du Royaume de Dieu, devrait attirer la sympathie de ceux qui le côtoient. Détrompons-nous : tout au contraire il ne va pas manquer d’éveiller la méfiance, la critique, l’hostilité de son entourage. En finale donc, Jésus nous prévient et il le répètera tout au long de sa vie et dans les 4 évangiles. « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartient, mais vous n’êtes pas du monde : voilà pourquoi le monde vous hait » (Jean 15, 18).

Et Pierre le reprendra : « Au cas où vous auriez à souffrir pour la justice, heureux êtes-vous…Sanctifiez dans vos cœurs le Christ qui est Seigneur ». Et il montre que cette hostilité doit être l’occasion d’un témoignage : «  Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui en vous demandent compte. Mais que ce soit avec douceur et respect, avec une bonne conscience, afin que ceux qui décrient votre bonne conduite soient confondus » (1 Pi 3, 14 …)

Loin de nous abattre et de nous décourager, les oppositions nous fortifient dans la foi, elles nous rendent heureux de ressembler un peu davantage au Christ qui a tant souffert pour nous.

Conclusion

Au sommet de l’acropole d’Athènes se dresse encore majestueusement le célèbre Parthenon, Temple de la déesse Athéna, protectrice de la cité. L’énorme statue en or a disparu mais la façade aux 8 colonnes émerveille encore les millions de touristes qui la photographient, prototype de la beauté.

En face, sur une colline d’ Israël ignorée, près du lac de Galilée, a retenti « le Sermon sur la montagne » qui s’ouvre sur le portique des 8 Béatitudes. Dans ce mystère du Royaume, les hommes et femmes de tous pays sont invités à entrer. Ici pas de danger de nationalisme ni de ruines. Le Royaume est vivant et poursuit sa croissance mondiale. A tous ses disciples, le Seigneur promet le bonheur – non le bonheur factice, fragile, éphémère comme le monde le cherche mais le bonheur d’être dans la vérité.


Plan du Sermon sur la Montagne

Voici le temps de méditer ce fameux enseignement dont nous commençons la lecture. Admirable construction de Matthieu, grand pédagogue, pour nous enraciner comme disciples.

5, 1 – 16 : 8 béatitudes – rôle : sel et lumière.

5, 17 – 48 : 5 exemples : comment le Royaume accomplit la Loi.

6, 1 – 18 : 3 œuvres : aumône, prière (LE NOTRE PÈRE = le centre du texte.), Jeûne.

6, 19 – 7, 12 : 5 avertissements.

7, 13 – 28 : 8 appels à faire ou non.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain

Source : RÉSURGENCES.BE, le 24 janvier 2024

04.09.2022 – 23ème dimanche – Année C – 4 septembre 2022 – Évangile de Luc 14, 25-33

Par Raphaël Devillers

Le Chemin de Jésus

Toutes les routes montant à Jérusalem se remplissaient de pèlerins tout heureux de se retrouver pour fêter la grande solennité de la Pâque qui approchait. Les Galiléens qui connaissent Jésus et ont vu ses miracles parlent de lui aux arrivants avec enthousiasme : n’est-ce pas lui le Messie attendu ? Va-t-il faire un coup d’éclat dans la capitale ?Allons-nous enfin retrouver la liberté ? Maintenant c’est une grande foule qui s’agglutine sur la route derrière lui en chantant son espérance.

Mais d’un mot Jésus va tenter d’anéantir leurs illusions. Peine perdue car à son entrée dans la capitale, ils acclameront encore « le roi fils de David ».

Renoncer à tout pour suivre Jésus

De grandes foules faisaient route avec Jésus.
il se retourna et leur dit :     « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme,
ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. »

Terrible exigence. Impraticable, diront certains.

Déjà lorsque Jésus avait annoncé qu’il montait à Jérusalem mais qu’il y souffrirait beaucoup, il avait lancé à tous : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car qui veut sauver sa vie la perdra mais qui perd sa vie à cause de moi la sauvera « (9,23).

Cela semble signifier que celui qui se décide à être disciple de Jésus doit persévérer même si sa famille le lui reproche et le presse de renoncer. Il peut arriver que la foi provoque des dissensions, des colères, des menaces. « Je ne suis pas venu apporter la paix mais la guerre…On se divisera père contre fils… « (12, 51)

Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.

