Mosaïque De La Pentecôte Dans La Basilique Cathédrale De Saint-Louis (Missouri USA) Avec Les Apôtres Et Marie (2019)
De la confusion de Babel à la symphonie de l’unité à la Pentecôte, par Mgr Follo
Méditation sur la Pentecôte
Le jour de la Pentecôte, invoquons l’Esprit Saint dont le fruit « est amour, joie, paix, patience, bonté, bonté, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Gal 5, 22)
Pentecôte – Année A – 28 mai 2023
Ac 2, 1-11 ; Ps 103 ; 1 Co 12, 3-7.12-13 ; Jn 20, 19-23
1) La signification chrétienne de la Pentecôte
Cinquante jours après Pâques, la liturgie nous fait célébrer la Pentecôte, c’est à dire la descente de l’Esprit Saint sur l’Église naissante et sur l’Église d’aujourd’hui. Nous ne faisons pas mémoire d’un fait survenu il y a environ 2000 ans, mais d’un événement qui se répète parce que « l’Église a besoin d’une Pentecôte perpétuelle ; elle a besoin de feu dans les cœurs, de parole sur les lèvres, de prophétie dans les regards » (Paul VI).
Nous célébrons donc aujourd’hui la fête annuelle de la venue de l’Esprit Saint ; mais c’est tous les jours que nous devons avoir l’Esprit Saint dans le cœur. « Ne célébrons pas la Pentecôte en un seul jour mais en tout temps, si nous voulons être approuvé et non pas réprouvé par le Seigneur le jour de sa venue. Comme il nous a déjà donné préalablement un gage, qu’il veuille nous conduire à la possession éternelle (des biens). Le Christ en effet a épousé son église et lui a envoyé son Esprit Saint. L’Esprit Saint est comme l’anneau nuptial ; et celui qui a donné l’anneau donnera aussi l’immortalité et le repos. En lui nous aimons, en lui nous espérons, en lui nous croyons » (Saint Augustin, Discours 272 / B pour le Pentecôte).
Malheureusement, pour beaucoup de personnes et dans de nombreux pays où le lundi de Pentecôte est férié, la Pentecôte n’est rien d’autre que le nom d’un long week-end. Et l’on est content que la routine des jours de semaine soit interrompue par celle du temps libre qui offre l’avantage du divertissement, l’illusion peut-être de la liberté mais aussi de vrais moments de profondeur et de satisfaction pour le temps que l’on peut passer avec les personnes aimées.
Il est évident que celui qui vit consciemment ne pourra cependant pas se contenter de passer de façon irréfléchi et passive, du travail au temps libre et du temps libre au travail. De temps en temps, il devra s’arrêter et se demander dans quelle direction se dirige sa vie, vers où se dirigent toutes choses, les hommes et le monde. Il devra assumer un peu ses responsabilités dans le choix de ce mouvement et de cette direction et il ne pourra pas se limiter à participer uniquement à une offre consumériste qui se diffuse constamment, sans se demander d’où elle vient et où elle conduit.
Cette solennité de la Pentecôte est donc une invitation à passer de la logique de la fin de semaine à celle de cette fête pendant laquelle :
-nous faisons mémoire d’un fait survenu dans le passé ;
-nous célébrons un fait qui survient aussi maintenant parmi nous les disciples de Jésus ;
-nous vivons dans l’attente de voir ce qui est rappelé et vécu atteindre sa plénitude dans la vie éternelle.
A la Pentecôte, nous faisons mémoire, nous célébrons et nous vivons ce qui est arrivé à la Vierge Marie, afin que cela arrive aussi à tous ceux qui croient au Christ, lui qui « avec le don de l’Esprit Saint renoue notre relation avec le Père, abîmée par le péché ; il nous délivre de la condition d’orphelin et il nous restitue celle de fils » (Pape François, Homélie du 15 mai 2016).
Des frissons nous viennent rien qu’à l’idée que Dieu :
ait non seulement visité la terre, en descendant ici dans le monde,
ait non seulement payé avec la croix le prix de son amour pour nous,
mais aussi qu’il se donne à nous, qu’il vive en nous. Chacun de nous devient capable de Dieu, accueille Dieu en lui parce qu’en chacun de nous se renouvelle le mystère de notre union avec le Verbe.
Ce que nous rappelons et célébrons aujourd’hui, c’est que le Royaume de Dieu dans lequel Jésus veut nous introduire et auquel nous sommes appelés est un ciel intérieur qui est en nous parce que comme dit Saint Grégoire le Grand : « Le ciel est l’âme du juste ». Et nous sommes justes parce qu’immergés dans le baptême du Christ qui aujourd’hui plonge en nous avec son Esprit.
Notre union à Dieu et l’union de Dieu avec nous se réalisent dans ce don de l’Esprit et c’est dans ce don de l’Esprit qui nous unit à Dieu que se réalise aussi, comme fruit divin de l’union, notre transformation dans le Christ, le fils de Dieu et aussi notre frère. A cet égard le Pape François nous enseigne : « Par le Frère universel qui est Jésus, nous pouvons nous mettre en relation avec les autres d’une manière nouvelle, non plus comme des orphelins, mais comme des fils du même Père, bon et miséricordieux. Et cela change tout ! Nous pouvons nous regarder comme des frères, et nos différences ne font que multiplier la joie et l’émerveillement d’appartenir à cette unique paternité et fraternité. » (Homélie de Pentecôte, 15 mai 2016)
De Babel à la Pentecôte, de la division à l’unité
La lumière de la Pentecôte nous conduit à l’essentiel : elle nous révèle la dignité et la vocation qui nous ont été données ; celle d’être des fils destinés à l’immortalité et des témoins de notre égalité dans l’amour et dans le don de nous-même à Dieu et aux frères.
Saint Luc raconte la descente de l’Esprit Saint (1ère lecture Act 2, 1-11) en utilisant les symboles classiques qui accompagnent l’action de Dieu : le vent, le tremblement de terre et le feu. Sous forme de langue, ce feu se pose sur ceux qui sont présents au Cénacle et qui « commencèrent à parler en d’autres langues ». Ainsi le devoir d’unité et d’universalité auquel l’Esprit appelle son Église devient claire.
Avec la venue de l’Esprit à la Pentecôte et la naissance de la communauté chrétienne commence au sein de l’humanité une histoire nouvelle. A la lumière du récit de la tour de Babel nous comprenons mieux l’événement de la Pentecôte dont nous faisons aujourd’hui mémoire. C’est la construction d’une vraie communion entre les personnes qui a commencé à l’intérieur de l’humanité : vraie parce que donnée d’en haut par opération de l’Esprit de Jésus et c’est aussi l’annonce apostolique des grandes merveilles de Dieu. Avec le don de l’Esprit Saint, la semence de l’unité est placée dans le terrain des conflits humains.
La célébration que nous sommes appelés à vivre ce dimanche rend actuel l’événement survenu il y a deux mille ans environ. Par la foi nous en devenons contemporains et nous pouvons témoigner qu’il est la vraie réponse au désir d’unité qui est inhérent au cœur de l’homme.
A Babel, des hommes de même langue ne se comprirent plus. A la Pentecôte, alors et aujourd’hui, en revanche, des hommes de langues différentes se rencontrent et se comprennent. La mission que l’Esprit Saint confie à son Église est d’imprimer dans l’histoire humaine un mouvement de réunification : mouvement autour de Dieu, dans l’Esprit, dans la vérité et dans la liberté.
Même dans l’Évangile d’aujourd’hui (Jn 20, 19-23) il est dit que l’Esprit recrée la communauté des Apôtres, les ouvre à la mission (alors comme aujourd’hui) en rappelant que l’Esprit est don du Christ : « Recevez l’Esprit Saint ».
Saint Jean met en relation étroite la relation entre l’Esprit, la communauté des disciples et la mission d’apporter dans le monde l’Évangile du Christ ainsi que son pardon.
Les vierges consacrées sont appelées de façon particulière à être les témoins de cette miséricorde du Seigneur, dans laquelle l’homme trouve son propre salut. Ces femmes maintiennent vivante l’expérience du pardon de Dieu, parce qu’elles ont conscience d’être des personnes sauvées, d’être grandes quand elles se reconnaissent petites, de se sentir rénovées et enveloppées de la sainteté de Dieu quand elles reconnaissent leur propre péché.
Les vierges consacrées acceptent avec humilité les indications de Saint Cyprien qui s’adresse à elles en les louant dans son livre De habitu virginum où il décrit comment doit être leur comportement : « Maintenant notre discours s’adresse à vous, les vierges dont plus sublime est la gloire, plus grand doit être le zèle ; fleur de la lignée de l’Église, parure et ornement de la grâce spirituelle, descendance élue et joyeuse, œuvre intacte et pure de louange et d’amour, image de Dieu qui représente la sainteté du Seigneur, la plus illustre partie du troupeau du Christ. A travers les vierges et dans les vierges abondamment jouit et fleurit la glorieuse fécondité de la Mère Église ».
Leur vie est à considérer comme une école de confiance en la miséricorde de Dieu et en son amour qui jamais n’abandonne. En réalité, plus on s’approche de Dieu, plus on est proche de lui, plus on est utile aux autres. Les personnes consacrées témoignent de la grâce de la miséricorde et du pardon de Dieu non seulement pour elles mais aussi pour leurs frères, en étant appelées à porter dans leur cœur la prière, les angoisses et les attentes des hommes, spécialement ceux qui sont loin de Dieu.
Lecture Patristique
Rupert de Deutz (+ 1129)
Sur l’évangile de saint Jean, 2, CCM 9, 61-62
Quand le Christ baptise dans le Saint-Esprit, il donne d’abord la rémission des péchés. Mais il donne aussi, en second lieu, l’ornement de diverses grâces. Car il a parlé de la grâce du pardon des péchés le jour de sa résurrection, quand, en soufflant sur ses disciples, qu’il avait déjà lavés de leurs péchés dans son sang, il a dit : Recevez l’Esprit Saint. Et il affirme qu’il le leur donne pour la rémission des péchés puisqu’il ajoute aussitôt : Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les maintiendrez, ils leur seront maintenus (Jn 20,22-23).
Sur cette distribution des dons par laquelle, nous venons de le dire, il confère l’ornement de ses grâces, saint Luc nous rapporte, dans les Actes des Apôtres, cette parole de Jésus: Jean a baptisé avec de l’eau; mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours (Ac 1,5).
Le double don de ce baptême est exprimé par saint Jean Baptiste qui dit, chez les évangélistes Matthieu et Luc : Lui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu (Mt 3,11Lc 3,16). Car il nous baptise par l’Esprit Saint quand la grâce invisible de cet Esprit descend dans la fontaine baptismale et remet tous leurs péchés à ceux qui reçoivent le baptême. Il baptise en outre par le feu lorsqu’il les rend embrasés par la ferveur du Saint-Esprit, forts dans l’amour et constants dans la foi, brillants de science et brûlants de zèle.
Dans cette rémission des péchés, on ne trouve aucune division ; c’est d’une façon égale et uniforme qu’une seule et même grâce vient sur tous, mais en délivrant de toutes nos iniquités et en jetant au fond de la mer tous nos péchés.
Au contraire, dans les dons de la grâce, tous n’en reçoivent pas autant, lorsque l’un reçoit le don de la foi, l’autre le langage de la connaissance de Dieu ou de la sagesse, un autre le don de parler en langues, un autre le don d’interpréter, et ainsi de suite. Mais celui qui agit en tout cela, c’est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté (cf. 1Co 12,8-11).
Chez les saints du Nouveau Testament, nous voyons ces charismes donnés par celui qui baptise, nous voyons ces marques éclatantes d’un baptême de gloire que nul d’entre eux, d’après l’Écriture, n’a reçu avant d’avoir été baptisé pour la rémission des péchés. Sauf dans le cas de Corneille et de ses compagnons : comme Pierre était encore en train de les instruire, le Saint-Esprit tomba sur eux, et ils se mirent à parler en langues et à glorifier Dieu.
Or, si quelques Pères de l’Ancien Testament ont reçu le don des miracles, beaucoup reçurent le don de prophétie, alors qu’ils n’avaient pas été baptisés en rémission des péchés. Car il est certain que tous furent baptisés quand le Christ, mort sur la croix, répandit un flot de sang et d’eau de son côté percé par la lance, pour la purification de l’Église universelle. Celle-ci englobe tous les hommes, depuis l’origine du monde, depuis le premier des justes, Abel, jusqu’au bandit crucifié avec le Christ, à l’heure même de sa mort. Car, alors que cette effusion si précieuse et si salutaire n’avait pas encore jailli du côté du Christ, ce bandit reconnut qu’il était le Seigneur en croyant à la venue future de son règne, et il acheta son entrée dans celui-ci par cette confession de foi imprévue.
La tâche du chrétien est au ciel et sur la terre, par Mgr Follo
Méditation sur l’Ascension par Mgr Francesco Follo
Ascension – Année A – 21 mai 2023 (dans de nombreux pays, la fête est célébrée le jeudi 18 mai)
Act 1,1-11; Ps 46; Eph 1,17-23; Mt 28,16-20
1) Une fête pas facile
Il y a quarante jours, nous avons célébré le fait de Pâques: la résurrection du Christ a été pour nous une grande joie. Aujourd’hui, la liturgie propose comme cause de joie Son ascension au ciel: « Aujourd’hui, en fait, rappelez-vous et de célébrer le jour où notre pauvre nature a été élevée en Christ au trône de Dieu le Père » (Saint Léon le Grand, Disc. Ascension 2, 1, 4, PL 54, 397-399).
La fête de l’Ascension ne se réduit pas à une fête étrange où nous est demandé d’être heureux parce que le Christ s’éloigne de nous en s’allant au ciel. Quel est donc le sens de la signification de la « montée » vers le ciel du Christ ressuscité? « Cela signifie croire que dans le Christ l’homme, l’être homme auquel nous participons, est entré, d’une façon nouvelle et inouïe, dans l’intimité de Dieu. Cela signifie que l’homme trouve toujours une place en Dieu. Le ciel n’est pas un endroit au-dessus des étoiles. Il est quelque chose de beaucoup plus audacieux et de plus grand: c’est trouver la place de l’homme en Dieu et cela a son fondement dans la compénétration de l’humanité et de la divinité en Jésus crucifié et élevé au ciel. Le Christ, l’homme qui est Dieu, est à la fois le perpétuel « être ouvert » de Dieu pour l’homme. Il est donc lui-même ce que nous appelons « le ciel » parce que le ciel n’est pas un lieu, mais une personne, la personne de celui en qui Dieu et l’homme sont toujours unis inséparablement » (Joseph Ratzinger, Dogme et Annonce, Paris, Parole et Silence, 2012).
En effet, la dernière phrase de l’Evangile d’aujourd’hui: « Voici, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à ce que la plénitude des temps » (cf. Mt 28, 20), ne contient pas les mots de quelqu’un qui laisse les siens seuls sur la terre. Ces dernières paroles de Jésus ne sont pas un « adieu », mais elles expliquent que Lui, il est le Seigneur vivant d’une vie sans limites et que chaque jour Il est présent, avec sa parole et son consolant Amour, à son Église, son Corps mystique, jusqu’à l’accomplissement du temps.
Jésus, le Fils de Dieu entre dans l’histoire
pour être le « Dieu avec nous » : il réalise complètement sa mission dans le don total de soi en mourant et en ressuscitant,
pour être l’Amour qui se révèle infini quand il s’annihile, quand il donne complètement la vie.
L’Ascension est l’accomplissement du mystère de Dieu: en mourant Jésus annule toutes les limites pour être le « Dieu avec nous. » Il est avec nous pour être l’Amour qui sauve notre amour et rend notre cœur capable d’être la demeure de l’Amour.
Donc, d’une part, l’Ascension n’est pas une fête facile à comprendre, car elle fait spontanément naître la question: « Pourquoi être en fête si le bien-aimé en va? » D’autre part, l’Ascension est une fête claire, parce que cette fête « n’est pas un chemin cosmique géographique, mais elle est la navigation spatiale du coeur qui nous guide de la fermeture sur nous-même vers l’amour qui embrasse l’univers » (Benoît XVI). L’Ascension c’est la fête de notre destin qui vise le ciel de l’amour de Dieu, qui élève la terre de notre humanité.
C’est une fête qui nous montre que le ciel et la terre, la possession et le sacrifice, la paix et la fatigue ne sont pas en conflit. Il ne suffit pas que notre existence soit pleinement et sincèrement dirigée vers le ciel, et après vers la terre et après de nouveau vers le ciel. Notre conduite vers le ciel doit être peu à peu effectuée dans le monde de façon à ce que notre conduite sur la terre révèle celle du ciel. Notre conduite sur la terre doit peu à peu s’élever et devenir prière de désir et cette prière de désir s’éclaire en adoration. Il ne suffit pas que notre vie soit la paix pleinement et véritablement : notre paix devrait être comme la force recueillie de l’effort et de notre travail, comme expiration de la paix.
2) Ascension et mission
Ce destin de paix parfaite dans l’amour est étroitement liée à notre mission: « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 19-20).
L’Ascension du Christ que saint Matthieu nous raconte à la fin de son évangile, c’est un grand début. Les disciples ont vu Jésus tel qu’Il est, comme ils Le virent dans la Transfiguration. Et ils l’adorèrent, en le saluant en signe de confiance amoureuse et d’abandon total. A partir de cette relation d’amour, ils accueillent l’« ordre» d’aller dans le monde entier à enseigner et en baptiser. Baptiser ne signifie pas verser un peu d’eau sur la tête d’une personne, mais la tremper en Dieu, dans le Dieu de la Vie et, après, enseigner à observer ce qu’il commande. Mais ce que le Christ commande? L’amour. Son commandement est de plonger la personne humaine en Dieu-Amour et leur apprendre à aimer, en se laissant aimer et en donnant de l’amour.
Pour accomplir cette mission de charité selon le cœur du Christ nous devons observer ce qu’il nous demande:
« Allez», c’est à dire dépassez toutes les barrières culturelles et religieuses;
« Faites disciples de toutes les nations », c’est à dire formez un « nouveau peuple des peuples;
« En les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », c’est à dire : apportez au monde entier la révélation du nom divin de Dieu: Père, Fils et Saint-Esprit;
« En leur enseignant à observer tout ce que je ai commandé vous » et, par conséquent, annonçant aux hommes toute la révélation de Dieu qui apporte avec elle aussi la révélation même de l’homme. On peut deviner ce que l’homme est vraiment seulement à la lumière de cette révélation de Dieu : seulement dans le mystère du Verbe Incarné s’éclaire vraiment le mystère de l’homme (cf. Gaudium et spes, 22).
Ces indications seraient impraticables sans le Christ qui nous dit à nous aussi: « Voici, je suis avec vous pour tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Il est présent à coté de nous et en nous, toujours. Nous, les chrétiens, nous ne plaçons pas notre confiance en nous-mêmes, en nos propres capacités, mais dans la présence du Seigneur.
Avec le Christ, dans le Christ et pour le Christ, nous devenons des témoins fiables partout dans le monde. Il n’y a pas de frontières, de lieux interdits, de personnes auxquelles vous ne puissiez pas ou ne deviez pas porter le témoignage du Christ. Il est le Seigneur de tout et tout le monde, et par conséquent il doit être annoncé à tout le monde et partout.
Dire que Jésus est le « Seigneur de tout » signifie, en d’autres termes, qu’il donne un sens à toutes choses. « Allez et faites des disciples »: la mission présuppose une tâche. Nous n’annonçons pas Jésus en notre propre nom, et nous n’annonçons encore moins nos pensées, mais seulement « tout ce qu’il a commandé. » Le disciple doit annoncer dans la fidélité la plus absolue et son annonce doit naître d’une écoute.
La mission a besoin d’un départ: « Allez ». Le disciple n’attend pas que les personnes du monde s’approchent à lui: c’est lui qui va à la rencontre des lointains. « Faites disciples toutes les nations »: l’expression est chargée de tout le sens que le mot « disciple » a dans l’Evangile. Il ne suffit pas de livrer un message, mais d’établir une relation de communion. Le disciple est lié à la personne du Maître et est engagé à partager son projet de vie. « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps »: voilà la grande promesse, qui donne le disciple le pouvoir de mener à bien sa mission, d’aller partout dans le monde et prêchant de l’Evangile.
En fait, le Christ ne dit pas: « Prêchez la morale de la sagesse grecque ! » Il ne dit pas, par exemple, d’expliquer l’éthique d’Aristote, non seulement parce que les apôtres étaient sans grande instruction, mais parce que toute sagesse devient peu de chose quand une personne se met à l’école du Christ, qui conduit ses brebis dociles avec amour vers les pâturages éternels de la vérité et de la joie. Ce que le Christ exige des hommes pour pouvoir les faire entrer dans le Royaume de Dieu, ce n’est pas un diplôme d’études ou un certificat de carrière bien faite. Jésus demande un acte très simple et radical: la conversion du cœur et de la renaissance dans la foi et dans le baptême.
« Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croira pas, sera condamné. » Tout d’abord, « croire », parce croire c’est l’acte fondamental de la vie chrétienne. Par le croire, par un acte de foi, la personne humaine choisit en pleine liberté le Royaume de Dieu qui lui est offert par le magistère de l’Eglise. Par un acte de foi le chrétien accepte donc toute la vérité à croire: tout ce que le Christ nous a appris sur Dieu et sur l’homme, le péché, et les fins dernières que sont la mort, le jugement et le Paradis.
Croire c’est voir sa propre vie à la seule lumière de ces vérités en acceptant le joug « doux et léger » de la loi de l’amour de Dieu et du prochain,
Enfin, croire c’est vivre par l’esprit et par le cœur, en pensant et en agissant dans la réalité de la vie divine.
En cela, les vierges consacrées sont un exemple. Par leur vie totalement donnée au Christ elles « prêchent » la vérité de l’amour et le vrai amour rédempteur de Dieu. Ces femmes témoignent que la vie chrétienne est liée à l’Ascension, parce que notre vie s’accomplit en allant vers le ciel et elle dépend de la fidélité aux promesses faites au baptême et renouvelées dans la consécration.
En dépit de la fragilité humaine, et avec la certitude que Dieu est fort dans les faibles, les vierges consacrées accompagnent le Christ-Epoux dans son Ascension. Elles se réjouissent de sa glorification, elles vivent dès maintenant la dimension du Paradis et elles nous rappellent que la fête de l’Ascension du Seigneur est la fête liturgique du Paradis qui s’ouvre à l’humanité avec l’entrée solennelle du Christ dans le ciel, à la droite du Père. Dans son adieu, Jésus laissa aux apôtres (et à nous) sa vérité et sa puissance, parce que son Ascension n’était pas un départ, mais une intensification de sa présence jusqu’à ce qu’aux limites extérieures de l’espace et du temps: « Voici, je suis avec vous toujours, jusqu’à la fin du monde « (Mt 28, 20).
Lecture patristique
Saint Augustin d’Hippone
Sermon sur l’Ascension
«Dieu nous a fait régner aux cieux, dans le Christ Jésus»
Aujourd’hui notre Seigneur Jésus Christ monte au ciel ; que notre cœur y monte avec lui. Écoutons ce que nous dit l’Apôtre : Vous êtes ressuscités, avec le Christ. Recherchez donc les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Le but de votre vie est en haut, et non pas sur la terre. De même que lui est monté, mais sans s’éloigner de nous, de même sommes-nous déjà là-haut avec lui, et pourtant ce qu’il nous a promis ne s’est pas encore réalisé dans notre corps.
Il a déjà été élevé au-dessus des cieux ; cependant il souffre sur la terre toutes les peines que nous ressentons, nous ses membres. Il a rendu témoignage à cette vérité lorsqu’il a crié du haut du ciel : Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? Et il avait dit aussi : J’avais faim, et vous avez donné à manger.
Pourquoi ne travaillons-nous pas, nous aussi, sur la terre, de telle sorte que par la foi, l’espérance, la charité, grâce auxquelles nous nous relions à lui, nous reposerions déjà maintenant avec lui, dans le ciel ? Lui, alors qu’il est là-bas, est aussi avec nous ; et nous, alors que nous sommes ici, sommes aussi avec lui. Lui fait cela par sa divinité, sa puissance, son amour; et nous, si nous ne pouvons pas le faire comme lui par la divinité, nous le pouvons cependant par l’amour, mais en lui.
Lui ne s’est pas éloigné du ciel lorsqu’il en est descendu pour venir vers nous ; et il ne s’est pas éloigné de nous lorsqu’il est monté pour revenir au ciel. Il était là-haut, tout en étant ici-bas ; lui-même en témoigne : Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est au ciel.
Il a parlé ainsi en raison de l’unité qui existe entre lui et nous : il est notre tête, et nous sommes son corps. Cela ne s’applique à personne sinon à lui, parce que nous sommes lui, en tant qu’il est Fils de l’homme à cause de nous, et que nous sommes fils de Dieu à cause de lui.C’est bien pourquoi saint Paul affirme : Notre corps forme un tout, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, bien qu’étant plusieurs, ne forment qu’un seul corps. De même en est-il pour le Christ. Il ne dit pas : le Christ est ainsi en lui-même, mais il dit : De même en est-il pour le Christ à l’égard de son corps. Le Christ, c’est donc beaucoup de membres en un seul corps.
Il est descendu du ciel par miséricorde, et lui seul y est monté, mais par la grâce nous aussi sommes montés en sa personne. De ce fait, le Christ seul est descendu, et le Christ seul est monté ; non que la dignité de la tête se répande indifféremment dans le corps, mais l’unité du corps ne lui permet pas de se séparer de la tête.
On arrive à la Vie par le Chemin de la Vérité, par Mgr Follo
Tous appelés à témoigner de cet amour, chemin vers la Maison du Père
Ve Dimanche de Pâques – Année A – 07 mai 2023
Act 6,1-7; Ps 32; 1Pt 2,4-9; Jn 14,1-12
1) On demeure là où l’on est aimé
L’évangile de ce cinquième dimanche de Pâques commence par l’invitation de Jésus à ne pas se laisser prendre par la peur : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé » (Jn 14,1). Aux disciples troublés par le fait qu’ils vont assister à sa passion et sa mort, le Christ leur dit de ne pas avoir peur et d’avoir foi en Dieu et en Lui. En étant avec eux (et avec nous), il a montré le Père et a ouvert le chemin vers la maison paternelle. En s’en allant de cette façon, il nous donne la force de le suivre. Qui croit en lui, trouve le chemin du retour : participe à sa vie de Fils et connaît la vérité de Dieu comme Père. Face à la peur de la souffrance et de la mort, de l’incertitude et du futur, le Rédempteur Messie répond qu’il n’y a qu’une façon pour vaincre cette peur : avoir foi en Dieu et foi en Lui. Et il a raison: Dieu seul est le roc. Les autres certitudes déçoivent. L’amour de Dieu est fidèle et ne nous abandonne jamais : cette grande certitude apaise le croyant.
Accueillir l’invitation: « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi » (Jn 14,1), n’est pas une adhésion abstraite à un message mais une adhésion amoureuse et confiante à une personne, le Christ, à le suivre quotidiennement, dans les petits gestes quotidiens de notre journée.
Cette confiance amoureuse permet de les faire entrer dans notre cœur et nous comprenons les paroles que Jésus prononce aux versets suivants: « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : “Je pars vous préparer une place” ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. » (Jn 14, 2-3). Que veulent dire ces paroles ? Elles veulent dire que la vraie question n’est pas où est la demeure du Père, mais qui est la demeure du Père ? Le Fils, son corps.
C’est pourquoi à la question: oùhabite le Père et où habite le Fils ? Jésus répond: « Je suis dans le Père, et le Père est en moi » (Jn 14, 11), car une personne demeure là où elle est aimée. Le Père demeure pleinement dans le Fils qui l’accueille, comme le Fils demeure pleinement dans le Père. Et dans cette maison du Père il y a de la place pour beaucoup de gens, il y a de nombreuses demeures. Combien de demeures y-a-t-il dans la maison du Père ? Autant qu’Il a d’enfants, car s’il n’y avait pas une place pour chacun de nous il ne serait pas ce Père que l’on dit juste et miséricordieux.
C’est pourquoi à la question: Où est notre demeure ? La réponse est : notre demeure est dans le cœur du Père.
Mais cette réponse soulève une autre question: Dans quel sens le Christ, notre Frère, nous prépare une place dans « notre » maison ? Il nous la prépare en ce sens qu’il nous la fait connaître, parce que nous ignorions que nous étions des enfants dans le Fils. Donc Jésus nous révèle que nous sommes les enfants du Père et que nous avons donc une place en Lui. Et puis non seulement il nous le révèle, mais il nous donne son amour en nous pardonnant et en se faisant nourriture pour nous, de manière à ce que par cet amour nous demeurions dans le Père et le Père en nous.
2) Le chemin vers la demeure de la vraie vie
Déjà dans l’Ancien Testament le croyant priait: « J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour admirer le Seigneur dans sa beauté et m’attacher à son temple » (Ps 26/27, 4). Mais il faut dire que cette demande de bonheur et d’amour vrai, donc d’un saint amour, est dans le cœur de tout être humain, en tout lieu et de tout temps. A l’homme qui cherche le sens de la vie, d’une vie qui dure et qui demeure dans l’amour du Christ, Jésus Christ dit: « Je suis le chemin ». A ce propos Saint Augustin commente: « Avant de te dire « pour où », il a commencé par te dire « par où ». Moi, je suis le Chemin. Le Chemin pour où ? – La Vérité et la Vie. Il t’a dit d’abord par où aller, il t’a dit ensuite où aller. Moi, je suis le Chemin, moi, je suis la Vérité, moi, je suis la Vie. Lui qui demeure auprès du Père, il est la Vérité et la Vie ; en revêtant notre chair, il est devenu le Chemin. ».
Jésus est le chemin qui amène à la vie, ou plutôt Lui-même est la vie. Il est la vie avant tout: on dit en effet « en lui est la vie », et parce qu’il était la vérité, parce qu’il « était la lumière des hommes » (Jn 1, 4). Et la lumière c’est la vérité. Donc si tu cherches par où passer, accueillons le Christ parce qu’Il est la vie: « Voici le chemin, prends-le ! » (Is30, 21).
Lui est le chemin pour arriver à la connaissance de la vérité, je dirais même qu’il est la vérité ; Guide-moi, Seigneur, sur ton chemin et je marcherai suivant ta vérité (cf. Ps 85, 11). De même qu’il est le chemin pour arriver à la vie, ou plutôt la vie elle-même : « Tu m’as appris le chemin de la vie » (Ps 15, 11 vulgate).
Ce chemin est la chemin de l’amour accompli, le chemin du lavement des pieds, de la bouchée donnée à Judas, du don et du pardon, le chemin de la croix, le chemin qui nous ramène à la maison du Père, le seul chemin, celui de l’amour qui nous fait être avec lui et comme Lui, qui nous aime.
Pour prendre le Chemin de la Vérité et de la Vie, accueillons sérieusement l’invitation de saint Paul quand il écrit : « Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (Phil 2,5), qui « ne se dépouilla d’aucune partie constitutive de sa nature divine, et malgré cela me sauva comme un guérisseur qui se penche sur les plaies infectées. Il était de la lignée de David, mais il fut le créateur d’Adam. Il était revêtu de chair, mais il était aussi étranger au corps. Il fut engendré par une mère, mais par une mère vierge; il était circonscrit, mais il était aussi immense. Et il fut accueilli dans une mangeoire, mais une étoile servit de guide aux Rois Mages, qui arrivèrent en lui portant des dons et s’agenouillèrent devant lui. Il fut victime, mais également prêtre suprême; il fut sacrificateur, et pourtant, il était Dieu. Il offrit son sang à Dieu, et de cette façon il purifia le monde entier. Une croix le souleva de terre, mais le péché resta enfoncé par les clous. Le Fils immortel assuma cette forme terrestre en lui, car il t’aime » (Saint Grégoire de Nazianze).
Pour répondre et correspondre à ce « car il t’aime », à cet amour fraternel, nous devons éprouver ce que le Christ éprouvait. Nous devons donc conformer notre manière de penser aux sentiments de Jésus, qui sont des sentiments d’amour et de compassion, d’humilité et de don, de détachement et de générosité.
Mais cela ne suffit pas. Pour aimer vraiment le Christ et avoir le vrai amour en nous nous devons observer ses commandements, qui témoignent de ses sentiments.
3) La vie consacrée, œuvre et vie d’amour
Tous les croyants sont appelés à témoigner de cet amour, qui est le vrai chemin, un chemin vital, vers la Maison du Père, mais les vierges consacrées en témoignent de manière spéciale car – en se donnant totalement au Christ – elles sont tout particulièrement greffées sur son cœur et rendues capables d’aimer avec Son amour, de donner avec Son cœur, de servir avec Sa lumière, d’œuvrer avec Ses dons. En s’offrant complètement à lui, en vivant leur vie avec joie, ces femmes témoignent que le Christ est le chemin, la vérité, et la vie du monde. Les consacrées sont témoins de cela grâce au langage éloquent d’une existence transfigurée, capable de surprendre le monde. A la stupeur des hommes ces femmes répondent par l’annonce des prodiges de grâce que le Seigneur accomplit en ceux qu’Il aime et qui, humblement, Lui répondent en l’acceptant comme Epoux.
Ces femmes montrent que Jésus est le chemin de la liberté, une liberté qui sait donner la vie, et elles nous rappellent que témoigner n’est pas tant de donner le bon exemple mais de transmettre plutôt le message chrétien « par » l’exemple, « par » la parole, « par » les actes, « par » la vie réelle vécue en faveur de la vérité considérée comme une valeur plus précieuse que notre bien-être et notre propre vie.
Par ailleurs, celles-ci témoignent qu’en se donnant sans réserve au Christ, on reçoit la vraie vie : la vie de Dieu, que le Christ nous a donné l’amour de Dieu comme notre vie. En effet, il ne suffit pas « que Jésus Christ soit le chemin, qu’il soit la vérité, il doit être la vie » (Benoît XVI). Jésus, Parole du Père, est le chemin pour trouver la destination, la vérité, pour ne pas confondre le bien et le mal, et la vie pour ne pas rester esclaves de la mort (Pape François).
Bref, ces femmes consacrées, en vivant une relation personnelle avec le Christ, montrent que LUI l’Epoux n’est pas seulement un maître dont on se limite à apprendre quelque chose. Il est la vérité même: il faut donc avoir une relation personnelle avec lui. En parcourant ce chemin et construisant un rapport avec cette vérité on arrivera à la vie, qui permet d’être avec le Père, dans sa demeure et la nôtre.
Lecture patristique
Saint-Augustin d’Hippone
Discours 141
ANALYSE. – Les philosophes ont pu avec les lumières de la raison se faire quelque idée de la grandeur et de la majesté de Dieu. Mais au lieu de prendre le chemin qui les aurait conduits à la possession de ce bien suprême, ils se sont égarés jusqu’à adorer les idoles. Ah! que nous sommes heureux que la Vérité même se soit faite notre voie dans la personne de Jésus-Christ! Attachons-nous inséparablement à Lui.
Pendant qu’on lisait l’Évangile saint, vous avez entendu, entre autres, ces paroles du Seigneur Jésus : « Je suis la voie et la vérité et la vie. » Quel homme n’aspire à la vérité et à la vie ? Mais chacun n’en découvre pas la voie. Quelques philosophes même profanes ont vu en Dieu une vie éternelle et immuable, intelligible et intelligente, sage et principe de toute sagesse ; en lui aussi ils ont vu une vérité ferme, stable, invariable et comprenant les idées et les formes de toutes les créatures. Malheureusement ils ne l’ont vue que de loin et du sein de l’erreur ; aussi n’ont-ils point découvert la route qui conduit à la possession de ce magnifique, de cet heureux et ineffable héritage. Ce qui prouve en effet qu’ils ont vu réellement, autant du moins que l’homme en est capable, le Créateur à travers la créature, l’ouvrier à travers son ouvrage et dans le monde l’auteur même du monde, c’est le témoignage, irrécusable pour les Chrétiens, de l’Apôtre saint Paul. Il dit donc en parlant d’eux: «La colère de Dieu éclate du haut dit ciel contre toute l’impiété.» Vous reconnaissez bien ici le langage de l’Apôtre. «La colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute l’impiété et l’injustice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’iniquité.» L’Apôtre dit-il que ces hommes ne possèdent pas la vérité? Non, mais ils «la retiennent dans l’iniquité. » Ce qu’ils possèdent est bon, mais ils ont tort de le garder ainsi : « ils retiennent la vérité dans l’iniquité. »
On pouvait demander à saint Paul : comment ces impies sont-ils parvenus à la vérité ? Dieu a-t-il adressé la parole à quelqu’un d’entre eux? Ont-ils reçu de lui la loi, comme le peuple d’Israël par le ministère de Moïse? Comment alors peuvent-ils retenir la vérité, fût-ce dans l’iniquité même? – Prêtez l’oreille à ce qui suit, c’est la réponse. «Parce que ce qui est connu de Dieu est manifeste en eux; Dieu le leur a manifesté.» – Comment! il le leur a manifesté et il ne leur a pas donné sa loi? – Voici de quelle manière. «En effet, ses invisibles perfections; rendues compréhensibles par ses oeuvres, sont devenues visibles.» Interroge le monde et la magnificence du ciel, l’éclat et la disposition des astres, le soleil qui suffit pour former le jour, et la lune qui nous ranime pendant la nuit; interroge cette terre qui produit en abondance et la verdure et les arbres, qui se couvre d’animaux et qu’embellit le genre humain; interroge 1a mer, les grands et nombreux poissons qui la remplissent; interroge l’atmosphère et les oiseaux qui en font la vie; interroge enfin tous les êtres et dis-moi si tous ne te répondent pas à leur manière C’est Dieu qui nous a faits. De nobles philosophes ont ainsi interrogé l’univers, et cet oeuvre leur a fait connaître l’ouvrier. Mais alors, comment dire que la colère de Dieu éclate contre leur impiété? C’est qu’ «ils retiennent la vérité dans l’injustice.» Venez, Apôtre, expliquez-vous. Déjà vous avez montré comment ils sont parvenus à connaître Dieu. «Ses invisibles perfections, dit-il, rendues compréhensibles par ses oeuvres, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité: de sorte qu’ils sont inexcusables. Car après avoir connu Dieu ils ne l’ont point glorifié comme Dieu ni ne lui ont rendu grâces; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur coeur insensé s’est obscurci.» C’est toujours l’Apôtre qui parle et non pas moi. «Et leur coeur insensé s’est obscurci. Ainsi en disant qu’ils étaient sages ils sont devenus fous.» L’orgueil leur a fait perdre ce que la curiosité leur avait fait découvrir. « En disant qu’ils étaient sages, » en s’attribuant les dons de Dieu, « ils sont devenus fous. » Encore une fois c’est l’Apôtre qui l’assure : « En disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous. »
Montrez maintenant, prouvez qu’ils étaient fous. O Apôtre, vous nous avez fait voir (576) comment ils ont pu parvenir à connaître Dieu, « c’est que rendues compréhensibles par ses oeuvres, ses invisibles perfections sont devenues visibles. » Montrez-nous de la même manière comment « en se disant sages ils sont devenus fous. » – Le voici : C’est parce qu’« ils ont changé, répond-il, la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (1). » Les Païens en effet se sont faits (les dieux des figures de ces animaux. Quoi! tu connais Dieu et tu adores une idole! Tu connais la vérité et tu la retiens dans l’injustice! Ce que te révèle l’oeuvre de Dieu, tu le sacrifies à l’oeuvre d’un homme! Tu as tout examiné, tu as saisi l’harmonie du ciel et de la terre, de la mer et de tous les éléments; et tu ne veux pas remarquer que comme le monde est l’ouvrage de Dieu, cette idole est simplement l’ouvrage d’un homme. Si cet homme pouvait donner un coeur à son idole comme il lui a donné une physionomie, cette idole adorerait son auteur. N’est-il par vrai, mon ami, que cette idole est l’oeuvre d’un homme, de même que tu es l’oeuvre de Dieu? Qu’est-en effet ton Dieu? Celui qui t’a formé. Et le Dieu de l’ouvrier en idoles? Celui également qui l’a formé. Le dieu de l’idole n’est-il donc pas aussi l’auteur de l’idole, et ne s’ensuit-il pas que si cette idole avait un coeur, elle adorerait aussi l’ouvrier qui l’a formée ? C’est ainsi que ces philosophes ont retenu la vérité dans l’iniquité et qu’après l’avoir vue, ils n’ont point trouvé le chemin qui conduit à elle (Rm 1,18-23).
Mais le Christ est dans le sein de son Père la vérité et la vie, il est le Verbe de Dieu et c’est de lui qu’il est écrit : « La vie, était la lumière des hommes (2) » il est donc dans le sein de son Père la vérité et la vie, et comme nous n’avions pas le moyen de nous réunir à cette vérité, lui, le Fils de Dieu, qui est éternellement avec son Père la vérité et la vie, s’est fait homme pour devenir notre voie. Suis cette voie de son humanité, et tu arrives à la divinité. C’est lui qui te conduit à lui-même, et pour y parvenir ne cherche personne que lui. Hélas! nous serions toujours égarés, s’il n’avait daigné se faire notre voie; il est réellement devenu la voie où tu dois marcher. Je ne te dirai donc pas: Cherche la voie. Cette voie s’est présentée elle-même devant toi; en avant, marche! Ce sont les mœurs qui doivent marcher en toi en non les pieds ; car il en est beaucoup dont les pieds vont bien, tandis que leur conduite va mal, et tout en courant bien ils se précipitent hors de la voie. Tu rencontreras effectivement des hommes dont la conduite est régulière, mais qui ne sont pas chrétiens: ils courent bien, mais hélas! hors de la voie, et plus ils courent, plus ils s’égarent, puisqu’ils s’éloignent de leur chemin. Ah! si ces hommes entraient dans la voie, s’ils s’y tenaient, quelle sûreté pour eux, puisqu’ils courraient sans s’égarer! Combien au contraire ils sont à plaindre de tant marcher sans être dans la voie! Mieux vaut y marcher en boitant, que de n’y être pas en marchant d’un pas ferme. Que votre charité veuille se contenter de ceci.
