27.07.2025 – HOMÉLIE DU 17ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 11,1-13

Prières et petits marchandages

Homélie du Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Luc 11, 1-13

Je suppose que ceux qui n’aiment pas tant l’extrait du livre de la Genèse que nous venons de lire n’y voient qu’un marchandage d’Abraham avec Dieu, un commerce, une négociation dans la prière. Pour eux, prier ce n’est pas ce genre de négoce, de petit trafic spirituel, d’enchères avec Dieu. Tout au plus le voient-ils comme un simplisme, ou un archaïsme, peut-être la trace dans la Bible de cultes primitifs où il fallait faire des offrandes en échange de faveurs divines. Au fond, quel est le sens de parler encore aujourd’hui de ce genre de troc spirituel : à partir de combien de justes par ville, retiens-tu ta colère ô Dieu ? Quel est le service minimum pour échapper à ton courroux ?

Je crois qu’ainsi on passe à coté du texte. Reprenons.

Dans un superbe jeu entre pluriel et singulier – qui est dans le texte hébreux et que la traduction française rend bien – trois hommes sont venus visiter Abraham pour, d’une seule voix – la voix de Dieu – conclure une alliance avec lui. Les Pères de l’Église ont vu, dans cette image de trois personnes qui parlent et qu’Abraham considère comme n’en étant qu’une, la préfiguration dans l’Ancien Testament de la Trinité.

Abraham vient de sceller l’alliance avec Dieu par la circoncision des siens. L’intention de Dieu est claire : faire d’Abraham et de son clan son peuple, l’incarnation sur Terre de sa justice. Et précisément, le jugement de Sodome est présenté, dans le verset qui précède le passage que nous venons de lire, comme une leçon de justice que Dieu donne à Abraham et aux siens.

Si on lit attentivement, on constate que c’est Abraham qui entre en négociation. C’est d’Abraham qu’émane l’idée de « compter les justes » et, à chaque décompte, Dieu marque son accord.

On reste cependant sur sa faim – et le texte se termine effectivement comme ça : il s’arrête à dix. Et à la lecture d’aujourd’hui, il manque le dernier verset (Gn 18, 33) : « Quand le Seigneur eut fini de s’entretenir avec Abraham, il partit, et Abraham retourna chez lui ». OK, 10 ! Tope-la ! Tchao ! …

Il aurait pu descendre jusque un. Pourquoi dix justes pour sauver une ville ? Dix, c’est à l’époque la taille d’une maisonnée, d’une famille sous le même toit. Un, on se doute bien que c’est le Christ, dont la seule présence en effet sauve le monde. Une famille de justes, un toit qui accueille Dieu, et rien n’est perdu pour la ville : voilà la mesure de la justice que Dieu nous demande d’avoir.

C’est peut-être un texte qu’il faut relire à nouveau frais, en ces temps de complète déchristianisation de nos cités. Un foyer, une famille accueillant généreusement la présence de Dieu et la ville conserve la perspective d’être sauvée. Peut-être gagnerions-nous à raviver ce critère de jugement – un foyer par ville – avant de parler d’églises vides.

Voilà qui change – je trouve – notre regard sur la mission actuelle. Ce n’est pas une question de nombre. Du point-de-vue de Dieu, c’est simplement la question d’être ce foyer, accueillant de sa présence.

Un autre regard sur la prière nous est donné par Jésus dans l’Évangile. Il répond aux disciples qui lui demandent de leur apprendre à prier. C’est étonnant parce qu’il vient de leur parler des commandements et notamment d’aimer Dieu « de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force et de toute son intelligence ». N’est-ce pas cela finalement prier ?

C’est un exercice intéressant, qu’il faut faire régulièrement – ne fusse-ce que pour éviter le rabâchement – de détailler le Notre Père phrase à phrase et d’en méditer le sens. Je ne vais le faire ici. A vous, si vous le souhaitez, de faire l’expérience spirituelle de prier le Notre Père en le méditant par le détail. Je vous encourage à le faire.

La parabole qui suit est absolument touchante : Dieu est un ami qui dort la nuit et dont nous venons parfois inopportunément troubler le repos. « Prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir ». On peut voir là une certaine urgence eucharistique : je n’ai pas de nourriture spirituelle à proposer. S’il te plaît, Dieu, sort de ta torpeur et viens me dépanner. Lève-toi et donne moi de ta substance que je puisse spirituellement nourrir les miens. Et Jésus conclut : Dieu « se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut ».

Même si vos demandes sont inopportunes ou incongrues : « frappez, on vous ouvrira » ; « demandez, on vous donnera » ; même si vous êtes complètement perdus : « cherchez, vous trouverez ».

Cette image de Dieu comme un vieil ami bougon que l’on réveille la nuit pour quelque chose qui pouvait attendre le jour est touchante de délivrance. Au fond, ce que dit Jésus, c’est : ne vous inquiétez pas de demander à temps et à contre-temps ; même si votre demande est inopportune, demandez ! Demandez sans cesse à Dieu ; formulez encore et encore vos demandes. Lui vous donnera l’Esprit.

Et c’est la conclusion étonnante de la parabole : finalement Dieu exauce toujours nos prières par le don de l’Esprit.

Tu as faim, tu as soif, tu as froid ? Voilà mon Esprit d’amour.
Tu souffres, tu as mal, tu veux la guérison ? Voilà mon Esprit d’amour.
L’injustice te révolte, tu es toi-même victime de mépris : voilà mon Esprit d’amour.
Tu n’en peux plus, tu as le sentiment de perdre le sens de la vie : voilà mon Esprit d’amour.
T’es au bout du rouleau, tu meurs : voilà mon Esprit d’amour.

Quoi que nous demandions à Dieu, c’est toujours un surcroît d’Esprit Saint qui nous arrive, à travers nous ou à travers autrui. Dieu ne résout pas nos problèmes à notre place, il nous donne l’Esprit pour les affronter. Et alors, en conséquence, tout change : se produit inéluctablement, d’une manière ou d’une autre, un retour à la Vie.

Le fond de toutes nos prières, c’est cela : ravives en moi la flamme de ton amour. Quelle que soit la désespérance en moi ou autours de moi : ravives en moi la flamme de ton amour.

Parce que, depuis Abraham, nous savons qu’un seul foyer d’amour divin suffit, au sein d’une ville plongée dans les ténèbres, pour tout sauver aux yeux de Dieu.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 23 juillet 2025

27.07.2025 – HOMÉLIE DU 17ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 11,1-13

Pistes pour l’homélie par l’Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


L’Évangile de ce dimanche nous parle de Jésus qui prie seul à l’écart. “Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean Baptiste l’a appris à ses disciples.” Et il répond : “Lorsque vous priez, dites : Père.” Ce mot est le secret de la prière de Jésus. Il est la clé qu’il nous donne lui-même. C’est ainsi que nous pourrons, nous aussi, entrer en dialogue confidentiel avec le Père qui l’a accompagné toute sa vie.