A la foule qui rêvait de victoire, de brandir des étendards, de jouer de la fanfare, Jésus annonce un tout autre programme. La foi sera contestée, les croyants s’attireront des moqueries, certains seront dénoncés et traduits au tribunal, d’autres verront leur carrière brisée..

L’essentiel sera donc de suivre Jésus. Non d’imiter à la lettre tout ce que l’on raconte de lui dans les évangiles mais de vouloir appliquer tous ses enseignements dans la vie. « Porter sa croix » ne veut pas dire s’infliger des souffrances mais accepter de porter avec courage les épreuves que le monde vous infligera. Les chemins seront variés ; la croix aura des formes différentes. Mais lorsque nous voyons notre société, comment imaginer une vie de foi sans croix ?

Deux Paraboles

Deux petites paraboles, que Luc est seul à raconter, invitent au discernement.

Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ?
Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui :  ‘Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !’

Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix ».

Vous qui me suivez pour faire partie de la foule et parce que vous avez une idée fausse du messie, faites bien attention. Commencez par réfléchir, par bien prendre conscience des enjeux de l’engagement de la foi, des sacrifices auxquels il va falloir consentir, de la dureté du combat. Se proclamer pour Jésus par enthousiasme superficiel ou par imitation de la foule et puis se détourner vous attirera les sarcasmes. Bâtir sa vie jusqu’au bout pour Jésus et avec l’Évangile exige un engagement tenace. La vie chrétienne est une guerre : évaluez donc bien vos forces car elle ne cessera jamais.

La conclusion sonne comme une exigence radicale : un appel au renoncement total.

Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.

Tentation du masochisme

Devant ce passage qui nous impose les exigences les plus radicales et même tranche au coeur de nos relations les plus chères, le prédicateur hésite et il est tenté d’arrondir un peu les angles en parlant de la miséricorde du Seigneur, de l’infini de son pardon, de la douceur de l’Esprit. Mais aucune de ces réalités n’est évoquée ici.

Ce texte n’exagère pas car il insiste très fort sur l’attachement total que le disciple doit porter à la personne de son Seigneur et sur l’âpreté du combat qu’il faudra mener pour lui.

Mais il comporte un danger que l’histoire de l’Église révèle. La répétition intensive des mots intransigeants – « se renoncer…porter sa croix…cet homme ne peut pas être mon disciple… » a conduit certains esprits à des pratiques ascétiques excessives : Ste Rose « se livrait à des austérités effrayantes » dit son biographe : certains farfelus décidèrent de vivre au sommet d’une colonne (les stylites) ; la pratique de l’auto flagellation était courante dans certains ordres religieux… Les psychologues ont pointé le mépris de soi, l’obsession de la culpabilité, le prurit du scrupule, parfois du masochisme, on a même parlé de « La névrose chrétienne » (P. Solignac). Mais il n’y avait là que dérives faussement pieuses

Le jeune homme riche a été invité à quitter tous les siens et à renoncer à tous ses biens. Mais ce n’était qu’une invitation libre et son refus n’a pas été noté comme une condamnation. Tous les premiers documents (Actes, lettre d’apôtres) témoignent que les convertis demeuraient propriétaires tout en étant avertis sur le danger très grave de l’argent.

Seuls les membres de la communauté originelle de Jérusalem ont donné leurs biens selon les besoins. Mais c’est parce qu’ils se figuraient que le Messie allait revenir très bientôt. L’affaire a tourné à la faillite générale et Paul, et d’autres, ont dû quémander des secours aux communautés lointaines. Le procédé n’a plus été repris que dans les Ordres religieux.

Conclusion

La priorité essentielle est de découvrir et d’aimer la personne de Jésus dont le visage rayonne de manière extraordinaire dans les évangiles. Sa découverte devient une vocation, un appel à participer à son projet de recréer l’humanité : à la guérir du mal, à lui pardonner ses péchés qui sont à la racine de tous ses malheurs et à la rehausser dans la condition divine.

Ce projet inauguré par Jésus Seigneur se poursuit par la communauté de tous ceux qui croient en lui, qui lui font confiance. Cette Église est fondamentalement joyeuse car elle a reçu la Bonne Nouvelle et est chargée de la transmettre au monde entier.

