05.02.2023 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATTHIEU 5,13-16

Évangile de Matthieu 5, 13–16

Les Béatitudes dans la vie sociale

Par le Fr. Raphaël Devillers, dominicain

Le texte des 8 Béatitudes est magnifique mais s’il n’est que mémorisé, récité, admiré comme un bel idéal ou si on le projette dans l’avenir, il n’a pas de valeur. C’est pourquoi Jésus immédiatement l’injecte dans l’actualité de ceux qui l’écoutent : « Vous êtes… ». Qui sont ces « vous » ?: évidemment ceux qui sont groupés sur la montagne, au premier chef les apôtres puis tous ceux et celles qui s’échelonnent sur la pente. Donc le premier devoir est de s’approcher de Jésus afin de bien l’écouter et de l’interroger pour mieux comprendre son message. Ne croyons jamais que nous savons un texte : il a été dit afin d’être expliqué et appliqué.

Le danger en effet chez beaucoup de baptisés est de ne recevoir la foi que comme un héritage familial, une façon de joindre une vie honnête avec l’observance de certains rites religieux et de se considérer ensuite comme « pratiquants». Or l’enseignement fondamental de Jésus commence par ordonner un changement de vie, il bouscule notre tranquillité routinière et nous pousse dans un Royaume où nous n’entrons que par nos actions. La foi « chrétienne » (il faut toujours le préciser) s’incarne dans la vie quotidienne et elle nous fait jouer un rôle capital dans l’existence du monde.

En conclusion des Béatitudes, Jésus précise donc les effets sociaux indispensables accomplis par ceux et celles qui les pratiquent : le sens de la vie, sa préservation, la lumière.

Le Sel

Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.

Extraordinaires sont les progrès que l’humanité a réalisés notamment depuis deux siècles. Maîtrise des forces cosmiques, victoire sur les dangers, amélioration de la santé, longévité : nous semblions en route vers un bonheur de plus en plus grand. Or aujourd’hui des crises éclatent de tous côtés et même le risque de destruction se précise. Les malaises, les dépressions, les suicides se répandent. Consommer davantage, se perdre dans les divertissements, être hypnotisés par les écrans : on courait mais on allait droit dans le mur. Notre modèle occidental de vie montre ses failles, dévoile son vide, se révèle absurde et mortifère. On nous préparait un banquet …mais il était fade, sans goût, immangeable.

Par l’image du sel, Jésus montre bien le rôle indispensable des Béatitudes. Par leur pratique, la vie quotidienne prend un sens, une signification. S’ouvrir à l’amour de Dieu dilate nos cœurs, et donne le goût de vivre. En outre, dans l’antiquité, le sel servait aussi à préserver un peu mieux la nourriture. « Une alliance de sel » désignait un traité plus solide, plus durable. L’évangile fait agir dans la durée, éloigne la corruption.

Il est remarquable que Jésus ne s’acharne pas contre les méfaits de ce monde, mais il met en garde ceux qui l’écoutent. Le danger n’est pas que le monde aille de plus en plus mal : c’est que nous, qui nous disons disciples de Jésus, nous ne mettons pas en pratique son message à la hauteur des périls qui le menacent. Si l’évangile perd sa force de frappe, s’il devient fade, si, comme dit le pape, l’Église n’apporte qu’un message soft, doucereux, tranquille, émollient, comme du talc, alors il ne sert à rien.

Nous croyons que l’Église souffre des attaques de la société moderne sécularisée. Mais peut-être que beaucoup l’ont quittée parce qu’elle avait perdu son tranchant, parce qu’elle n’assaisonnait plus la famille, l’entreprise, la société. Que ses dirigeants ne craignent pas d’insister sur les exigences premières et de pousser à l’acte nécessaire. On n’annonce pas l’évangile pour flatter l’auditoire mais pour le guider vers plus de vérité. De ce fait il bouscule nécessairement.

La Lumière

« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau mais sur son support et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même que votre lumière brille aux yeux des hommes pour qu’en voyant vos bonnes actions, ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux ».

Énorme affirmation ! La vie construite sur les béatitudes et l’enseignement de Jésus Seigneur n’est pas la religion particulière d’un peuple ni une option parmi d’autres. Elle est le vrai chemin de toute l’humanité jusqu’à la fin des temps.

