28.04.2024 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE DE PÂQUES – JEAN 15,1-8

L’amour divin comme sève

Par le Fr. Laurent Mathelot

La semaine passée, j’ai essayé de monter ce que l’image du Bon Pasteur recelait de tragique, en quoi Jésus était le pasteur qui accompagnait ses brebis au sacrifice. L’image du Christ qui emmène son troupeau sur des prés d’herbe fraîche n’efface pas sa conclusion systématique, à savoir que toutes ces brebis finiront sacrifiées. L’agneau n’est jamais un animal de compagnie pour les Hébreux.

Cette image du Bon Pasteur qui accompagne son troupeau au sacrifice est renforcée quand Jésus dit « Moi, je suis la Porte des brebis » (Jn 10, 9), cette petite porte de la muraille de Jérusalem, par laquelle entraient les animaux qui allaient être sacrifiés au Temple. La conclusion dès lors est simple : tous vos sacrifices passent par moi.

Et en effet, le sacrifice de soi n’est acceptable que par amour. Autrement, c’est-à-dire quand le sacrifice nous est imposé, nous devenons des boucs-émissaires et des victimes. L’idée du Christ qui nous précède et nous accompagne dans tous nos sacrifices – les plus petits comme les plus grands – l’idée que le Christ, au moment où nous souffrons, partage nos souffrances, est une voie pour trouver en toutes circonstances la force d’aimer.

Dans l’Évangile d’aujourd’hui une autre image – non plus animalière mais végétale – celle du Christ comme la vigne que Dieu plante sur la Terre, dont nous sommes les sarments qu’il cultive. Cette image va nous permettre de comprendre comment trouver cette force d’aimer en toutes circonstances.

Le fil rouge que nous allons suivre est celui de la sève qui, précisément, est ce qui unit les sarments à la vigne. En effet, dans la parabole, Dieu est le vigneron et il considère les fruits de sa vigne comme ceux de son amour. La sève fonctionne donc ici comme l’amour de Dieu, que le Christ transmet à ses disciples. C’est la force de cette sève qui nous sauve, mais pas seulement, il y a aussi notre soif de cette sève. Dieu ne nous sauvera pas sans notre adhésion.

Sur les huit verset que nous venons de lire, sept fois, le Christ dit « Demeurez en moi » : « Demeurez en moi, comme moi en vous » ; « Demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous » ; « celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit », « car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire ». Cette imbrication mutuelle du Christ en nous et de nous dans le Christ est la clé pour trouver la force d’aimer en toutes circonstances que nous cherchons.

Que le Christ soit en nous, c’est la partie facile de l’équation. Il s’est complètement donné à nous dans notre baptême. C’est évidement l’autre partie qui est la plus difficile à résoudre : faire en sorte que nous soyons dans le Christ, que nous l’incarnions.

Mais il ne nous est pas demandé d’être immédiatement conformes au Christ, à son commandement d’aimer comme Dieu aime. Il nous est simplement demandé de commencer à porter du fruit. « Tout sarment qui porte du fruit, (mon Père) le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage. » A force d’amour, Dieu nous affine. Il élague en nous ce qui n’est pas porteur. Il enlève tout ce qui consomme de la sève en vain, notre consommation égoïste de l’amour, sans fruits.

Si nous revenons à notre idée initiale, à savoir comment trouver la force d’aimer en toutes circonstances, nous voyons que c’est par l’habitude de se nourrir de la sève du Christ et par la docilité à la taille par Dieu.

Au fur et à mesure que nous considérerons l’amour du Christ comme vital pour nous, nous chercherons à demeurer en sa présence. Et c’est ce qui nous donnera, aux moments de la souffrance voire de la mort – au moment des sacrifices – la certitude que, tant que nous vivons, il est là et nous sommes encore en lui, plus proches de lui que tout ce qui nous concerne et nous affecte, aussi proche de lui que l’est de nous la moindre sève de vie. Je crois qu’il est important de travailler ce sentiment-là : considérer le Christ comme vital pour nous, plus vital que l’air que nous respirons ou l’amour de ceux que nous aimons. Alors le moindre signe de vie en nous évoquera sa présence.

La peur des sacrifices et de la mort s’efface devant la présence du Christ à nos côtés, c’est le fondement de notre espérance et le don reçu à notre baptême. Mais cette disparition, dans les moments de douleur, de la peur au profit de l’amour ne va pas de soi. Il est facile de s’abandonner au désespoir, et pour certains à la révolte voire la haine, quand la souffrance prend terriblement le dessus.

Nous poursuivrons notre réflexion la semaine prochaine, en creusant la question : comment trouver, au-delà de toute souffrance, l’amour ?

Fr. Laurent Mathelot

Source : RÉSURGENCE.BE, le 24 avril 2024

28.04.2024 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE DE PÂQUES – JEAN 15,1-8

Demeurer en Jésus

Homélie par l’Abbé Jean Compazieu

Textes bibliques : Lire 


En ce 5ème dimanche de Pâques, la liturgie nous parle de l’Église et de sa naissance. Saul, le persécuteur, est devenu Paul, le grand témoin de la foi (1ère lecture). Il lui faudra beaucoup de temps pour se faire accepter car sa présence rappelait trop de mauvais souvenirs. Ne se sentant pas à l’aise dans les milieux conservateurs de Jérusalem, il a choisi de partir vers les grands larges. Grâce à son témoignage et surtout grâce à l’action de l’Esprit Saint, la bonne nouvelle a pu être annoncée au monde païen. Rien n’arrête les progrès de l’Église. Voilà un message d’espérance pour nous chrétiens d’aujourd’hui. L’Esprit Saint ne cesse d’agir pour que notre témoignage donne du fruit.