Jésus, le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis, par Mgr Follo
L’homme, passion et tragédie de Dieu
IVème dimanche de Pâques – Année A – 30 avril 2023
Ac 2, 14a 36-41 ; Ps 22 ; 1 P 2, 20b-25 ; Jn 10, 1-10
1°) Le bon Pasteur qui donne sa vie
De nos jours, surtout dans nos sociétés urbaines et industrialisées, la figure du pasteur est peu connue et peu appréciée. L’idée même d’être une brebis ne plaît pas à l’homme contemporain qui fait coïncider liberté avec autonomie et qui s’offense d’être appelé brebis.
En revanche, dans l’Ancien Testament la figure du pasteur est déjà très importante. On pense par exemple à ce qu’écrit le prophète Ézéchiel en parlant au nom de Dieu : » C’est moi qui ferai paître mes brebis et c’est moi qui les ferai reposer. Oracle du Seigneur Dieu. Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée, je panserai celle qui est blessée, je fortifierai celle qui est malade. Celle qui est grasse et bien portante, je veillerai sur elle. Je les ferai paître avec justice » (Ez 34, 15-16). La réalisation de cet oracle, nous la voyons dans le Christ, le bon Pasteur. En effet dans l’Évangile, le pasteur évoque une figure douce et émouvante et chacun de nous voudrait bien être la brebis perdue (Lc 15, 3-7) que le bon Pasteur met sur ses épaules après l’avoir cherchée avec détermination.
Mais la figure du pasteur n’est pas seulement importante dans la Bible. Même dans l’Église d’aujourd’hui cette figure maintient de son attrait et de son efficacité. Ce que Dieu a promis à son ancien peuple : « Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur » (Jr 3, 15) est expérimenté aujourd’hui tous les jours dans l’Église, nouveau peuple de Dieu. L’Église sait que Jésus lui-même est l’accomplissement vivant, suprême et définitif de la promesse de Dieu : « Je suis le bon Pasteur » (Jn 10, 11) ; lui « le grand Pasteur des brebis » (He 13, 20) a confié aux apôtres et à leurs successeurs le ministère de paître le troupeau de Dieu (cf Jn 21, 15… ; 1 P 5, 2). Grâce aux prêtres, le peuple de Dieu peut vivre cette obéissance fondamentale qui est au cœur même de son existence et de sa mission dans l’histoire : l’obéissance au commandement de Jésus : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28,19) et « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19 ; cf 1 Cor 11, 24), c’est à dire le commandement d’annoncer son Évangile et de renouveler tous les jours le sacrifice de son corps donné et de son sang versé pour la vie du monde.
Prions donc le Seigneur d’envoyer de bons pasteurs pour la moisson abondante du monde et exigeons des pasteurs d’aujourd’hui qu’ils prennent toujours le Christ comme modèle, lui qui est le bon Pasteur. Qu’ils offrent leur vie pour leurs brebis et qu’ils exposent leur vie avec courage pour les défendre. Qu’ils aiment leurs brebis comme le Christ afin qu’ils puissent ainsi les conduire à la communion avec lui.
La bonté du pasteur se voit dans le don qu’il fait de lui-même pour que les brebis, qui lui ont été confiées, vivent et aient la vie en abondance et aussi dans la connaissance qu’il a de ses brebis. Il les connaît une à une, avec un grand amour et un soin personnel et continu pour chacune d’entre elles. Les brebis « sentent » cela et savent combien leur pasteur est bon. « Connaître » est un verbe qui bibliquement est dans la sémantique de l’amour : on connaît par amour et seulement dans l’amour. Comme une maman – dans l’obscurité de la nuit- « sent » que son enfant est malade, même s’il ne se plaint pas, et se lève pour le soigner, ainsi l’enfant « sent » la mère qui le soigne. L’amour vrai est la connaissance parfaite.
A l’exemple du bon Pasteur, les pasteurs et les brebis vivent et grandissent dans l’appartenance réciproque pour grandir dans l’appartenance au Christ.
2°) L’appartenance au Christ
Nous ne sommes pas le jouet de forces obscures ni d’un destin inexorable : nous appartenons au Seigneur et il connaît chacun de nous pour qui il a donné sa vie et pour qui il est ressuscité. Si nous écoutons sa voix, si nous croyons en lui, nous entrons en possession de la vie même du Seigneur. La foi en effet n’est pas une conception du monde parmi tant d’autres. Avec elle, nous accomplissons un passage décisif : le passage de la mort à la vie. « En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la vie à la mort » (Jn 5, 24) a dit Jésus. Avec la foi, la personne humaine abandonne la contrée de mort de sa vie et entre dans la terre des vivants.
L’Église a toujours demandé à ses pasteurs de méditer constamment cette page : de se réfléchir en elle. Pourquoi ? Tout pasteur est simplement un « signe » du Pasteur. Alors méditons longuement ensemble cette page et cherchons à la vivre en vivant la communion entre nous afin qu’ainsi notre connaissance du Christ s’approfondisse et notre appartenance au Christ grandisse.
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le rapport de chacun d’entre nous avec le seigneur ressuscité est indiqué en premier lieu comme un rapport d’« appartenance » : les brebis n’appartiennent pas au voleur mais au pasteur, oui. L’expérience de l’appartenance est profonde : elle est pour la personne humaine ce que les racines sont pour un arbre.
Mais en quoi consiste cette appartenance ? En premier lieu en un rapport de réciproque connaissance : « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent » (Jn 10, 14). Cette réciproque connaissance est assez importante pour que Jésus la rattache à la connaissance réciproque qui existe entre lui et son Père. En quoi consiste-t-elle ? De notre part, elle consiste dans l’accueil conscient de la parole de Jésus (« ils écouteront ma voix »), en persévérant dans cette parole et en se laissant comme pénétrer par elle. En somme, « connaître Jésus bon Pasteur » signifie adhérer à lui et être guidé par lui dans notre existence par une grande et profonde familiarité avec lui. La connaissance de Jésus de notre part implique aussi et présuppose la connaissance de la part de Jésus de notre personne. Connaître et être connu se réalisent donc comme une réciproque appartenance et disponibilité l’un à l’égard de l’autre. Cette relation de communion entre Jésus et nous ses fidèles est mise en rapport avec le don que lui-même fait de sa vie : « Et j’offre ma vie pour mes brebis ». Il se présente lui comme le bon Pasteur parce qu’il expose, dispose et dépose sa vie en faveur de ses brebis. C’est à dire qu’il accepte d’être le chef parce qu’il est le serviteur de tous, réellement jusqu’à donner sa vie afin que nous trouvions en lui lumière et liberté.
3°) Les vierges consacrées et le Pasteur
En méditant les paroles du Christ qui se présente comme pasteur, c’est à dire comme quelqu’un qui veille jour et nuit pour protéger ses agneaux des voleurs et des bandits et qui donne sa vie par amour pour eux, on en vient à se demander si nous réussirons vraiment un jour à pénétrer dans le cœur d’un Dieu pareil et à comprendre à quel point il nous aime. Dans le Christ nous voyons que ce n’est pas tant l’homme qui cherche Dieu que Dieu qui cherche l’homme. L’homme est la passion et la tragédie de Dieu qui descend de son ciel pour le sauver et pour y retourner avec lui.
Comment répondre à cet amour infini qui nous demande d’aimer avec un amour plus fort que la mort ? Avec des actes d’amour fréquents, en récitant par exemple cet « acte de charité » :
« Mon Dieu, je t’aime de tout mon cœur et plus que tout, parce que tu es infiniment bon et que tu nous ouvres les portes du bonheur éternel ; par amour pour toi, j’aime mon prochain comme moi-même et je pardonne les offenses reçues. Seigneur, que je t’aime par-dessus tout. » C’est ainsi que saint Jean de la Croix explique l’acte d’amour : « L’acte d’amour de Dieu est l’action la plus simple, la plus facile et la plus rapide que l’on puisse faire. Il suffit de dire avec simplicité : « Mon Dieu, je t’aime. » C’est très facile d’accomplir un acte d’amour de Dieu. On peut le faire à tout moment, en toutes circonstances, pendant le travail, dans la foule, dans n’importe quelle ambiance, en un instant. Dieu est toujours présent, à l’écoute, en attente affectueuse de cueillir du cœur de sa créature cette expression d’amour. L’acte d’amour n’est pas un acte sentimental : c’est un acte de la volonté élevée infiniment au-dessus de la sensibilité et qui est aussi imperceptible aux sens. Il suffit que l’âme dise avec la simplicité du cœur « Mon Dieu, je t’aime » (Saint Jean de la Croix).
Les vierges consacrées nous servent ici de modèle : avec le don total et exclusif de leur vie au Christ, elles collaborent avec le bon Pasteur en partageant sa mission de guider les hommes vers la sainteté et en vivant un amour qui ne s’éteint pas avec la mort mais qui devient éternel au Paradis. Leur service pour la pastoral n’est donc pas de faire mais d’être, en témoignant leur appartenance au Christ et ce devoir devient leur mission. A cet égard, il est important de rappeler que leur rite de consécration prévoit parmi la remise de quatre signes, la remise de ces deux « signes » suivants qui expriment leur nouveau statut de consacrée. Comme symbole nuptial, on utilise l’anneau qui figure pour la première fois dans le Pontifical Romain-Germanique vers l’an 950 et la remise du Livre de la Prière de l’Église, un usage connu au XVème siècle et encore aujourd’hui actuellement, parce que comme l’enseigne le Concile Vatican II, la Liturgie des Heures doit devenir la prière de tous les chrétiens, pour prier au nom de l’Église en se servant de la Prière de l’Église. Une prière nuptiale et ecclésiale dont les piliers sont la Bible, vue comme le livre de l’Époux, l’Eucharistie, « sacrement nuptial » et la Liturgie des Heures, « voix de l’épouse à l’Époux » (cf rituel de consécration des vierges N° 26 et 27)
Lecture Patristique
Saint Augustin d’Hippone
Sermon 137
Le Bon Pasteur
ANALYSE. – On serait porté à croire, surtout en lisant la fin de ce discours, que plusieurs s’étaient plaints de la sévérité des avertissements donnés par saint Augustin à son peuple. L’explication de l’Évangile du bon Pasteur lui fournissant l’occasion d’expliquer sa conduite, il en profite. Qu’est-ce donc que le bon Pasteur ? Jésus-Christ s’appelle à la fois la porte et le bon Pasteur. C’est en lui-même et considéré comme chef de l’Église qu’il est la porte, c’est dans son Église même qu’il est Pasteur ; et en disant que le bon pasteur doit entrer par la porte, il veut faire entendre que tout bon pasteur doit recevoir de lui sa vocation et être rempli de son amour. De plus un bon pasteur ne doit pas être un mercenaire ? Qu’est-ce qu’un pasteur mercenaire ? Un pasteur mercenaire, quoiqu’en disent certains ecclésiastiques, est celui dont la conduite, semblable à celle des Scribes et des Pharisiens ; est en opposition avec son enseignement, Il ne remplit pas son devoir pour l’amour de Jésus-Christ, mais par intérêt ; et voilà pourquoi il ne résiste pas avec vigueur aux attaques de l’ennemi, aux mauvais conseils et aux doctrines mauvaises. Il faut le supporter dans l’Église, profiter même de l’enseignement salutaire qu’il donne au nom de l’Église ; mais on doit se garder d’imiter sa lâcheté. C’est pour ne pas faire comme lui et ne mériter pas d’être condamné au tribunal suprême, que saint Augustin reprend avec fermeté, ne consultant que l’avantage spirituel de son troupeau.
Votre foi ne l’ignore pas, mes bien-aimés, nous savons même que vous l’avez appris du Maître qui enseigne du haut du ciel et en qui vous avez mis votre espoir : Celui qui pour nous a souffert et est ressuscité, Jésus-Christ Notre-Seigneur est le Chef de l’Église, l’Église est son corps, et la santé de ce corps c’est l’union de ses membres et le lien de la charité. Que la charité vienne à se refroidir, on est malade tout en faisant partie du corps de Jésus-Christ. Il est vrai, Celui qui a exalté notre Chef divin peut aussi guérir ses membres ; mais c’est à la condition qu’un excès d’impiété ne les fera point retrancher de son corps et qu’ils y restent attachés jusqu’à ce qu’ils soient complètement guéris. Car il ne faut pas désespérer de ce qui lui est uni encore ; mais on ne peut ni traiter ni guérir ce qui en est séparé. Or le Christ étant le Chef de l’Église et l’Église étant son corps, le Christ entier comprend et le chef et le corps. Mais le Chef est ressuscité. Nous avons donc au ciel notre chef qui intercède pour nous, et qui exempt de tout péché et affranchi de la mort, apaise Dieu irrité par nos iniquités. Il veut ainsi que ressuscitant nous-mêmes à la fin des siècles, transformés et pénétrés de la gloire céleste, nous parvenions où il est. Les membres en effet ne doivent-ils pas suivre la tête ? Ah ! puisqu’ici même nous sommes ses membres, ne nous décourageons point ; nous suivrons notre Chef.
Contemplez, mes frères, combien nous sommes aimés de ce Chef divin. Il est au ciel, et pourtant il souffre sur la terre tout le temps qu’y souffre son Église. Ici en effet il a faim, il a soif, il est dépouillé, il est étranger, il est malade, il est en prison. N’a-t-il pas dit qu’il endure tout ce que souffre son corps et qu’à la fin du monde plaçant ce corps à sa droite et à sa gauche les impies qui le foulent aujourd’hui, il dira aux élus de sa droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ? » Et pourquoi ? « Parce que j’ai eu faim et que vous m’avez donné à manger. » Il énumère les autres services comme s’il en avait été l’objet. Les élus mêmes ne le comprennent pas et ils s’écrient : « Quand est-ce, Seigneur, que nous vous avons vu sans pain, sans asile et en prison ? » Et il leur répond : « Toutes les fois que vous avez rendu ces bons offices de l’un des plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous les avez rendus. »
Notre corps même présente quelque chose de semblable. La tête y est en haut et les pieds en (559) bas ; si cependant au milieu d’une foule serrée quelqu’un te marche sur le pied, la tête ne dit-elle pas : Tu me blesses ? Ce n’est ni la tête ni la langue que l’on presse alors ; elles sont en haut, elles sont en sûreté, personne ne les frappe ; mais le lien de la charité unissant tout le corps, de la tête aux pieds, la langue ne sépare point sa cause de celle des autres membres et elle crie : Tu me blesses, quoique personne ne la touche. Si donc notre langue, sans être touchée, peut dire alors qu’on la blesse, le Christ notre Chef ne peut-il dire, sans souffrir personnellement. « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ? » Ne peut-il dire encore à ceux qui ont refusé ce service à ses membres : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ? » Comment enfin conclut-il ? Le voici : « Ceux-ci iront aux flammes éternelles, et les justes à l’éternelle vie (1). »
Dans les paroles que nous venons d’entendre, le Seigneur se présentait à la fois comme étant le pasteur et comme étant la porte. Il disait expressément : « Je suis la porte ;» et expressément : « Je suis le pasteur. » C’est comme Chef qu’il est la porte, c’est dans ses membres qu’il est le pasteur. Aussi bien en établissant l’Église sur Pierre seulement, il lui dit : « Pierre, m’aimes-tu ? – Seigneur, je vous aime, répond Pierre. – Pais mes brebis. » Comme il disait une troisième fois : « Pierre m’aimes-tu ? » Pierre s’attrista de cette troisième demande (2) : si son Maître avait pu voir dans sa conscience qu’il le renierait, ne voyait-il pas dans sa foi combien il était sincère- à le confesser ? Mais Jésus ne cessa jamais de connaître Pierre ; il le connaissait même lorsque Pierre s’ignorait, et Pierre s’ignorait quand il disait : « Je vous suivrai jusqu’à la mort ;» il ne savait pas alors jusqu’où, allait sa faiblesse. Il arrive souvent à des malades de ne connaître point ce qui se passe en eux, tandis que le médecin le sait et quoique celui-ci ne souffre pas ce qu’endure le malade. L’un explique mieux ce qui se passe dans l’autre, que ce dernier n’exprime ce qui se passe en lui-même. Voilà ce qui avait lieu entre Pierre, malade alors, et le Seigneur, son médecin. Le premier prétendait avoir des forces et pourtant il n’en avait pas ; mais en touchant les pulsations de son cœur, Jésus annonçait qu’il le renierait trois fois. On sait comment se réalisa la prédiction du médecin, et comment fat confondue la présomption du malade (3). Si donc le Sauveur l’interrogea après sa résurrection, ce n’est point qu’il ignorât combien était sincère l’amour qu’il professait pour lui ; mais il voulait qu’en confessant trois fois son amour, il effaçât le triple reniement que lui avait arraché la crainte.
Aussi quand le Seigneur demande à Pierre « Pierre m’aimes-tu ?» c’est comme s’il lui disait : Que me donneras-tu, que m’accorderas-tu comme témoignage de ton amour ? Eh ! que pouvait accorder Pierre au Seigneur ressuscité, quand il était sur le point de monter au ciel et d’y siéger à la droite du Père ? Jésus semblait donc lui dire : Ce que tu me donneras, ce que tu feras pour moi, si tu m’aimes, c’est de paître mes brebis, c’est d’entrer par la porte, sans monter par ailleurs. On vous a dit, en lisant l’Évangile « Celui qui entre par la porte est le pasteur ; mais celui qui monte par ailleurs est un voleur et un larron, qui cherche à troubler, à disperser et à ravir. » Qu’est-ce qu’entrer par la porte ? C’est entrer par le Christ. Qu’est-ce qu’entrer par le Christ ? C’est l’imiter dans ses souffrances, c’est le reconnaître dans son humilité, et Dieu s’étant fait homme, c’est avouer que l’on est homme et non pas Dieu. Est-ce en effet imiter un Dieu fait homme que de vouloir paraître Dieu quand on n’est qu’un homme ? On ne t’invite pas à devenir moins que tu es, mais on te dit : Reconnais que tu es homme, que tu es pécheur ; reconnais que Dieu justifie et que tu es souillé. Avoue les taches de ton cœur, et tu feras partie du troupeau de Jésus-Christ ; car cet aveu de tes fautes portera le médecin à te guérir, autant que l’éloigne de lui le malade qui prétend être en bonne santé.
Le Pharisien et le Publicain n’étaient-ils pas montés au temple ? L’un se vantait de sa bonne santé, et l’autre montrait ses plaies au Médecin. Le premier disait effectivement : « O Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme ce Publicain. » Ainsi s’élevait-il superbement au-dessus de lui, et si le Publicain n’eût pas été malade, dans l’impuissance de se préférer à lui, le Pharisien l’aurait haï. Avec de telles dispositions à la jalousie et à la haine, en quel état se trouvait donc le Pharisien montant au temple ? Sûrement il était malade, et en se disant bien portant il ne fut point guéri quand il quitta le temple. Le Publicain au contraire tenait les yeux à terre sans oser les lever vers le ciel, et se frappant la poitrine il disait : « O Dieu, ayez pitié de moi, pauvre pécheur. » Et que (560) conclut le Seigneur ? « En vérité je vous le déclare : le Publicain sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien ; car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé (4). » Ceux donc qui s’élèvent veulent monter par ailleurs dans le bercail ; tandis que ceux qui s’abaissent, y entrent par la porte. Aussi est-il dit, de l’un, qu’il entre et de l’autre, qu’il monte. Monter, vous le voyez, c’est rechercher les grandeurs, ce n’est pas entrer, c’est tomber ; au lieu que s’abaisser pour entrer par la porte, ce n’est pas tomber, c’est être pasteur.
Cependant le Seigneur fait figurer dans l’Évangile trois personnages que nous devons y étudier : le pasteur, le mercenaire et le voleur. Vous avez sans doute remarqué à la lecture de l’Évangile, les caractères assignés par Jésus-Christ au pasteur, au mercenaire et au voleur. Le pasteur, a-t-il dit, donne sa vie pour ses brebis et il entre par la porte. Le voleur et le larron montent par ailleurs. Quant au mercenaire, il fuit lorsqu’il voit le loup ou le voleur, parce qu’étant mercenaire et non pasteur, il ne prend point souci des brebis. L’un entre par la porte, attendu qu’il est le pasteur ; l’autre monte par ailleurs, attendu qu’il est un voleur ; et le troisième tremble et prend la fuite à la vue des ravisseurs qui veulent s’emparer des brebis, attendu qu’il est mercenaire et qu’étant mercenaire il ne prend point souci du troupeau.
Si nous parvenons à bien reconnaître ces trois sortes de personnages, votre sainteté saura qui vous devez aimer, qui vous devez supporter et de qui vous devez vous garder. Il faudra aimer le pasteur, supporter le mercenaire et vous garder du larron.