Les premières demandes nous disent que nous devons nous préoccuper de règne de Dieu, de sa gloire et de sa volonté. Nous sommes invités à donner toute sa place à Dieu dans notre vie. Il ne demande qu’à y exercer sa seigneurie d’amour. C’est dans notre vie que la sainteté de Dieu doit être manifeste. A travers ces demandes, nous exprimons notre reconnaissance au Père qui nous comble de son amour.

Trois autres requêtes viennent compléter cette prière que Jésus nous enseigne. Ces trois requêtes concernent le pain, le pardon et l’aide dans les tentations. C’est absolument important car on ne peut pas vivre sans pain ; on ne peut pas vivre sans pardon ni sans l’aide de Dieu dans les tentations. Mais saint Cyprien nous dit que le pain le plus essentiel c’est celui de l’Eucharistie. Nous devons souhaiter que les chrétiens se nourrissent de ce pain pour être transformés par le Christ. C’est là qu’ils trouvent la lumière et la force de sa grâce.

Le pardon est avant tout celui que nous recevons de Dieu : il se montre Père quand il libère nos cœurs et nous fait revivre. Nous sommes tous des pécheurs pardonnés par l’infinie miséricorde du Père. Ce pardon nous rend capables de gestes concrets de réconciliation fraternelle. Si nous ne reconnaissons pas que nous sommes pécheurs pardonnés, nous ne pourrons jamais accomplir des gestes de réconciliation fraternelle. C’est en accueillant le pardon de Dieu que nous apprenons à pardonner à nos frères.

“Et ne nous laisse pas entrer en tentation…” Nous savons que nous sommes tous exposés aux pièges du mal. Cette tentation c’est celle du désespoir ; c’est quand nous pensons que Dieu nous abandonne. Jésus nous apprend à nous tourner vers le Père pour lui demander de nous libérer de ce mal qui cherche à nous détruire.

L’enseignement de Jésus se poursuit par deux paraboles. Il rend pour modèle l’attitude d’un ami à l’égard d’un autre ami puis celle d’un père à l’égard de son fils. Nous y trouvons une invitation à avoir confiance en Dieu qui est Père ; il sait mieux que nous-mêmes de quoi nous avons besoin. Mais comme pour Abraham dans la première lecture, nous devons lui présenter nos demandes avec audace et insistance. C’est notre façon de participer à son œuvre de salut.

Comprenons bien : le but n’est pas de convaincre Dieu mais de fortifier notre foi et notre patience. C’est une lutte avec Dieu pour les choses importantes de notre vie. Comme Abraham (1ère lecture), nous sommes invités à nous tenir en présence du Seigneur ; la mission des communautés chrétiennes c’est précisément d’intercéder pour ce monde que Dieu a tant aimé. La prière que nous adressons pour eux à notre Père nous aide à changer notre regard sur eux. Comme Abraham, nous avons la ferme espérance que le petit reste des fidèles peut sauver la multitude.

Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus précise que ce qu’il faut surtout demander c’est l’Esprit Saint. C’était la prière des apôtres qui se préparaient à la Pentecôte. En communion les uns avec les autres, nous supplions le Père : Donne-nous ton Esprit Saint. Qu’il soit avec nous pour vivre cette semaine avec sagesse et amour en faisant la volonté de Dieu.

Dans sa lettre aux Colossiens, saint Paul nous rappelle que nous sommes associés à la victoire du Christ sur la mort et le péché. C’est au nom de cette bonne nouvelle que nous pouvons nous unir à sa prière confiante pour nous et pour le monde entier. Cette prière, nous la faisons passer par Marie. Toute son existence a été entièrement animée par l’Esprit de Jésus. Qu’elle nous apprenne à nous tourner vers notre Père avec confiance et persévérance.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 19 juillet 2025

09.03.2025 – HOMÉLIE DU 1ER DIMANCHE DE CARÊME – LUC 4,1-13

Ne nous laisse pas entrer en tentation

Lecture: Évangile selon saint Luc 4, 1-13

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Savez-vous que la gourmandise n’est pas un péché ? C’est la gloutonnerie – se jeter sur la nourriture – qui l’est. Une envie n’est pas un péché ; s’enivrer de désir, si.

En soi, la tentation n’est pas un péché, c’est d’y succomber qui l’est. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » dit le Notre Père. Le grec, qui est la langue du Nouveau Testament, utilise le même terme « peirasmos » pour dire « tentation » et « épreuve ». On le voit notamment dans la traduction de l’Épître aux Hébreux (4,15), « il a été éprouvé en tous points, mais sans pécher ». Précisément, Jésus incarne la différence entre ces deux réalités : lui qui est sans péché a connu la tentation. De nos jours encore, la confusion entre les deux – tentation et péché – génère trop souvent un faux sentiment de culpabilité : nous ne commettons aucune faute à éprouver toutes sortes de désirs ; le péché est de nous laisser dominer par eux.

Il y aurait beaucoup à dire pour analyser le texte de l’Évangile d’aujourd’hui. Il est très construit. La joute oratoire entre Jésus et le diable que nous venons de lire est truffée de citations bibliques, tirées essentiellement du Deutéronomeen référence au Livre de l’Exode. Prenons simplement les trois réponses que donne Jésus au diable : premièrement, « L’homme ne vit pas seulement de pain » (cf. Dt 8,3) qui renvoie à l’épisode de la manne (Ex 16,1-36) ; ensuite quand Jésus cite « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte » (Dt6,13), il fait référence à la condamnation du culte des idoles (Ex23,20-32) et à la grande profession de foi du peuple hébreux, le Shema Israël : « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur » ; enfin, « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » fait référence à l’épisode des eaux de Massa et Mériba (Ex 17,1-7) – noms qui signifient d’ailleurs respectivement « épreuve » et « querelle » – « parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve » précise le Livre de l’Exode (17, 7).

Ainsi, clairement, les trois tentations de Jésus au désert renvoient aux tentations que le peuple hébreux a éprouvées durant l’Exode. L’Évangile nous présente ainsi un Jésus qui sort victorieux là où le peuple avait abandonné les préceptes de Dieu : se nourrir de sa parole ; n’adorer que lui ; ne pas le mettre à l’épreuve.

Enfin, l’Évangile conclut : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé », à savoir sa Passion. Comme notre carême, le récit des tentations de Jésus ne se comprend que dans la perspective de Pâques. C’est là que survient l’ultime tentation. En effet, si on se penche sur le récit de la Passion, comme en réponse à l’Évangile d’aujourd’hui, par trois fois (Lc 23, 35.37.39), le peuplecrie « Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu » ; « Sauve-toi toi-même ! » ; « Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! ». Voilà la clé de compréhension : toutes les tentations qu’affrontent le peuple pendant l’Exode et le Christ aujourd’hui se résument en une seule : celle d’une humanité qui prétend se sauver par elle-même, sans l’aide de Dieu. L’ultime parole de Jésus sur la croix est, à cet égard, une réponse édifiante : « Père, en tes mains je remets mon esprit » (23,46). Son humanité agonisante s’en remet à Dieu.