Le problème c’est notre péché et celui du monde. Trop souvent, nous croyons qu’au point où nous en sommes, rien n’est possible. Mais, nous dit saint Jean (2ème lecture) “si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur”. Si nous fixons notre regard sur Dieu, nous avons la certitude d’être aimés, même si nous sommes de grands pécheurs. Forts de cette certitude joyeuse, nous pourrons à notre tour regarder les autres avec amour. Nous ne nous contenterons pas de paroles creuses mais nous aimerons les autres en esprit et en vérité ; ou plutôt, c’est le Christ qui les aimera en nous et par nous.

L’Évangile de saint Jean insiste sur la nécessité d’être reliés au Christ comme le sarment est relié à la vigne. Jésus se présente à nous comme “la vraie vigne”. Il insiste sur le lien vital qui doit exister entre lui et son disciple. Nous savons qu’un sarment ne peut vivre s’il est coupé du cep de vigne. De même, un disciple qui ne demeure pas en Jésus ne peut rien faire. Il n’a aucune utilité. Mais s’il est bien relié à son Seigneur, il donnera beaucoup de fruits. 

Il y a un mot qui revient sept fois en quelques lignes, c’est le verbe “demeurer”, au sens de “vivre avec”. Demeurez en moi, vivez avec moi. Il s’agit pour nous d’être vraiment attachés au Christ par la foi. Croire en lui, c’est une conversion de toute une vie, c’est une communion permanente. L’apôtre Paul nous le dit à sa manière : ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi” (Ga 2, 20). Plus simplement, un jeune écrivait sa relation au Christ en disant : “Je ne peux plus me passer de lui, de sa présence, de son aide”. On est loin de ceux qui se contentent de quelques vagues gestes religieux.

Alors se pose l’inévitable question : Demeurer en Jésus, oui mais comment ? Comment pouvons-nous être sûrs de le rencontrer ? Cela ne se passe pas comme avec notre voisin de quartier ou de village. On ne rencontre pas Jésus en direct mais par des intermédiaires. Il nous faut trois chemins pour cela : Celui de la Parole de Dieu, celui de la prière et des sacrements et celui de la vie quotidienne.

Le chemin de la Parole de Dieu : Pour demeurer dans le Christ, il nous faut demeurer dans sa Parole. Il faut se donner du temps pour l’accueillir. Cette Parole de Dieu nous est donnée par la Bible, l’Évangile, une revue, un livre religieux, une radio chrétienne ou une émission religieuse de la télévision. Et bien sûr, nous n’oublions pas celle qui est proclamée au cours de la messe du dimanche. Nous devons nous interroger ? Est-ce que nous nous donnons du temps pour accueillir cette Parole ? On ne dira jamais assez l’importance du catéchisme pour les enfants, d’une aumônerie ou d’une équipe de réflexion pour les jeunes. Et pour nous, adultes, c’est aussi important de prendre le temps d’une réflexion, seuls ou avec d’autres, sur cette Parole de Dieu.

Le deuxième chemin pour demeurer dans le Christ, c’est celui de la prière et des sacrements. Pour demeurer en sa présence, il faut lui parler et l’écouter. C’est la prière fidèle, régulière et fréquente, pas seulement une “petite prière” de temps en temps. On s’entretient avec Jésus pour lui confier quelqu’un ou pour lui dire merci ou encore pour lui demander d’éclairer notre vie. Mais quand on parle d’entretien, c’est aussi la maintenance, par exemple l’entretien de sa voiture. La prière nous aide à maintenir l’évangile en état de marche dans notre vie. Et enfin, dans la prière, on “s’entre-tient”, on se soutient les uns les autres; on prie les uns pour les autres, les uns avec les autres.

La prière nous aide donc à rester en communion avec le Christ. Cette communion se réalise aussi par les sacrements, en particulier l’Eucharistie. Nos évêques nous l’ont souvent rappelé : elle est source et sommet de toute vie chrétienne et de toute évangélisation. Elle nous donne d’être unis au Christ, de faire corps avec lui. Nous y recevons son amour pour en vivre dans notre vie de tous les jours.

Troisième chemin, celui de la vie quotidienne : Pour demeurer dans le Christ, il n’est pas question de quitter notre vie de tous les jours ni de fuir ce bas monde. Ce qui nous est demandé c’est de nous y enraciner et de porter du fruit. Ce qui fait la valeur d’une vie, ce n’est pas les belles paroles mais l’amour mutuel, les gestes de partage, d’accueil et de solidarité.

En ce dimanche, Seigneur, nous nous sommes rassemblés pour nous nourrir de ta Parole et de ton Eucharistie. Tu ne cesses de rejoindre les communautés réunies en ton nom. Garde-nous vraiment reliés à toi pour que notre mission porte les fruits que tu attends de nous. 

Abbé Jean Compazieu

Source: DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 20 avril 2024

10.09.2023 – HOMÉLIE DU 2ÈME DIMANCHE DE L’AVENT B – MARC 1,1-8.

Les terres arides

2ème dimanche de l’Avent — 10 décembre 2023 , par le Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Marc 1, 1-8

On sent de l’empressement dans le texte du Livre d’Isaïe : « Parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli ». C’est l’accomplissement d’une délivrance … Le contexte est celui du retour de l’exil à Babylone ; on est au VIe siècle avant Jésus-Christ ; le peuple marche dans le désert pour rentrer à nouveau en Terre promise. Cette partie du Livre d’Isaïe s’appelle le Livre des consolations. Et nous aussi, aujourd’hui, nous marchons dans le désert. Et nous aussi, aujourd’hui, nous avons besoin de consolations.