Il y a en effet dans l’Église des hommes dont l’Apôtre dit qu’ils annoncent l’Évangile par occasion, recherchant auprès des hommes leurs propres avantages, argent, honneurs, louanges humaines (5). Ce qu’ils veulent, ce sont des présents de quelque nature, et ils ont moins en vue le salut de l’auditeur que leurs intérêts personnels. Quant au fidèle à qui le salut est annoncé par un homme qu’y n’y a point part, s’il croit en Celui qu’on lui annonce sans s’appuyer sur le prédicateur, il y aura profit pour l’un, perte pour l’autre.
Le Seigneur disait des Pharisiens : « Ils sont assis sur la chaire de Moïse (6). » Il n’avait pas en vue que les Pharisiens et son intention n’était pas d’envoyer à l’école des Juifs ceux qui croiraient en lui, pour y apprendre le chemin qui conduit au royaume des cieux. N’était-il pas venu effectivement pour former son Église, pour séparer du reste de la nation, comme on sépare le froment de la paille, les Israélites qui étaient dans la bonne foi, qui avaient une bonne espérance et une charité véritable, pour faire de la circoncision comme une muraille, pour y joindre, comme une autre muraille, la gentilité, et pour servir lui-même de pierre angulaire à ces deux murs aboutissant à lui de directions opposées ? N’est-ce pas de l’union future de ces deux peuples qu’il disait : « J’ai aussi d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail, » du bercail des Juifs ; «il faut que je les amène encore, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur ? » Aussi est-ce de deux barques qu’il appela ses disciples ; ces deux barques désignaient les deux peuples qui devaient entrer dans l’Église, lorsque les Apôtres, après avoir jeté les filets, prirent cette multitude de poissons dont le poids faillit les rompre et qu’« ils en chargèrent ces deux mêmes barques (7). » Il y avait bien deux barques, mais il n’y a qu’une Église formée de deux peuples différents qui s’unissent dans le Christ. C’est ce qui était figuré aussi par Lia et Rachel, les deux épouses d’un même mari, de Jacob (8) ; par les deux aveugles assis près de la route et à qui le Seigneur rendit la vue (9). Si enfin vous étudiez avec attention les Écritures, souvent vous y rencontrerez des figures de ces deux Églises qui n’en forment qu’une seule, comme l’indiquent et la pierre angulaire qui unit deux murs et le pasteur qui unit deux troupeaux.
En venant donc pour enseigner son Église et pour établir son école en dehors du Judaïsme, comme nous la voyons établie aujourd’hui, le Seigneur ne voulait pas rendre disciples des Juifs ceux qui croiraient en lui. Sous le nom de Scribes et de Pharisiens il voulait désigner ceux qui un jour dans son Église diraient et ne feraient pas, comme il se désignait lui-même dans la personne de Moïse. Moïse effectivement figurait Jésus-Christ, et si en parlant au peuple il se voilait la face, c’était pour indiquer qu’en cherchant dans la Loi les joies et les voluptés charnelles et qu’en ambitionnant un empire terrestre, les Juifs avaient devant les yeux un voile qui les empêcherait de reconnaître le Christ dans les Écritures. Aussi le voile tomba-t-il après la passion du Seigneur et on vit alors les secrets du sanctuaire. C’est pour ce motif qu’au moment où le Sauveur était suspendu à la croix, le voile du temple se déchira de haut en bas (10) ; et l’Apôtre Paul dit expressément : « Lorsque tu te seras converti au Christ, le voile disparaîtra (11) ; » au lieu « qu’il reste posé sur le cœur, » comme s’exprime le même Apôtre, lorsque tout en lisant Moïse, on ne s’est point attaché au Christ (12). Afin donc d’annoncer qu’il y aurait dans son Église de ces docteurs pervers, que clin le Seigneur ? « Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. »
En entendant ce texte qui les condamne, il est de mauvais ecclésiastiques qui cherchent i en corrompre le sens ; j’en ai réellement entendu quelques-uns qui voulaient l’altérer. S’ils le pouvaient, n’effaceraient-ils pas cette maxime de l’Évangile ? Dans l’impuissance d’y réussir, ils veulent au moins la fausser. Mais par sa grâce et par sa miséricorde, le Seigneur ne leur permet pas d’y parvenir non plus. Toutes ses paroles sont environnées du rempart protecteur de sa vérité ; elles sont tellement posées que si un lecteur ou un interprète infidèle voulaient en retrancher ou y ajouter quoi que ce fût, un homme de cœur, pour rétablir le sens qu’on cherchait à pervertir, n’a qu’à rapprocher l’Écriture d’elle-même en lisant ce qui précède ou ce qui suit. Comment donc s’y prennent ceux dont il est question dans ces mots : « Faites ce qu’ils disent ?» C’est aux laïques, affirment-ils que cela s’adresse.
Il est vrai, que fait un laïque qui veut se bien conduire, lorsqu’il voit un ecclésiastique se conduisant mal ? Le Seigneur a dit, se rappelle-t-il « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font. » Je vais donc suivre les voies tracées par le Seigneur, sans imiter un tel dans ses mœurs. Je recevrai, quand il parlera, non pas sa parole, mais la parole de Dieu. Qu’il s’attache à sa passion, pour moi je m’attache à Dieu. Car si pour me défendre devant Dieu je disais un jour : Seigneur, j’ai vu cet homme qui est votre clerc, se conduire mal et je me suis mal conduit ; le Seigneur ne me répondrait-il pas, mauvais serviteur, ne t’avais-je pas dit : « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font ? » – Quant au laïque mauvais, infidèle, qui ne fait partie ni du troupeau du Christ, ni du froment du Christ et qu’on supporte simplement comme on laisse la paille sur l’aire, que réplique-t-il quand on se met à le presser en lui citant la parole de Dieu ? – Laisse-moi ; à quoi bon me parler ainsi ? Les évêques, les ecclésiastiques mêmes ne font pas ce que tu dis, et tu prétends que je le fasse ? – C’est se chercher, non pas un- avocat de mauvaise cause, mais un compagnon de supplice. Comment être défendu au jour du jugement par un méchant qu’on aura voulu imiter ? Quand le diable parvient à séduire, ce n’est pas pour régner, c’est pour être condamné avec ceux qu’il dupe ; ainsi en s’attachant aux traces des méchants, on s’associe à eux pour l’enfer, on ne s’en fait pas des protecteurs pour le ciel.
Comment donc ces ecclésiastiques qui se conduisent mal faussent-ils la pensée du Seigneur, quand on leur oppose qu’il a eu raison de déclarer : « Faites ce qu’il disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font ?» La sentence est irréprochable répondent-ils. Il vous est dit de faire ce que nous disons et de ne pas faire ce que nous faisons. C’est qu’il ne vous est pas permis d’offrir le sacrifice que nous offrons. – Quelles supercheries de la part de ces…. de ces mercenaires ! Ah ! s’ils étaient de vrais pasteurs, ils ne parleraient pas ainsi. Aussi pour leur fermer la bouche, il suffit d’observer la suite des paroles du Seigneur. « Ils sont assis, dit-il, sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas. » Que signifie ce langage, tues frères ? S’il était ici question du sacrifice à offrir, nous ne lirions point : « Ils disent et ne font pas » car le sacrifice est une action, c’est une offrande faite à Dieu. Qu’est-ce donc qu’ils disent sans le faire ? Le voici dans les paroles qui suivent : « Ils lient des fardeaux pesants et qu’on ne peut porter, et les placent sur les épaules des hommes, sans vouloir même les remuer du doigt (13). » Voilà des reproches manifestes et clairement exprimés. Mais en voulant fausser la pensée du Seigneur, ces malheureux montrent que dans l’Église ils ne cherchent que leurs propres avantages et qu’il n’ont pas lu l’Évangile. S’ils en connaissaient seulement une page et en avaient lu le texte entier, jamais ils n’avanceraient ce qu’ils osent avancer.
Voyez plus clairement encore qu’il y a dans l’Église de ces mauvais docteurs. On pourrait nous objecter que le Seigneur ne parlait que des Pharisiens, que des Scribes, que des Juifs, et qu’il n’y a parmi nous personne qui leur ressemble. Quels sont alors ceux qu’envisage le Sauveur quand il s’écrie : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux ?» et quand il ajoute : « Beaucoup me diront, en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom que nous avons fait beaucoup de miracles, et en votre nom que nous avons bu et mangé ?» Est-ce au nom du Christ que les Juifs font tout cela ? Il est évident toutefois qu’il ne s’agit ici que, de ceux qui portent le nom du Christ. Et que dit ensuite le Sauveur ? « Je leur déclarerai alors : Je ne vous ai jamais connus. Éloignez-vous de moi, vous qui opérez l’iniquité (14). »
Prête l’oreille aux gémissements que l’Apôtre répand sur eux. Les uns, dit-il, annoncent l’Évangile par charité, les autres par occasion, et ceux-ci «ne l’annoncent pas avec droiture (15). » L’Évangile est droit, mais eux ne le sont pas. Ce qu’ils annoncent est droit, mais eux ne sont pas droits. Pourquoi ne sont-ils pas droits ? Parce qu’ils cherchent dans l’Église autre chose que Dieu et ne cherchent pas Dieu même. S’ils cherchaient Dieu, ils seraient purs, attendu que Dieu est le légitime époux de l’âme, et que chercher en Dieu autre chose que Dieu même, ce n’est pas le chercher purement. En voici la preuve, lues frères. Une épouse n’est pas pure, si elle aime son mari parce qu’il est riche ; ce n’est pas lui qu’elle aime alors, c’est plutôt son or. Mais si elle l’aime véritablement, elle l’aime jusque dans le dépouillement et l’indigence. En l’aimant parce qu’il est riche, que fera-t-elle, si par suite des vicissitudes humaines, il vient à être proscrit et jeté tout-à-coup dans la misère ? Il est possible qu’elle le quitte. Ce serait la preuve qu’elle ne l’aimait pas, mais qu’elle aimait son bien. Car si elle l’aimait réellement, elle l’aimerait plus vivement encore quand il tombe dans la pauvreté, puisque la compassion se joindrait en elle à l’amour.
Et pourtant, mes frères, notre Dieu ne saurait tomber jamais dans la pauvreté. Il est riche, c’est lui qui a tout fait, le ciel et la terre, la mer et les Anges. Tout ce que nous voyons et tout ce que nous ne voyons pas dans le ciel, c’est lui qui l’a fait. Mais nous ne devons pas aimer ses richesses, nous devons l’aimer lui-même, lui qui en est l’auteur, car il ne t’a promis que lui. Montre-lui quelque chose de plus précieux que lui, et il te le donnera : La terre est belle, le ciel et les Anges sont beaux ; mais leur Créateur est plus beau encore.
Ainsi donc ceux qui annoncent Dieu avec amour, ceux qui annoncent Dieu pour Dieu même, ceux-là sont de vrais pasteurs et non pas des mercenaires. Leur âme est pure, comme l’exigeait Notre-Seigneur Jésus-Christ quand il disait à Pierre : « Pierre, m’aimes-tu ? M’aimes-tu ? » C’est-à-dire : Es-tu pur ? N’as-tu pas un cœur adultère ? Est-ce tes intérêts et non pas les miens que tu cherches dans l’Église ? Ah ! si tu es pur, tu m’aimes, « pais mes brebis (16) ;» tu ne. ne seras pas un mercenaire, mais un vrai pasteur.
Pour ceux qui excitent les gémissements de l’Apôtre, ils ne prêchaient pas l’Évangile avec pureté. Que dit néanmoins l’Apôtre ? « Mais qu’importe, pourvu que le Christ soit annoncé de quelque manière que ce puisse être, ou par occasion, ou par un vrai zèle (17) ? » C’était tolérer des mercenaires. Le pasteur annonce le Christ avec un vrai zèle, le mercenaire l’annonce par occasion et avec d’autres vues. Ils le prêchent toutefois l’un et l’autre. Écoute ce cri d’un vrai pasteur : « Pourvu, dit Paul, que le Christ, soit prêché, ou par occasion, ou par un vrai zèle ! » Ce bon pasteur laisse agir les mercenaires. Ils font le bien où ils peuvent, ils sont utiles autant qu’ils en sont capables.
Avait-il, dans d’autres circonstances, besoin de quelqu’un qui pût servir de modèle aux faibles ? Il écrivait : « Je vous ai envoyé Timothée, pour vous rappeler mes voies (18). » Qu’est-ce à dire ? Je vous ai envoyé un pasteur qui doit vous rappeler mes voies, parce qu’il se conduit comme je me conduis. Que dit-il encore de ce pasteur qu’il envoie ailleurs ? « Je n’ai personne qui me soit aussi intimement uni et qui s’inquiète pour vous avec une affection aussi sincère. » Mais n’avait-il pas avec lui beaucoup de disciples ? Lisez encore : « C’est que tous cherchent leurs intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ (19). » En d’autres termes : J’ai voulu vous envoyer un pasteur, car il y a beaucoup de mercenaires, et if ne fallait pas vous en envoyer maintenant. – On peut dans d’autres occasions et pour d’autres affaires envoyer un mercenaire ; mais il fallait un pasteur pour ce que Paul avait en vue. Hélas ! il en trouve un à peine dans ce grand nombre de mercenaires ; c’est qu’effectivement il y a beaucoup de mercenaires et peu de pasteurs. Cependant, qu’est-il dit des mercenaires ? « En vérité je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense (20). » Du pasteur au contraire que nous enseigne l’Apôtre ? « Quiconque se tient pur de ces choses, sera un vase d’honneur sanctifié et utile au Seigneur, préparé pour toutes les bonnes œuvres : » non pas pour quelques-unes, mais pour toutes ; « préparé pour toutes les bonnes œuvres (21). » Voilà pour les pasteurs.
Quant aux mercenaires : « le mercenaire prend la fuite lorsqu’il voit le loup rôder autour des brebis. » Ainsi s’exprime le Seigneur. Et pourquoi le mercenaire prend-il la fuite ? « Parce qu’il n’a point souci des brebis. » Par conséquent le mercenaire rend des services tant qu’il ne voit ni loup, ni voleur, ni larron. En voit-il ? Il prend la fuite. Quel mercenaire ne prend pas la fuite, ne sort pas de l’Église, lorsqu’il voit le loup et le larron ? Les loups et les larrons sont nombreux. Ce sont ceux-ci qui montent par ailleurs ? Et quels sont ceux qui montent par ailleurs ? Ceux du parti de Donat qui veulent faire proie des brebis de Jésus-Christ. Ils montent par ailleurs, ils n’entrent point par le Christ, car ils ne sont pas humbles. Ils sont orgueilleux et ils montent. Qu’est-ce à dire, ils montent ? Ils s’élèvent. D’où s’élèvent-ils ? D’un parti, car ils prétendent porter le nom d’un parti. N’étant point dans t’unité, ils sont d’un parti et c’est de ce parti qu’ils montent, qu’ils s’élèvent pour enlever les brebis. Voyez comment ils s’élèvent. C’est nous, disent-ils, qui sanctifions, c’est nous qui justifions, c’est nous qui faisons des justes. Voilà jusqu’où ils montent. Mais qui s’élève sera humilié (22) ; le Seigneur notre Dieu peut les humilier. Le loup désigne le diable. Or le diable et ceux qui marchent à sa suite cherchent à tromper ; aussi est-il dit qu’ils sont revêtus de peaux de brebis et qu’intérieurement ils sont des loups rapaces (23). Eh bien ! qu’un mercenaire voie quelqu’un mal parler, avoir des sentiments pernicieux pour son salut, faire des actes coupables et obscènes ; malgré l’autorité qu’on lui connaît dans l’Église, où pourtant il n’est qu’un mercenaire puisqu’il y cherche son intérêt ; ce mercenaire, tout en voyant un homme périr dans son péché, être saisi au gosier et traîné par le loup au supplice, ne lui dira pas : Tu fais mal, et ne lui fera aucun reproche, par égard pour ses propres intérêts.
N’est-ce pas fuir quand. on voit le loup ? En ne disant pas : Tu fais le mal, ce n’est pas le corps, c’est l’âme qui prend la fuite. Le corps est immobile, mais le cœur s’en va, quand on voit un pécheur et qu’on ne lui dit pas : Tu fais mal, quand on va même jusqu’à s’entendre avec lui.
Ne voyez-vous pas souvent, mes frères, monter ici des prêtres et des évêques, et du haut de cette tribune engagent-ils à autre chose qu’à s’abstenir de prendre le bien d’autrui, de faire des fraudes, de commettre des crimes ? Assis sur la chaire de Moïse, ils ne sauraient parler autrement, et c’est plutôt elle qui parle qu’eux-mêmes. – N’est-il pas dit toutefois : « Cueille-t-on des raisins sur les épines et des figues sur les chardons ? » et encore : « Tout arbre se reconnaît à son fruit (24) ? » Comment donc un Pharisien peut-il enseigner la vertu ? Le Pharisien est l’épine ; comment cueillir le raisin sur l’épine ? – Ah ! c’est que vous avez dit, Seigneur : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. » – Ainsi vous me commandez de cueillir le raisin sur l’épine, quoique vous ayez dit en personne : « Cueille-t-on le raisin sur des épines ? » – Voici ce que répond le Seigneur : Je ne te commande pas de cueillir le raisin sur des épines ; mais examine, regarde bien s’il n’arrive pas souvent à la vigne, lorsqu’elle court sur la terre, de s’entrelacer dans des épines ? Plusieurs fois, mes frères, nous avons vu des ceps de vigne appuyés sur ces figuiers sauvages qui forment ici des haies épineuses ; ces ceps déploient leurs rameaux, ils les entrelacent dans les épines, et au milieu de ces épines on voit pendre des grappes. Mais est-ce sur les épines qu’on les cueille ou plutôt sur la vigne qui s’y entrelace ? Oui, les Pharisiens sont des buissons épineux ; mais une fois assis sur la chaire de Moïse, la vigne s’attache à eux ; à eux sont suspendues des grappes, d’excellents conseils, de salutaires préceptes. Cueille le raisin, tu ne te blesseras point dans l’épine si tu es attentif à ces mots : « Faites ce qu’il disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. » Leurs actions sont des épines, tandis que leurs discours sont le raisin, mais le raisin produit par la vigne, c’est-à-dire par la chaire de Moïse.
Ces mercenaires fuient donc quand ils voient le loup, quand ils voient le larron. Mais, comme je le disais, il ne peuvent, du haut de cette chaire, que vous répétez : Faites le bien, ne soyez point parjures, gardez-vous de tromper, de surprendre personne.
Il est pourtant des hommes assez égarés pour consulter l’évêque sur les moyens à prendre afin de s’approprier le domaine d’autrui. Nous le savons par nous-même, nous ne l’aurions pas cru autrement. Plusieurs donc veulent que nous leur donnions des conseils pervers, que nous leur apprenions à mentir et à tromper ; ils s’imaginent nous plaire ainsi. Mais par la grâce du Christ et si le Seigneur me permet de parler ainsi, jamais aucun d’eux n’a réussi à nous tenter et à obtenir de nous ce qu’il désirait ; car pourvu que Celui qui nous a appelé nous en fasse la grâce, nous sommes pasteur et non pas mercenaire. Cependant que dit l’Apôtre ? « Pour moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ; bien plus, je ne me juge pas moi-même. A la vérité, ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas pour cela justifié, et celui qui me juge, c’est le Seigneur (25). » Ce ne sont pas vos louanges qui me mettent la conscience en bon état. Pourquoi louez-vous ce que vous ne voyez pas ? C’est à Celui qui voit de louer, à Lui encore de reprendre s’il voit en moi quelque chose qui blesse son regard. Car nous sommes bien éloignés de nous croire parfaitement guéris et nous nous frappons la poitrine en disant à Dieu : Aidez-moi dans votre miséricorde à ne point pécher. Je crois pouvoir le dire cependant, puisque je parle en sa présence et n’ayant en vue que votre salut : nous gémissons bien souvent sur les péchés de nos frères ; ces péchés nous accablent et nous tourmentent le cœur ; nous en reprenons de temps en temps les auteurs, ou plutôt nous ne cessons de les en reprendre. J’invoque le témoignage de tous ceux qui voudront réveiller leurs souvenirs : combien de fois n’avons-nous pas repris et repris avec force nos frères dans le désordre !
Je révèle maintenant des desseins à votre sainteté. Vous êtes, par la grâce du Christ, le peuple de Dieu, un peuple catholique, les membres du Sauveur. Vous n’êtes point séparés de l’unité, mais en communication avec ceux qui tiennent aux Apôtres, avec ceux qui honorent la mémoire des saints Martyrs et il y en a dans tout l’univers ; vous êtes l’objet ne notre sollicitude et nous devons rendre bon compte de vous.
Vous savez en quoi consiste ce compte. Pour vous, ô mon Dieu, vous n’ignorez pas que j’ai parlé, que je n’ai pas gardé le silence, vous connaissez avec quelles dispositions j’ai parlé et combien j’ai pleuré devant vous lorsqu’on n’écoutait pas mes avertissements : N’est-ce pas là tout le compte dont je suis chargé ?