Toutefois la résistance du mal est terrible : elle se déchaîne dans l’égoïsme, la haine, les conflits et elle s’immisce même au coeur de la religion. C’est pourquoi Jésus va souffrir, et tous ses disciples à sa suite. Ils ne chercheront pas les mortifications mais ils se heurteront à l’incrédulité, seront la cible de sarcasmes et d’injures. Jésus sera arrêté, condamné, crucifié.

Mais en menant à terme le dessein reçu de son Père, il en recevra la Vie éternelle. Comme son Maître, la souffrance du disciple sera le contrecoup de sa persévérance.

Certes sa faiblesse demeure et il n’est pas toujours à la hauteur de sa vocation. L’amour de Jésus le conduira à décider ce qui lui paraissait impossible. Comme son Seigneur à l’agonie, il dira : « Père, que cette coupe s’éloigne de moi !…. Mais que ta Volonté soit faite et non la mienne »

Fr Raphael Devillers

Source: RÉSURGENCES, le 30 août 2022

04.09.2022 – 23ème dimanche – Année C – 4 septembre 2022 – Évangile de Luc 14, 25-33

Par Raphaël Devillers

Le Chemin de Jésus

Toutes les routes montant à Jérusalem se remplissaient de pèlerins tout heureux de se retrouver pour fêter la grande solennité de la Pâque qui approchait. Les Galiléens qui connaissent Jésus et ont vu ses miracles parlent de lui aux arrivants avec enthousiasme : n’est-ce pas lui le Messie attendu ? Va-t-il faire un coup d’éclat dans la capitale ?Allons-nous enfin retrouver la liberté ? Maintenant c’est une grande foule qui s’agglutine sur la route derrière lui en chantant son espérance.

Mais d’un mot Jésus va tenter d’anéantir leurs illusions. Peine perdue car à son entrée dans la capitale, ils acclameront encore « le roi fils de David ».

Renoncer à tout pour suivre Jésus

De grandes foules faisaient route avec Jésus.
il se retourna et leur dit :     « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme,
ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. »

Terrible exigence. Impraticable, diront certains.

Déjà lorsque Jésus avait annoncé qu’il montait à Jérusalem mais qu’il y souffrirait beaucoup, il avait lancé à tous : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car qui veut sauver sa vie la perdra mais qui perd sa vie à cause de moi la sauvera « (9,23).

Cela semble signifier que celui qui se décide à être disciple de Jésus doit persévérer même si sa famille le lui reproche et le presse de renoncer. Il peut arriver que la foi provoque des dissensions, des colères, des menaces. « Je ne suis pas venu apporter la paix mais la guerre…On se divisera père contre fils… « (12, 51)

Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.

A la foule qui rêvait de victoire, de brandir des étendards, de jouer de la fanfare, Jésus annonce un tout autre programme. La foi sera contestée, les croyants s’attireront des moqueries, certains seront dénoncés et traduits au tribunal, d’autres verront leur carrière brisée..

L’essentiel sera donc de suivre Jésus. Non d’imiter à la lettre tout ce que l’on raconte de lui dans les évangiles mais de vouloir appliquer tous ses enseignements dans la vie. « Porter sa croix » ne veut pas dire s’infliger des souffrances mais accepter de porter avec courage les épreuves que le monde vous infligera. Les chemins seront variés ; la croix aura des formes différentes. Mais lorsque nous voyons notre société, comment imaginer une vie de foi sans croix ?

Deux Paraboles

Deux petites paraboles, que Luc est seul à raconter, invitent au discernement.

Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ?
Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui :  ‘Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !’

Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix ».

Vous qui me suivez pour faire partie de la foule et parce que vous avez une idée fausse du messie, faites bien attention. Commencez par réfléchir, par bien prendre conscience des enjeux de l’engagement de la foi, des sacrifices auxquels il va falloir consentir, de la dureté du combat. Se proclamer pour Jésus par enthousiasme superficiel ou par imitation de la foule et puis se détourner vous attirera les sarcasmes. Bâtir sa vie jusqu’au bout pour Jésus et avec l’Évangile exige un engagement tenace. La vie chrétienne est une guerre : évaluez donc bien vos forces car elle ne cessera jamais.

La conclusion sonne comme une exigence radicale : un appel au renoncement total.

Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.