Ce qu’il y a de remarquable dans ce texte, donc, c’est son empressement. Pour Isaïe, la marche au désert est déjà la consolation : « préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu ». Avec des images simples, le prophète nous montre la mécanique de toute conversion : les chemins de délivrance sont des terres arides, parfois escarpées, qu’il convient d’aplanir telle une rampe vers le temple de Dieu. C’est la perspective d’arriver de nouveau en Terre promise qui fait déjà de la marche au désert une consolation. Et c’est ce que Jean le Baptiste avait très bien compris. Nous allons y revenir.

La vision de la progression spirituelle comme un territoire que l’on parcourt, celle du bonheur comme une terre que l’on rejoint est classique dans la Bible. Ce qu’annonce ici Isaïe c’est que les états de l’âme précèdent ceux du terrain à mesure que la vision de l’âme est plus claire. Ils sont au désert ; la route est certes pénible mais la perspective de la délivrance, de l’arrivée en Terre promise les emporte. L’Esprit devance l’action. Retenons ceci du Livre des consolations : un chemin de conversion, aussi aride soit-il, c’est déjà la délivrance.

La seconde lecture, celle de la deuxième lettre de Pierre, aborde cette dynamique de la conversion sous l’angle temporel. Le chemin est ici un temps de patience ; l’entrée en Terre promise est vue comme « le jour du Seigneur », précisément le jour final où disparaît le temps, le jour où le sentiment d’éternité, de paix, gagne enfin. Pour Dieu, « un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour ». C’est une description du bonheur, où le temps n’importe plus ; alors que, dans le malheur, chaque seconde compte. Le temps n’en finit pas pour celui qui souffre, chaque jour est un effort, alors qu’en plein bonheur, le temps ne compte plus et nous touchons au sentiment d’éternité. Le psaume décrit cet état de bonheur : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».

Dans l’Évangile, Jean le Baptiste reprend cette idée d’Isaïe – qu’il cite – de la spiritualité qui se vit comme un territoire que l’on parcourt, où les montagnes représentent ces moments où nous touchons au divin et les ravins nos dépressions.

Jean est ce fils de bonne famille, issu de l’élite sacerdotale, qui dénonce l’hypocrisie de son milieu, lequel accepte l’occupation romaine pour sauver les apparences du culte. Alors Jean retourne au Jourdain pour signifier que le pays d’Israël est devenu lui-même une terre d’exil, qu’il faut à nouveau entrer en Terre promise et que cette nouvelle terre – ce nouveau territoire où Dieu vit désormais – c’est notre corps. En cela – et c’est ce que le texte veut que nous comprenions – il est le précurseur du christianisme. Par le baptême, notre corps devient une Terre promise, un temple, le lieu par excellence où Dieu se rend présent.

Le temps de l’Avent est un temps où nous explorons les recoins de notre âme comme on explore un territoire pour en aplanir les escarpements, combler les fossés, rendre droites nos routes sinueuses, nos idées tordues, nos égarements.

Cette vision de notre esprit comme un lieu à découvrir, à parcourir, à entretenir comme un jardinier, voire à parfois terrasser comme un entrepreneur ; cette considération de notre âme comme un lieu où Dieu veut naître, s’incarner et vivre ; nous incite, en ce temps de l’Avent, à nous voir comme des crèches vivantes ; à transformer l’étable parfois encombrée de notre esprit en un lieu où Dieu peut naître et vivre fragilement. Notre âme doit être, au moins, une petite mangeoire où loger la divinité naissante, un lieu clair dans notre esprit parfois troublé où peut vivre, comme un petit enfant, l’amour divin.

Aujourd’hui les temps sont troublés : nous affrontons avec difficultés l’urgence climatique ; la pandémie a eu un impact psychologique mondial qui persiste ; les idéologies maintenant se radicalisent et partout des guerres éclatent. L’humanité est actuellement fortement inquiète, ce qui n’est pas sans nous troubler l’âme, révélant ainsi nos propres escarpements, approfondissant nos gouffres intimes et, pour beaucoup, élargissant nos failles. Notre monde s’enfonce dans l’individualisme et, petit à petit, le lait et le miel de nos relations sociales se changent en aridité et en soif. Les temps actuels nous poussent à une plus grande solitude d’âme. Et désormais plus seuls avec nous-mêmes, nous nous affrontons plus souvent à cet encombrement spirituel, aux parts d’ombre qui sont les nôtres, à ce que notre âme n’est pas encore prête à ne rayonner que la seule présence de Dieu. Trop souvent, au lieu de voir, comme Isaïe, notre marche au désert actuelle comme un chemin de délivrance – et donc de joie –, nous récriminons. Qui fréquente les réseaux sociaux se rend compte que notre époque est à la lamentation. 

Malgré les inquiétudes, les souffrances, la faim d’autrui et la soif d’amour, malgré l’aridité du chemin, voici le temps de la conversion lumineuse ; le temps de se désencombrer l’esprit ; le temps d’apprêter son cœur ; le temps de faire de son âme une crèche et d’y voir l’aboutissement du chemin.

Aplanissez ce chemin ; rendez droite la route qui va de votre esprit à votre cœur ; voyez votre âme comme un lieu sacré, où vit ce petit enfant – vous ! – qui ne veut vivre que d’amour divin. Notre monde en a urgemment besoin.