Alors que déduire de tout ceci pour notre carême ?

En affrontant les mêmes tentations que le peuple durant l’Exode, le Christ montre deux choses : qu’il endosse pleinement notre humanité et ses tiraillements et, par ailleurs, que le fait d’être tenté ne constitue aucun péché. Fondamentalement le problème n’est pas d’éprouver des besoins, des envies ou des désirs, mais bien la manière dont nous cherchons à y répondre, à les satisfaire : par nous-même ou avec Dieu.

Avant tout, il s’agit d’affronter la réalité de notre humanité. Jésus lui-même s’est affronté à la faim, à l’orgueil et au désir de pouvoir immédiat. Jusque sur la croix, il a été confronté à la tentation de se sauver lui-même. Il ne l’a pas fait ; il s’en est systématiquement remis au Père. Nous-même, nos désirs, nos tentations révèlent notre humanité et ses tiraillements. Nous devons y faire face, les assumer : ils reflètent nos manques affectifs ; ils nous éclairent sur nous-même. Le péché survient seulement quand nous cherchons à satisfaire nos désirs les plus humains en nous posant en rivalité avec Dieu.

Le carême est le temps du travail de la tentation. Il s’agit d’abord de discerner les désirs que nous cherchons à frénétiquement combler seuls, voire en totale contradiction avec le commandement d’amour de Dieu. Notre jeûne n’a pas à être forcément alimentaire ; il n’y pas que la nourriture sur laquelle il peut nous arriver de nous jeter avidement. Peut-être est-ce plutôt le pouvoir personnel, le désir d’emprise, le besoin de tout contrôler ? Peut-être s’agit-il d’un manque affectif que révèlent des tentations sexuelles ? Peut-être est-ce une pauvreté personnelle que nous cherchons vainement à combler par des palliatifs ? Peut-être est-ce simplement un besoin de distraction qui dénote déjà une lassitude de vivre.

En faisant l’exercice de creuser en nous la faim, d’organiser le manque d’une satisfaction immédiate de nos désirs les plus vifs, en tempérant notre volonté de combler par nous-même notre besoin de salut, nous nous entraînons à nous laisser rejoindre par le Christ dans nos épreuves intimes et à affronter avec lui les tentations qui nous sont propres : d’abord en nous nourrissant de la parole de Dieu, ensuite en le priant, enfin en renonçant à le mettre à l’épreuve par des solutions mauvaises.

Au fond le carême est le temps béni où nous cherchons, avec l’aide de Dieu, à faire face avec courage et à dominer avec amour, les tentations qui sont les nôtres en renonçant à leur satisfaction immédiate pour laisser au Christ le temps de les rejoindre.

Sachons creuser nos faims, les tentations qui sont les nôtres ; sachons les réfléchir, les méditer. Elles sont le signe de ce qui, en nous, doit encore ressusciter.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RESURGENCE.BE, le 5 mars 2025

09.03.2025 – HOMÉLIE DU 1ER DIMANCHE DE CARÊME – LUC 4,1-13

Seigneur, avec toi, nous irons au désert

Homélie par l’Abbé Jean Compazieu

Textes bibliques : Lire


Depuis mercredi dernier, nous sommes entrés dans le temps du Carême. Cette période qui dure quarante jours nous prépare à la grande fête de Pâques. Ce sera pour nous l’occasion de retrouver les vraies priorités de notre vie chrétienne. Nous reconnaissons que bien souvent, nous nous sommes détournés du Seigneur et qu’il n’est pas toujours notre priorité. Nous avons trop souvent organisé notre vie en dehors de lui. Alors il est là pour nous dire et nous redire : “Revenez à moi de tout votre cœur !” Le Carême c’est précisément ce temps privilégié qui nous est donné pour revenir vers le Seigneur ; il est urgent de le remettre au centre de notre vie.

Le livre du Deutéronome (1ère lecture) nous montre comment Dieu a pris l’initiative de sauver son peuple. Nous nous rappelons que les Hébreux étaient esclaves en Égypte. Dieu a entendu leur voix et il les a conduits vers une terre de liberté. Le Carême c’est cette longue route de libération. Quand nous nous détournons de Dieu, nous ne pouvons tomber que sur des chemins de perdition. Mais le Seigneur ne nous abandonne pas. Il ne cesse de venir chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Il nous fait retrouver notre dignité humaine. Tout au long de la Bible, nous retrouvons cet appel à accueillir le Dieu libérateur. C’est dans cet esprit que nous sommes invités à vivre ce temps du Carême.

Dans la seconde lecture, saint Paul nous invite à reconnaître le Christ comme Seigneur. Cela signifie que nous voulons qu’il soit le maître de nos vies. Nous l’accueillons pour qu’il en prenne la direction. C’est à ce prix que nous serons sauvés. Notre Dieu est un Dieu libérateur ; il veut le salut de tous les hommes quelle que soit leur religion. Tous doivent pouvoir entendre ses paroles qui sont celles “de la vie éternelle”. Cette parole est en nous, dans notre cœur. Le Seigneur compte sur nous pour qu’elle soit proclamée partout dans le monde entier. Vivre le Carême, c’est accueillir cette parole, c’est nous laisser transformer par elle et en témoigner auprès de tous ceux et celles qui nous entourent.

Dans l’Évangile, nous retrouvons le récit des tentations de Jésus au désert. Le tentateur se présente à lui en commençant par le flatter : “Si tu es le Fils de Dieu…” Lorsqu’il s’approche de nous, il utilise la même technique en flattant notre orgueil, notre désir de liberté et d’indépendance : “Fais donc ce qui te plait ; ainsi tu pourras retrouver ta dignité et ta liberté. En fait, cette tentation nous conduit à une impasse qui nous détourne de l’amour de Dieu.

Aujourd’hui, Jésus nous apprend qu’être fils de Dieu c’est nous laisser conduire par Dieu sans lui imposer nos moyens, c’est lui faire une totale confiance sans vouloir lui imposer des garanties, sans espérer des merveilleux prodiges qui nous détourneraient de nos luttes et de nos engagements. À chacune des tentations, Jésus répond par une parole de la Bible : “Il est écrit : l’homme ne vit pas seulement de pain… C’est devant Dieu que tu te prosterneras et à lui seul que tu rendras un culte… Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu…”

C’est ainsi que Jésus a été victorieux face au tentateur. Pendant ce Carême, il veut nous associer tous à sa victoire. Il nous apprend à être entièrement tournés vers Dieu et à nous nourrir de sa Parole chaque jour. Le carême est là pour nous rappeler que nous sommes engagés dans un combat contre les forces du mal. Mais dans ce combat, nous ne sommes pas seuls. Le Seigneur est là et nous pouvons toujours compter sur lui. Nous pouvons aussi nous tourner vers Marie, notre maman du ciel. Avec elle, il n’y a pas de situation désespérée. Quand tout va mal, nous pouvons toujours compter sur elle. Quand nous sommes en manque de paix et de joie, elle est là. Et comme à Cana, elle le dit à son Fils. Et Jésus nous invite à « puiser à la Source » de celui qui est l’amour, la paix et la joie. Et quand nous sommes tombés au plus bas, elle se baisse pour nous ramasser. Elle qui a misé toute sa vie sur l’amour, elle nous aide à nous remettre debout pour reprendre notre route à la suite du Christ.