Tentation du masochisme

Devant ce passage qui nous impose les exigences les plus radicales et même tranche au coeur de nos relations les plus chères, le prédicateur hésite et il est tenté d’arrondir un peu les angles en parlant de la miséricorde du Seigneur, de l’infini de son pardon, de la douceur de l’Esprit. Mais aucune de ces réalités n’est évoquée ici.

Ce texte n’exagère pas car il insiste très fort sur l’attachement total que le disciple doit porter à la personne de son Seigneur et sur l’âpreté du combat qu’il faudra mener pour lui.

Mais il comporte un danger que l’histoire de l’Église révèle. La répétition intensive des mots intransigeants – « se renoncer…porter sa croix…cet homme ne peut pas être mon disciple… » a conduit certains esprits à des pratiques ascétiques excessives : Ste Rose « se livrait à des austérités effrayantes » dit son biographe : certains farfelus décidèrent de vivre au sommet d’une colonne (les stylites) ; la pratique de l’auto flagellation était courante dans certains ordres religieux… Les psychologues ont pointé le mépris de soi, l’obsession de la culpabilité, le prurit du scrupule, parfois du masochisme, on a même parlé de « La névrose chrétienne » (P. Solignac). Mais il n’y avait là que dérives faussement pieuses

Le jeune homme riche a été invité à quitter tous les siens et à renoncer à tous ses biens. Mais ce n’était qu’une invitation libre et son refus n’a pas été noté comme une condamnation. Tous les premiers documents (Actes, lettre d’apôtres) témoignent que les convertis demeuraient propriétaires tout en étant avertis sur le danger très grave de l’argent.

Seuls les membres de la communauté originelle de Jérusalem ont donné leurs biens selon les besoins. Mais c’est parce qu’ils se figuraient que le Messie allait revenir très bientôt. L’affaire a tourné à la faillite générale et Paul, et d’autres, ont dû quémander des secours aux communautés lointaines. Le procédé n’a plus été repris que dans les Ordres religieux.

Conclusion

La priorité essentielle est de découvrir et d’aimer la personne de Jésus dont le visage rayonne de manière extraordinaire dans les évangiles. Sa découverte devient une vocation, un appel à participer à son projet de recréer l’humanité : à la guérir du mal, à lui pardonner ses péchés qui sont à la racine de tous ses malheurs et à la rehausser dans la condition divine.

Ce projet inauguré par Jésus Seigneur se poursuit par la communauté de tous ceux qui croient en lui, qui lui font confiance. Cette Église est fondamentalement joyeuse car elle a reçu la Bonne Nouvelle et est chargée de la transmettre au monde entier.

Toutefois la résistance du mal est terrible : elle se déchaîne dans l’égoïsme, la haine, les conflits et elle s’immisce même au coeur de la religion. C’est pourquoi Jésus va souffrir, et tous ses disciples à sa suite. Ils ne chercheront pas les mortifications mais ils se heurteront à l’incrédulité, seront la cible de sarcasmes et d’injures. Jésus sera arrêté, condamné, crucifié.

Mais en menant à terme le dessein reçu de son Père, il en recevra la Vie éternelle. Comme son Maître, la souffrance du disciple sera le contrecoup de sa persévérance.

Certes sa faiblesse demeure et il n’est pas toujours à la hauteur de sa vocation. L’amour de Jésus le conduira à décider ce qui lui paraissait impossible. Comme son Seigneur à l’agonie, il dira : « Père, que cette coupe s’éloigne de moi !…. Mais que ta Volonté soit faite et non la mienne »

Fr Raphael Devillers

Source: RÉSURGENCES, le 30 août 2022

28.08.2022 – HOMÉLIE DU 22ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE ANNÉE C – ÉVANGILE DE LUC 14, 1-14

Évangile de Luc 14, 1-14

Une Invitation Agitée

Le mot « pharisien » a pris à tort le sens péjoratif de dévot hypocrite, d’homme sournois et cauteleux. Or ce mouvement est né chez des Juifs pieux attristés par le nombre de leurs compatriotes qui, séduits par la splendeur nouvelle de la civilisation gréco-romaine, abandonnaient les traditions religieuses de leur peuple. En réaction les pharisiens voulaient exhiber leurs appartenance à la Loi et se démarquaient par leurs pratiques pointilleuses – d’où leur nom qui signifie « séparés ».