C’est un temps de l’Avent particulier et Noël le sera aussi : actuellement, l’humanité se déchire de guerres et nous prions pour la paix. Mais si nous gardons à l’esprit que cet enfant qui incarne l’amour de Dieu vit en nous, et que toute traversée du désert est un chemin vers cette présence intérieure, alors nous retrouverons l’espérance et la joie.

Seigneur, fais de mon cœur une crèche où tu viens au monde.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 6 décembre 2023

10.09.2023 – HOMÉLIE DU 2ÈME DIMANCHE DE L’AVENT B – MARC 1,1-8.

Pistes pour l’homélie de l’Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


Tout au long de la nouvelle année liturgique, la liturgie nous fera entendre l’Évangile selon saint Marc. Aujourd’hui, nous en lisons le commencement. “Commencement”, c’est d’ailleurs le premier mot de cet Évangile. Cela nous renvoie au premier récit de la Création dans le livre de la Genèse : “Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre (Gn 1, 1). C’est une manière de dire que Dieu est le commencement de toutes choses. L’Évangile de Marc nous invite à accueillir Jésus qui fait toutes choses nouvelles. Le chrétien c’est quelqu’un qui commence chaque jour et à toute heure de la journée.

L’Évangile de saint Marc nous présente le “commencement de la bonne nouvelle de Jésus Christ Fils de Dieu”. C’est donc Dieu lui-même qui vient en la personne de Jésus. Cet Évangile s’ouvre par la prédication de Jean Baptiste : “À travers le désert, une voix crie… et Jean Baptiste parut dans le désert”. Alors, on peut se poser la question : pourquoi avoir choisi le désert pour annoncer cette bonne nouvelle ? Pourquoi n’avoir pas choisi un lieu de passage des foules ?

En fait, il y a plusieurs raisons : dans le monde de la Bible, le désert, c’est un lieu symbolique très fort. C’est le lieu de la rencontre avec Dieu. C’est dans cet espace dépouillé qu’il parle au cœur de l’homme pour l’inviter à se convertir : “Préparez les chemins du Seigneur, aplanissez sa route…” Nous voici donc mobilisés. Nous devons nous arracher à nos fauteuils confortables, retrousser nos manches et mettre la main à la pâte. Se convertir, c’est sortir de nos habitudes sclérosées et de nos lamentations stériles. Jean Baptiste nous recommande d’aplanir la route. Il s’agit d’enlever tous les obstacles pour que le Seigneur puisse passer et que nous puissions le rejoindre.

Le désert est aussi le symbole de l’aridité de nos cœurs. Nous le voyons bien tous les jours : nos cœurs ressemblent souvent à cette terre aride, altérée et sans eau. Pensons à tous ces déserts d’humanité où l’homme est devenu pire qu’un loup pour l’homme, déserts de dignité dans lesquels des hommes et des femmes sont traités comme du matériel qu’on utilise et qu’on jette. Et nous n’oublions pas les nombreux déserts de solitude, les déserts d’amour de ceux qui ne savent pas aimer et ne se sentent pas aimés. Dans tous ces déserts, nous voyons des hommes qui n’arrivent pas à se comprendre ni à se supporter.

Or c’est là que le Christ nous rejoint pour venir nous chercher. L’Évangile commence dans les déserts de nos vies. Dans le sable du désert, il n’y a pas de vie. Mais dès qu’il pleut, le sol se recouvre de végétation et de fleurs. De même, sans la présence du Seigneur, nos vies sont desséchées. Mais Dieu ne nous abandonne pas. Ce qu’il sème en nos cœurs ne meurt jamais. A la première occasion favorable, il se révèle pour transfigurer notre vie.

Dans la première lecture, nous lisons un message de consolation. Cette consolation commence à se réaliser avec la proclamation du prophète Isaïe. Elle s’adresse à un peuple qui souffre de son exil en terre étrangère : Il a été écrasé, humilié. Mais la situation est en train de changer. Dieu va sauver son peuple. Chacun est invité à se redresser et à se reprendre vigoureusement en main. Il s’agit de collaborer ensemble au projet de Dieu qui veut sauver son peuple et lui manifester sa gloire. L’Église d’aujourd’hui nous invite à maintenir le cap sur Dieu. Avec force et parfois avec angoisse, elle reprend le cri des prophètes : “Voici votre Dieu qui ne cesse de vous aimer.”

La seconde lecture est de l’apôtre Pierre. Il s’adresse à des chrétiens qui trouvent que le jour du Seigneur “a du retard”. Il lance une vigoureuse mise en garde contre l’affadissement de l’espérance. Le délai qui nous est laissé doit être accueilli comme un signe de l’infinie patience de Dieu. Il laisse à chacun la possibilité de se convertir. Si le Seigneur prend du temps, c’est pour laisser à l’humanité le temps de murir. Mais une chose est sûre : le jour du Seigneur viendra inexorablement et de façon imprévisible. C’est ce message que vient nous rappeler ce temps de l’Avent. L’important, c’est de se tenir tendu vers la pleine réalisation du projet de Dieu.