Sur cette route, le Seigneur est là ; il nous donne le vrai pain de vie qui vient renouveler notre cœur ; il nourrit la foi, fait grandir l’espérance et nous donne la force d’aimer ; apprenons à toujours avoir faim du Christ, seul pain vivant et vrai et à vivre de toute parole qui sort de sa bouche. Amen

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN. ORG, le 2 mars 2025

12.11.2023 – HOMÉLIE DU 32ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATTHIEU 25,1-13

LES VEILLEUSES ENDORMIES

Par le Fr. Laurent Mathelot OP

Il y a un paradoxe dans la parabole d’aujourd’hui, comme un clin d’œil au temps de l’Avent qui s’annonce. L’Avent en effet est le temps des veilleurs. Au long de ces quatre semaines, les lectures nous rappelleront de veiller, de scruter les signes de la venue de Dieu parmi les hommes. Et c’est déjà la conclusion de l’Évangile d’aujourd’hui : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » (Mt 25, 13). Or le paradoxe, c’est que dans la parabole les jeunes filles s’endorment …

Frère étudiant, j’avais inscrit sur la porte de ma cellule : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (Ps 126, 2). Et quand un frère s’endort à la chapelle, on dit qu’il fait une oraison de Saint Pierre, rappelant l’épisode au Jardin des oliviers, où Jésus reproche à Pierre de n’avoir pas su veiller même une heure avec lui (Mc 14, 37 ; Lc 22, 46). Sainte Thèse de Lisieux elle-même confessait s’endormir à l’oraison, cette prière silencieuse que font, chaque jour, les religieuses et les moines. Ici aussi, les jeunes vierges s’endorment. Et, contrairement à Pierre, ce n’est pas ce que Jésus leur reproche.

L’Écriture est pourtant constante à nous rappeler l’importance de veiller en attendant la venue de Dieu. On se souvient de Jésus qui parle de la venue de Dieu comme celle d’un voleur la nuit : « Sachez-le bien, si le maître de la maison savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison » ( Luc 12, 39). Dans sa Première lettre aux Thessaloniciens, saint Paul recommande : « Ne nous endormons pas, comme font les autres, mais restons éveillés et sobres » (1 Th 5, 6). Et, dans la Première épître de Pierre : « Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera. » (1 Pi 5, 8). On trouve ainsi 23 fois la recommandation de « veiller » dans le Nouveau Testament.

Mais le reproche qui est fait ici n’est pas de s’être endormies, mais de ne pas avoir tenu leurs lampes allumées. C’est l’imprévoyance des vierges insouciantes que la parabole dénonce, le fait qu’elles n’ont pas prévu assez d’huile pour que leur veilleuse continue de briller. Ainsi, il nous reste à comprendre ce que signifie cette huile pour comprendre comment il est possible de veiller endormi.

Longtemps l’Église a enseigné que cette huile qui permet de maintenir la lumière divine allumée alors qu’on s’endort c’étaient les bonnes œuvres que vous avions accomplies. Au fond, l’idée était de dire que ce sont nos bonnes actions qui nous permettent de dormir en paix ; qu’au-delà de notre présence, nos actes de charité continent à briller pour nous. Et ce n’est pas faux : le bien comme le mal que nous avons faits continuent à faire leur œuvre, même au-delà de notre mort. Les conséquences de nos actes ne s’éteignent pas avec nous.

Mais c’est sans une un peu étroit comme spiritualité de considérer qu’on puisse simplement capitaliser sur nos bonnes actions pour rayonner de Dieu dans la nuit. Cela signifierait tout bonnement que les personnes qui font le bien devraient échapper à toute dépression. Or ce n’est pas le cas. C’est d’ailleurs toute la problématique évoquée par le Livre de Job, que Dieu lui-même proclame juste en tout ce qu’il fait. Job pourtant se trouve soudainement accablé de malheurs. Il faut certainement plus qu’un capital de bonnes actions pour encore briller dans la nuit.

Alors qu’est-ce que cette huile dont l’épuisement nous empêche de rencontrer Dieu ? Ce ne peut être la foi, que Jésus compare plus volontiers à une graine de moutarde. La foi vit ou meurt ; elle est présente ou pas. Mais elle n’est pas tant fonction de quantité. Celui qui a la moindre parcelle de foi en Dieu a toute la foi.

Si ce n’est donc ni la charité, ni la foi, ce que l’huile représente ici c’est l’espérance. C’est l’espérance que la nuit consume quand nous sommes loin de Dieu. C’est l’espérance que brûlent les ténèbres, les malheurs, les souffrances. C’est aussi l’espérance qui maintient en nous la lumière divine quand tout s’assombrit.

On comprend que les vierges sages avaient pour elles l’espérance alors que celles insouciantes n’en avaient pas assez. Et elles auront beau aller en chercher ailleurs, le Christ leur répondra : « Je ne vous connais pas. » Je crois, en effet, qu’il y a des croyants qui se laissent gagner par une désespérance telle, que toute rencontre avec Dieu leur devient impossible. Je crois qu’il y a des ténèbres qui, si elles gagnent totalement notre esprit, finissent par nous séparer radicalement de Dieu. C’est le désespoir qui tue la foi. Job, lui, n’a jamais atteint ce point ; jamais le malheur et le désespoir ne l’ont poussé à renier Dieu.

Bientôt donc, ce sera le temps de l’Avent, ce temps où spirituellement nous travaillons l’espérance, où dans nos vies nous cherchons la lumière divine. Mais à quoi allez-vous concrètement travailler cette année ? Qu’espérez-vous de Dieu actuellement ? Ce sont des questions importantes pour vivre un Noël concret.

Qu’espérez-vous de Dieu pour ce Noël ?

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCES.BE, le 9 novembre 2023

12.11.2023 – HOMÉLIE DU 32ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATTHIEU 25,1-13

Dans la fidélité à Dieu, soyons vigilants

Pistes pour l’homélie

Par l’Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


En ce dimanche, la seconde lecture nous parle des défunts. Tout au long de ce mois de novembre, nous les portons dans notre prière. C’était la grande préoccupation des chrétiens de Thessalonique ; il y a eu beaucoup de deuils chez eux. Les membres de cette communauté éprouvent un chagrin que l’espérance de la résurrection semble ne pas transfigurer. Pour dissiper leurs préoccupations et leurs inquiétudes, Paul leur explique que la mort n’est pas un obstacle. Il leur ouvre les yeux sur ce qui se passe après la mort : nous serons pour toujours avec le Seigneur. Il ne s’agit pas d’une vague survie ni d’une réincarnation. Notre espérance en Jésus ressuscité s’enracine dans le témoignage des apôtres qui ont donné leur vie pour lui.