Une des coutumes de leurs confréries était d’organiser un banquet chez l’un d’eux le vendredi soir, pour fêter l’entrée en sabbat et débattre de questions religieuses. Ce pouvait donc être l’occasion de mieux connaître ce Jésus qui semblait remettre en question ce qui leur paraissait essentiel. Luc rapporte trois invitations.

La première est bousculée par l’entrée intempestive d’une pécheresse en pleurs qui verse du parfum sur les pieds de Jésus qui lui souffle : « Tes péchés sont pardonnés ». Stupeur de l’assemblée ( 7,36)

Dans la deuxième, Jésus éclate en une violente colère : « Malheureux, vous les pharisiens qui purifiez l’extérieur mais pas l’intérieur ! Malheureux vous les scribes qui chargez les gens de fardeaux accablants mais vous vous en dispensez ! ». Évidemment dès la sortie de Jésus, la furie monte : « Ils s’acharnèrent contre lui et cherchaient des questions pour le piéger » (11,37)

La troisième est l’évangile de ce dimanche.

Le Repas chez un Chef Pharisien

Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient.

L’invitation n’est pas franche et amicale : elle est l’occasion de poser des questions embarrassantes à Jésus afin d’épier ses réponses et en tirer arguments contre lui pour le dénoncer à la foule comme impie. Jésus, lui, n’est certainement pas dupe de la manœuvre mais il accepte le dialogue. Il continue patiemment à les fréquenter, et même à accepter leurs invitations. Mais il est hors de question de leur faire la moindre concession. On n’achète pas la vérité du message de l’Évangile par des banquets et des cadeaux.

La scène comporte quatre parties. La première, la guérison par Jésus d’un homme souffrant d’œdème, n’est pas racontée par la liturgie : les convives n’ont rien à rétorquer à un acte humanitaire qui semble enfreindre l’interdit du sabbat. Soigner l’homme dépasse les règlements.

Prendre les dernières Places

Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit :
 « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi.  Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède-lui ta place’ ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place.
Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi.
 En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

Décidément cette envie vaniteuse de se pousser en avant et d’occuper les places d’honneur est un défaut qui énerve beaucoup le Seigneur. Déjà dans sa diatribe précédente, il avait lancé : «  Malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui aimez le premier siège dans les synagogues et les salutations sur les places publiques » (11, 43).

Et il avait bien dû constater que ses apôtres eux-mêmes n’en étaient pas indemnes : alors qu’il venait de leur annoncer qu’il allait être rejeté à Jérusalem et que tout disciple devait prendre sa croix, il les avait surpris en train de se quereller pour savoir qui était le plus grand (11, 34). « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous » avait-il répliqué en leur donnant l’exemple d’un enfant. Et sa mère n’avait-elle pas chanté Celui qui « jette les puissants bas de leurs trônes et élève les humbles » ?(Luc 1, 52)

Que le monde offre des titres ronflants et des trônes imposants, qu’il se prosterne devant des « sommités », que des malins jouent des coudes pour se pousser en avant, c’est leur affaire. Mais le plus affligeant, c’est de voir des Éminences ecclésiastiques faire de leur vocation une course poursuite aux titres, de faire des plans de carrière, de s’évaluer selon la longueur de leurs traînes et le nombre de leurs médailles.

La sentence finale dépasse la simple question de sagesse : C’est Dieu qui abaissera celui qui se gonfle, et qui élèvera l’humble piétiné par les autres.

Inviter les Pauvres

Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour.
Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ;  heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour.

Cela te sera rendu à la résurrection des justes. »

Jésus remarque que tous les convives appartiennent au même milieu : même style de vêtements, même culture. Entre gens qui se connaissent, il est normal qu’un donné appelle un rendu, un cadeau sollicite la réciproque, et les invitations s’alternent avec politesse. Ainsi on demeure entre soi et les relations sont très aisées.

Et voilà que Jésus suggère à son hôte une initiative impensable : inviter des pauvres. Ils seront tout à fait incapables de te rendre la pareille donc tu poseras un acte totalement gratuit, tu feras un cadeau sans restitution. Alors tu connaîtras le bonheur de Dieu car il te ressuscitera et t’invitera au banquet de la Vie éternelle avec tous les pauvres qui sont ses préférés.