Ce qui nous rassure en effet, c’est ce que le Saint-Esprit a fait dire au prophète Ézéchiel. Vous vous rappelez le passage relatif à la sentinelle. « Fils de l’homme, est-il écrit, je t’ai établi sentinelle pour la maison d’Israël. Quand je dirai à l’impie : Impie, tu mourras de mort, si tu ne lui parles pas ;» car je te parle à toi pour que tu lui reportes mes paroles ; si donc tu ne les lui reporte pas, «et que le glaive vienne le frapper et le mettre à mort, » comme j’en ai menacé le pécheur ; « l’impie sans doute mourra dans son péché, mais je demanderai compte de son sang aux mains de la sentinelle. » Pourquoi ? Parce qu’elle ne l’a pas averti. « Au contraire, si la sentinelle voit venir l’épée, si de plus elle sonne de la trompette pour inviter à prendre la fuite et que l’impie «ne se mette pas sur ses gardes, » c’est-à-dire ne se corrige pas pour échapper au supplice dont Dieu le menace ; «si l’épée vient en effet et le mette à mort ; l’impie sans doute mourra dans son iniquité, mais toi, tu auras sauvé ton âme (26). » N’est-ce pas ce qu’enseigne aussi le passage suivant de l’Évangile ? « Seigneur, y dit le serviteur paresseux, je savais que vous êtes un homme dur ou sévère, que vous moissonnez où vous n’avez pas semé, que vous cueillez où vous n’avez rien mis, j’ai donc eu peur et je suis allé enfouir mon talent dans la terre : voici ce qui est à vous. – Serviteur mauvais, répond le Seigneur, et d’autant plus paresseux que tu me connaissais pour un homme dur et sévère, moissonnant où je n’ai pas semé et recueillant ou je n’ai rien mis : » l’avarice même que tu m’imputes devait t’apprendre que je veux profiter de mon argent. « Tu devais donc mettre cet argent chez les banquiers et en revenant je l’aurais repris avec les intérêts (27). » Le Seigneur dit-il ici : Tu devais mettre cet argent et le reprendre ? C’est nous, mes frères, qui le mettons à la banque et c’est Lui qui viendra le reprendre. Priez pour obtenir que nous soyons prêts alors.
La Résurrection, Les Femmes Au Tombeau, Fra Angelico, DP
Le Christ est ressuscité : avec la croix il a ouvert la porte de la mort, avec la résurrection il est avec nous pour toujours, par Mgr Follo
Méditation sur les lectures du Dimanche de Pâques
Dimanche de Pâques – Résurrection du Seigneur – Année A – 9 avril 2023
Ac 10, 34a.37-43 ; Ps 117 ; Col 3, 1-4 ; Jn 20, 1-9
Le christianisme est la religion des vivants
« De tous les jours de l’année, que la liturgie célèbre de diverses manières, il n’y en a pas un qui dépasse en importance la fête de Pâques parce que, dans l’Église de Dieu, elle rend sacrées toutes les autres solennités. Même la naissance du Seigneur est orientée vers ce mystère : le Fils de Dieu n’eut pas d’autre raison de naître que celle d’être cloué à la croix. Dans le sein de la Vierge, en effet, il prit une chair mortelle ; dans cette chair mortelle, fut réalisée entièrement le dessein de la passion ; et ainsi il advint que, par un plan ineffable de la miséricorde de Dieu, celle-ci est devenue pour nous sacrifice rédempteur, abolition du péché et début de résurrection à la vie éternelle » (Saint Léon le Grand, Sermo XLVIII, 1 – P.L. 54, 298 A – 299 A). Il était donc juste et nécessaire que nous nous préparions à Pâques par le chemin (= l’exode) du carême qui nous a rendus encore plus conscients que nous sommes un peuple « constitué par le Christ dans une communion de vie, de charité et de vérité » (Lumen gentium, 9) et pris par lui pour être instrument de la rédemption de toute l’humanité.
Aujourd’hui commence l’exode pascal pour marcher « dans le monde à la recherche de la cité future et permanente (cf. He 13,14) et porter au monde le Christ, auteur du salut et principe d’unité et de paix pour que nous, l’Église, soyons pour tous et pour chacun le sacrement visible de cette unité salvifique » (cf. ibid.).
Qui nous guide sur ce chemin ? Le Christ ressuscité de la mort, une mort à laquelle il avait été condamné de manière absurde, parce qu’il avait dit au monde la vérité et qu’il avait donné l’amour.
Jésus, bon Pasteur, nous guide en utilisant comme crosse, la Croix, sur laquelle il est mort. Sa mort sur la croix parmi les insultes et les mauvais traitements, qu’il a soufferts jusqu’à la mort, fut une mort pour nous, pauvres créatures, pour notre avantage et à notre place. Tandis qu’il subissait la haine des hommes, il prenait sur lui cette haine ; en la leur enlevant et en l’accueillant dans sa miséricorde. Sa mort fut celle de l’amour qui ne meurt pas.
Le Christ, bon Pasteur, non seulement guide ses brebis, mais prend celle qui est perdue sur ses épaules et la ramène à la maison. Serrés contre son corps, nous vivons et en communion avec son Corps, nous atteignons le cœur de Dieu.
Ce cœur infini nous a été révélé par le Christ qui, à travers sa résurrection, révèle que l’amour est plus fort que la mort, plus fort que le mal. La force avec laquelle il nous emporte, serrés sur ses épaules. Unis à son amour, nous montons nous aussi vers la maison du ciel, la demeure de la vie dans l’amour.
Dans le Christ crucifié, la souffrance humaine a un sens parce qu’elle ne vise pas à détruire la vie mais elle sert, pour celui qui sait l’accepter, à la rendre plus intense et plus parfaite : sainte et salvatrice.
La croix n’est pas « scandale » pour les juifs et « folie » pour les Grecs d’il y a deux mille ans ; aujourd’hui aussi, pour beaucoup, elle est « scandale » et « folie ». Mais si nous contemplons avec attention et dévotion le mystère de Pâques, nous comprenons que l’agir « absurde » et « scandaleux » de Dieu a pour raison l’amour gratuit, miséricordieux et tout-puissant de Dieu pour les hommes, qui se manifeste en plénitude et avec puissance sur la croix du Christ. En effet, cette croix a deux faces : l’apparente défaite et la victoire, le Crucifié et le Ressuscité. Dans la croix se révèle toute la méchanceté et la misère de l’homme qui n’hésite pas à condamner le Fils de Dieu innocent, mais se manifestent aussi toute la profondeur et l’efficacité du pardon de Dieu.
Dans le Christ crucifié et ressuscité, ce n’est pas la haine qui a le dernier mot, mais l’amour. Dans cette charité totale, et non ailleurs, il faut chercher la vraie raison de l’espérance chrétienne, la bonne nouvelle , qui donne du sens et de l’épaisseur à la vie et à l’histoire, en dépit des échecs. Mais c’est une bonne et joyeuse nouvelle qui exige une conversion non seulement à une vie morale bonne mais à la religion de la vraie vie.
Dans cette religion, nous marchons avec le Christ ressuscité qui passe de la mort à la vie et nous passons du sacrifice à la gloire, de l’abnégation à la fécondité, du renoncement à l’amour, de l’amour à la vie. Il n’y a pas d’autre voie qui conduise à la béatitude, à la plénitude complète, à la vie. C’est le chemin tracé par la Résurrection.
2) Le Christ est ressuscité. Il n’est pas ici.
Aux pieuses femmes qui, dès les premières lueurs du jour, étaient allées au tombeau pour embaumer le corps de Jésus, les anges dirent : « Vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié. Il est ressuscité, il n’est pas ici ». Ces paroles expriment tout le mystère que nous célébrons aujourd’hui : Jésus le Nazaréen, le crucifié, est ressuscité.
Que veut dire cette affirmation : « Il est ressuscité » ? Cela ne veut pas dire que Jésus mort sur la croix a été réanimé, c’est-à-dire rendu à la vie d’avant, comme par exemple cela s’était produit pour le fils de la veuve de Naïm et pour Lazare, qui furent rappelés de la mort à une vie qui devait ensuite se conclure par une mort définitive. La résurrection de Jésus n’est pas un dépassement de la mort physique que nous connaissons aussi aujourd’hui : dépassement provisoire qui, à un certain moment, se termine par une mort sans retour. Jésus ne revit pas comme un mort réanimé mais, en vertu de la puissance divine, au-delà et en dehors de la zone de ce qui est physiquement et chimiquement mesurable. La puissance de Dieu fait que le corps mort-crucifié de Jésus est rendu participant de la vie divine même : la vie éternelle. Une vie qualitativement différente de celle vécue auparavant.
Pour employer des mots plus concrets (je l’espère, du moins) : le Verbe incarné est introduit, en passant à travers la mort, avec son humanité, dans cette gloire divine dont il jouissait depuis toujours dans sa divinité. Le dernier soir de sa vie terrestre, Jésus avait prié ainsi : « Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe » (Jn 17,5). Le matin de Pâques, cette prière est exaucée.
Cherchez-le en Galilée, c’est-à-dire parmi les vivants.
Après avoir dit aux pieuses femmes : « Il n’est pas ici, il est ressuscité », les anges ajoutent aussitôt : « Allez en Galilée, là, vous le verrez ». Que veut dire pour nous, aujourd’hui, cette indication d’aller en Galilée. Selon moi, au moins pour nous, « Galilée » n’est pas un lieu géographique, c’est le lieu du cœur, un lieu existentiel.
Nous ne devons pas chercher le Christ dans les tombeaux des défunts, ni parmi les grands personnages poussiéreux du temps que nous appelons l’histoire, encore moins dans les livres et les utopies.
Cherchons-le parmi les vivants, cherchons-le parce que le Christ est le Dieu de la fleur vivante et non des pensées mortes.
Mais pourrait-on me demander : « Comment pouvons-nous être sûrs que les vivants ne nous trompent pas ? » Dans ce cas, je répondrais ceci : « Cherchez-le parmi les vivants dans le Christ, c’est-à-dire dans l’Église ». Cherchons-le parmi ceux qui ont la force et la grâce d’affirmer : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Or nous sommes, nous aussi, en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus Christ. Et nous écrivons cela, afin que notre joie soit parfaite » (1 Jn 1,1-4).
À la lumière de ce qu’écrit saint Jean, je cherche à donner quelques indications sur où et comment rencontrer Jésus ressuscité.
La première – j’y ai fait allusion ci-dessus – est l’Église, qui devient une expérience concrète dans la communauté chrétienne, où la Parole nous édifie, les sacrements nous sanctifient et nous rendent participants de la vie du Christ.
La seconde est l’usage de la Bible et, en particulier, l’Évangile à comprendre comme le témoignage de qui a rencontré Jésus et qui, par l’action de l’Esprit Saint, a consigné son expérience par écrit dans les quatre Évangiles. L’Évangile est fondamental : il faut le lire, l’étudier, le méditer, le prier, le vivre avec l’aide de l’Esprit Saint et à l’intérieur de l’Église qui, fidèle au long des siècles au témoignage des apôtres, nous le présente dans la liturgie et le met entre nos mains pour qu’il soit notre nourriture de chaque jour.
La troisième façon de rencontrer le Christ, mort et ressuscité, réside dans les sacrements, en particulier l’Eucharistie qui nous met en communion avec le don de Jésus lui-même qui fait de nous son Corps, et la confession grâce à laquelle nous recevons le fruit de la rédemption qui nous vient de la croix du Christ. Ainsi, notre vie se renouvelle avec un cœur purifié et ouvert au Rédempteur et à notre prochain.
La quatrième façon consiste à pratiquer les œuvres de miséricorde matérielle et spirituelle qui nous permettent de percevoir la présence du Christ dans le pauvre, dans le frère qui est dans le besoin. À cet égard, gardons à l’esprit la parabole du jugement final, où Jésus dit : « Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”» (Mt 25,35-36).
4) Témoins de l’amour ressuscité.
Tout chrétien est appelé à être témoin de la résurrection du Christ, surtout dans les environnements humains où l’oubli de Dieu et le désarroi de l’homme sont plus forts, en cultivant dans son cœur l’effort pour demeurer dans l’amour de Dieu, en restant uni à lui et avec les autres . Quelle est alors la spécificité du témoignage des vierges consacrées dans le monde ? Qu’il est possible de vivre exclusivement pour l’amour du Christ. En se donnant complètement à lui, elles vivent aussi un amour d’obéissance au Christ, faisant sa volonté et vivant son amour crucifié. À un certain moment, pour aimer, Jésus est entré dans l’expérience progressive de se vider de lui-même jusqu’à la croix. Si nous voulons aimer en chrétiens, nous devons le savoir et faire comme lui. Cette façon d’aimer met l’Autre avant moi et me fait vivre de son amour de Ressuscité. Oui, l’amour du Christ est un amour ressuscité, un amour qui recommence toujours depuis le début, c’est un amour de Pâques. L’amour du chrétien est lumineux, comme le soleil du matin, c’est un amour qui se reprend, qui ne reste pas tranquille, qui se relève toujours. C’est un amour plein de courage parce que c’est le don ému de soi. L’amour de Jésus est ainsi et il est capable de transformer la tristesse en joie, de rendre le cœur brûlant, de rappeler les Écritures, comme pour les deux disciples d’Emmaüs. L’amour virginal est, d’une manière spéciale, un amour ressuscité. La virginité consacrée témoigne que l’on peut vivre pour Dieu et dans son amour, et annoncer par la parole et par la vie la résurrection du Christ, en témoignant de la communion entre nous et de la charité envers tous, sans exclure personne. De cette façon, les vierges consacrées continuent à répondre positivement à la question que leur pose l’Evêque : « Voulez-vous suivre le Christ selon l’Evangile de telle sorte que votre vie apparaisse comme un témoignage d’amour et le signe du royaume à venir ? » (cf rituel de consécration des vierges : n°17)
Lecture Patristique
Saint Pierre Chrysologue ( 380 – 450
Sermon 76, 2-3
CCL 24 A, 465-467
L’Ange avait dit aux femmes: Vite, allez dire à ses disciples: Il est ressuscité d’entre les morts; il vous précède en Galilée: c’est là que vous le verrez (Mt 28,7). En disant cela, l’Ange ne s’adressait pas à Marie Madeleine et à l’autre Marie, mais, en ces deux femmes, c’est l’Église qu’il envoyait en mission, c’est l’Épouse que l’Ange envoyait vers l’Époux.
Et tandis qu’elles s’en vont, le Seigneur vient à leur rencontre et les salue en disant: Je vous salue, réjouissez-vous. <> Il avait dit à ses disciples: Ne saluez personne en chemin (Lc 10,4); comment se fait-il que sur le chemin il accoure à la rencontre de ces femmes et les salue si joyeusement? Il n’attend pas d’être reconnu, il ne cherche pas à être identifié, il ne se laisse pas questionner, mais il s’empresse, plein d’élan, vers cette rencontre; il y court avec ardeur et, en les saluant, il abolit lui-même sa propre prescription. Voilà ce que fait la puissance de l’amour: elle est plus forte que tout, elle déborde tout. En saluant l’Église, c’est lui-même que le Christ salue, car il l’a faite sienne, elle est devenue sa chair, elle est devenue son corps, comme l’atteste l’Apôtre: Il est la Tête du Corps, c’est-à-dire l’Église (Col 1,18).
Oui, c’est bien l’Église en sa plénitude que personnifient ces deux femmes; les événements le montrent avec évidence; à ses disciples qui doutent de sa résurrection, le Christ doit apporter des preuves, il doit apaiser leurs craintes, il doit les rappeler à la foi en montrant son côté et les trous des clous, puis en prenant avec eux de la nourriture. Et c’est à juste titre qu’il nomme « enfants » ceux qui étaient si petits dans la foi, lorsqu’il leur demande: Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger (Jn 21,5)?
Mais ces femmes, il les trouve déjà parvenues à la maturité de la foi; elles ont dominé leurs faiblesses et elles se hâtent vers le mystère, elles cherchent le Seigneur avec toute la ferveur de leur foi. Aussi méritent-elles qu’il se donne à elles, lorsqu’il va à leur rencontre et leur dit: Je vous salue, réjouissez-vous. Il les laisse non seulement le toucher, mais le saisir à la mesure de leur amour. Comme nous venons de l’entendre dans la proclamation de l’Évangile: Elles s’approchèrent et, lui saisissant les pieds, elles se prosternèrent devant lui (Mt 28,9). Oui, elles saisissent ses pieds, ces femmes qui, dans l’Église, sont les modèles des messagers de la Bonne Nouvelle. Elles ont mérité cette grâce par l’élan de leur course; elles touchent avec tant de foi les pieds du Sauveur qu’il leur est donné d’embrasser la gloire divine.
Jésus entre à Jérusalem accueilli par le peuple en fête, par Mgr Follo
Méditations sur les lectures du dimanche des Rameaux
Is 50, 4-7 ; Ps 21; Phil 2, 6-11; Mt 26, 14-27, 66
Jésus entre à Jérusalem accueilli par le peuple en fête, mais Lui sait que son chemin est vers la hauteur de la Croix, vers le moment d’amour qui se donne.
1)La joie de la Croix
La liturgie de ce dimanche, qui nous fait rentrer dans la Semaine Sainte, Grande[1] et Authentique[2], présente deux phases : l’une pleine de joie, l’autre pleine de douleur.
Dans la 1ère phase nous sommes appelés à prendre part à la joie pour le Messie, qui rentre triomphant en Jérusalem et est accueilli par le peuple qui agite les rameaux avec des chants de joie. Le peuple exalte Jésus, car il le reconnait comme le Messie, le Christ, le Roi envoyé par Dieu : Jésus. le Fils de l’homme est aussi le Fils de Dieu.
Dans la 2ème phase, nous est mis devant les yeux et au cœur le fait qu’à la suite[3] de ce moment de célébration ce même Seigneur vit le drame : il subit un procès, il est flagellé, et mis en croix jusqu’à mourir.
Comment faire le lien entre ces deux moments qui semblent en contradiction l’un avec l’autre ?
Comment se rejoignent ces deux souvenirs ? Ils se joignent dans la Croix qui est trône, autel et chaire ; ils se rejoignent également dans le signe de la Croix que nous sommes souvent appelés à faire, surtout au début de chaque liturgie.
Afin de comprendre cette réponse, mettons-nous à la place de l’un de la foule qui en ce jour a acclamé Jésus en criant : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Mc 11,9 ; Ps 117/118, 25 s). Le peuple lève ce cri devant Jésus, car en lui il reconnaît Celui qui vient au nom du Seigneur (l’expression « Celui qui vient au nom du seigneur » était devenue l’appellation du Messie).
En Jésus ils reconnaissent Celui qui est réellement venu au nom du Seigneur et qui amène la présence de Dieu parmi eux. Ce cri d’espoir d’Israël, cette acclamation de Jésus pendant son entrée à Jérusalem, est à raison devenu dans l’Église l’acclamation, la louange de celui qui vient à notre encontre et nous offre son Règne. Nous rentrons dans son Règne de paix et saluons en Lui tous nos frères et sœurs, à l’encontre desquels il vient, pour devenir vraiment un règne de paix dans ce monde déchiré.
Il s’agit d’un Roi complètement différent de tous les autres, parce que :
Il est pauvre (il se sert d’une ânesse pour rentrer triomphant à Jérusalem) ; il est pauvre[4] parmi les pauvres et pour les pauvres ;
Son trône est la Croix, symbole de celui qui n’enlève pas la vie mais qui la donne ;
Il utilise la Croix comme une chaire d’où il enseigne que l’amour est plus puissant que la mort. Il est roi et maître, il nous enseigne de ne pas contrecarrer l’injustice par une autre injustice, la violence par une autre violence. Il nous enseigne que nous pouvons et devons vaincre le mal seulement par le bien et ne pas rendre le mal par le mal.
Avec le Christ la Croix n’est plus un signe de déni de vie mais elle devient l’autel où le sacrifice pour la vie s’accomplie.
Au profit de qui est fait ce sacrifice ? Je dirais qu’il est accompli au profit de l’Amour infini, qui se trouve blessé en nous, par nous et pour nous.
La Passion du Christ
Dans ce dimanche des Rameaux nous sommes invités à reconnaitre que la croix est le vrai arbre de la vie, sur lequel le Christ, qui est vie, a vaincu la mort par le don, d’amour et complet, de lui-même.
La croix est l’instrument de la Passion du Christ non seulement parce qu’elle lui faire souffrir les douleurs les plus immenses mais aussi car elle montre toute la passion de Son amour.
Oui, le Christ nous aime d’un amour passionné, jusqu’à mourir pour nous. N’est-ce pas ce que nous tous désirons ? En effet, nous désirons quelqu’un qui nous aime vraiment, d’un amour que nous ne retrouvons nulle part. Sauf à le retrouver, en morceaux, dans les parents, les fiancés, les familles, les enfants et les amis. Morceaux de cet amour qui sont dispersés dans le temps et qu’il est tellement difficile de rassembler pour qu’ils donnent du sens, de la paix et de la joie à nos existences. Le voilà, aujourd’hui, celui que nous désirons. Le voilà nous aimer jusqu’à se faire tuer pour nous.
Nous lisons aujourd’hui avec pitié, attention et dévotion le récit de la Passion. Nous y rencontrerons le Sanhédrin, les Grands Prêtres Anne et Caïphe, le roi Erode, le préfet Ponce Pilate, le délinquant Barabbas, et tous les autres ainsi que les fouets, les clous, les lances et la Croix.