L’Évangile nous indique les conditions à remplir pour entrer avec Jésus dans la gloire céleste. Le Seigneur compare le Royaume des cieux à un groupe de jeunes filles qui se prépare à la célébration des noces. Lui-même se compare à l’époux qui est attendu. Ces jeunes filles doivent veiller pour partager la joie de la fête. Le moment venu, le cortège nuptial devait s’avancer avec des lampes allumées. C’est une manière de dire que nous nous préparons à cette grande rencontre en gardant notre cœur en état d’éveil.

Cette lampe qui doit rester allumée, c’est celle de notre foi et de notre amour. Au jour de notre baptême, nous avons reçu un cadeau extraordinaire. Mais ce cadeau, c’est un peu comme le téléphone portable : il faut le recharger chaque jour, sinon il ne sert plus à rien. Si nous voulons que notre vie porte du fruit, nous avons besoin d’être reliés au Christ. L’huile qui ne doit jamais manquer c’est la prière, la Parole de Dieu, les sacrements. Si nous n’avons pas cette huile, notre lampe s’éteint, notre vie ne porte pas de fruit.

L’histoire de ces jeunes filles prévoyantes et imprévoyantes nous fait penser à une autre parabole de l’Évangile : il s’agit de cet homme prévoyant qui écoute la Parole de Dieu et qui la met en pratique. Il est comparable à un homme qui a bâti sa maison sur le roc et qui ne craint ni le vent ni les torrents. Par contre, l’insensé, l’insouciant qui a construit sur le sable s’expose à la ruine. Au lieu de construire sa vie sur Dieu, il a construit sur des valeurs qui n’en sont pas. Il nous fait penser à celui qui dit : “Quand j’aurai du temps, il faudra que je remette de l’ordre dans ma vie.” Pourquoi remettre à “quand j’aurai du temps” ou à “quand je serai à la retraite ?”

Cet Évangile nous renvoie donc à notre vie : de quel côté sommes-nous ? Des prévoyants ou des insensés ? L’insensé a construit sa vie sur du sable. Il est victime de la folie de celui qui s’oppose à Dieu et qui l’a mis en dehors de sa vie. Il s’est détourné de Dieu. Les sages, les prévoyants sont ceux et celles qui ont choisi de s’installer dans la fidélité. Ils se sont nourris de la Parole de Dieu et des sacrements. Ils se sont donnés du temps pour la prière.

La première lecture est extraite du livre de la Sagesse. Elle nous donne le témoignage d’un croyant qui chante sa foi. À la lumière de l’Évangile, nous comprenons que la Sagesse dont il est question, c’est le Christ lui-même. Il apporte à tous ceux qui le cherchent lumière, joie et espérance. Il illumine notre vie et nous montre le chemin. Le Christ nous rend capables de l’accueillir lorsqu’il se présente dans notre vie. Il se présente chaque jour et nous sommes invités à l’accueillir avec amour et prévenance. Notre foi doit être une recherche, un désir de Dieu, une ouverture de nous-mêmes qui nous remet en route chaque jour.

La liturgie de ce dimanche nous rappelle que c’est l’amour de Dieu qui doit imprégner notre vie. C’est ainsi que nous entretenons notre désir de Dieu et de son Royaume. Cette provision d’huile précieuse nous est offerte chaque dimanche à la messe. La Parole de Dieu et l’Eucharistie sont une nourriture qui nous permet de rester en état de veille. C’est chaque jour que le Seigneur vient à notre rencontre pour nous modeler à son image. En ce jour, nous le supplions : “Toi qui es Lumière, Toi qui es l’Amour, mets en nos ténèbres ton Esprit d’amour”. Amen

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 5 novembre 2023

18.09.2022 – HOMÉLIE DU 25ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – ÉVANGILE SELON SAINT LUC 16,1-13

HOMÉLIE- ÉVANGILE DE LUC 16, 10-13

Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent

Le commerce, les affaires, les échanges entre nous peuvent vite devenir une religion ; l’économie – notre économie – est souvent un culte rendu au dieu argent. Le matraquage est intense : il faut maintenir la croissance ; il faut que cette humanité poursuive son élan vers plus de bien-être et de confort.

On peut, même avec un grand esprit de noblesse, voire par esprit de charité, de religion, faire de l’économie un dieu : « Vivement que l’on éradique la faim dans le monde » ; « Hourra, aux progrès de la science qui nous sauve » ; « Quelle avancée, si la vivacité économique pouvait nous procurer un revenu universel ! » …

Et c’est vrai que cette humanité a accumulé du bien, qu’elle a progressé en savoirs et qu’elle a gagné en bien-être : tout de même, on guérit de maladies – certaines ont même été éradiquées ; on possède aujourd’hui des médicaments très performants ; il n’y a plus chez nous de famines, on est en passe de triompher de la dernière pandémie et il y a le progrès social qui vient en aide aux plus démunis. Tout cela est indéniable. Il y a un indéniable bien fait de la croissance, tant scientifique, technique, qu’économique.

Mais de là à dire que le progrès, la science, l’économie et même la médecine nous sauveront … ce n’est pas plus vrai aujourd’hui qu’hier. Et ça ne le sera jamais. Jamais cette humanité ne se sortira de la souffrance et du malheur par ses propres efforts, fussent-ils, comme le progrès scientifique, admirables. Tout au plus, nos progrès, nos talents et nos richesses nous aideront-ils un temps à porter nos croix, un temps à endurer la souffrance. Mais au-delà … ?

Parce que c’est ça qui rend vain le culte des richesses et de l’argent, le culte du progrès économique, et même scientifique, c’est qu’ils ne durent qu’un temps ; qu’ils sont d’une efficacité limitée. Et sans doute aucune génération n’a été aussi consciente que la nôtre, que nous pourrions tout perdre – le climat, la paix sociale et la qualité de la vie – justement à force de progrès et de ce culte inouï de la croissance à tout prix, en guise de planche de salut. C’est avant tout la fureur économique – notre fureur économique – qui est la cause du dérèglement du climat et de la pollution à l’échelle planétaire.

Les lectures d’aujourd’hui nous invitent à réfléchir à notre relation aux richesses, aux biens – tant matériels qu’immatériels – que nous accumulons. Pourquoi désirer être riche ? Vouloir vivre dans l’abondance ? Accumuler des biens ? Et quelles conséquences sur notre monde, notre vie, notre relation à Dieu, que ce désir d’accumulation ?

Le prophète Amos était un berger et un cultivateur de sycomores. On est alors en 750 avant Jésus-Christ et la Terre sainte est divisée en deux royaumes. Amos est originaire du sud, du royaume de Juda – aride, désertique et pauvre – et il prêche au nord, au Royaume d’Israël – verdoyant, riche et en pleine croissance. Amos est un petit éleveur qui prêche contre les riches et les puissants, contre leur hypocrisie religieuse voire contre leur idolâtrie assumée. Ce qu’il dénonce c’est essentiellement la décadence morale et spirituelle de son temps, ainsi que les injustices sociales que la cupidité des riches provoque.