Au premier coup d’œil, cette suggestion nous paraît peut-être farfelue, difficile à réaliser dans son absolu. Mais d’abord réfléchissons un peu :

  • Nourrir les affamés est une priorité absolue qui interroge les dépenses parfois exorbitantes de nos réceptions mondaines.
  • La charité ne peut se limiter à une pièce jetée rapidement dans un gobelet ni à une signature sur un chèque. Le pauvre est une personne : son besoin primaire, comme nous, est la relation humaine, le regard attentif, la parole bienveillante. Le pape François a souligné plusieurs fois l’insuffisance d’une charité anonyme.
  • En tout cas, la messe du dimanche devrait mettre en acte cet idéal. Très souvent nous nous y regroupons par affinités, parce que nous nous connaissons et faisons partie du même milieu. Il serait nécessaire que nous fassions sauter ces murs dans lesquels nous nous enfermons et que nous participions à un repas fraternel sans classe, tous accueillis par le même Amour, tous nourris de la même « portion » précisément pour accomplir la « communion » fraternelle qui était le but de la Croix.

La 4ème et dernière scène (14, 15-23) est omise par la liturgie.

Fr Raphael Devillers, dominicain

Source: RÉSURGENCE.BE, le 21 août 2022

21.08.2022 – HOMÉLIE DU 21ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE PAR LE FR. RAPHAËL DEVILLERS

Évangile de Luc 13, 22-30

Un Enseignement qui Choque

Par le Fr Raphael Devillers, dominicain.

A 15 reprises dans son évangile, Luc note que Jésus « enseigne » : il s’agit donc de son activité principale. Cet enseignement ne se réduit ni à une instruction abstraite ni à une consolation onctueuse ni à des conseils d’une vague spiritualité. Et il bouscule fortement. Dès le début Jésus prêche dans la synagogue de son village Nazareth et il s’en fait exclure ; pendant ses derniers jours à Jérusalem, il s’installera dans le temple pour y « enseigner »et on fera tout pour le déstabiliser ; enfin les autorités du sanhédrin le livreront à Pilate en l’accusant de « soulever le peuple en enseignant dans toute la Judée à partir de la Galilée »(23,5). Cet enseignement est donc populaire mais jugé subversif. Or jamais Jésus ne se taira ni n’acceptera de l’édulcorer. Il lui vaudra la mort.

Aussi la question rebondit de ville en village : qui est cet artisan qui s’est fait prophète et qui opère des guérisons ? Est-il le Messie ? Est-il vrai qu’il va instaurer le royaume de Dieu ?…Partout Jésus allume le feu des débats, des enthousiasmes et des sarcasmes et on le crible de questions.

Y aura-t-il beaucoup de sauvés ?

En ce temps-là, tandis qu’il faisait route vers Jérusalem, Jésus traversait villes et villages en enseignant.
Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? »

Cette question ne se pose-t-elle pas encore aujourd’hui ? A l’époque les maîtres lui donnaient des réponses très différentes. Certains affirmaient que tout le peuple d’Israël serait sauvé à cause de son élection et des mérites des Pères. D’autres au contraire estimaient que les infractions contre la Loi étaient telles que finalement seule une minorité d’Israël mériterait d’aller au ciel de Dieu. Quelqu’un demande à Jésus son avis sur cette question débattue mais il va refuser nettement d’entrer dans cette querelle d’écoles.

Jésus leur dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas.

Comme toujours Jésus interpelle directement son auditoire. On n’a pas à spéculer sur des problèmes mais à s’engager soi-même, immédiatement et en urgence, pour changer de comportement et tout faire pour pouvoir entrer dans le Royaume. Car l’entrée ne va pas de soi, elle n’est pas automatique, la porte en est étroite, c.à.d. elle exige de durs efforts, des renoncements pénibles. Déjà les prophètes de la première Alliance tonitruaient contre les puissants et les orgueilleux qui se contentaient d’une piété superficielle, de rites hypocrites tout en acceptant l’exploitation des pauvres et le mépris du droit.

Le message de Jésus, on le voit bien dans l’Évangile, est lui aussi, et plus encore, intransigeant contre des conduites qui bafouent les volontés de Dieu. Certes la miséricorde de Dieu est infinie : encore faut-il la demander, donc prendre conscience de ses errements et décider de s’en corriger dès que possible.

Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : ‘Seigneur, ouvre-nous’, il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes.’
Alors vous vous mettrez à dire : ‘Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.’
Il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.’