Mais, si nous lisons avec les yeux de notre cœur, nous y retrouverons aussi les trames de nos vies. La Passion est notre vie d’hier, d’aujourd’hui et de demain. La Passion est provoquée par les peines, les angoisses, les douleurs, les rêves brisés, les tristesses, les péchés.
La Passion du Christ renferme en elle-même l’entrecroisement de notre vie. Nous y retrouverons un sens à tout ce qui nous semble confus, aux fils sans queue ni tête, aux douleurs et aux joies enchevêtrées sur les heures, aux expériences perdues dans le temps. Notre histoire est contenue dans sa totalité dans la passion d’amour de Jésus, réellement pour nous, pour tout ce qui est à nous.
Nous méditons avec dévotion sur le récit de la Passion du Rédempteur. Nous y trouverons l’amour qui naît des souffrances que le Christ subit pour nous. Il est descendu du ciel pour l’amour et pour l’amour passionné a donné sa vie pour nous. Et il continue encore aujourd’hui à descendre dans nos vies à chaque instant, afin de nous faire part de sa charité. « Le Christ n’est pas venu expliquer la souffrance, mais l’habiter de sa présence » (Paul Claudel) : plutôt que d’écouter explications et discours nous devons contempler le fait du Christ sur la Croix. Il s’agit d’un fait, simple et réel : Il se trouve sur la Croix pour nous, pour être avec nous pour toujours. Et il transforme en amour tout ce qui est à nous. Le soleil de la joie et de la Résurrection passe à travers de cet amour, comme à travers d’un beau vitrail de la Cathédrale de Chartres.
Si nous souhaitons vivre de manière authentique cette Dimanche des Rameaux et la Semaine Sainte, dont la première est la porte d’entrée, nous devons regarder avec les yeux de Jésus, patient (= ‘malade’ d’amour) crucifié, de manière à reconnaitre notre chair dans sa chair. « Que la nature terrestre se mette à trembler au supplice de son Rédempteur,
Que les pierres, c’est-à-dire les esprits des incroyants, se fendent ;
Que les hommes, écrasés par le tombeau de la condition mortelle,
Surgissent en fracassant la masse qui les tenait captifs.
Qu’ils se montrent, eux aussi, dans la Cité sainte, c’est-à-dire dans l’Église de Dieu,
Comme des présages de la résurrection future.
Et ce qui doit un jour se produire dans les corps, que cela se réalise dans les cœurs »
(Saint Léon le Grand, Sermon sur la Passion).
Les vierges consacrées et la Passion du Christ
Comme d’habitude, je m’adresse maintenant en particulier aux vierges consacrées, qui ont tout abandonné pour garder intacte la perle qu’est leur chasteté et qui suivent de manière passionnée le Christ. Pendant cette période sainte, elles se consacrent, avec beaucoup d’intensité, à la méditation et à l’imitation de la passion du Christ. Le Messie est comparé à une perle pour laquelle les vierges renoncent à tout plaisir terrain en donnant un témoignage de l’amour reconnaissant avec lequel elles s’offrent à l’Époux sur la croix.
« Il existe, en effet, deux voies très brèves et efficaces pour suivre Dieu.
La première voie consiste dans l’observation des lois et des pratiques ordinaires que la Sainte Église recommande ; plus précisément, il s’agit de suivre les conseils dispensés par le Christ dans l’évangile, c’est à dire la chasteté, la pauvreté, l’obéissance et d’autres saintes habitudes. Toutes les règles découlant des conseils évangéliques et des constitutions de nos saints Pères, nous offrent la merveilleuse possibilité de contrôler le comportement extérieur et de se consacrer aux vertus.
Quant à la deuxième voie, elle consiste à imiter la passion de Jésus Christ, en méditant avec assiduité et chasteté. » (Discours d’un auteur anonyme rhino-flamand).
Leur vie chastement donnée au Christ porte en soi les signes de la résurrection à venir : ce qu’un jour doit se réaliser dans les corps, s’accomplit maintenant dans leurs cœurs ; et dans nos cœurs aussi si, comme elles, nous vivons avec pureté. (cf. Prière litanique, rituel de consécration des vierges n° 20 : « Pour qu’il te plaise d’entretenir et d’augmenter en ton Église l’amour de la virginité, de grâce, écoute-nous, pour qu’il te plaise d’affermir dans tous les chrétiens l’espérance de la résurrection et du monde à venir, de grâce, écoute-nous »)
Le simple peuple, voyant tous les miracles du Christ, crut en lui, non seulement en ayant envers lui une foi silencieuse, mais aussi en proclamant sa divinité en actions et en paroles. Car, après avoir réveillé Lazare d’un sommeil de quatre jours, Jésus prit un âne que ses disciples lui avaient amené, selon la narration de l’évangéliste Matthieu, le monta et entra ainsi à Jérusalem selon la prophétie de Zacharie: Ne crains pas, fille de Sion, voici ton roi qui vient à toi, le juste, le Sauveur; il est humble et monté sur un âne, le petit d’une ânesse (Za 9,9). Par ces paroles le prophète montre que le roi ainsi prédit était ce roi qui seul est appelé à juste titre « roi de Sion ». Car il veut dire : Ton roi ne doit pas inspirer la crainte par son aspect, il ne doit être ni sévère ni cruel, il n’a pas de gardes du corps ni d’escorte, il n’entraîne pas derrière lui une foule de fantassins ni de cavaliers. Il n’agit pas avec rapacité, n’exige pas des impôts ni des taxes, ni des services ou des fonctions non moins viles que nuisibles. Mais ses attributs sont l’humilité, la pauvreté, la modestie. Il fait son entrée sur un âne, sans déployer aucune escorte humaine. C’est pourquoi lui seul est le roi juste qui sauve dans l’équité, et qui est doux en même temps, car la douceur est ce qui le caractérise.
Aussi le Seigneur a-t-il dit de lui-même : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11,29).
Lui donc, qui avait ressuscité Lazare, ce roi trônant sur un âne, fait ainsi son entrée dans Jérusalem. Et toute la foule, presque tous les enfants, les hommes, les vieillards, étendant leurs vêtements et prenant des branches de palmier, qui sont l’insigne de la victoire, sont venus au-devant de lui comme vers l’auteur de la vie et le vainqueur de la mort, devant qui ils se prosternaient, et qu’ils escortaient non seulement au-dehors mais au-dedans des remparts de la ville, chantant d’une seule voix : Hosanna au Fils de David ! Hosanna au plus haut des cieux (Mt 21,9) ! Cet hosanna est un hymne adressé à Dieu. Il se traduit : « Sauve-nous, Seigneur ! » Ce qu’on ajoute : au plus haut des cieux, montre qu’il n’est pas célébré seulement sur terre ni seulement par les hommes, mais dans les cieux et par les chœurs des anges.
[3] Comme indiqué dans la lecture de la Passion du Seigneur Jésus selon Saint Matthieu.
[4] Il ne s’agit pas d’une pauvreté matérielle, il faut entendre la pauvreté dans le sens des anawim d’Israël : âmes croyantes et humbles que nous retrouvons autour de Jésus dans la perspective de la première Béatitude du Sermon sur la Montagne.
Le Christ ouvre les yeux aussi à ce qui est mort, en le ressuscitant, par Mgr Follo
Méditation sur les lectures du 5e dimanche du Carême
Ez 37, 12-14; Ps 129; Rm 8,8-11; Jn 11,1-45
1) L’Amour éternel donne la vie éternelle.
Dimanche dernier, nous avons médité sur le miracle de l’aveugle né et nous avons vu que Jésus nous ouvre les yeux sur la réalité totale, pour nous faire voir l’homme nouveau, l’homme libre à l’image de Dieu.
Aujourd’hui, le Christ veut nous ouvrir les yeux sur cette réalité extrême devant laquelle nous fermons tous les yeux : la mort. Notre désir le plus profond est celui de ne pas mourir. Nous avons le désir d’une vie pleine, d’immortalité, mais nous savons qu’il n’est pas possible de nous sauver tous seuls des eaux de la mort. En effet, c’est comme si chacun de nous tire ses cheveux vers le haut au moyen de ses mains pour sortir d’un tourbillon d’eau qui nous entraîne au fond de la mer. Ce geste, par ailleurs absurde, ne peut pas nous sauver d’aller au fond de la mer de la vie. Nous nous sauvons uniquement en serrant la main de l’Ami qui, en prenant notre main tendue, nous tire du tourbillon de la mort et nous pose à ses côtés dans l’arche de la vie.
Grâce au Christ, la mort n’est plus la fin triste de notre vie. Notre exode ne se termine pas dans une tombe qui ne fait que glorifier la mort. Le Christ, celui dont la mort et la résurrection vient avant celle de Lazare, nous révèle que la mort est le passage dramatique pour entrer dans la vie définitive. La mort est la porte que la Croix, comme une clef, ouvre pour nous faire entrer dans la vie vraie et pour toujours.
Certes, nous acceptons difficilement la logique de la Croix qui nous montre que celui qui est aimé de Dieu n’est pas abandonné par Lui. Le Christ nous sauve par la Croix et non pas malgré la Croix. Et si avec les yeux de foi nous regardons la Croix, nous comprendrons toujours davantage la logique de ce qui d’instrument de mort devient un instrument de vie. Ceci est réellement un point ferme pour les chrétiens : si l’on veut trouver un sens dans la vie et dans l’histoire, il faut savoir voir la gloire de Dieu dans la Croix du Christ. Ce n’est pas possible différemment. La Croix « ouvre » à la résurrection, anticipée -dans un certain sens- par celle de Lazare, qui manifeste l’amour puissant de Dieu et démontre que le dernier mot ce n’est pas à la mort n’a pas son dernier mot. La dernière parole est à Dieu qui est Amour et qui donne la vie pour toujours.
Celui qui accepte cet Amour et qui y correspond, vit déjà de maintenant la vie éternelle. Le Seigneur ne veut pas donner une recette bon marché pour éviter la mort – nous sommes limités et nous existons grâce et à cause de cela. Le Seigneur veut nous donner une autre façon de vivre nos limites, y compris la limite de la mort. La limite n’est pas la négation de moi-même; la limite est le lieu où je peux entrer en relation avec les autres et avec l’Autre avec le A majuscule, grâce auquel je peux avoir un rapport d’amour et de communion qui ne finit jamais. Quand un amant dit à l’aimée : « Je t’aime », cela signifie : « Ne meurs pas », mais il sait que c’est seulement un désir très fort.
Lorsque c’est Dieu qui nous dit « Je t’aime », ce « Ne meurs pas » est une donnée de fait, non pas un simple souhait. Avec la résurrection du Christ, Dieu qui est Amour, porte dans son règne de vie l’humanité esclave du règne de la mort.
2) Le « signe » de la résurrection de Lazare.
Avec cette introduction, nous comprenons que le récit évangélique d’aujourd’hui nous parle de la résurrection de Lazzare non seulement comme un miracle exceptionnel mais comme « signe » de quelque chose d’ autre , de celle vie éternelle que nous vivons déjà de maintenant et que la mort n’interrompe pas . Le Seigneur nous enseigne que la vie éternelle qui est l’amitié avec Dieu, qui nous fait vivre un vie libre de l’hypothèque de la mort, parce que nous vivons maintenant ce rapport avec Lui, avec les frères, une vie qui va déjà au-delà de la mort : c’est un rapport éternel avec un Amour sans fin.
La résurrection de Lazare est le dernier « signe » accompli par Jésus avant d’affronter la passion et vaincre la mort sur la Croix grâce à sa résurrection. Encore plus, nous pouvons dire que c’est le signe par excellence : Jésus n’est pas simple guérisseur mais il est la « résurrection et la vie » pour tous.
Il est donc juste d’affirmer que la résurrection du Christ est le centre de l’Evangile. La mort et la résurrection de Lazare en est la conséquence anticipée qui nous aide à comprendre la mort et la résurrection de Jésus. En parlant de la mort de Lazare, Jésus dit : « C’est un sommeil ». La différence entre le sommeil et la mort est que la mort est la fin de tout et que le sommeil est le prélude du début du nouveau jour. Nous pourrions dire que la mort du Christ n’est pas une mort, elle est le prélude pour retourner auprès du Père et pour donner la vie aux frères, comme toute la vie.
La comparaison entre Lazare et Jésus est évidente dans le passage évangélique d’aujourd’hui. L’histoire de Lazare (c’est-à-dire : nous) s’entremêle avec celle du Christ, parce que Lazare (donc nous) est abandonné à la mort et que Jésus est abandonné à la Croix, et aussi parce que la résurrection de Lazare Lui coûte la vie. Les chefs du peuple décident de le tuer parce qu’il a ressuscité Lazare. Donc vie pour vie : c’est une résurrection à un prix élevé pour Lui.
Le Rédempteur qui a dit qu’il n’y a pas plus grand amour que celui de donner la vie pour les amis (cf. Jn 15,13), décide d’aller chez son ami.
Jésus qui aime[1] réellement Lazare, le laisse toutefois mourir. Pourquoi ? Chacun de nous comprend qu’il s’agit du mystère de nos existences, nous sommes créatures humaines : une promesse de vie démentie, une promesse de Dieu qui se contredit. Un mystère inquiétant, même si l’évangile nous raconte que Jésus a pleuré devant la mort de son ami, comme s’Il s’est senti perdu face à l’imminence de Sa mort sur la Croix. La mort, comme la Croix, continue à rester quelque chose d’incompréhensible : nous sommes face à un Dieu qui nous dit nous aimer mais qui toutefois semble nous abandonner.
Le mystère de l’existence de l’homme, aimé par Dieu et toutefois abandonné à la mort, se reflète et s’agrandi dans le mystère de la Croix de Jésus. Mais il se résout, si nous regardons la Croix avec des yeux vrais, de foi, parce qu’il y a voir et voir. Nous pouvons regarder le Christ sur la Croix de deux façons :
– le regard sans foi de qui s’arrête au scandale et voit dans la mort de l’homme, comme dans la croix du Christ, le signe d’un échec. Et il y a :
– le regard de foi, qui dépasse le scandale, et voit que la résurrection resplendit dans La Croix de Jésus et dans la mort de chaque homme.
Et cela est vraiment un point important pour les chrétiens : si l’on veut trouver un sens dans la vie et dans l’histoire, il faut voir la gloire de Dieu dans la Croix du Christ. Ce n’est pas possible différemment. Et avec cette précision je rappelle le mystère de l’existence de l’homme – qui dans le mystère de La Croix du Christ se reflète, s’agrandit et se résout- nous pouvons conclure notre réflexion. Jean a su transformer l’épisode de Lazare en un discours hautement théologique et, donc, existentiel, adressé à chaque femme et à chaque homme qui a le courage de se poser la question du sens de sa vie.
3) Jésus résurrection pour notre vie, maintenant et pour l’éternité
Les thèmes abordés au cours des dimanches précédents convergent en synthèse heureuse dans la Liturgie d’aujourd’hui : Jésus, source de l’eau vive (3e dimanche de Carême avec l’évangile de la samaritaine) et source de la lumière (4e dimanche de Carême avec l’évangile de l’aveugle né) , est celui qui donne la vie à qui croit en lui (Evangile d’aujourd’hui).
Le thème central de l’Evangile de Lazare est celui de la vie. Le « signe de la vie » est l’aboutissement final du chemin du baptême. Le chrétien, consacré par le baptême, vit la même vie de Jésus. Il en suit le destin de mort et de résurrection. Il en partage la signification et garde dans le cœur l’espérance de pouvoir rester avec son Seigneur pour toujours. Cette vie, commencée avec la consécration du baptême, est éternelle et ne meurt plus.
Comment vivre aujourd’hui l’expérience de Lazare?
Avant tout en se laissant approcher par le Christ qui dit encore aujourd’hui : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais moi je vais le réveiller ». Jésus fait une révélation surprenante et utilise l’image du sommeil pour parler de la mort ; les disciples, au contraire pensent au sommeil comme le début d’une guérison qui éloigne la mort.
Pour Jésus, ce « retour à la vie » est uniquement un signe de l’autre vie, la vie divine, qui est donnée aux croyants. Les disciples ne l’imaginent pas et pensent encore au « retour » à une vie dont la fin est seulement rapportée.
En second lieu, nous accueillons avec une foi renouvelée la révélation de la résurrection : « Jésus dit à Marie : Ton frère ressuscitera (…). Moi, je suis la résurrection et la vie; celui qui croit en moi, même s’il est mort, vivra ». Avant de faire ce signe, Jésus l’explique et met son message sur un plan différent; Jésus est en train de révéler le sens de sa mission. La vie que Jésus donne, n’est pas un retour à la vie précédente, mais le don de la vie éternelle : celle qui ne meurt pas, parce qu’il est Lui la Vie.
Enfin, prions avec le Christ qui leva les yeux et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours, mais je l’ai dit pour les personnes qui m’entourent pour qu’elles croient que toi tu m’as envoyé ». Jésus remercie le Père non pas pour la résurrection de Lazare mais pour la sienne. Avec les mêmes sentiments du Christ, marchons avec Lui qui nous prend par la main pour nous conduire, pendant ces jours saints, sur la croix et nous offrir la résurrection.
Jésus s’offre à Dieu à notre place. La mort mord le Fils en s’illusionnant d’avoir gagné contre Dieu. Mais « Dieu a préparé pour elle une nourriture empoisonnée : la mort s’en nourrit mais mange sa fin » (Chrétien Anonyme).
4) Virginité et résurrection
Je termine ces réflexions sur la résurrection, avec des pensées relatives au témoignage prophétique des vierges consacrées dont la vocation a toujours une dimension eschatologique. « La vie de ces personnes est un transfert de la vie des anges sur la terre, et est une préannonce de la vie après la résurrection … A bonne raison, la virginité est appelée vertu angélique. Saint Cyprien affirme, en écrivant aux vierges : ‘Ce que nous serons un jour, vous commencez déjà à l’être. Vous jouissez de la gloire de la résurrection, passez à travers le monde sans en être contaminées. Tant que vous persévérez chastes et vierges, vous serez comme les anges de Dieu »(De habitu virginum, 22,PL 4, 462). A l’âme assoiffée de pureté et du désir du royaume des cieux, la virginité est présentée « comme une pierre précieuse », pour laquelle un tel « vendit tout ce qu’il avait et l’acheta » (Mt 13, 46). Ceux qui sont mariés et ceux qui sont dans la boue des vices, lorsqu’ils voient les vierges, admirent la splendeur de la blancheur de leur pureté « (Pie XII, Sacra Virginitas – Virginité consacrée).
Mais déjà, les Pères de l’Eglise insistaient et affirmaient qu’il y a l’image de Dieu incorruptible et le visage du Christ, Verbe Incarné dans la virginité consacrée ; Par exemple, Saint Ambroise de Milan affirme que la virginité consacrée est le « sacerdoce de la chasteté », « où il n’est pas difficile de percevoir une sensibilité particulière de l’esprit humain qui semble anticiper ce que l’homme recevra dans la résurrection future (Saint Jean Paul II, Audience Générale du 10 mars 1982
Lecture Patristique
Saint Augustin d’Hippone
XLIX Traité
RÉSURRECTION DE LAZARE
Le Christ a ressuscité trois morts pour manifester sa puissance. La mort corporelle est l’image de la mort spirituelle, avec cette différence, néanmoins, qu’on redoute l’une et qu’on ne craint guère l’autre: la résurrection des corps est aussi l’emblème de celle des âmes par la foi. Si la fille de Jaïre et le fils de la veuve de Naïm figurent les pécheurs non invétérés de pensée et d’action, Lazare représente ceux qui se trouvent plongés dans la corruption de mauvaises habitudes. Sa résurrection miraculeuse devait être une preuve de la divinité du Christ. En raison de la mauvaise volonté des Pharisiens, les Apôtres voulaient le dissuader de se rendre à Béthanie, mais Jésus, après les avoir rappelés au devoir, et leur avoir appris ce qu’est la mort avant le jour du jugement, s’en alla, et ils le suivirent. Avant de ressusciter Lazare, il déclara à Marthe qu’il est principe de vie pour le corps et pour l’âme; que quiconque croit, vivra toujours de la vie de la grâce. Arrivé prés de Marie, il frémit et pleura pour donner au pécheur l’exempte de ce qu’il doit faire pour revenir à la vie de l’âme. La suite indique comment les esclaves des mauvaises habitudes parviennent à en obtenir le pardon et à en sortir. A la suite de ce miracle eurent lieu et un grand émoi parmi les Pharisiens, et la prophétie de Caïphe.