On retrouve des tonalités qui résonnent avec notre époque … où règne aussi ce sentiment d’une caste privilégiée qui s’arroge toute la puissance économique et dont le mode de vie effréné se fait au mépris affiché de l’écologie et du bien commun.

Paul pourtant nous encourage à prier pour les chefs d’États et tous ceux qui exercent l’autorité. Mais justement pour qu’ils assurent les conditions équitables de vie et de tranquillité.

Il y a deux types de croissances – Jésus l’évoque dans l’Évangile – il y a une croissance honnête, le juste fruit de nos efforts, la récompense espérée de notre travail et il y a une croissance malhonnête, boulimique, qui vise à accumuler de la richesse par le déséquilibre, au détriment des autres et de l’environnement.

D’où vient cette tendance, que nous avons tous plus où moins, de vouloir accumuler des biens, parfois en surnombre, jusqu’au gaspillage ou à vouloir toujours plus de moyens ou d’argent ; d’où vient notre tendance à la surconsommation, à désirer toujours plus posséder ?

Sans doute y a-t-il là quelque part la peur de manquer, la peur de souffrir, la peur de l’abandon matériel et finalement la peur de se détacher de ce monde. C’est avant tout pour se rassurer qu’on accumule des biens. De là à mettre sa foi dans l’épaisseur de son compte en banque, il n’y a qu’un pas …

C’est précisément alors qu’on a fait de l’argent, de l’opulence, du progrès matériel un dieu. On pense que l’argent nous donnera une vie meilleure, que l’abondance nous sauvera du malheur. Ce n’est pas vrai. Le réconfort matériel ne dure qu’un temps …

Penser que le bonheur de demain dépende de la richesse, de la santé, de la science même – de l’accumulation de savoirs et techniques – c’est une illusion. Le génie humain, fût-il économique, social ou scientifique, est un faux dieux. Car malgré lui, persiste le malheur. C’est spirituellement s’aveugler que de penser que la médecine, la science ou la croissance économique sauveront le monde ; comme c’est une illusion de penser que nos propres progrès humains, spirituels, écologiques, économiques voire scientifiques nous sauveront du malheur. C’est encore espérer rejoindre le Ciel en construisant de nos propres mains une tour, comme à Babel.

« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » nous dit Jésus. « S’attacher à l’un, c’est mépriser l’autre ». Nous ne nous croyons pas sauvés par de petites satisfactions, des jouissances éphémères ou des biens matériels – tout ça ne dure qu’un temps – au contraire nous voyons leur attachement comme des entraves qui nous empêchent d’accéder à la joie durable, au vrai bonheur, celui qui est éternel.

Nous ne nous croyons pas sauvés par de petites satisfactions, des jouissances éphémères ou des biens matériels – tout ça finit par disparaître – nous nous croyons sauvés par l’amour, et essentiellement l’amour de Dieu, qui lui ne s’éteint pas.

Au soir de notre vie, la médecine, la science et le progrès s’éteindront. Il arrive toujours, pour tous, un moment où la croissance matérielle est vaine, et l’espoir fondé sur elle anéanti …

C’est peut-être ce stade que nous avons atteint à l’échelle de l’humanité. C’est peut-être globalement que la croyance en un salut matériel s’effondre. Aujourd’hui, peut-être enfin, notre monde se rend compte que le culte matérialiste voué au progrès, à l’abondance et à la croissance économique est une idole qui finalement, au lieu de bonheur, conduit au malheur et à la désolation.

C’est aujourd’hui peut-être que l’impact du culte de l’argent se fait le plus globalement ressentir. Et c’est sans doute un bien-fait.

Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Source: RÉSURGENCE, le 13 septembre 2022

18.09.2022 – HOMÉLIE DU 25ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – ÉVANGILE SELON SAINT LUC 16,1-13

Homélie par l’Abbé Jean Compazieu

« Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ? »


Textes bibliques : Lire

Aujourd’hui, Jésus nous invite à réfléchir sérieusement sur deux styles de vie qui sont opposés : le style mondain et le style de l’Évangile, l’esprit du monde et l’esprit de Jésus. Pour nous aider à mieux comprendre son message, Jésus nous raconte la parabole du gérant infidèle et corrompu : ce dernier va être licencié pour faute grave ; désormais, il va se retrouver à la rue, les poches vides. Il réfléchit très vite à la meilleure solution. Il pense s’attirer la bienveillance des débiteurs de son maître en abaissant leur dette. C’est de cette manière qu’il choisit d’assurer son avenir.

Il est bien sûr hors de question d’approuver cette fourberie. Ce qui est mis en valeur, c’est l’habileté des “fils de ce monde”. Quand il s’agit de leurs intérêts personnels, ils savent trouver des solutions. Le Christ voudrait bien que les “fils de lumière” soient aussi habiles pour que l’argent serve à tous. Le pape François nous invite “à répondre à cette ruse mondaine par la ruse chrétienne, qui est un don de l’Esprit Saint”. Il s’agit de s’éloigner des valeurs du monde pour vivre selon l’Évangile.

À travers cet enseignement, le Christ nous appelle à choisir entre l’esprit du monde et lui, entre la logique de la corruption et de l’avidité et celle de la rectitude, de la douceur et du partage”. “Faites-vous des amis avec le malhonnête argent, afin que le jour où il ne sera plus là, ces amis vous reçoivent dans les demeures éternelles”. Sainte Teresa de Calcutta avait bien compris ce message : Ces amis, ce sont les plus pauvres parmi les pauvres, les miséreux, les exclus. À travers eux, c’est Jésus qui est là. Chaque fois que nous nous mettons à leur service, c’est lui que nous servons. La principale amitié qu’il nous faut chercher c’est celle de Dieu. Il est notre richesse suprême qui nous permettra d’être accueillis “dans les demeures éternelles”.

la première lecture nous adresse une proclamation percutante du prophète Amos. Il s’attaque durement aux désordres, aux inégalités et à l’exploitation des pauvres. Lui qui était éleveur de bétail s’y connaissait en ce qui concerne l’enrichissement des riches au détriment des pauvres. Il dénonce la  tromperie sur les marchandises. Quand on profite de la dépendance des plus faibles pour les exploiter encore plus, ce n’est pas tolérable. Ce n’est pas pour en arriver là que Dieu a fait alliance avec son peuple. À travers les opprimés et les exploités, c’est lui-même qui est frappé.

Amos n’est plus là mais son message est plus que jamais d’actualité : il faut savoir que plus de la moitié du patrimoine mondial est détenue par un pour cent de la population. Et que dire des magouilles en tous genres, des tromperies sur la marchandise, des arnaques sur Internet ? Si Amos était là, il dénoncerait l’esclavage actuel : Des hommes, des femmes et même des enfants travaillent de longues heures pour gagner à peine de quoi manger. Quand nous achetons les produits ainsi fabriqués, nous participons à cette injustice. Il est urgent que nous entendions l’appel d’Amos à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel.