C’est de cette espérance que nous avons à témoigner dans le monde d’aujourd’hui. Cela commence en donnant la première place au Christ dans notre vie. Il n’est pas possible de l’annoncer aux autres si nous ne l’accueillons pas en nous. Noël c’est Jésus qui vient à nous. Vivre Noël, c’est d’abord accueillir cette venue du Sauveur dans notre vie. Il est la source qui vient irriguer nos déserts ; il fait revivre ce que l’on croyait mort. Aujourd’hui, nous te prions, Seigneur, toi qui es le Sauveur et l’Ami des hommes, donne-nous d’être les témoins de ton amour auprès de tous ceux et celles que tu mets sur notre route. Amen

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 3 décembre 2023

18.06.2023 – HOMÉLIE DU 11ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – MATTHIEU 9,36-38.10,1-8

Évangile de Matthieu 9,16 – 10,8

Mission Urgente

Il y a deux semaines (fête de la Trinité), j’avais rapporté quelques chiffres de la dernière enquête INSEE sur la pratique religieuse en France. La part des catholiques chute encore : de 43 % en 2012 à 20 % en 2022. Le déclin se marque autant dans beaucoup d’autres pays occidentaux. C’est pourquoi notre cher pape François multiplie sans arrêt les appels à la mission et, en dépit de sa santé déclinante, il n’hésite pas à entreprendre de nouveaux voyages où sa passion, disait un cardinal, était de rencontrer les jeunes.

Le temps de la chrétienté où notre société était très marquée par les pratiques catholiques est terminé. La foi n’est plus un héritage qu’il suffit de transmettre et la sécularisation a liquidé ce qui nous semblait des certitudes éternelles. Devant ce fait, nous ne pouvons capituler pas plus que nous ne devons rêver d’une Eglise majoritaire qui s’impose à tous. Mais si nous ne plantons pas les germes du Royaume de Dieu, c’est le royaume du mal qui nous fera basculer dans l’abîme.

Or en ce dimanche, après le cycle des grandes célébrations pascales, nous reprenons la lecture suivie de l’évangile de Matthieu qui précisément nous donne les consignes du Seigneur pour la mission.

Mission n’est pas prosélytisme

Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant l’Évangile du Royaume et guérissant toute maladie et toute infirmité.
 Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger.  Il dit alors à ses disciples :
« La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »

Les 4 évangiles concordent : l’activité principale de Jésus a été de circuler sans arrêt afin de parler aux hommes : moyen sans violence, proposant sans forcer, s’adressant aux gens du peuple et aux villageois dans leur langage. Qu’est-ce qui l’animait ? Non le prosélytisme, le désir de recruter, la passion de commander mais uniquement l’amour. Nous, les terribles malheurs qui frappent l’humanité nous font un peu de peine, nous arrachent une plainte mais nous laissent dans la torpeur. Mais pour Jésus, Mathieu emploie un verbe très fort : il ne dit pas que Jésus a pitié, qu’il ressent de la condescendance mais qu’« il était pris aux entrailles », comme une femme étreinte devant son enfant moribond. Il ressent comme une souffrance maternelle.

Ces foules qui s’agitaient en tout sens, savaient-elles où elles allaient ? Quel était le sens de leur existence ? Pour Jésus elles ressemblaient à des brebis dispersées, égarées et il venait vers elles pour les guider, soigner les blessées, être leur bon pasteur qui les rassemble et les conduit au but.

Et il y avait une seconde raison qui le pressait et que lui avait révélé son baptême : le moment final de l’histoire était arrivé, c’était, comme disaient les prophètes, le « temps de la moisson », le moment du jugement définitif. Il devait annoncer que Dieu allait ouvrir son Royaume. Non par une explosion fulgurante mais avec les cœurs qui allaient accepter de changer de mode de vie.

D’où les quatre verbes employés par Matthieu : Jésus circule, il rejoint les gens dans leur vécu – tel un héraut, il proclame non une morale mais une nouvelle, La Bonne Nouvelle, l’Evangile du Règne de Dieu – il enseigne c.à.d. il explique, invente des histoires, se fait pédagogue inlassable – et il opère des guérisons, par miséricorde et non pour séduire le peuple par des merveilles.

Devant ce qui presse, que faut-il donc faire ? Non s’élancer dans des initiatives intrépides mais d’abord prier : prier le Père de choisir et d’envoyer ceux et celles qu’il voudra car le salut du monde ne sera jamais œuvre humaine mais œuvre divine.

Le choix des premiers envoyés

Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, nommé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ;  Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ;Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ;  Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra.

La mission se diversifiera dans l’univers mais elle est unique et Pierre restera toujours le premier : un simple pêcheur de Capharnaüm, qui reniera son maître mais qui sera rétabli berger grâce à sa miséricorde. La responsabilité dans l’Eglise n’est pas basée sur l’impeccabilité. Et même certains deviendront des renégats. La chute scandaleuse de certains guides empêchera l’Eglise de se gonfler d’orgueil et lui rappellera que son œuvre essentielle est le pardon. Mais tous sont des « envoyés », sens du mot « apôtres », donc tenus à remplir l’œuvre de Dieu, et de se présenter comme plénipotentiaires de leur Seigneur sans s’évader dans des inventions de leur crû.

L’enseignement sur la mission

Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche.     Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons.
Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. »

Ici commence le 3ème grand discours de Matthieu, celui consacré à la mission ; ce jour nous n’en écoutons que le début lequel nous étonne en sélectionnant uniquement les Juifs mais c’est bien à partir d’Israël que l’Evangile va se répandre. On verra par la suite que la mission s’ouvrira au monde entier (Matt 28,19)

Jésus transmet son propre comportement : marcher, ne pas attendre que des gens se présentent mais prendre part à leur vie – surtout proclamer la venue proche du royaume de Dieu : il s’agit d’un événement qui va survenir et qu’il faut annoncer comme nouveau : « la Bonne nouvelle ». Et les apôtres doivent montrer par leur vie ce dont il s’agit – combattre le mal par le don reçu du Seigneur, purger les cœurs de la rapacité, de la haine, de l’égoïsme et même, parfois, libérer les corps.

Cette tâche essentielle doit s’effectuer sans demander de rétributions. Voyant votre pauvreté et votre sincérité, les gens vous soutiendront et ainsi feront-ils un pas d’entrée dans le Royaume.