Depuis Babylone, les hommes ont toujours créé des villes somptueuses, des mégapoles illuminées, rayonnantes de richesses mais toutes sont rongées par des foyers de violence, de traite des personnes, de pornographie, de luxe éhonté. Au contraire la communion de ceux qui pratiquent l’évangile constitue comme une ville illuminée que l’on aperçoit de partout et qui indique le chemin à suivre pour sortir des ténèbres et vivre comme Dieu le demande.

Et chaque vrai croyant n’a pas le droit de conserver seulement ce message dans sa mémoire : il se doit de le prendre comme un programme qui le pousse à l’action. Qu’il constate les dérives de la civilisation, qu’il souffre des malheurs des multitudes égarées dans les ténèbres des mensonges si souvent prônés par les médias. Et qu’il voit clairement qu’obéir à Jésus Seigneur est la Bonne Nouvelle. C’est dans l’action que nous recevons le véritable « bonheur ».

Par là, nous ne cherchons pas à nous faire remarquer ni à nous attirer des compliments. Au contraire, comme l’affirme la 8ème béatitude : « Vous serez persécutés » parce que vous vous ajustez à la Volonté du Père et que le monde préfère se laisser manipuler par les puissances du mal, de la cupidité, de la haine.

Mais en persévérant dans les épreuves, votre foi brillera davantage et les hommes – « en voyant vos bonnes actions » – seront conduits à rendre gloire à Dieu le Père. A 17 reprises, ce titre reviendra dans le Sermon sur la montagne et il en sera le coeur avec la révélation centrale du « Notre Père ». Ainsi viendra la paix entre tous ceux qui du coup se reconnaissent comme « frères ».

Conclusion

Ces deux petites paraboles semblent peut-être anodines à beaucoup : tellement entendues qu’elles ne disent plus rien. Or énoncées dès le début du grand enseignement essentiel de Jésus, elles disent :

« Faites bien attention ! Loin des grandes écoles philosophiques, proclamé par un artisan juif à des gens très simples, ce message est appelé à rien moins qu’à changer la face du monde ! Il déboulonne les idoles qui, sous de fausses apparences, font dérailler l’existence des multitudes. Il passe toutes les frontières nationales, culturelles, raciales pour que quiconque puisse entrer dans le Royaume de Dieu et en devenir acteur ».

Effectivement c’est ce qui s’est produit. Jésus a l’audace d’assurer que son enseignement donne le sens véritable à la vie, qu’il construit une existence solide et durable, qu’il rassemble les disciples en une communion vitale, qu’il doit absolument s’incarner dans de bonnes actions qui ouvrent les yeux sur la présence et l’action d’un Dieu Père.

Que les pasteurs prennent donc garde à ne guider que des célébrations ronronnantes et des catéchèses théoriques. L’enjeu est fondamental : il y va de l’avenir même du monde ! En commençant sa mission, Jésus en était conscient : ce qu’il disait allait stupéfier, crisper, et même éveiller la haine chez certains. Le Père ne pouvait être annoncé qu’à travers les « per-sécutions ».

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Source : RÉSURGENCES.BE, le 32 janvier 2023

05.02.2023 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATTHIEU 5,13-16

Heureux qui, par l’Esprit, donne du goût à la vie et éclaire le monde !

Homélie

Par l’Abbé Jean Compazieu


Testes bibliques : Lire


Les textes bibliques de ce dimanche nous révèlent un Dieu qui nous guide vers la vraie Lumière. Le prophète Isaïe (1ère lecture) s’adresse à un peuple qui revient d’une longue captivité. Il reste encore des douloureuses séquelles de cette terrible période. Malgré tout, la pratique religieuse s’est remise en place. Pleins de bonne foi, ces gens veulent plaire à Dieu. Mais il y a un problème ; et c’est là qu’Isaïe intervient. Beaucoup pensent que Dieu attend les plus somptueuses cérémonies et les meilleurs fruits de la terre. C’est normal qu’on veuille se prosterner devant le créateur du ciel et de la terre.

Mais le vrai Dieu n’est pas comme cela ; il n’exige rien pour lui ni pour sa gloire personnelle. Son bonheur c’est de voir que le droit et la justice animent les relations entre nous. Sa grande joie c’est que nous vivions ensemble comme des frères. Notre attention doit se porter vers les plus faibles et les plus pauvres : “Partage ton pain avec celui qui a faim…. Ne te dérobe pas à ton semblable.” Nous ne pouvons pas aimer Dieu sans aimer le prochain. Le Dieu de la Bible est un Dieu libérateur et miséricordieux. Ce qu’il nous demande c’est d’avoir le même comportement. C’est important car nous sommes faits pour être à l’image de Dieu.