Dans la seconde lecture, nous avons le témoignage de saint Paul. L’âpreté au gain, ce n’est vraiment pas son problème. Bien au contraire, il s’est mis au service de la foi et de la vérité. Il annonce un Dieu qui veut le salut de tous les hommes. Jésus est mort pour tous, y compris pour ceux qui exercent des responsabilités politiques. Paul demande que l’on prie pour tous les hommes et plus spécialement pour les responsables de notre  société : que ces derniers facilitent le climat de paix et de dignité dont notre monde a bien besoin. La vraie prière c’est de parler à Dieu de son projet, c’est entrer dans son projet et nous en imprégner. Avec lui, nous deviendrons capables de répandre la bonne nouvelle comme une traînée de poudre. Le moment le plus important c’est la messe du dimanche. On peut la comparer à une  vaste réunion de chantier. Ce chantier, c’est celui du Royaume de Dieu. Si nous voulons être fidèles au Maître d’œuvre, notre présence est indispensable.

Dans quelques jours, nous entrerons dans le mois du Rosaire : en communion avec tous les pèlerins de Lourdes et d’ailleurs, nous demandons à la Vierge Marie de nous aider à choisir le chemin juste. C’est avec elle que nous trouverons le courage d’aller à contre-courant pour suivre Jésus et son Évangile.

Abbé Jean Compazieu

Source: DIMANCHEPROCHAIN.COM, le 10 septembre 2022

24.07.2022 – HOMÉLIE DU 17ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 11,1-13

« Le jour où je t’appelle, réponds-moi Seigneur. »

Par le Père Jean Compazieu

Homélie


Textes bibliques : Lire


L’Évangile de ce dimanche nous parle de Jésus qui prie seul à l’écart. “Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean Baptiste l’a appris à ses disciples.” Et il répond : “Lorsque vous priez, dites : Père.” Ce mot est le secret de la prière de Jésus. Il est la clé qu’il nous donne lui-même. C’est ainsi que nous pourrons, nous aussi, entrer en dialogue confidentiel avec le Père qui l’a accompagné toute sa vie.

Les premières demandes nous disent que nous devons nous préoccuper de règne de Dieu, de sa gloire et de sa volonté. Nous sommes invités à donner toute sa place à Dieu dans notre vie. Il ne demande qu’à y exercer sa seigneurie d’amour. C’est dans notre vie que la sainteté de Dieu doit être manifeste. A travers ces demandes, nous exprimons notre reconnaissance au Père qui nous comble de son amour.

Trois autres requêtes viennent compléter cette prière que Jésus nous enseigne. Ces trois requêtes concernent le pain, le pardon et l’aide dans les tentations. C’est absolument important car on ne peut pas vivre sans pain ; on ne peut pas vivre sans pardon ni sans l’aide de Dieu dans les tentations. Mais saint Cyprien nous dit que le pain le plus essentiel c’est celui de l’Eucharistie. Nous devons souhaiter que les chrétiens se nourrissent de ce pain pour être transformés par le Christ. C’est là qu’ils trouvent la lumière et la force de sa grâce.

Le pardon est avant tout celui que nous recevons de Dieu : il se montre Père quand il libère nos cœurs et nous fait revivre. Nous sommes tous des pécheurs pardonnés par l’infinie miséricorde du Père. Ce pardon nous rend capables de gestes concrets de réconciliation fraternelle. Si nous ne reconnaissons pas que nous sommes pécheurs pardonnés, nous ne pourrons jamais accomplir des gestes de réconciliation fraternelle. C’est en accueillant le pardon de Dieu que nous apprenons à pardonner à nos frères.

“Et ne nous laisse pas entrer en tentation…” Nous savons que nous sommes tous exposés aux pièges du mal. Cette tentation c’est celle du désespoir ; c’est quand nous pensons que Dieu nous abandonne. Jésus nous apprend à nous tourner vers le Père pour lui demander de nous libérer de ce mal qui cherche à nous détruire.

L’enseignement de Jésus se poursuit par deux paraboles. Il rend pour modèle l’attitude d’un ami à l’égard d’un autre ami puis celle d’un père à l’égard de son fils. Nous y trouvons une invitation à avoir confiance en Dieu qui est Père ; il sait mieux que nous-mêmes de quoi nous avons besoin. Mais comme pour Abraham dans la première lecture, nous devons lui présenter nos demandes avec audace et insistance. C’est notre façon de participer à son œuvre de salut.

Comprenons bien : le but n’est pas de convaincre Dieu mais de fortifier notre foi et notre patience. C’est une lutte avec Dieu pour les choses importantes de notre vie. Comme Abraham (1ère lecture), nous sommes invités à nous tenir en présence du Seigneur ; la mission des communautés chrétiennes c’est précisément d’intercéder pour ce monde que Dieu a tant aimé. La prière que nous adressons pour eux à notre Père nous aide à changer notre regard sur eux. Comme Abraham, nous avons la ferme espérance que le petit reste des fidèles peut sauver la multitude.

Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus précise que ce qu’il faut surtout demander c’est l’Esprit Saint. C’était la prière des apôtres qui se préparaient à la Pentecôte. En communion les uns avec les autres, nous supplions le Père : Donne-nous ton Esprit Saint. Qu’il soit avec nous pour vivre cette semaine avec sagesse et amour en faisant la volonté de Dieu.

Dans sa lettre aux Colossiens, saint Paul nous rappelle que nous sommes associés à la victoire du Christ sur la mort et le péché. C’est au nom de cette bonne nouvelle que nous pouvons nous unir à sa prière confiante pour nous et pour le monde entier. Cette prière, nous la faisons passer par Marie. Toute son existence a été entièrement animée par l’Esprit de Jésus. Qu’elle nous apprenne à nous tourner vers notre Père avec confiance et persévérance.

Père Jean Compazieu

Source: DIMANCHEPROCHAIN, le 17 juillet 2022

24.07.2022 – HOMÉLIE DU 17Ème DIMANCHE – ÉVANGILE DE LUC 11, 1–13

Évangile de Luc 11, 1–13

Par le Fr Raphael Devillers

La Prière

Marie, la jeune sœur de Marthe, nous a rappelé la valeur primordiale de l’écoute de la Parole du Seigneur. Le croyant est un disciple qui écoute, qui apprend à connaître l’évangile afin de le vivre avec le maximum de fidélité. La relation étant un dialogue, en retour aujourd’hui, Jésus lui-même nous apprend à nous adresser à Dieu : c’est la brève et magnifique prière du « Pater » que nous avons tellement dite mais qui doit être reméditée afin de toujours mieux en comprendre le sens. Ainsi nous cesserons de rabâcher une formule et nous rectifierons nos intentions. Nous sommes habitués à la version de Matthieu : ce dimanche nous écoutons la version de Luc :

Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière.

Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : «  Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples ».