De tous les miracles opérés par Notre-Seigneur Jésus-Christ, le plus célèbre est la résurrection de Lazare. Mais si nous en remarquons bien l’auteur, nous devrons bien plus nous en réjouir que nous en étonner. C’est celui qui a créé l’homme qui a ressuscité un homme; car il est le Fils unique du Père, et par lui, vous le savez, toutes choses ont été faites. Si donc c’est par lui qu’ont été faites toutes choses, y a-t-il rien d’étonnant à ce qu’un homme ait été ressuscité par lui, quand tant d’hommes naissent chaque jour par l’effet de sa puissance? C’est bien plus de créer les hommes que de les ressusciter. Cependant il a daigné créer et ressusciter; créer tous les hommes et en ressusciter quelques-uns. Car le Seigneur Jésus a fait beaucoup de choses; mais toutes n’ont pas été écrites; l’Evangéliste Jean lui-même nous atteste que le Seigneur Jésus a fait et dit beaucoup de choses qui n’ont pas été écrites[2]: on choisit de préférence, pour les écrire, les choses qui paraissaient suffire au salut des croyants. Tu as entendu que le Seigneur Jésus a ressuscité un mort: il te suffit de savoir que, s’il avait voulu, il aurait ressuscité tous les morts; mais il s’est réservé de le faire à la fin du monde. Car pour lui qui, comme vous l’avez appris, a par un grand miracle fait sortir vivant du tombeau un mort qui y était renfermé depuis quatre jours, « l’heure viendra », comme il dit lui-même, « où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et sortiront ». Il a ressuscité un mort déjà tombé en putréfaction; mais cependant ce cadavre infect avait encore la forme de corps humain; mais au dernier jour, c’est avec des cendres que d’un seul mot il reconstituera des corps. Il fallait néanmoins qu’en attendant il fît quelques miracles qui nous fussent donnés comme des marques de sa puissance, afin que nous croyions en lui, et que nous nous préparions à cette résurrection, qui sera pour la vie et non pour la condamnation. Car voici ce qu’il dit: « L’heure viendra où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et ceux qui auront bien fait sortiront pour la résurrection de la vie; ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement[3] « .
Nous lisons dans l’Evangile que trois morts ont été ressuscités par le Seigneur, et ce n’est assurément pas sans raison; car les œuvres du Seigneur ne sont pas seulement des actions, elles sont aussi des signes. Si donc elles sont des signes, outre qu’elles ont un côté admirable, elles nous indiquent certainement aussi quelque chose de caché à nos yeux. Mais trouver ce que signifient ces actions offre parfois plus de difficulté que de les lire ou de les entendre. Nous écoutions avec admiration, comme en présence d’un grand miracle étalé à nos regards, lorsqu’on nous lisait dans l’Évangile de quelle manière Lazare a été ressuscité. Si nous y réfléchissons, par une opération bien plus admirable de Jésus-Christ, tout homme qui croit ressuscite: et si nous reportons notre attention sur tous ceux qui meurent, et si nous pensons au genre de mort le plus lamentable, celui qui pèche se fait mourir. La mort du corps, tout homme la craint, et la mort de l’âme, bien peu la redoutent. Pour la mort du corps, qui, sans aucun doute, doit arriver un jour, tous cherchent à l’empêcher de venir: c’est là tout leur travail. Il travaille à ne pas mourir, l’homme qui doit mourir, et l’homme qui doit vivre éternellement, ne travaille pas à ne point pécher, et lorsqu’il travaille à ne pas mourir, il s’occupe inutilement: car ce qu’il fait ne peut servir qu’à différer l’heure de la mort et non à l’éloigner tout à fait. Si, au contraire, il voulait ne pas pécher, il n’aurait pas tant de peine et il vivrait éternellement. Oh! si nous pouvions exciter les hommes et nous exciter nous-mêmes avec eux à aimer la vie permanente autant qu’ils aiment cette vie fugitive! Que ne fait pas l’homme tombé en danger de mort? En voyant le glaive suspendu sur leur tête, plusieurs ont livré ce qu’ils avaient en réserve pour assurer leur vie. Quel est celui qui n’aurait pas tout donné pour n’être pas frappé? Et après cet abandon peut-être a-t-il été frappé. Quel est celui qui, pour vivre, ne consentirait pas à l’instant à perdre ce qui le faisait vivre, préférant une vie de mendiant à une prompte mort? Quel est celui à qui l’on a dit: Embarque-toi, si tu neveux pas mourir, et qui a hésité? Quel est celui à qui l’on a dit: Travaille, si tu ne veux pas mourir, et qui a été paresseux ? Ils sont bien légers les ordres que Dieu nous donne pour nous faire obtenir une vie éternelle, et nous négligeons de lui obéir! Dieu ne te dit pas: Sacrifie tout ce que tu as, pour vivre pendant un temps bien court, et accablé de soucis; mais il dit: Donne aux pauvres une partie de ce que tu as, si tu veux vivre toujours et à l’abri de toute peine. Ils sont notre condamnation, les amateurs de cette vie temporelle qu’ils n’ont ni quand ils veulent, ni aussi longtemps qu’ils le veulent, et nous ne nous condamnons pas nous-mêmes, nous qui nous montrons si paresseux, si lâches à ne quérir la vie éternelle, que nous aurons si nous le voulons, et que nous ne perdions jamais quand nous l’aurons. Et cette mort que nous craignons tant, nous la subirons malgré nous.
[1] Cet amour est souligné plusieurs fois et l’évangéliste Jean pour le désigner utilise le verbe grec « agapo » qui indique l’amour oblatif, sans condition, désintéressé, sans la recherche d’un intérêt personnel.
Rite De La Lumière, 1er Juillet 2021, Capture Zenit / Vatican Media
Les yeux guéris et purs permettent au cœur de voir la lumière du Christ
Par Mgr Francesco Follo
Rite Romain
1 S 16, 1b.6-7.10-13a; Ps 22; Ep 5, 8-14; Jn 9, 1-41
Rite Ambrosien
Ex 34,27-35,1; Ps 35; 2Co 3, 7-18; Jn 9, 1-38b
Dimanche de l’aveugle
1°) La lumière pour les yeux de l’âme.
Alors que dimanche dernier, à travers l’Évangile de la Samaritaine, Jésus nous a promis, à nous aussi, le don de l’eau vive (Jn 4, 10.11), ce VIème dimanche de Carême, appelé aussi « Laetare » (Réjouissez-vous) nous présente le Christ « lumière du monde » qui guérit un aveugle-né (cf Jn 9, 1-41).
Qu’est-ce qu’un aveugle-né? C’est une personne qui ne sait rien de la beauté de la création et des créatures. C’est quelqu’un qui vit sans voir les arcs en ciel, la douceur des champs, la majesté des montagnes, les couleurs des fleurs et des arbres. C’est quelqu’un qui vit sans pouvoir ou savoir donner un visage aux personnes qui lui sont proches.
Un aveugle-né est surtout quelqu’un qui ne connaît pas la joie de pouvoir regarder dans les yeux avec amour une personne qui lui est chère. C’est une grande tristesse que d’avoir des yeux et de ne pas voir, de devoir s’en remettre uniquement à ce que l’ouïe et le toucher nous font percevoir et d’être obligé de marcher sur la route avec un bâton dans les mains en devinant les obstacles sans savoir où ils sont.
Cependant il y a une cécité bien pire chez l’homme qui n’a pas la foi et qui ne connaît pas Jésus qui est la seule Vérité qui illumine le monde, qui donne sens aux faits, espace à l’intelligence, profondeur à l’amour, goût à tout ce que nous sommes et à tout ce que nous faisons, affections comprises. Cet homme-là est vraiment aveugle: que sait-il de la Lumière ou plutôt avec quelle lumière marche-t-il, juge-t-il les choses et les faits ?
Providentiellement, le Christ lui guérit les yeux du corps mais aussi ceux de l’âme par le toucher de ses doigts. Cela nous rappelle ce qui nous est arrivé le jour de notre baptême quand nos yeux ont été caressés et bénis par le prêtre pour qu’ils s’ouvrent à la Lumière qu’est le Christ. Cette lumière du Christ nous est donnée pour que nous puissions vivre en enfant de la lumière, une fois nos yeux du cœur guéris, eux qui rendaient notre âme aveugle lorsqu’ils étaient malades.
Imaginons la scène, surtout lorsque Jésus prend un peu de terre et la mélange avec sa salive. Il en fait de la boue et l’enduit sur les yeux de l’aveugle. Ce geste fait référence à la création de l’homme que la Bible nous raconte avec l’image de la terre façonnée et animée du souffle de Dieu (cf Gn 2, 7). « Adam » en effet signifie « terrien, pétri de terre » (Adam vient de la parole hébraïque adamah qui veut dire terre) et le corps humain est effectivement composé d’éléments de la terre. En guérissant l’homme, Jésus opère une nouvelle création. Donner la vue, en un certain sens, équivaut à donner la vie. Ce n’est pas par hasard si, en Italie, on dit d’une femme qu’elle « donne à la lumière » un enfant quand elle lui donne la vie. Venir à la lumière c’est profiter des couleurs du monde, de la liberté de se déplacer sans peur, de courir dans la lumière et de sauter de joie.
Cependant la signification la plus profonde de ce miracle de la lumière est que non seulement les yeux du corps mais aussi ceux de l’âme peuvent voir. Ainsi l’on peut regarder dans la profondeur du mystère du Christ, voir sa vérité et son amour et s’exclamer: « Je crois, Seigneur » (Jn 9, 38) en se prosternant devant Lui dans un geste d’adoration comme le fit l’aveugle-né dès qu’il fut guéri. A partir de ce moment-là commença pour cet homme un chemin de foi.
2°) Un chemin de foi dans la lumière.
Le chemin de foi auquel Jésus invita le miraculé nous est proposé à nouveau aujourd’hui par l’Église. C’est un chemin de croissance dans la connaissance du mystère du Christ et dans l’expérience que nous faisons de lui qui est lumière et qui nous conduit à la plénitude de la vision, même au milieu des obstacles et des zones d’ombre de la vie.
La grâce la plus grande que reçoit du Christ ce miraculé anonyme – qui représente donc chacun de nous – n’est pas tant celle de voir que celle de le connaître lui, de le voir comme « la lumière du monde » (Jn 9, 5). Le miracle est que le Christ ne fait pas voir seulement la lumière du soleil mais aussi celle de la vérité.
Dans le miracle de l’aveugle-né nous voyons que la conversion est d’accepter de se laisser ouvrir les yeux sur la réalité comme elle est vraiment: en Dieu et non comme nous la voyons quand nous la regardons avec les yeux qui ne sont pas ceux de la foi.
Faisons donc nôtre l’invitation de Saint Bonaventure pour un chemin de l’esprit vers Dieu: » Ouvre donc les yeux, tends l’oreille spirituelle. Ouvre tes lèvres et dispose ton cœur pour pouvoir dans toutes les créatures voir, écouter, louer, aimer, vénérer, glorifier, honorer ton Dieu » (Itinarium mentis in Deum, I, 15).
C’est un chemin que nous pouvons accomplir en suivant l’exhortation de Saint Paul: « Frères, autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière – or la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité – et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt. Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte même d’en parler. Mais tout ce qui est démasqué est rendu manifeste par la lumière, et tout ce qui devient manifeste est lumière. C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » (Ep5, 8-14 – IIème lecture de ce dimanche).
C’est un chemin sur lequel nous sommes appelés à être témoin de la lumière et de l’amour qui naissent de la foi. « La foi nous montre le Dieu qui a donné son Fils pour nous et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie l’affirmation: Dieu est Amour. De cette façon, elle transforme notre impatience et nos doutes en une espérance assurée que Dieu tient le monde entre ses mains et que malgré toutes les obscurités il triomphe. […] La foi […] suscite à son tour l’amour. Il est la lumière – en réalité l’unique – qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité et qui nous donne le courage de vivre et d’agir. L’amour est possible, et nous sommes en mesure de le mettre en pratique parce que nous sommes créés à l’image de Dieu » (Benedetto XVI, Deus caritas est, n.39).
Vivre l’amour est de cette façon faire entrer la lumière de Dieu dans le monde, voilà ce à quoi je voudrais tous vous inviter et chacun de nous en particulier.
Comme l’enseigne le pape François: « Notre vie est parfois semblable à celle de l’aveugle qui s’est ouvert à la lumière, qui s’est ouvert à Dieu, qui s’est ouvert à sa grâce. Parfois malheureusement, elle est un peu comme celle des docteurs de la loi, des pharisiens qui s’enlisent toujours plus dans leur cécité intérieure: du haut de notre orgueil, nous jugeons les autres, et même le Seigneur ! A la fin de l’épisode de l’homme aveugle de naissance auquel Jésus donne la vue, alors que de présumés voyants continuent à rester aveugles dans l’âme, l’aveugle guéri parvient à la foi, et c’est la grâce la plus grande qui lui est faite par Jésus : non seulement de voir, mais de Le connaître, de Le voir comme « la lumière du monde » (Angélus du 30 mars 2014).
3°) La virginité pour la lumière.
L’aveugle-né se rendit – les yeux fermés mais avec une bonne raison: l’injonction du Christ – à la piscine de Siloé pour se laver les yeux enduits de boue. Quand ses yeux furent lavés, il vit, il crut et il annonça. La guérison fut corporelle et spirituelle. Ainsi non seulement il vit des personnes et des choses mais il vit aussi la vérité de Dieu et de l’homme. Il vit que Dieu est pour l’homme, que Dieu est amour, que Dieu donne tout, que Dieu se donne lui-même, que Dieu donne la liberté, que la liberté est amour et service.
Ce miracle nous invite à demander au Seigneur de guérir les yeux de notre âme, donc de nous convertir à lui pour que nous puissions le contempler et le suivre.
Les vierges consacrées dans le monde sont un exemple de cette conversion devenue chemin continu par la consécration qui implique une offrande complète de sa propre vie au Christ. Que Dieu « continuellement les purifie et les renouvelle pour les faire apparaître devant lui immaculées et saintes comme des épouses parées pour les noces. Dans le mystère de cette Église, vierge et mère, par l’intermédiaire de ton Esprit, suscite la variété des dons et des charismes pour l’édification de ton règne. C’est toi qui parles, o Père, au cœur de tes filles et qui les attire par des liens d’amour afin que dans l’attente ardente et vigilante, elles alimentent leur lampe et aillent à la rencontre du Christ, le roi de gloire » (Préface de la Messe du Rite de consécration des Vierges).
Vous avez entendu la lecture d’Évangile (Jn 9,1 sv.), où l’on rapporte que le Seigneur Jésus vit sur son passage un aveugle de naissance. Si le Seigneur, après l’avoir vu, n’a pas poursuivi sa route, nous non plus nous ne devons pas poursuivre notre chemin quand le Seigneur n’a pas voulu le faire; d’autant plus qu’il s’agissait d’un aveugle de naissance, ce qui n’a pas été signalé pour rien.
Il y a en effet une cécité qui vient souvent d’une maladie nuisible à la vue, et qui s’atténue avec le temps. Il y a une cécité qui est engendrée par la sécrétion de certaines humeurs. Celle-là aussi, quand sa cause est supprimée, est généralement chassée par l’art médical. Cela doit vous faire comprendre que si cet homme, aveugle de naissance, est guéri, ce n’est pas un effet de l’art, mais d’une puissance souveraine. <
En effet, ce qui est un défaut de la nature, c’est au Créateur de le corriger, car il est l’auteur de la nature. Ce qui lui a fait dire: Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (Jn 9,5), c’est-à-dire que tous ceux qui sont aveugles peuvent voir, s’ils me cherchent, moi, la lumière. Approchez-vous et vous serez dans la lumière (Ps 33,6), afin que vous puissiez voir.
Ensuite, que veut dire le fait suivant? Jésus rendait la vie par son commandement, il donnait le salut par un précepte en disant au mort: Viens dehors, et Lazare sortit de son sépulcre (Jn 11,43). Ou encore, il avait dit au paralytique: Lève-toi, emporte ton grabat (Mc 2,11-12), et le paralytique se leva et se mit à emporter son grabat, qui servait à le transporter à cause du relâchement de tous ses membres. Alors, pourquoi, ici, Jésus a-t-il craché, fait de la boue dont il a enduit les yeux de l’aveugle, en lui disant: Va, et lave-toi dans la fontaine de Siloé, dont le nom signifie Envoyé. Et il y alla, il se lava, et il se mit à voir (Jn 9,7)? Quelle est la raison de cette différence? Elle est importante, si je ne me trompe; c’est qu’il voit davantage, celui que Jésus touche.
Remarquez tout à la fois sa divinité et sa vertu sanctifiante. Étant la lumière, il a touché l’aveugle et il l’a éclairé. Étant prêtre, il a réalisé, sous le signe du baptême, les mystères de la grâce spirituelle.
Qu’il ait fait de la boue et qu’il en ait enduit les yeux de l’aveugle, cela ne signifie rien d’autre que ceci: avec la boue qu’il lui applique, il a rendu à la santé ce même homme qu’il avait façonné avec de la boue (cf. Gn 2,7). Cela signifie aussi que notre chair tirée de la boue reçoit la lumière de la vie éternelle par les mystères du baptême. Toi aussi, approche-toi de Siloé, c’est-à-dire de celui qui est l’Envoyé du Père, puisque tu connais cette parole: Ma doctrine n’est pas la mienne, mais la doctrine de celui qui m’a envoyé (Jn 7,17). Que le Christ te lave, pour que tu voies. Viens au baptême, c’est justement l’époque; viens vite, afin de pouvoir dire, toi aussi: Je suis allé, je me suis lavé, et j’ai vu ; et pour que tu dises, toi aussi: J’étais aveugle et j’ai vu ; pour que tu dises, toi aussi, comme celui qui vient d’être inondé par la lumière: La nuit est finie, le jour est tout proche (Rm 13,12).
Méditation pour le 3e dimanche de Carême (Année A)
Une invitation à comprendre que la femme samaritaine représente toute l’humanité : seul le Christ peut assouvir cette soif d’amour qu’aucune idole ne peut assouvir.
Lectures : Ez 17,3-7; Ps 94; Rm 5,1-2.5-8; Jn 4,5-42
Introduction
Pour IIIème dimanche de Carême, comme plus tard pour les IVème et Vème dimanche de Carême, l’Eglise nous ne propose pas l’Evangile selon Mattieu mais trois passages tirés de l’Evangile selon Saint Jean où on retrouve le récit des trois rencontres de Jésus :
Celle de la Samaritaine qui arrive au puits de Jacob et qui reçoit, comme don, l’eau qui désaltère pour toujours;
Celle de l’aveugle de naissance qui reçoit la lumière des yeux et celle du cœur;
Celle de l’ami Lazare que le Christ ressuscite.
La rencontre de chacune de ces trois personnes met en évidence (en lumière) certains aspects de la personne de Jésus, Fils de Dieu, qui donne la vie, en désaltérant avec l’eau « spirituelle », en donnant la lumière pour voir Dieu et pas seulement les choses, en donnant la vie à l’ami, ce qui veut dire à chacun de nous.
Notre soif
Puisque Dieu est amour, Il a soif d’aimer et d’être aimé; l’homme, sa créature, a soif d’être aimé et d’aimer. Cette soif porte, aujourd’hui, le Christ à demander à la femme Samaritaine : « Donne-moi à boire » (cfr Jn 4,7). Le Fils de Dieu vient à nous comme un mendiant, il a besoin de ce que nous pouvons lui donner : « La chose la plus grande dans l’amour de Dieu n’est pas le fait qu’il nous aime, mais le fait qu’il nous demande notre amour, comme s’il ne pouvait se passer de ce que nous lui pouvons donner. Lui qui est infini, lui qui est éternel, lui qui est suffisant à lui-même, il est fatigué et se repose au bord d’un puits » (Don Divo Barsotti). La Samaritaine représente l’humanité entière, et sa soif d’amour ne peut pas être assouvie par aucun homme (la Samaritaine en a eu six).
Nous cherchons à imaginer la scène de l’Evangile d’aujourd’hui : vers midi une femme va chercher de l’eau au puits de Jacob, qui se trouve à côté du village où elle habite, et dans quelques minutes, elle aboutit à la foi que la rencontre avec le Christ suscite. Jésus est là au puits à l’attendre et exprime lui aussi son désir. Cela veut dire que la foi nait de la rencontre de ces deux désirs profonds qui « dialoguent » entre eux. La soif du Christ révèle le secret de la soif de cette femme qui nous représente tous.
Pourquoi cette femme arrive-t-elle à la foi et pourquoi y arrive-t-elle si rapidement?
Parce qu’elle accepte de dialoguer avec le Christ qui l’attend au bord d’un puits. Parce qu’elle arrive au puits, où elle va tous les jours parce que son corps a soif tous les jours. Toutefois, la Samaritaine a aussi soif et surtout soif d’amour et elle ne la trouve ni dans l’amour exacerbé ni en changeant continuellement d’amour (avec cinq hommes déjà quittés, celui avec elle vit maintenant, le Christ se présente, en étant lui le « septième »)
Parce qu’elle n’y arrive pas seulement assoiffée d’eau qui désaltère le corps mais aussi de celle qui éteint la soif de vérité, d’amour et de justice. Cette soif « spirituelle » – devant Jésus qui lui dit « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jn 4, 10) – porte cette femme à mendier en disant « Seigneur, donne-moi de cette eau » (Jn 4, 15).
Cette femme ne représente pas seulement l’humanité vivante au temps de la vie terrestre du Christ. Elle représente aussi toute l’humanité de toujours, dont la soif est bien exprimée par ces mots : » Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau (Ps 63, 2).