L’apôtre Paul (2ème lecture) a lui aussi le souci de nous montrer celui qui est la vraie lumière. Son message n’a rien à voir avec la sagesse des hommes. Lui-même n’est pas un “accrocheur” à la parole convaincante. Contrairement aux gens de Corinthe, il n’a rien d’un tribun éloquent. II n’a aucun don pour manier les foules. Mais il croit en l’amour fou d’un Dieu qui se laisse crucifier. Pour les corinthiens, c’était inimaginable. Et pourtant, c’est de cela qu’il veut témoigner de toutes ses forces. Il ne cherche pas à convaincre les foules avec des arguments humains. Mais il croit en l’Esprit Saint qui agit en lui et par lui. Il a compris que la foi ne repose pas sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu.

Que pouvons-nous retenir de ce texte ? On parle actuellement de nouvelle évangélisation. Le pape François nous recommande souvent de rejoindre les “périphéries”. Mais aujourd’hui comme aux premiers temps, il y a une chose que nous ne devons jamais oublier : ce n’est pas nous qui agissons dans le cœur des gens ; c’est le Christ qui agit en nous et par nous. Il nous envoie son Esprit Saint pour que notre témoignage porte du fruit. Ce qui nous est demandé comme à Paul, c’est de nous effacer devant celui que nous montrons. Si nous recherchons l’admiration, la considération et la popularité, nous faisons fausse route.  C’est la foi qu’il s’agit de susciter en témoignant du Christ mort et ressuscité.

Dans l’Évangile, nous voyons des disciples rassemblés autour de Jésus sur la montagne. Il leur dit : “vous êtes la lumière du monde”. C’est aussi cela qu’il redit à chacun de nous qui sommes rassemblés autour de lui. C’est à nous, disciples du Christ, d’être des reflets authentiques de la vie e t de l’enseignement de Jésus. Il nous confie d’être ce qu’il est lui-même “lumière du monde”. C’est toute la communauté chrétienne qui est appelée à devenir “lumière des peuples”. Il s’agit pour nous de nous engager activement dans des actions de salut, de libération et de défense des pauvres.

En écoutant ce message, nous pensons bien sûr à ceux qui exercent un ministère dans l’Église. Ils sont amenés à proclamer explicitement le message de l’Évangile. Mais il y a une autre forme de témoignage qui peut se passer des mots de la foi : c’est celle du rayonnement de la vie. Avant d’écouter les chrétiens, on les regarde vivre. S’ils ont le sens de l’accueil, du partage et de la solidarité, leur vie parlera plus que leurs paroles. Dans son Évangile, Matthieu insiste très fortement sur ce point : que la vie des chrétiens, leurs actes et leurs “belles actions” aient une force d’attraction, de rayonnement et d’attirance.

Nous vivons dans un monde de laïcité, de sécularisation et d’indifférence. Dans beaucoup de pays, les chrétiens sont persécutés bien plus qu’aux premiers siècles de l’Église. Dans ces conditions, il est difficile de parler explicitement du Christ et de l’Évangile. Mais nous pouvons témoigner par “la beauté et la bonté de nos actions”. Cet appel nous rejoint dans notre vie de tous les jours : appel à refuser la colère et la haine dans nos relations humaines, appel à nous réconcilier avec nos frères, volonté d’aimer ses ennemis et de prier pour eux. Le Seigneur n’attend pas de nous de belles paroles mais une “belle conduite”, un comportement ” bon et beau “.

C’est notre façon de vivre et de “bien agir” qui doit poser question à tous ceux et celles que nous rencontrons. En venant à l’Eucharistie, nous sommes accueillis par celui qui est la Lumière du monde. C’est parce que nous sommes rassemblés autour de lui “sur la montagne” que nous pouvons devenir à notre tour Lumière du monde. C’est lui qui nous envoie pour être ses témoins dans ce monde qui en a bien besoin. En ce jour nous le supplions : “Toi qui est lumière, Toi qui est l’amour, mets dans nos ténèbres ton esprit d’amour.” Amen

Abbé Jean Compazieu

Source: DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 29 janvier 2023