Luc est l’évangéliste de la prière et il montre fréquemment Jésus en train de prier. Il s’écartait du groupe des disciples car il avait besoin de solitude et de recueillement. D’abord dans la joie de partager l’intimité de son Père et de lui dire son affection de Fils. Et pour savoir avec précision comment il devait accomplir sa mission.

Les groupes religieux se donnaient une prière caractéristique – ainsi celui de Jean-Baptiste, dont le texte est perdu. Jésus va donc livrer une prière qui sera propre à ses disciples et qui pourra les centrer avec précision sur l’essentiel de leur attitude à l’égard de Dieu. Une fausse prière peut en effet, sous des dehors religieux, perturber l’image de Dieu. Le Pater est aussi enseignement et formation de la foi authentique.

La version donnée par Luc est brève, elle se compose d’une adresse, de deux vœux pour Dieu, et de trois demandes pour nous.

Adresse

Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : Père !

Le premier mot est sans doute le plus important : il exprime l’identité de celui qu’on appelle Dieu et la nouvelle condition de celui qui prie, celle d’un enfant qui se tourne vers son Père. D’emblée l’atmosphère de la. prière est donnée : amour, tendresse, confiance. D’un coup toutes les idoles de divinités terrifiantes à tête d’animaux (Égypte) ou projections des passions humaines (Grèce) s’écroulent.

Des Juifs convertis – à qui on avait toujours sévèrement interdit de prononcer le nom ineffable de YHWH – expriment leur allégresse d’oser prononcer ce mot : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : « Abba »(Père). Tu n’es donc plus esclave mais fils » (Gal 4, 6)… « Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions « Abba -Père »(Rom 8, 15)… « A ceux qui l’ont reçu, qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu »(Jn 1, 12). Et dans sa première Lettre, Jean revient à six reprises sur cette audace inouïe.

La foi chrétienne n’est pas une amélioration à coup d’observances : comme Jésus le disait à Nicodème, le pharisien, elle est une authentique re-naissance effectuée par le don de l’Esprit : « A moins de renaître, nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3, 3)

Vœux pour le Père : son être et son projet

Que ton Nom soit sanctifié,

Le fils ne commence pas par exprimer ses envies. Ce qui l’intéresse au premier chef, ce qui le passionne, c’est que son Père soit reconnu en vérité. KADOSH – Saint : la notion, fondamentale dans la Bible, n’est pas perfection morale mais séparation. Éternellement les Anges chantent en chœur : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur ». La tragédie de l’humanité est qu’elle nie cette présence insensible, la caricature en père Noël bonasse ou dictateur féroce, adore à sa place des idoles. La formule au passif signifie : « Sanctifie ton Nom », ne permets pas qu’il soit bafoué, renverse nos profanations. Connaître le Dieu Père et Saint est le salut de l’humanité. Si l’Église ne l’avait pas oublié, elle ne serait pas tombée dans les horreurs de l’inquisition, des croisades, de la persécution des Juifs, de l’obsession de sa propre grandeur.

Que ton Règne vienne.

La Sainteté de Dieu n’est pas retrait dans une transcendance impassible : Dieu créateur veut sauver les hommes du mal et son projet est d’instaurer peu à peu son Règne dans la liberté des personnes. Le disciple compatit de tout coeur au malheur de l’humanité : il supplie afin que les cœurs s’ouvrent à la miséricorde infinie. Voir les hommes s’entre-déchirer dans la haine, se détruire dans la guerre, s’écraser dans la cupidité et l’orgueil, ce spectacle excite sa douleur et le fait prier avec insistance.

Trois Demandes pour nous

Présent : Donne-nous le pain dont nous avons besoin chaque jour.

La prière n’est pas envol dans une spiritualité évanescente ni projection dans l’après-monde : elle naît au sein même de nos soucis fondamentaux. Le disciple demeure un homme assujetti aux besoins primaires : d’abord manger. Le disciple n’est pas paresseux, il travaille pour gagner son pain (Genèse) mais il reconnaît que la nourriture est un don de son Père. Cette prière l’empêche de se croire maître de tout et le met en garde contre la goinfrerie : il ne peut demander que le pain, c.à.d. l’essentiel. Il l’entraîne aussi à rendre grâce, à dire merci. Il lui rappelle qu’il fait partie du peuple en marche à travers le désert du monde et qui, de jour en jour, reçoit la manne. Cette demande n’est donc pas banale : elle apprend la simplicité, la reconnaissance, le respect de la nature, le souci du partage avec l’autre.

Passé : Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous.

Le disciple est conscient, sans culpabilité maladive, que sa foi ne supprime pas ses faiblesses. Mais il apprend un impératif essentiel : il doit d’abord, au préalable, pardonner lui-même à tous ceux qui l’ont blessé. Seulement ensuite il peut être certain que son Père lui pardonnera ses péchés. Il est remarquable que notre pardon aux autres est le seul acte laissé à notre responsabilité dans le texte du Pater. Il est d’une nécessité impérieuse.

Avenir : Et ne nous laisse pas entrer en tentation ».

A juste titre, la formule a été rectifiée car évidemment Dieu n’est pas un sadique qui nous mène au bord du gouffre pour que nous y tombions. Mais nous sommes dans un monde où bien et mal sont mêlés. Nous hésitons devant le dilemme et parfois le mal nous tente, nous paraît préférable. Le disciple expérimente sa faiblesse, il reconnaît la violence parfois terrible de cet attrait et il prie son Père de le remplir de force afin de résister. « Abba, pas ma volonté mais la tienne » priait Jésus en agonie à Gethsémani.

Parabole de l’ami importun

La prière a toujours posé un gros problème : pourquoi le Père si tendre ne nous exauce-t-il pas toujours ?

Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : «  Mon ami, prête-moi trois pains car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi et je n’ai rien à lui offrir ». Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : «  Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée : mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose ». Eh bien moi, je vous dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami et il lui donnera tout ce qu’il lui faut ». Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira.

Curieuse petite histoire. Le priant a l’impression de ne pas être entendu, même par « son ami ». Il est perdu dans la nuit, perplexe. Remarquez qu’il ne demande pas pour lui mais pour un autre qui a faim. Seule solution : continuer sans relâche, insister comme un casse-pieds. Jésus multiplie les verbes : demander, chercher, frapper. Notre problème n’est donc pas les « distractions » comme nous le pensons souvent (sujet jamais abordé dans toute la Bible) mais notre découragement trop rapide. Ce qui nous semble surdité de Dieu met à l’épreuve notre foi. Voilà qui questionne nos « intentions de prière » à la messe : expédiées en belles formules et aussitôt oubliées.

Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? Ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent ».

Nous croyons de bonne foi demander de bonnes choses mais nous ne connaissons pas tout. Il se pourrait que Dieu estime mauvais ce qui nous paraît dramatique, qu’il remette à plus tard ce qui nous semble urgent.. En tout cas, le don indispensable et jamais refusé est celui de l’Esprit-Saint : il nous donnera consolation dans la tristesse de l’échec et il nous réconfortera dans notre situation.

Fr Raphael Devillers, dominicain

Source: RÉSURGENCES, le 19 juillet 2022