L’infidélité dans l’histoire

Il n’a pas fallu beaucoup de siècles pour que ces prescriptions connaissent la dérive.

Jésus n’avait institué qu’une chose : des envoyés itinérants (apôtres) mobilisés entièrement par la Parole à proclamer à temps et à contretemps. On a cru que ce temps de l’annonce première était clos et qu’il suffisait dès lors d’entretenir l’héritage par des rites, des institutions et la morale. Or l’annonce demeurera à jamais l’action fondamentale. Il ne faut pas moraliser vos enfants mais les évangéliser, leur montrer que vous êtes heureux de vivre selon l’Evangile.

Nous sommes bombardés sans arrêt par des pubs : « Nouvelle Renault, Nouvelle Rolex…etc… ». Combien peuvent entendre « la pub de l’Evangile » ? Un séminariste, à la veille de son ordination, me confiait : « Sur toute notre formation, nous n’avons pas eu un seul cours sur la prédication ».

Dès le début des « Actes des apôtres », on voit le but que les apôtres cherchent à réaliser : de petites communautés locales où patron et ouvrier, dame professeur et cancre, grand-mère âgée et jeune sportif comprennent que les différences de culture, de classe, d’âge peuvent converger dans une charité réciproque. A Corinthe, à Ephèse, à Thessalonique, à Rome, Paul savait, au fond des prisons où il était parois jeté, que, ici et là, des germes d’évangile poussaient irrésistiblement et qu’il fallait se réjouir.

Cette charité n’était possible que parce que tous ces petits groupes se réunissaient le premier jour de la semaine chez l’un d’eux afin d’écouter des passages d’évangile, de discuter librement afin d’approfondir leur connaissance de Jésus et puis de partager son Pain de Vie et le Vin de l’allégresse. La joie de l’Esprit les saisissait, les portait à se pardonner sans cesse, à s’entraider, à venir en aide aux plus démunis.

Or l’apôtre itinérant a fait place au prêtre ritualiste : la simple maison d’église est devenue édifice sacré. Au lieu de consacrer tous les efforts à créer et conserver la communion des membres du Christ, on a voulu époustoufler par la grandeur, le hiératisme des démarches, la solennité des rites.

L’histoire bouge, les crises se succèdent, des idéologies apparaissent. De grandes secousses bousculent l’Eglise aujourd’hui. Beaucoup les déplorent, s’inquiètent, et même prophétisent son écroulement.

Et si nous prenions exemple sur le pape François ? On n’ignore plus le dur combat qu’il mène depuis le début d’abord pour remettre de l’ordre au coeur du Vatican gangrené par l’amour de l’argent de certains prélats, ses efforts incessants pour nous « faire sortir » des sacristies et devenir comme un « hôpital de campagne » qui rejoint les blessés de la vie, tous les pauvres écrasés par la misère. Sa lutte est dure, les adversaires sont nombreux. Mais le vieil homme continue : Prêcher à temps et contretemps. Se taire sur le Fils de Dieu qui a donné sa vie sur une croix est un épouvantable scandale.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Source : RÉSURGENCES.BE, le 13 juin 2023

18.06.2023 – HOMÉLIE DU 11ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – MATTHIEU 9,36-38.10,1-8

Appelés par amour à devenir une nation sainte

Par l’Abbé Jean Compazieu

Pistes pour l’homélie :


Textes bibliques : Lire


“Des foules fatiguées et abattues…” Voilà la triste situation du peuple d’Israël qui nous est décrite dans le livre de l’Exode. Mais Dieu ne reste pas indifférent face à ce drame. Il a appelé Moïse pour sortir son peuple de la servitude. Arrivé au terme de son parcours ce peuple est invité à une révision de vie : “Souviens-toi de tout ce que tu as reçu du Seigneur malgré tes infidélités…” C’est de tout cela que tu dois témoigner ; par ta façon de vivre, tu dois montrer à tous les peuples ce qu’est une vie renouvelée par l’alliance.

Dans sa lettre aux Romains (2ème lecture) l’apôtre Paul insiste sur la grandeur de l’amour de Dieu. Si le Christ a donné sa vie, ce n’est pas pour récompenser nos mérites ; nous n’y sommes pour rien ; seul le sang du Christ a fait de nous des justes. Par sa mort et sa résurrection, nous sommes réconciliés avec Dieu, nous sommes déjà sauvés. Ce qui nous est demandé, c’est d’ouvrir nos mains et notre cœur, c’est d’accueillir cette vie du Christ et de nous laisser transformer par lui.

Dans l’Évangile, saint Matthieu nous montre ce regard compatissant de Jésus sur les foules. Il les voit désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Ce qui le préoccupe, ce n’est pas seulement la détresse de chaque membre, c’est surtout le manque de direction. Elles n’ont personne pour les guider.

Jésus prend alors une décision : il appelle ses disciples ; il leur demande de prier son Père d’envoyer des missionnaires vers ces foules désemparées. Puis il procède à un recrutement. L’Évangile nous parle des douze apôtres que Jésus appelle. Il les envoie en mission. Dans un premier temps, ils devront se limiter aux seuls ressortissants d’Israël ; ils devront guérir les malades, ressusciter les morts, expulser les démons ; il devront surtout annoncer que le Royaume de Dieu est proche ; Dieu aime tous les hommes et il veut leur bonheur à tous. Après la Pentecôte, cette bonne nouvelle sera annoncée au monde entier. Les ouvriers de la 11ème heure accueilleront le même salut que ceux de la première.

Cet Évangile nous rejoint ; il nous empêche d’être indifférent aux souffrances physiques et morales qui frappent notre monde. Nous ne pouvons qu’être émus par la détresse matérielle, spirituelle et morale des foules d’aujourd’hui ; beaucoup vivent dans le désarroi et le découragement. Des enfants et des jeunes vivent sans repère et sans avenir ; des croyants quittent les Églises parce qu’ils ne s’y sentent pas accueillis et écoutés. Ils ne trouvent pas de réponse à leurs interrogations.

Face à cette situation dramatique, la décision la plus urgente, c’est de nous mettre en prière : “Priez le Père d’envoyer des ouvriers à sa moisson…” Le Royaume de Dieu ne peut advenir sans notre prière ; si nous prions le Père, c’est pour nous ajuster à son amour, c’est pour qu’il nous fasse entrer dans sa volonté. Nous lui demandons de nous transformer pour que nous devenions des ouvriers passionnés et efficaces pour la “moisson”.

C’est important car trop souvent, nous avons tendance à nous lamenter sur la dureté de notre époque et sur l’avenir incertain. Nous avons besoin de retrouver un regard optimiste et généreux. C’est par la prière que nous apprenons à aimer comme le Père aime. C’est Jésus qui nous le demande : “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés” (autant que je vous ai aimés). Nous apprenons à aimer le monde à la manière de Dieu, aimer l’Église malgré ses faiblesses.

Après la prière, Jésus choisit les Douze pour leur confier la mission de l’Évangile. Il pose ainsi les bases de ce que doit être l’Église, “un peuple missionnaire” envoyé à toutes les nations. Comme les apôtres, nous sommes tous envoyés pour proclamer que le Royaume de Dieu est proche ; c’est notre mission de chrétiens baptisés et confirmés. Comme Bernadette de Lourdes, nous ne sommes pas chargés de faire croire mais de dire et de témoigner ; le reste c’est l’œuvre de l’Esprit Saint ; il nous précède et il agit dans le cœur de ceux et celles qu’il met sur notre route.

Au cours de cette Eucharistie, nous nous tournons vers le Seigneur ; nous lui demandons qu’il nous apprenne à avoir le même regard que lui sur les foules désemparées d’aujourd’hui ; qu’il nous donne force et courage pour témoigner chaque jour de l’espérance qui nous anime.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 10 juin 2023

16.10.2022 – 29ème dimanche – Année C – 16 octobre 2022 – Évangile de Luc 18, 1-8

La spiritualité est un sport de combat

La spiritualité est un sport de combat, en tous cas une épreuve d’endurance. Chrétiens, c’est notre corps et notre esprit que nous devons entraîner au beau combat de l’amour. Et ce n’est pas forcément de tout repos.

Ce n’est pas toujours facile d’entraîner notre esprit vers l’espérance et la joie ; encore moins facile parfois d’y entraîner le cœur et le corps. Ce n’est pas facile de maintenir la persévérance ; ce n’est pas facile de ne jamais baisser les bras.

Vous le savez sans doute, c’est de la première lecture, celle que nous venons de faire du Livre de l’Exode, que vient cette expression : « Baisser les bras ». Reprenons le texte. Israël marche dans le désert, en route vers la Terre promise, et les Amalécites les attaquent par surprise. Historiquement c’est un peuple du Sinaï, qui tire son nom de son dieu Amalec ; mais surtout, dans la Bible, ce sont les ennemis jurés du peuple d’Israël. Spirituellement, les Amalécites représentent ici l’ennemi intime qui nous agresse.

Israël part donc au combat. Au delà de la question historique – y a-t-il réellement eu un combat entre les Amalécites et le Peuple hébreux dont on n’a, par ailleurs, aucune trace ? – c’est Moïse qui mène le combat : il est avant tout religieux et spirituel. Quand Moïse tient les mains levées, Israël est le plus fort, quand Moïse baisse les bras, c’est Amalec qui prend le dessus. Clairement, les bras levés font référence au geste du prêtre, ou de celui qui prie, les bras levés vers Dieu. On en tire un premier enseignement : tout combat est avant tout spirituel, même s’il dépend de la maîtrise du corps.

Les bras levés vers Dieu sont le signe de l’orientation de notre cœur et c’est la faiblesse de notre corps qui témoigne en premier de notre découragement. Voilà le sens de l’expression « baisser les bras ». A peine nos combats cessent-ils d’être soutenus par l’espérance, à peine avons-nous le sentiment qu’ils ne sont pas soutenus par Dieu, que nos corps flanchent, signe que notre esprit flanche aussi.

La spiritualité est un sport de combat ; car tout combat est avant tout spirituel – les sportifs vous le diront. En ce sens, la prière, tels les bras levés qu’invoque le texte, est un entraînement aux combats spirituels que nous aurons à mener, à commencer par la lutte contre le découragement.

Spirituellement, il est important de se rendre compte quand nous baissons les bras, quand charnellement nous flanchons. Et c’est le deuxième enseignement de ce texte : il y a ceux qui nous entourent, qui nous soutiennent alors que nous baissons les bras. Le combat spirituel est avant tout un sport d’équipe. Aaron et Hour, le frère et le neveu de Moïse viennent lui soutenir les mains ; justement l’aident à ne pas baisser les bras. Le combat spirituel est avant tout un sport d’équipe : d’abord une équipée personnelle avec Dieu, ensuite une équipée humaine et solidaire. On retrouve ici les deux aspects du commandement d’aimer : Dieu et son prochain.

Et puis, tous ensemble, nous avons conclu dans un très bel enthousiasme « Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée. – Parole du Seigneur. » … Ce fut un bain de sang ; gloire à Dieu ! Je force un peu le trait mais à la lumière du commandement d’aimer aussi nos ennemis que nous a donné le Christ, ceci peut tout-de-même nous choquer. Ne sommes-nous pas, nous aussi, ici, en train de justifier toutes les guerres saintes et les massacres au nom de Dieu ? C’est vite fait, par une lecture un peu trop littérale, de détourner un texte de son propos …

Mais il ne faudrait pas non plus que notre soif d’amour et de paix nous aveugle sur la nature parfois dure des combats spirituels qu’il faut parfois mener. Je l’ai dit, Amalec c’est l’ennemi intime par excellence, l’ennemi viscéral, l’ennemi qui nous touche au cœur : méchancetés, humiliations, mépris, agressions, violences, volonté de souillure, de détruire l’amour, d’intimement tuer : voilà Amalec. C’est spirituellement qu’il nous faut passer au fil de l’épée ces sentiments de haine qui nous assaillent, un par un. Et ce n’est pas toujours facile de lutter contre les assauts d’un ennemi intime, d’un esprit mauvais qui nous touche au cœur. Ne négligeons pas, la violence de certains combats spirituels, et de certaines blessures affectives en nous.

Et ne présumons pas non plus de nos propres forces. Dieu est là qui nous aide et la communauté est là qui nous soutient : essentiellement dans l’Eucharistie qui nous restaure ; ou dans la Réconciliation quand nous flanchons. Mener un combat spirituel c’est aussi se laisser aider, soutenir et accompagner. C’est peut-être d’ailleurs le premier grand combat spirituel à mener, contre notre propre volonté de nous en sortir seuls face à un combat intime ; fermant de plus en plus la porte de notre cœur, d’abord aux autres et puis à Dieu. Quand jamais, à aucun ami, nos souffrances ne peuvent être partagées, alors c’est l’Enfer.

Au contraire d’une volonté farouche de nous en sortir seuls, et donc de nous enfermer, face au combat spirituel, le Christ nous présente la volonté farouche d’une veuve à demander justice.

A l’époque, être une veuve, un orphelin, c’est la pauvreté assurée. Non seulement la pauvreté matérielle – ce sont alors essentiellement les hommes qui gagnent de l’argent – mais aussi la pauvreté sociale, dans une culture qui ne s’adresse pas aux femmes seules en rue. Seule la charité, souvent de proches, permet alors aux veuves et aux orphelins de vivre. Dans la Bible, une veuve est toujours synonyme d’extrême dénuement, de solitude et de détresse. Survivre seule, mener seule le combat pour la vie : voilà la vie des veuves en ce temps-là.

Ceci fait écho à notre propre solitude dans le combat spirituel. On se sent parfois bien seul à mener certains combats personnels, à parfois lutter simplement pour survivre – physiquement, spirituellement, amoureusement. La veuve que Jésus présente dans la parabole ne s’enferme pas dans sa solitude. Bien que méprisée, elle s’acharne à demander justice – quand bien même le juge ne serait pas intègre. Alors donc, pensez Dieu !

Elle ne baisse pas les bras la veuve de la parabole. Elle ne se lasse pas de demander de l’aide, elle qui est démunie de tout, et même d’espérer la justice par celui qui est corrompu. Et c’est le troisième enseignement des lectures d’aujourd’hui : la ténacité à réclamer l’aide et la justice de Dieu.

Ne restez pas seuls face à certains combats spirituels et affectifs. Ce qui nous appartient de faire seuls, c’est de maintenir notre volonté de justice, d’intégrité. Mais pas plus. Même Moïse a eu besoin de l’aide du prêtre Aaron et de son neveu Hour, pour le soutenir dans le combat spirituel contre l’ennemi intime, littéralement pour ne pas baisser les bras.

Je vous en prie, même pour des combats intimes et personnels, pour des combats amoureux, les combats spirituels, le combat pour que règne la justice et la paix dans notre cœur, n’ayez jamais honte de demander de l’aide : d’abord celle de Dieu, ensuite celle de la communauté et, s’il le faut, celle des sacrements. Ne présumez pas de votre seule force spirituelle, ou charnelle, vous vous enfermeriez dans un isolement mortifère qui vous ferait mener seuls des combats spirituels parfois intenses, au prix d’un corps qui finit toujours par flancher. Alors le risque est grand de sombrer dans le désespoir et d’alourdir son cœur comme la pierre, espérant s’épargner des souffrances qui alors se figent.

Enfin gardez à l’esprit le premier enseignement de ces lectures : la spiritualité chrétienne est un sport de combat. Elle implique tout notre esprit et notre corps, parce qu’elle touche à l’amour qui implique les deux. Elle implique notre volonté, notre ténacité et aussi notre entraînement.

Le Chrétien qui se veut un athlète de l’amour forme son cœur, son corps et son esprit en conséquence. Comme s’entraînent les sportifs, entraînez-vous au beau combat de l’amour, avec pour nourriture l’Eucharistie, pour régularité la méditation et la prière, et pour douche la Confession. Je vous encourage à devenir des marathoniens, des marathoniennes de l’amour de Dieu, c’est exaltant comme sport. Et parfois extrême …

La spiritualité chrétienne est un sport de combat. A l’intensité de l’amour que nous souhaitons voir triompher par nous, répondra l’intensité du combat qu’il nous faudra mener.

Et nous n’y arriverons jamais seuls …

Fr. Laurent Mathelot, dominicain

Source: RÉSURGENCES.ORG, le 11 octobre 2022