Le temps de la vie terrestre est celui des options et des changements possibles mais il a un terme. Celui qui s’est obstiné à faire le mal, à commettre l’injustice s’est rendu incapable d’entrer dans le Royaume, il s’est distancié du Seigneur, maître de la maison. Celui-ci n’est pas dur et implacable : c’est l’homme qui, de lui-même, s’est exclu.

Et il est vain de chercher des excuses : « Je connaissais et j’admirais l’évangile…Je participais aux liturgies… ». La connaissance de Jésus et de son évangile sont insuffisants : seule compte son application, sa mise en pratique. C’est la façon de vivre qui approche ou éloigne du Seigneur.

Le Royaume accessible à Israël et aux Nations

Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. »

Des fils d’Israël – tels les grands patriarches, les prophètes et tant d’autres encore aujourd’hui – ont pratiqué la loi de justice et entreront dans le Royaume. Et ils y seront rejoints par des personnes de toutes les nations. Tout nationalisme, tout racisme, tout ritualisme superficiel sont supprimés dans le Royaume si mystérieux à définir et que Jésus évoque en reprenant l’image du banquet utilisé dans la Première Alliance :

« Le Seigneur de l’univers va donner sur cette montagne (Sion) un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins vieux…Il fera disparaître sur cette montagne le voile tendu sur tous les peuples : il fera disparaître la mort pour toujours » (Isaïe 25, 6).

L’image du banquet signifie le don de la vie et de la joie partagées par le Seigneur avec ses élus venus des quatre coins du monde : avec le Messie cette Vie éliminera toute mort. Mais Jésus ne reprend pas la localisation à Sion / Jérusalem : le Royaume sera transcendant.

Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. 

Si bien que parmi les païens qui ont été appelés les derniers dans l’histoire, certains seront admis en masse dans ce Royaume ; et par contre, des enfants d’Israël qui avaient pourtant été appelés les premiers en seront exclus.

Accepter les reproches du Seigneur

Les parents et les enseignants le savent bien : l’amour qu’ils ont pour leurs jeunes les oblige parfois à secouer leur indolence, à les tancer pour leurs erreurs répétées. Ces reproches sont parfois durs, même violents mais ils sont nécessaires sur le chemin de l’éducation.

De même les curés de paroisse, pour être des bergers fidèles, ne peuvent pas gommer les passages plus durs des évangiles. On ne peut trahir la Parole de Dieu quand elle admoneste, on n’arrondit pas les angles de la Vérité quand elle impose des exigences nécessaires.

Nos défauts sont bien enracinés, ils sont lourds à vaincre : aussi nous souhaitons que l’on nous laisse tranquilles, que nos liturgies restent des moments de consolation paisible. Mais l’Évangile se meurt lorsque nous en faisons une boisson soft.

Certes sur le champ, nous sommes secoués, nous estimons que le prédicateur exagère. Certains paroissiens même divergent vers une autre paroisse où la prédication est doucereuse. Or le passage par la porte étroite exige des changements parfois radicaux. Le mode de vie prôné dans nos sociétés occidentales avec sa course effrénée vers les divertissements, la consommation , le gaspillage exacerbe l’égoïsme et mène à la destruction : tout le monde le reconnaît . A la suite de Jésus, nous devons être les prophètes d’une vie plus vraie et donc déjà plus heureuse. Il est normal que l’enseignement de l’Évangile nous secoue

Accepter les leçons du Seigneur

En terminant sa lettre, l’auteur de la « Lettre aux Hébreux » (2ème lecture de ce jour) expliquait déjà le bien fondé des remontrances :

Frères, vous avez oublié cette parole de réconfort, qui vous est adressée comme à des fils : « Mon fils, ne néglige pas les leçons du Seigneur, ne te décourage pas quand il te fait des reproches.  Quand le Seigneur aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu’il accueille comme ses fils » (citation de Prov. 3, 11).
    

Ce que vous endurez est une leçon. Dieu se comporte envers vous comme envers des fils ; et quel est le fils auquel son père ne donne pas des leçons ? Quand on vient de recevoir une leçon, on n’éprouve pas de la joie mais plutôt de la tristesse. Mais plus tard, quand on s’est repris grâce à la leçon, celle-ci produit un fruit de paix et de justice.


C’est pourquoi redressez les mains inertes et les genoux qui fléchissent, et rendez droits pour vos pieds les sentiers tortueux. Ainsi, celui qui boite ne se fera pas d’entorse ; bien plus, il sera guéri.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Source: RÉSURGENCE, le 16 août 2022

14.08.2022 – Homélie du 20ème dimanche – Année C – 14 août 2022

Évangile de Luc 12, 49-53

Par Raphaël Devillers

La Mission de Jésus

Nous avons entendu plusieurs enseignements de Jésus : sur la prière, l’usage de l’argent, la vigilance…Mais n’oublions pas qu’il est en train d’emmener ses disciples sur la route de Jérusalem où, leur a-t-il dit, il va être rejeté et mis à mort par les autorités mais son Père le ressuscitera. Et dans la dernière parabole, il a prévenu les intendants de rester vigilants car le Maître viendra à l’improviste pour juger.

Cette issue finale de sa mission, qui s’approche de jour en jour, obsède Jésus : il a hâte de réaliser jusqu’au bout la volonté de son Père mais le prix à payer sera horrible. Tout à coup, à ses disciples, il exprime la passion et l’angoisse qui le poignent. Il nous révèle ainsi le sens de sa venue sur terre.

Le Grand Désir de Jésus

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé !
Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli !

Jean-Baptiste l’avait prophétisé : « Il vient, celui qui est plus fort que moi : il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu »(2, 16). Jésus ressuscité annoncera à ses disciples : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous »( Ac 1, 8). Et en effet à la Pentecôte, « comme des langues de feu leur apparurent » et toute peur disparue, remplis de force et. de confiance, ils sortiront et se mettront à prêcher, avec feu, les merveilles de Dieu. Le feu de la Bonne Nouvelle commencera à s’étendre par toute la terre.

Mais pour cela, il faudra d’abord que Jésus accepte de donner sa vie : à Gethsémani et au Golgotha, il sera plongé, « baptisé » dans un second baptême bien plus effroyable que le premier. Jésus ici ne peut s’empêcher de révéler aux siens la crainte, l’horreur qui le torturent à la perspective de ce qui l’attend. Non il ne cherche pas la mort, elle le révulse, le tord déjà d’angoisse. Mais il ne peut reculer, il doit dire sa vérité quoi qu’il en coûte. En faisant de sa mort un don d’amour, il ouvrira le don de l’Esprit.

La Paix qui provoque des disputes

Si vraiment la Pâque de Jésus accomplit l’attente du Messie, le monde va-t-il connaître la paix ? Hélas non.

Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division.
Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ;
ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère,
la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »

La croix de Jésus opère la transfiguration de la haine et de la violence des bourreaux en amour, pardon, miséricorde de la part du Seigneur. Et de là s’élancera la Bonne Nouvelle de la paix. Mais il ne s’agit pas d’une paix automatique et imposée. Jésus est bien l’Agneau de Dieu qui apporte la paix du monde mais ne reçoit cette paix que celui ou celle qui croit en Jésus, qui se fait son disciple, qui décide de vivre et de se donner complètement à la manière de son Maître.

Cette paix est un don gratuit mais elle est difficile : elle bouscule nos préjugés, elle torpille notre égoïsme, elle nous oblige à changer d’échelle de valeurs. Elle accule chacun à se décider librement. Du coup elle introduit la division au cœur des familles, des nations, du monde. La Loi de Moïse partageait Israël et les nations : l’Évangile s’adresse à toute personne et distingue croyants et incroyants. Mais on ne joue pas avec la vérité et on ne bafoue pas la liberté. Là est le prix de l’égalité et de la fraternité.

Le judaïsme disait qu’après une terrible période d’affrontements, le Messie enfin apporterait la paix. Jésus enseigne que sa venue messianique provoquera immanquablement divisions, heurts, déchirures. Le temps de l’Église reste ce qu’il a été dès le début : le vieux Syméon l’avait prophétisé à sa mère : il « sera un signe contesté »(2, 34). L’Évangile n’est ni une obligation ni une démonstration mais « un signe » devant lequel chacun doit opter.
Si votre famille ne partage pas la même foi, souvenez-vous que Jésus lui-même a été rejeté par son village, par certains de sa famille, par les autorités religieuses. A sa suite, les martyrs gardaient la paix au milieu des affres des persécutions.

Fr Raphael Devillers

Source: RÉSURGENCES, le 9 août 2022