09.03.2025 – HOMÉLIE DU 1ER DIMANCHE DE CARÊME – LUC 4,1-13

Ne nous laisse pas entrer en tentation

Lecture: Évangile selon saint Luc 4, 1-13

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Savez-vous que la gourmandise n’est pas un péché ? C’est la gloutonnerie – se jeter sur la nourriture – qui l’est. Une envie n’est pas un péché ; s’enivrer de désir, si.

En soi, la tentation n’est pas un péché, c’est d’y succomber qui l’est. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » dit le Notre Père. Le grec, qui est la langue du Nouveau Testament, utilise le même terme « peirasmos » pour dire « tentation » et « épreuve ». On le voit notamment dans la traduction de l’Épître aux Hébreux (4,15), « il a été éprouvé en tous points, mais sans pécher ». Précisément, Jésus incarne la différence entre ces deux réalités : lui qui est sans péché a connu la tentation. De nos jours encore, la confusion entre les deux – tentation et péché – génère trop souvent un faux sentiment de culpabilité : nous ne commettons aucune faute à éprouver toutes sortes de désirs ; le péché est de nous laisser dominer par eux.

Il y aurait beaucoup à dire pour analyser le texte de l’Évangile d’aujourd’hui. Il est très construit. La joute oratoire entre Jésus et le diable que nous venons de lire est truffée de citations bibliques, tirées essentiellement du Deutéronomeen référence au Livre de l’Exode. Prenons simplement les trois réponses que donne Jésus au diable : premièrement, « L’homme ne vit pas seulement de pain » (cf. Dt 8,3) qui renvoie à l’épisode de la manne (Ex 16,1-36) ; ensuite quand Jésus cite « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte » (Dt6,13), il fait référence à la condamnation du culte des idoles (Ex23,20-32) et à la grande profession de foi du peuple hébreux, le Shema Israël : « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur » ; enfin, « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » fait référence à l’épisode des eaux de Massa et Mériba (Ex 17,1-7) – noms qui signifient d’ailleurs respectivement « épreuve » et « querelle » – « parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve » précise le Livre de l’Exode (17, 7).

Ainsi, clairement, les trois tentations de Jésus au désert renvoient aux tentations que le peuple hébreux a éprouvées durant l’Exode. L’Évangile nous présente ainsi un Jésus qui sort victorieux là où le peuple avait abandonné les préceptes de Dieu : se nourrir de sa parole ; n’adorer que lui ; ne pas le mettre à l’épreuve.

Enfin, l’Évangile conclut : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé », à savoir sa Passion. Comme notre carême, le récit des tentations de Jésus ne se comprend que dans la perspective de Pâques. C’est là que survient l’ultime tentation. En effet, si on se penche sur le récit de la Passion, comme en réponse à l’Évangile d’aujourd’hui, par trois fois (Lc 23, 35.37.39), le peuplecrie « Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu » ; « Sauve-toi toi-même ! » ; « Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! ». Voilà la clé de compréhension : toutes les tentations qu’affrontent le peuple pendant l’Exode et le Christ aujourd’hui se résument en une seule : celle d’une humanité qui prétend se sauver par elle-même, sans l’aide de Dieu. L’ultime parole de Jésus sur la croix est, à cet égard, une réponse édifiante : « Père, en tes mains je remets mon esprit » (23,46). Son humanité agonisante s’en remet à Dieu.

Alors que déduire de tout ceci pour notre carême ?

En affrontant les mêmes tentations que le peuple durant l’Exode, le Christ montre deux choses : qu’il endosse pleinement notre humanité et ses tiraillements et, par ailleurs, que le fait d’être tenté ne constitue aucun péché. Fondamentalement le problème n’est pas d’éprouver des besoins, des envies ou des désirs, mais bien la manière dont nous cherchons à y répondre, à les satisfaire : par nous-même ou avec Dieu.

Avant tout, il s’agit d’affronter la réalité de notre humanité. Jésus lui-même s’est affronté à la faim, à l’orgueil et au désir de pouvoir immédiat. Jusque sur la croix, il a été confronté à la tentation de se sauver lui-même. Il ne l’a pas fait ; il s’en est systématiquement remis au Père. Nous-même, nos désirs, nos tentations révèlent notre humanité et ses tiraillements. Nous devons y faire face, les assumer : ils reflètent nos manques affectifs ; ils nous éclairent sur nous-même. Le péché survient seulement quand nous cherchons à satisfaire nos désirs les plus humains en nous posant en rivalité avec Dieu.

Le carême est le temps du travail de la tentation. Il s’agit d’abord de discerner les désirs que nous cherchons à frénétiquement combler seuls, voire en totale contradiction avec le commandement d’amour de Dieu. Notre jeûne n’a pas à être forcément alimentaire ; il n’y pas que la nourriture sur laquelle il peut nous arriver de nous jeter avidement. Peut-être est-ce plutôt le pouvoir personnel, le désir d’emprise, le besoin de tout contrôler ? Peut-être s’agit-il d’un manque affectif que révèlent des tentations sexuelles ? Peut-être est-ce une pauvreté personnelle que nous cherchons vainement à combler par des palliatifs ? Peut-être est-ce simplement un besoin de distraction qui dénote déjà une lassitude de vivre.

En faisant l’exercice de creuser en nous la faim, d’organiser le manque d’une satisfaction immédiate de nos désirs les plus vifs, en tempérant notre volonté de combler par nous-même notre besoin de salut, nous nous entraînons à nous laisser rejoindre par le Christ dans nos épreuves intimes et à affronter avec lui les tentations qui nous sont propres : d’abord en nous nourrissant de la parole de Dieu, ensuite en le priant, enfin en renonçant à le mettre à l’épreuve par des solutions mauvaises.

Au fond le carême est le temps béni où nous cherchons, avec l’aide de Dieu, à faire face avec courage et à dominer avec amour, les tentations qui sont les nôtres en renonçant à leur satisfaction immédiate pour laisser au Christ le temps de les rejoindre.

Sachons creuser nos faims, les tentations qui sont les nôtres ; sachons les réfléchir, les méditer. Elles sont le signe de ce qui, en nous, doit encore ressusciter.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RESURGENCE.BE, le 5 mars 2025

09.03.2025 – HOMÉLIE DU 1ER DIMANCHE DE CARÊME – LUC 4,1-13

Seigneur, avec toi, nous irons au désert

Homélie par l’Abbé Jean Compazieu

Textes bibliques : Lire


Depuis mercredi dernier, nous sommes entrés dans le temps du Carême. Cette période qui dure quarante jours nous prépare à la grande fête de Pâques. Ce sera pour nous l’occasion de retrouver les vraies priorités de notre vie chrétienne. Nous reconnaissons que bien souvent, nous nous sommes détournés du Seigneur et qu’il n’est pas toujours notre priorité. Nous avons trop souvent organisé notre vie en dehors de lui. Alors il est là pour nous dire et nous redire : “Revenez à moi de tout votre cœur !” Le Carême c’est précisément ce temps privilégié qui nous est donné pour revenir vers le Seigneur ; il est urgent de le remettre au centre de notre vie.

Le livre du Deutéronome (1ère lecture) nous montre comment Dieu a pris l’initiative de sauver son peuple. Nous nous rappelons que les Hébreux étaient esclaves en Égypte. Dieu a entendu leur voix et il les a conduits vers une terre de liberté. Le Carême c’est cette longue route de libération. Quand nous nous détournons de Dieu, nous ne pouvons tomber que sur des chemins de perdition. Mais le Seigneur ne nous abandonne pas. Il ne cesse de venir chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Il nous fait retrouver notre dignité humaine. Tout au long de la Bible, nous retrouvons cet appel à accueillir le Dieu libérateur. C’est dans cet esprit que nous sommes invités à vivre ce temps du Carême.

Dans la seconde lecture, saint Paul nous invite à reconnaître le Christ comme Seigneur. Cela signifie que nous voulons qu’il soit le maître de nos vies. Nous l’accueillons pour qu’il en prenne la direction. C’est à ce prix que nous serons sauvés. Notre Dieu est un Dieu libérateur ; il veut le salut de tous les hommes quelle que soit leur religion. Tous doivent pouvoir entendre ses paroles qui sont celles “de la vie éternelle”. Cette parole est en nous, dans notre cœur. Le Seigneur compte sur nous pour qu’elle soit proclamée partout dans le monde entier. Vivre le Carême, c’est accueillir cette parole, c’est nous laisser transformer par elle et en témoigner auprès de tous ceux et celles qui nous entourent.

Dans l’Évangile, nous retrouvons le récit des tentations de Jésus au désert. Le tentateur se présente à lui en commençant par le flatter : “Si tu es le Fils de Dieu…” Lorsqu’il s’approche de nous, il utilise la même technique en flattant notre orgueil, notre désir de liberté et d’indépendance : “Fais donc ce qui te plait ; ainsi tu pourras retrouver ta dignité et ta liberté. En fait, cette tentation nous conduit à une impasse qui nous détourne de l’amour de Dieu.

Aujourd’hui, Jésus nous apprend qu’être fils de Dieu c’est nous laisser conduire par Dieu sans lui imposer nos moyens, c’est lui faire une totale confiance sans vouloir lui imposer des garanties, sans espérer des merveilleux prodiges qui nous détourneraient de nos luttes et de nos engagements. À chacune des tentations, Jésus répond par une parole de la Bible : “Il est écrit : l’homme ne vit pas seulement de pain… C’est devant Dieu que tu te prosterneras et à lui seul que tu rendras un culte… Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu…”

C’est ainsi que Jésus a été victorieux face au tentateur. Pendant ce Carême, il veut nous associer tous à sa victoire. Il nous apprend à être entièrement tournés vers Dieu et à nous nourrir de sa Parole chaque jour. Le carême est là pour nous rappeler que nous sommes engagés dans un combat contre les forces du mal. Mais dans ce combat, nous ne sommes pas seuls. Le Seigneur est là et nous pouvons toujours compter sur lui. Nous pouvons aussi nous tourner vers Marie, notre maman du ciel. Avec elle, il n’y a pas de situation désespérée. Quand tout va mal, nous pouvons toujours compter sur elle. Quand nous sommes en manque de paix et de joie, elle est là. Et comme à Cana, elle le dit à son Fils. Et Jésus nous invite à « puiser à la Source » de celui qui est l’amour, la paix et la joie. Et quand nous sommes tombés au plus bas, elle se baisse pour nous ramasser. Elle qui a misé toute sa vie sur l’amour, elle nous aide à nous remettre debout pour reprendre notre route à la suite du Christ.

Sur cette route, le Seigneur est là ; il nous donne le vrai pain de vie qui vient renouveler notre cœur ; il nourrit la foi, fait grandir l’espérance et nous donne la force d’aimer ; apprenons à toujours avoir faim du Christ, seul pain vivant et vrai et à vivre de toute parole qui sort de sa bouche. Amen

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN. ORG, le 2 mars 2025