La soif de l’homme ne s’est pas éteinte ni en ce temps-là ni à jamais : elle est inextinguible. En chaque être humain se trouve la question essentielle du sens (à entendre comme signification, direction et goût de la vie) et ouverture à l’Infini. A cette demande d’infini, le monde répond avec une infinité des choses qui ne comblent jamais le cœur de l’homme qui veut l’infini, parce qu’il est capable de Dieu. A cet égard, le Catéchisme de l’Eglise Catholique, au Chapitre I qui a pour titre : L’homme est « capable » de Dieu, souligne le fait que le désir (cela veut dire la soif) de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme, parce que l’homme a été créé par Dieu et pour Dieu; et Dieu ne cesse d’attirer à Lui l’homme, et en Dieu seulement l’homme trouvera la vérité et le bonheur qu’il cherche sans arrêt. Le sens de la vie humaine consiste dans sa vocation à la communion avec Dieu, source de joie.
Si nous demandions à tous ceux qui ne connaissent encore le Christ, à ceux qui ne l’ont pas encore rencontré, aussi à ceux qui ne veulent pas le chercher, beaucoup d’entre eux répondraient qu’ils sont contents de leur sort. Ils vont chercher l’eau, mais ils n’ont pas besoin de Dieu. Ils vont au puits pour chercher l’eau pour le corps, mais ils ne se rendent pas compte d’avoir eux aussi soif d’une autre eau. La présence du Christ révèle à l’âme son vide que seulement l’amour infini de Dieu peut combler. A cet égard, je cite le bienheureux Charles de Foucauld qui, dans une de ses méditations, parle de la tristesse dans laquelle les passions terrestres le laissaient quand, encore athée, il croyait étouffer dans les transgressions cette soif de Dieu qui est vraiment propre à l’homme.
La soif du Christ
Pour répondre à cette soif profonde que notre esprit a, le Christ met une seule condition pour qu’il puisse se donner, il demande une « aumône » : que nous lui offrions de l’eau pour sa soif. L’eau qu’il demande à recevoir de la part de la Samaritaine, est une aumône grâce à laquelle notre main et notre cœur s’ouvrent et puissent ainsi recevoir beaucoup plus, infiniment plus.
Inspiré par une peinture de Duccio de Boninsegna qui dépeint Jésus assis sur le bord d’un puits, qui est à vrai dire un font baptismal[1] en marbre, solide, et la femme Samaritaine avec une cruche d’argile fragile sur la tête, en équilibre précaire, je peux écrire que Jésus a besoin de la cruche de chacun de nous pour la mettre dans le puits, c’est-à-dire qu’Il a besoin de notre liberté, de notre amour libre, qu’Il rachète.
Le chemin spirituel de la Samaritaine nous est proposé aujourd’hui. Il est un itinéraire, que chacun de nous est appelé à redécouvrir et à parcourir constamment. Nous aussi, qui sommes baptisés, nous sommes toujours en chemin pour devenir de vrais chrétiens, et cet épisode évangélique est une incitation à redécouvrir l’importance et le sens de notre vie chrétienne, le vrai désir de Dieu qui vit en nous.
En nous proposant aujourd’hui l’Evangile de la femme Samaritaine, l’Eglise veut nous emmener à professer notre foi en Christ – comme cette femme l’a fait – en allant annoncer et témoigner à nos frères la joie de la rencontre avec Lui et les merveilles que son amour accomplit dans nos vies.
La foi naît de la rencontre avec Jésus, reconnu et accueilli comme un sauveur, qui révèle le visage de Dieu. Une fois que le Seigneur a gagné le cœur de la femme Samaritaine, sa vie est transformée et elle court sans délai pour communiquer la bonne nouvelle aux gens. Saint-Augustin disait que Dieu a soif de notre soif de Lui. C’est-à-dire : Dieu désire être désiré.
Plus l’être humain se détourne de Dieu et plus Lui le poursuit de son amour miséricordieux. Donc, aujourd’hui, l’Evangile nous invite à revoir notre relation avec Jésus, à chercher son visage sans relâche. « C’est le désir qui creuse nos cœurs»[2] (saint Augustin). Il les élargit, les rend plus grands. C’est «le désir qui rend plus profond le cœur et la «vie d’un bon chrétien consiste en un saint désir »[3] (Id.).
Un bon témoignage d’une bonne vie chrétienne est celui des vierges consacrées dans le monde, qui mortifient leur soif d’amour humain pour boire seulement l’eau de la vie qui coule du Christ, et pour étancher Sa soif.
La virginité consacrée « n’est pas manque de désir, mais intensité du désir» (Sainte Thérèse d’Avila) et c’est une vocation qui exprime comment il est possible vivre une vie qui est abreuvée seulement par « l’eau » de Dieu. Cette vie donnée et, donc, féconde doit être vécue avec une attitude de foi et de joie spirituelle, nourrie par la prière. Elle est à vivre avec un détachement de la vie de couple, mais aussi des sympathies qui sont trop limitées, pour diriger toutes les énergies (y compris les énergies affectives) vers la communion avec le Christ et avec ceux qui deviennent proches à cause de lui. (cf rituel de consécration des vierges, N°24 : « comment un être de chair pourrait-il en effet, maîtriser les appels de la nature, renoncer librement au mariage et s’affranchir des contraintes de toutes sortes, si tu n’allumes ce désir Seigneur, si tu n’alimentes cette flamme et si ta puissance ne l’entretient ?… C’est en effet ton esprit Saint qui suscite au milieu de ton peuple des hommes et des femmes conscients de la grandeur et de la sainteté du mariage et capable de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant à la réalité qu’il préfigure : l’union du Christ et de l’Eglise »).
La personne qui vit la virginité consacrée est un don précieux pour l’Eglise: en fait, elle témoigne de la présence initiale du royaume de Dieu et l’espérance sûre de son achèvement. La virginité rend plus disponible au service. Enfin n’oublions pas que la virginité ne contredit pas la dignité du mariage, mais la présuppose, la confirme, la défend contre des interprétations réductrices. Elle rappelle aux mariés qui doivent vivre le mariage comme une anticipation et une figure de la parfaite communion avec Dieu Le « Toi» que tout le monde cherche, est en fin de compte Dieu : l’autre conjoint ne peut pas satisfaire son désir illimité d’amour. Les vraies noces sont celles avec Dieu.
Jésus, fatigué par la route, s’était assis au bord du puits. Il était environ midi (Jn 4,6). Voilà que commencent les mystères. Car ce n’est pas pour rien que Jésus est fatigué; ce n’est pas pour rien, qu’est fatiguée la Force de Dieu; ce n’est pas pour rien qu’est fatigué celui qui refait les forces des fatigués; ce n’est pas sans raison qu’est fatigué celui dont l’absence cause nos fatigues, dont la présence nous fortifie. Jésus cependant est fatigué, et il est fatigué par la route; il s’assied, et il s’assied au bord du puits, et c’est à midi qu’il s’assied, fatigué. Tout cela suggère quelque chose, veut indiquer quelque chose; tout cela nous rend attentifs, nous exhorte à frapper. Qu’il nous ouvre donc lui-même, à nous comme à vous, celui qui a daigné nous exhorter en disant: Frappez, et il vous sera ouvert (Mt 7,7). C’est pour toi que Jésus est fatigué par la route. Nous trouvons Jésus, qui est la Force même, et nous trouvons Jésus qui est faible, fort et faible. Fort, car au commencement le Verbe était, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu; il était au commencement auprès de Dieu (Jn 1,1-2). Voulez-vous voir à quel point ce Fils de Dieu est fort? Par lui tout s’est fait, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui (Jn 1,3), et il a tout fait sans effort. Qu’y a-t-il donc de plus fort que celui par qui tout a été fait sans effort?
Veux-tu connaître sa faiblesse? Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous (Jn 1,14). La force du Christ t’a créé, la faiblesse du Christ t’a recréé. La force du Christ a fait exister ce qui n’existait pas, la faiblesse du Christ a empêché de périr ce qui existait. Il nous a créés par sa force, il est venu nous chercher par sa faiblesse.
Ainsi donc Jésus est faible, lui qui est fatigué par la route. La route, c’est la chair, assumée pour nous. Quelle route, en effet, parcourt-il, celui qui est partout, celui qui n’est absent nulle part? Où va-t-il, ou bien d’où vient-il ? N’est-ce pas en ce sens qu’il vient pour nous, et qu’il a assumé la forme d’une chair visible? Parce qu’il a daigné venir à nous maintenant pour apparaître en ayant assumé la forme de serviteur, cette assomption de la chair, voilà quelle route il a prise. Aussi, cette fatigue de la route est-elle autre chose que la fatigue produite par la chair? Jésus est faible dans la chair, mais toi, ne sois pas faible, sois fort dans sa faiblesse, car la faiblesse de Dieu est plus forte que l’homme (1Co 1,25).
[1] C’est pour son rappel au baptême que le passage d’aujourd’hui a été choisi parce que le carême, surtout dans les siècles passés, était pour les catéchumènes la période de préparation au baptême dispensé à Pâques.
La loi et son accomplissement : l’amour, par Mgr Francesco Follo
Méditation pour le 6e dimanche du Temps Ordinaire
1) L’amour est l’accomplissement de la loi.
Au début de la messe de ce VIème dimanche du temps ordinaire (Année A), le prêtre prononce cette prière: « O Dieu, toi qui révèles la plénitude de la loi à travers la justice nouvelle fondée sur l’amour, fais en sorte que le peuple chrétien, rassemblé pour t’offrir le sacrifice parfait, soit cohérent avec les exigences de l’Évangile et devienne pour tout homme signe de réconciliation et de paix » (Collecte, VIème dimanche de l’année A).
Avec cette prière qui résume bien la Liturgie de la Parole d’aujourd’hui, l’Église nous invite à prier pour que la loi évangélique de l’amour guide le penser et l’agir de l’homme, c’est à dire de chacun d’entre nous. Quand manque l’amour, tout devient difficile, lourd, souvent inacceptable et il n’y a pas de règle humaine qui puisse tenir devant celui qui n’aime pas et qui ne sent pas dans son cœur la voix de Dieu qui est amour. Pour cela, la liturgie nous fait prier cette collecte que l’on peut utiliser tous les ans: « O Dieu, toi qui veux habiter les cœurs droits et sincères, donne-nous de vivre selon ta grâce, alors tu pourras venir en nous pour y faire ta demeure[1] ».
En effet dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Christ ne nous offre pas simplement des règles mises à jour ou améliorées parce que plus complètes. En disant: « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes; je ne suis pas venu abolir mais accomplir » (Mt 7, 17), Jésus affirme vouloir accomplir la Loi et les Prophètes[2]. Le Rédempteur accomplit pleinement la loi parce qu’en l’observant, il l’accomplit et parce qu’en indiquant l’amour comme fondement de la loi, il la complète : tout est accompli dans l’amour.
N’oublions pas que tous les commandements sont l’expression de l’amour de Dieu et la source de l’amour entre nous. Ils sont les piliers fondamentaux de la vie, qui permettent de construire son chemin vers le ciel, comme par exemple nous le rappelle le Siracide qui enseigne: « Si tu le veux, tu peux observer les commandements de Dieu, ils te protégeront; si tu as confiance en Lui, toi aussi tu vivras. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu: étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une et l’autre leur est donnée selon leur choix. Car la sagesse du Seigneur est grande, fort est son pouvoir et il voit tout. Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes. Il n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher » (Si 15, 16-21 – 2ème lecture de la messe d’aujourd’hui).
Il est important de rappeler que la Loi (la Torah remise à Moise) est déjà avant tout un don que Dieu a fait à son peuple dans le but de faire connaître sa volonté salvifique. Une illustration de cette pensée peut se trouver dans le long psaume 118 (119) où l’on chante les louanges de la loi et qui nous fait prier ainsi : « Sois bon pour ton serviteur et je vivrai, j’observerai ta parole. Ouvre mes yeux : je regarderai les merveilles de ta loi. Fais-moi comprendre et que je garde ta loi, que je l’observe de tout cœur » (Ps 118, 17-18, 34-36).
Aujourd’hui, avec la nouvelle Loi, Jésus, nouveau Moise, nous donne des commandements qui nous enseignent à construire notre vie et notre rapport avec le Seigneur dans l’amour, comme une réponse d’amour à son amour infini, unique vraie source de salut. Le salut vient du Seigneur ; il vient de l’amour et non de l’observance de la loi, il vient de Dieu et non de nos œuvres. Nos œuvres et l’observance des préceptes sont nécessaires mais dans la foi et dans l’amour. Dans la foi, en sachant que c’est le Seigneur qui nous donne toute grâce et tout salut : ainsi nous sommes heureux de vivre dans l’humilité et dans la vérité devant Dieu. Dans l’amour, en étant passionnément amoureux de Dieu parce qu’il nous a conquis ; dans l’amour qui est partage et don de nous-même au prochain, en excluant de juger, de nous sentir meilleur, de nous confronter aux autres, de les mépriser et de les exclure – si cela dépend de nous – du salut du Seigneur. Attitude typique des pharisiens qui est aussi la nôtre avec toutes les formes de pharisaïsme que nous portons en nous.
2) Eh bien ! moi je vous dis...
Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui répète plusieurs fois : « Eh bien ! moi je vous dis… », mais il ne le fait pas pour s’opposer à l’Ancien Testament ; le Seigneur ne veut pas d’une observance formelle de la loi qui n’implique pas le cœur. Sachant bien que ce qui contamine l’homme ce sont les violences, les jugements, les adultères qui sortent de son cœur, il est venu « porter à son accomplissement » la loi ancienne. Il s’est entièrement donné, offert à la volonté du Père, il est ressuscité des morts et il nous a donné un esprit nouveau. On n’entre pas dans le Royaume de Dieu en observant méticuleusement la loi, comme le faisaient les scribes et les pharisiens: aujourd’hui une « justice supérieure » est possible: « Soyez saint comme je suis saint » (Lev 19, 2).
La « justice des scribes et des pharisiens » connaissait, comme la nôtre, les limites de la chair, parce qu’elle était fondée sur des œuvres qui avaient perdu le parfum de la gratuité et qui étaient devenues lettre morte, sans Esprit.
Les paroles de Jésus le montrent dans l’Évangile d’aujourd’hui: « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et que si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement. Eh bien ! moi je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu » (Mt 5, 21s).
Avec ces mots, on dirait que Jésus prononce des paroles absurdes comme : « Une pensée qui effleure à peine l’esprit, c’est comme tuer un homme. » Le pape François a clairement rappelé cette forme facile et subtile d’homicide que sont les médisances et les rancœurs: « Celui qui dans son cœur déteste son frère est un meurtrier. Nous sommes habitués aux bavardages, aux commérages. Mais combien de fois nos communautés et même nos familles deviennent un enfer où l’on manie cette criminalité qui consiste à tuer son frère et sa sœur avec sa langue ».
Ce sont des paroles paradoxales mais qui révèlent le mal qui court dans le cœur de chacun: si nous ne sommes pas capables de « penser bien » comme s’illusionner que nous puissions « accomplir le bien »? Combien de messes et de prières, combien de bonnes paroles et de bons conseils, combien de regards humbles, mais où est notre cœur? Qu’en est-il de notre prochain: notre père, notre mère, nos frères et sœurs de sang, nos voisins de maison et de travail, nos frères et sœurs de communauté? Tués dans le cœur, enterrés et oubliés.
Ce n’est pas notre « bon cœur » mais notre « cœur » (c’est à dire la racine de notre être) qui doit changer.
Le but de la loi de Dieu n’est pas autre chose que de protéger, de cultiver et de faire fleurir l’humanité de l’homme. Pour cela – je le répète – Jésus « commande » un unique saut de qualité: la conversion du cœur.
La conversion du cœur est vécue par les vierges consacrées grâce à la consécration et à la persévérance sur un chemin où, en chacune d’elles (mais cela vaut aussi pour chacun de nous), le Christ est tout: « Nous sommes tous du Seigneur et le Christ est tout pour nous: si tu désires guérir tes blessures, il est le médecin; si tu es accablé par l’ardeur de la fièvre, il est la source d’eau fraîche; si tu te trouves opprimé par tes fautes, il est la justice; si tu as besoin d’aide, il est la puissance; si tu as peur de la mort, il est la vie: si tu désires le paradis, il est le chemin; si tu fuis les ténèbres, il est la lumière; si tu es à la recherche de quoi manger, il est la nourriture » (Saint Ambroise de Milan, De Virginibus, PL 16, 99).
La vocation des vierges est un appel à faire fleurir et à accomplir dans le Christ leur humanité grâce à leur vertu angélique. (cf rituel de consécration des vierges, n° 24 « Tu les appelles à se tenir en ta présence comme les anges devant ta face). A cet égard, Saint Cyprien écrivant aux vierges affirme justement : « Ce que nous serons un jour, vous commencez déjà à l’être. Vous, vous jouissez déjà dans ce monde de la gloire de la résurrection, vous passez à travers le monde sans en être contaminées. Tant que vous persévérez chastes et vierges, vous êtes semblables aux anges de Dieu » (De habitu virginum, 22: PL 4, 462).
Heureux celui qui fait ses choix de vie à la lumière de la loi du Seigneur et implore avec insistance dans sa prière que le Seigneur lui donne la force de garder sa loi dans le cœur et de l’observer dans la vie de tous les jours.
Le Christ a donné sa vie pour toi et tu continues à détester celui qui est un serviteur comme toi. Comment peux-tu t’avancer vers la table de la paix? Ton Maître n’a pas hésité à endurer pour toi toutes les souffrances, et tu refuses même de renoncer à ta colère! Qu’est-ce qui te retient, dis-moi? L’amour est la racine, la source et la mère de tous les biens. « Un tel m’a gravement offensé, dis-tu, il a été tant de fois injuste envers moi, il m’a menacé de mort! » Eh bien! Qu’est-ce que cela? Il ne t’a pas encore crucifié comme les Juifs ont crucifié le Seigneur.
Si tu ne pardonnes pas les offenses de ton prochain, ton Père qui est dans les cieux ne te pardonnera pas non plus tes fautes. Que dit ta conscience quand tu prononces ces paroles : Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié (Mt 6,9), et celles qui suivent ? Le Christ n’a pas fait la différence. Son sang, il l’a versé aussi pour ceux qui ont versé le sien. Pourrais-tu faire quelque chose de semblable? Lorsque tu refuses de pardonner à ton ennemi, c’est à toi que tu causes du tort, pas à lui. Tu as pu, en effet, le faire souffrir souvent dans la vie présente, mais toi, ce que tu te prépares, c’est un châtiment irrémissible, au jour du jugement. Car personne ne s’attire plus sûrement l’inimitié de Dieu, et ne lui inspire plus d’aversion, que l’homme rancunier, celui qui a le coeur enflé et dont l’âme brûle de colère.
Eh bien! Écoute ce que dit le Seigneur: Lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande (Mt 5,23-24). Mais tu dis: « Vais-je laisser là l’offrande et le sacrifice? » « Certainement, répond-il, puisque le sacrifice est justement offert pour que tu vives en paix avec ton frère. »
Si donc le but du sacrifice est la paix avec ton prochain, et que tu ne sauvegardes pas la paix, il ne sert à rien que tu prennes part, même par ta présence, au sacrifice. La première chose que tu aies à faire c’est bien de rétablir la paix, cette paix pour laquelle, je le répète, le sacrifice est offert. De celui-ci, alors, tu tireras un beau profit. Car le Fils de l’homme est venu dans le monde pour réconcilier l’humanité avec son Père. Comme Paul le dit: Maintenant Dieu a réconcilié avec lui toutes choses (Col 1,22), par la croix, en sa personne, il a tué la haine (Ep 2,16). Aussi celui qui est venu faire la paix nous proclame-t-il également bienheureux, si nous suivons son exemple, et il nous donne son nom en partage. Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5,9).
Eh bien! Ce qu’a fait le Christ, le Fils de Dieu, réalise-le aussi autant qu’il est au pouvoir de l’homme. Fais régner la paix chez les autres comme chez toi. Le Christ ne donne-t-il pas le nom de fils de Dieu à l’ami de la paix?
Voilà pourquoi la seule bonne disposition qu’il requiert de nous à l’heure : c’est que nous soyons réconciliés avec nos frères. Il nous montre par-là que de toutes vertus la charité est la plus grande.
1 En latin: « Deus, qui te in rectis et sincéris manére pectóribus ásseris, da nobis tua grátia tales exsístere, in quibus habitáre dignéris »
[2] Pour les Hébreux, la Loi avec les préceptes ou enseignements du Seigneur ainsi que les paroles de ses serviteurs (les Prophètes justement) indiquait la Bible. En complément d’information, je rappelle que la Bible Hébraïque a 39 livres ainsi divisés:
La Torah (Pentateuque)
Les Prophètes a) antérieurs (Josué, Juges, 1-2 Samuel, 1-2 Rois) b) postérieurs (Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, et les 12 prophètes mineurs);
Tous les autres écrits: Psaumes, Proverbes, Job, Cantique des Cantiques, Daniel, Ruth, Qohélet, Esther, Esdras, Néhémie, 1-2 Chroniques, Lamentations
La Bible Chrétienne comprend 73 livres :
L’Ancien Testament, 46 livres:
1- Le Pentateuque (correspond à la Torah hébraïque: Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome).