21.12.2025 – HOMÉLIE DU 4ÈME DIMANCHE DE L’AVENT – MATTHIEU 1, 18-24

Le Dieu des entrailles

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

La semaine passée, nous étions dans un entre-deux, à mi-parcours. Devant nous, la joie du sommet en vue. Une joie en demi-teinte cependant puisque nous nous sommes aussi aperçu que nos propres forces déclinent au fur et à mesure que nous progressons, que toujours nous nous épuisons et que nous n’atteindrons le sommet de la montagne de Dieu que s’il vient lui-même à notre rencontre. Les sommets d’amour et de paix que Dieu promet ne s’atteignent que portés par le Christ.

Et s’il nous arrive parfois, en cette vie, au fil de nos élans d’amour, de goûter à des bonheurs divins, nous peinons à nous y maintenir et, même, des grandes joies de l’existence, il arrive que nous dévissions. C’est la rencontre personnelle avec la présence réelle de Dieu qui nous maintient dans l’espérance et la joie. Seule la certitude d’avoir été touché par un amour divin qui emporte tout exorcise nos peurs ultimes, notamment celle de mourir. C’est ainsi que le Christ nous sauve, en venant nous chercher au fond de notre dénuement et nous emporter par amour.

Dimanche passé, c’est Jean le Baptiste, au plus profond de l’abandon humain, qui a reçu cette certitude d’avoir rencontré la présence incarnée de Dieu, le Christ, « celui qui doit venir nous sauver ». Aujourd’hui, le thème des lectures est Marie enceinte. Une autre approche, directement incarnée, de la présence effective de Dieu parmi les hommes. Il y a ainsi deux manières de trouver Dieu : comme Jean le Baptiste, au tréfonds du dénuement ou, comme Marie, en éprouvant sa vie naissante en nous – précisément, en vivant intimement Noël.

C’est sans doute très audacieux pour un prêtre d’aborder le sujet de la joie d’être enceinte ; c’est au fond aux mères à nous l’expliquer. Mais on ne parle pas ici de la joie humaine d’enfanter – joie qui a d’ailleurs ses hauts et ses bas – on parle de l’immaculée conception qui engendre la présence incarnée de Dieu, de la matrice virginale d’où surgit le divin, de la pureté d’âme nécessaire à la mise au monde d’un amour pur. Le psaume suggère que cet état virginal est accessible à tous : « Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ? L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le cœur pur, les mains innocentes, voilà de terreau où s’incarne l’amour divin.

Ce n’est pas pour nous embêter que l’Église appelle à l’incessante purification de notre cœur, qu’elle nous invite à ces temps d’introspection que sont le carême et l’avent, qu’elle recommande que nous fassions face à nos ténèbres et nos démons intérieurs et que nous les combattions, nous préparons ainsi un terreau pour la vie rayonnante et la paix, un terrain vierge pour que s’implante le bonheur divin.

Dieu vient à nous de deux manières, comme l’amour : en surgissant de la pureté de notre cœur et en venant à notre rencontre par sa présence incarnée. Tous les amoureux le savent, c’est de la coïncidence du surgissement de l’amour en soi et de la rencontre d’autrui amoureux qu’émane la plénitude du bonheur.

Terminer nos méditations de l’avent avec Marie enceinte est la plus belle manière d’évoquer la proximité avec Dieu, d’autant qu’on peut rapprocher une grossesse de la symbolique de la montagne à gravir, avec ses lassitudes et ses épuisements, mais aussi avec le bonheur dans l’effort, qui concrètement s’incarne et nous emporte au-delà de nous-même.

Nous sommes baptisés, nous communions déjà intimement au Corps et à l’Esprit du Christ. Déjà, en nous, ce processus d’incarnation de la présence de Dieu est à l’œuvre. Seules nos ténèbres empêchent encore son surgissement authentique à travers nos vies.

Nous sommes des crèches vivantes déjà, des étables faites de bric et de broc où traînent volontiers quelques bestiaux, des lieux hasardeux où Dieu veut venir au monde. Peut-être sommes-nous comme les bergers, des gens simplement attirés par la beauté divine. Peut-être sommes-nous comme les mages, qui nous approchons lentement du mystère divin, inclinant notre sagesse. Peut-être sommes-nous comme Joseph, devant accepter que la vie divine ne provienne pas de nous-même. Mais je nous souhaite d’être comme Marie, le cœur pur voyant surgir le divin de ses entrailles.

C’est le dernier dimanche de l’avent et nous méditons une telle proximité avec Dieu qu’elle nous donne l’impression, à travers notre vie, d’engendrer la vie divine au monde – ce qui est la définition de la sainteté. Le saint – et Marie, par excellence – est celui duquel surgit l’amour incarné de Dieu.

Ce sentiment d’union charnelle avec le Christ, non pas extérieure mais intérieure, que seule l’analogie avec l’amour d’une mère pour l’enfant qu’elle porte permet d’approcher, nous est accessible à tous. Bien que, contrairement à Marie, il nous demandera un travail de purification personnel.

C’est bientôt Noël où nous allons célébrer la venue au monde de l’amour divin qui veut tout sauver. Nous pouvons le vivre extérieurement, comme Jean le Baptiste qui a espéré toute sa vie la venue du Sauveur. Nous pouvons le vivre intérieurement, intimement, comme Marie qui a vu surgir en elle, la vie divine. Sans doute vivrons-nous quelque chose entre les deux : le désir que Dieu vienne bientôt nous sauver, comme celui que son amour surgisse en nous.

Cet écart entre le Christ intérieur et le Christ extérieur, entre surgissement spirituel de la vie divine et rencontre finale avec le Christ, dénote la part d’ombre qu’il nous reste à franchir. Marie n’a pas cette part d’ombre en elle : l’amour divin qu’elle enfante, qu’elle éprouvera toute sa vie, est aussi celui qui la sauvera. Sa proximité avec Dieu est complète, des entrailles jusqu’à la mort et au-delà.

A tous, je nous souhaite un Noël marial, prodigieusement incarné et sans part d’ombre. Un Noël où nous nous souviendrons que la vie divine a été spirituellement implantée en nous. Un Noël que nous éprouverons non plus simplement comme une rencontre à venir mais comme une grossesse qui fait de notre corps le lieu où Dieu veut aussi vivement surgir.

Quelle plus grande joie y a-t-il que celle d’enfanter du divin ?

Fr. Laurent Mathelot

Source : RÉSURGENCE.BE, le 17 décembre 2025

14.12.2025 – HOMÉLIE DU 3ÈME DIMANCHE DE L’AVENT – MATTHIEU 11, 2-11

La joie de la délivrance en vue

Par le Fr. Laurent Mathelot

Nous célébrons le dimanche de Gaudete, le dimanche de la joie. Aujourd’hui, nous avons dilué le violet de l’effort spirituel avec le blanc de l’espérance divine. Dans notre montée vers Noël, nous sommes à mi-parcours.

Il y quinze jours, nous nous sommes éveillés à la perspective d’une montée vers Dieu, à la joie des sommets d’amour et de paix qu’il promet, à l’accueil de sa vie divine en nous. Nous sommes partis d’aussi bas que nous étions, de quelqu’abîme où nous avons pu chuter, et nous avons relevé la tête et décidé de remonter la pente.

Dimanche passé, nous avons compris que ce qui nous éloigne de la plénitude de la joie et de la paix, ce sont nos peurs enfouies : peur de manquer d’amour et de pain, peur de tout perdre, peur d’être socialement, affectivement, spirituellement ou charnellement mort. C’est la peur, le ressort de tous les maux du monde, et nos peurs donc, la cause de toutes nos chutes, des abîmes de désespoir dans lesquelles nous pouvons sombrer parfois ou, pire, décider de plonger. Ce sont nos peurs qui nous poussent à désirer le mal que nous ne voulons pas.

Reprenant l’allégorie de la montagne, nous avons envisagé de creuser nos peurs enfouies, pour ensuite les surmonter. Monter la montagne de Dieu, c’est avant tout escalader le talus de ce qui enténèbre notre âme et qu’il nous faut jeter dehors pour nous sentir soulagés. Ce mouvement d’expulsion de nos ténèbres intérieures à deux issues. Au pire, il se fera par des élans de mépris, de violence et de haine, envers autrui ou envers nous-même, à travers tous nos élans désespérés. Au mieux, nous les exorciserons : en les affrontant spirituellement, en les confessant à la lumière de Dieu et en les surmontant par l’attrait de son amour. Couche après couche, déblayer l’abîme de nos peurs enfouies ; pas à pas, escalader la montagne de nos angoisses.

Si d’abord, la montagne qui nous enténèbre a pu nous paraître immense, le chemin vers Dieu tortueux et les remontées spirituelles parfois escarpées, nous voici donc à mi-parcours : aussi proches du sommet que du fond de l’abîme. Le rose liturgique de notre célébration traduit cet entre-deux, ce sentiment d’espérance qui surgit dans l’effort, quand ce qu’il reste à accomplir nous apparaît plus accessible que ce que nous avons déjà surmonté.

Du point de vue de Jean le Baptiste cependant, dans l’Évangile, la vie est un peu moins rose, c’est un peu moins la joie. Jean est en prison et personne ne doute qu’il sera bientôt exécuté. Nous l’avions laissé, la semaine passée, aux bords du Jourdain. Il croupit désormais dans les prisons d’Hérode, à la merci de sa vengeance. Pourquoi donc ce passage désespérément tragique au cœur d’une célébration de la joie en perspective ?

Le texte est touchant qui, de sa prison sans issue, fait dire à Jean le Baptiste tout son désir de la venue d’un sauveur – non pour lui-même, mais pour Israël ! Alors qu’il va bientôt mourir, ce n’est pas de la libération de ses entraves dont Jean s’inquiète ; c’est de la réalisation de tout l’engagement de sa vie : l’annonce de Celui qui doit bientôt venir tout sauver, l’envoyé de Dieu au sein des hommes, le Messie.

Jean savait que nous n’arrivons jamais seul à escalader la montagne de Dieu, que nos efforts toujours s’épuisent, que beaucoup s’essoufflent à mesure qu’ils gravissent et que certains renoncent hélas exténués. Dans tous nos efforts pour nous relever et nous élever, il vient toujours un moment qui nous voit tomber à court de souffle, un moment où nous atteignons la limite de nos possibilités, un moment d’ultime abandon. Il arrive pour tous, ce moment où nous constatons que ce n’est pas par nos propres efforts que nous atteindrons le ciel.

C’est ce moment que vit Jean le Baptiste dans sa cellule : un moment où le seul espoir qui subsiste est de trouver enfin la main tendue de Dieu, le Christ venu à notre rencontre pour nous sauver. « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » C’est tout ce qui importe à Jean, alors que plus aucun pas ne lui est possible en ce monde : avoir enfin trouvé la présence incarnée de Dieu, le Messie, celui qui conduira nos corps épuisés à l’amour et à la paix éternels. C’est en cela que Jean le Baptiste est prophète : sa vie durant, il a annoncé la venue du Christ et, au fond du dépouillement, il le trouve enfin.

Dans toutes nos remontées du désespoir, il arrive un moment d’abandon, un entre-deux où nos efforts pour toujours repartir s’épuisent, où plus un pas n’est possible sans la main tendue de Dieu. Il arrive pour tous un moment final où seule la rencontre personnelle avec le Messie nous permet d’encore avancer, un moment où seule la joie de trouver enfin le secours divin est ce qui nous attire au ciel, malgré tout.

Le rose d’aujourd’hui est encore teinté de deuil, de souffrance et d’effort. La joie que nous célébrons n’est que celle d’une délivrance en vue. Seul Noël, notre rencontre personnelle avec l’humanité divine, viendra tout blanchir. Nous aurons alors atteint le sommet et l’exaltation d’une vie accomplie. Nous aurons vu Dieu venir à nous.

Réjouissez-vous déjà : dans l’effort pour nous élever vers Dieu, le Christ nous rejoint. Bientôt, il sera là.

Fr. Laurent Mathelot

Source : RESURGENCE.BE, le 10 décembre 2025

07.12.2025 – ÉVANGILE DU 2ÈME DIMANCHE DE L’AVENT – MATTHIEU 3, 1-12

La conversion de nos peurs enfouies

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Le thème de dimanche passé, premier de l’Avent, était : « Préparez-vous » et nous nous y sommes amplement attelés en envisageant de jeter à la mer la montagne de nos angoisses et de nos peurs. Nous avons médité notre escalade de la montagne de Dieu comme l’accomplissement d’un effort du corps et de l’esprit, tant charnel que spirituel, avec ses épuisements et ses chutes certes, mais aussi avec, en ligne de mire, l’exaltation du sommet et la joie de l’accomplissement.

Aujourd’hui : « Convertissez-vous ». C’est le thème du discours de Jean le Baptiste : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » ; et, citant le prophète Isaïe (40,3) : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ». Après avoir, dimanche passé, envisagé l’ampleur de la montagne qu’il nous faut escalader, nous voici au pied du mur : surmontons donc pas à pas les escarpements de nos angoisses et de nos peurs.

Conversion vient du latin conversio : retournement, changement radical de direction. On l’entend de quelqu’un qui adhère à une religion, qui se convertit à notre foi notamment. Et c’est ainsi que Jean le Baptiste le comprend quand il incite vigoureusement les pharisiens et les sadducéens à se convertir au baptême. Mais nous, qui sommes baptisés, et donc convertis à l’espérance du Christ, ne sommes-nous pas déjà sauvés du simple fait de notre foi ? En principe, oui. Mais la foi n’est pas tant la proclamation d’un credo que la vie selon ce credo : notre foi doit s’incarner. Elle n’est pas tant un état – je suis baptisé – qu’une dynamique – je dois toujours me convertir à l’espérance de mon baptême. Il ne suffit pas de proclamer l’amour de Dieu. Il faut en vivre. Notre credo n’est pas qu’une vague intention. Parce qu’il est une prière et qu’il s’adresse à Dieu, il nous oblige.

Ainsi la conversion est un effort quotidien qui vise à nous replacer dans la perspective du sommet : à chaque chute, se relever ; chaque fois que l’on dévisse, remonter. Ici aussi, il s’agit d’une attitude qui implique tant le corps que de l’esprit : d’abord, changer notre regard sur certains évènements et sur certaines personnes, à commencer par nous-même – les replacer dans la perspective de Dieu. C’est ce changement radical de regard, ce passage de la désespérance à l’espérance, qui entraîne la résurrection du corps.

Ce qu’il faut convertir, ce n’est pas la tristesse en nous. A Gethsémani, Jésus a éprouvé son âme triste à en mourir (Mt 26, 38). Ce ne sont pas non plus nos chagrins et nos larmes. A Bethanie, Jésus a pleuré son ami Lazare (Jn 11, 13). Ce qu’il nous faut convertir, ce sont nos peurs. Si, dans l’Évangile, Jésus est affecté par la mort – la sienne ou celle d’un ami –, il n’a jamais peur, parce qu’il ne désespère jamais : il incarne la foi. Ce sont les peurs qui engendrent les vices – la peur de manquer d’amour et de pain, la peur de tout perdre, la peur de la mort, qui suscitent ressentiment, mépris, phobies, emprises et haines. Si aujourd’hui, partout dans le monde, s’éveillent les nationalismes et éclatent des conflits xénophobes, c’est parce que la peur gagne l’humanité.

Se convertir, c’est affronter la montagne de ses peurs. Qu’est-ce qui me freine, me paralyse, ou même provoque chez moi le recul ? Le danger d’une telle analyse, c’est qu’elle peut susciter elle-même la peur, en ravivant des souvenirs. Beaucoup de gens ont peur d’ouvrir le couvercle de la boite de leurs angoisses.

On ne peut affronter ses peurs qu’en tournant résolument son regard vers l’espérance. Il faut une force spirituelle – et donc une conversion incarnée – pour affronter ses angoisses. Sans cela, on cherchera plutôt à fuir ou à enfuir ses peurs. N’avons-nous pas tous des peurs enfuies aux tréfonds de nous-même ?

Toute joie découle de l’exorcisme de nos peurs enfouies. La conversion, c’est ce patient travail d’exorcisme. Il ne s’agit pas d’enjamber la montagne de nos angoisses d’un grand pas. Je l’ai dit, on prendrait alors le risque de se figer face à l’ampleur de la tâche, le risque d’un mouvement de recul face à l’épaisseur de nos ténèbres. Il s’agit plutôt d’affronter ce qui affleure : nos craintes à mesure qu’elles apparaissent. D’où l’importance d’un examen de conscience quotidien qui remet nos inquiétudes de la journée dans les mains du Christ. En les exorcisant ainsi, petit à petit, et parce qu’un souvenir en éveille bien souvent un autre, couche après couche, nous parviendrons à purger l’abîme de nos peurs enfouies jusqu’à atteindre, au fond, celle d’être mort.

Tous nos énervements, toutes nos craintes, tous nos mépris et toutes nos haines reposent sur la peur d’être mort – mort socialement, mort spirituellement, mort affectivement et, finalement, physiquement. L’angoisse du néant et de la mort, voilà le ressort de tous les péchés du monde.

Si la mort et la résurrection du Christ est ce qui fonde notre foi, c’est Noël – sa naissance en nous – qui exorcise les peurs qui nous paralysent. La conversion de notre cœur est un patient travail de croissance de la vie divine en nous, à mesure que nous laisserons l’amour de Dieu s’incarner.

Saint Jean-Paul II l’avait bien compris qui, par ces mots : « N’ayez pas peur ! », a fissuré la chape de plomb que la Guerre froide faisait peser sur l’humanité.

N’ayez pas peur d’affronter vos angoisses et vos peurs, vous avez en vous l’Esprit du Christ reçu à votre baptême. Tournez-vous vers lui, favorisez sa croissance en vous au détriment de ce qui vous effraye encore. Couche après couche, déblayez une à une les craintes qui enténèbrent encore votre âme. Vous préparez ainsi un terreau pour la joie.

Fr. Laurent Mathelot

Source : RESURGENCE.BE, le 3 décembre 2025

30.11.2025 – HOMÉLIE DU 1ER DIMANCHE DE L’AVENT – MATTHIEU 24, 37-44

La montagne de Dieu

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Matthieu 24, 37-44

Un texte spirituel se présente toujours comme un mille-feuille : il offre plusieurs niveaux de lecture. D’abord, une lecture littérale qui s’attache aux faits et cherche à discerner les situations évoquées. Ensuite, toute une série de couches analytiques : quel est le style du texte, son genre littéraire, le sens de son vocabulaire, son histoire, son contexte, les modes d’interprétation qu’il suggère, etc ? Enfin, une lecture spirituelle – la couche la plus élevée – qui vise à l’abstraction, pour édifier l’âme.

L’analyse des textes bibliques se présente ainsi toujours comme un discernement à opérer, par le biais de l’analyse, entre versets à comprendre littéralement et passages à interpréter symboliquement. C’est peut-être évident pour tous que notre foi ne doit pas espérer qu’une montagne aille littéralement se jeter dans la mer ou qu’il nous soit demandé de marcher concrètement sur les eaux. Nous sommes sans doute nombreux à interpréter ces passages symboliquement. Mais quand Dieu, dans le Lévitique, prononce la condamnation à mort de certains pécheurs, faut-il l’interpréter concrètement ou symboliquement ? Dieu sanctionne-t-il charnellement ou spirituellement ? J’aurais tendance à dire : un peu des deux. Le péché tue autant l’âme que le corps.

Dans la première lecture de ce dimanche, le prophète Isaïe parle de « la montagne de la maison du Seigneur », qu’il décrit comme un lieu d’apaisement vers lequel monteront des peuples nombreux, issus de toutes les nations. Comment interpréter ici le terme « montagne » ? Nous disons en effet que Dieu est au ciel. Entendons-nous, par là, au-delà des nuages, des étoiles ? Faut-il physiquement s’élever pour s’élever l’âme ? De nouveau, un peu des deux : ressusciter signifie littéralement se relever et nous ressusciterons avec notre corps. La montagne de Dieu existe en Israël, c’est le Mont Horeb. Est-ce là qu’il faudra nous rassembler pour l’Apocalypse ?

Quand le Christ, dans l’Évangile, parle du déluge, il en fait une interprétation spirituelle, une comparaison pour décrire la fin des temps : « deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée. » Il n’annonce pas ici un second déluge ; il en compare seulement les effets. Mais ce faisant, il ne doute pas de la réalité de celui qu’a affronté Noé. Interprétons-nous, nous aussi, le récit du déluge dans la Genèse (chapitres 6 à 9) comme des faits historiques ?

La montagne qu’il nous faut espérer jeter à la mer, celle qu’il faut gravir pour atteindre Dieu, c’est la montagne de nos soucis, de nos inquiétudes et de nos peurs. C’est la montagne de ténèbres et de chagrins qui nous obscurcit l’âme qu’il convient de surmonter. Et ceux qui ont eu à affronter de terribles malheurs savent à quel point elle est dure à gravir la montagne de nos anxiétés et de nos doutes. Comme celles qui ont eu à subir de grandes offenses savent à quel point il est difficile d’engloutir la montagne du ressentiment, de littéralement la jeter à la mer. Il y a des péchés, quand ils nous agressent, qui obscurcissent massivement notre vie et la rendent escarpée. Il y a des abîmes dans lesquelles nous pouvons sombrer parfois qui sont particulièrement ardues à remonter. Spirituellement, mais aussi physiquement. Le péché nous alourdit certes l’âme, mais l’état de notre âme influe particulièrement sur notre corps : la désespérance tue concrètement. Et tous ceux qui ont eu une pente à remonter dans leur vie savent que parfois on dévisse et retombe bas. L’image est ici spirituelle, qui parle de déchéance de soi, mais aussi physiquement concrète.

Nous aurions tort de nous cantonner à une lecture exclusivement symbolique des images bibliques. La montagne de Dieu signifie certes l’élévation spirituelle de l’âme, mais elle n’est pas moins un chemin qui éprouve le corps, autant que la traversée d’un désert affectif peut épuiser la soif de vivre.

L’archéologie n’a pas trouvé trace d’un cataclysme hydraulique mondial dans l’Antiquité. Personne n’a pu constater que la Terre a été totalement engloutie sous les eaux, qu’il y a réellement eu un déluge. Et beaucoup pensent que ce récit est purement symbolique, d’autant qu’on retrouve des évocations semblables dans d’autres cultures : notamment l’Épopée de Gilgamesh en Mésopotamie, mais aussi dans la mythologie grecque et dans les mythes hindous, amérindiens ou d’Océanie. On sait, par contre, que des déluges locaux ont bien eu lieu : des lacs de cratère qui s’effondrent et noient toute une vallée, des tsunamis qui ravagent des côtes entières. Quoi d’étonnant que les récits anciens de ces catastrophes aient percolé dans tant de mythologies ? Il s’agit d’évoquer un sentiment bien réel, celui des personnes qui ont effectivement subi de tels cataclysmes, celui de voir subitement tout son monde englouti. La peur spirituelle de se sentir submergé par une catastrophe reflète bel et bien une peur réelle dont ces récits témoignent.

Nous entrons aujourd’hui en Avent. Au fil des semaines, jusqu’à Noël, les lectures nous présenteront une montée spirituelle : le premier dimanche : veillez, tenez-vous prêts ; le deuxième : convertissez-vous, préparez le chemin du Seigneur ; le troisième, le dimanche de Gaudete : réjouissez-vous, le salut est déjà à l’œuvre ; et le quatrième : accueillez concrètement le Christ dans votre vie. Être en alerte, se préparer, se réjouir et accueillir Dieu naissant : voilà notre programme pour monter vers Noël.

C’est aussi le plan de toute montée spirituelle : d’abord discerner les signes des temps et de son âme, ensuite se préparer et se réjouir d’y apporter la lumière, enfin accueillir en soi, incarner concrètement, la présence naissante de Dieu.

Noël ne sera vraiment Noël que si c’est Noël en nous. Noël, c’est autant la célébration symbolique d’un évènement historique – la naissance de Jésus, il y a deux mille ans – que la célébration de la naissance de la vie divine en nous.

Pour apercevoir cette vie divine, il faut survivre à bien des déluges spirituels et escalader bien des montages de souffrance. Mais la vue est à ce prix et elle est exaltante, comme l’éprouvent les alpinistes quand ils atteignent le sommet : le même émerveillement, le même sentiment d’aboutissement, le même état de sérénité et de paix.

Allons, escaladons toutes nos montagnes ! Courage, montons ! Il se peut que la pente soit longue et raide, que nos corps soient fatigués et nos esprits lassés, mais la paix dans la plénitude de l’amour de Dieu est à ce prix.

Munis de l’esprit de l’Avent – c’est à dire alertés par la perspective de la joie – malgré nos troubles et nos difficultés, malgré nos souffrances et nos rechutes, tous les sommets seront à nous. Et ce sera alors Noël en nous.

Amen.

Fr. Laurent Mathelot

Source : RÉSURGENCE.BE, le 26 novembre 2025

23.11.2025 – HOMÉLIE DE LA SOLENNITÉ DU CHIST, ROI DE L’UNIVERS – LUC 23, 35-43

Qui me gouverne ?

Homélie du Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Luc 23, 35-43

Nous célébrons ce dimanche le Christ Roi de l’Univers. De nos jours, « Christ » apparaît comme un nom propre, presqu’un second prénom de Jésus : il est Jésus-Christ. C’est commode d’autant qu’il y a plusieurs Jésus dans la Bible, qui est aussi notamment le prénom de celui que nous appelons Barabbas.

Étymologiquement, « Christ » – du grec « Khristós » – signifie celui qui a reçu l’onction, littéralement « celui qui a été enduit ». On trouve, par exemple, dans la Bible (LXX, Ex 29:2 ; Nb 6:15), le terme « christ » à propos de pains badigeonnés d’huile. Dans Homère ou Aristote, il signifie « peindre », notamment des statues. Pour les personnes, il s’agit de l’onction divine, traduction du terme hébreu « Mashia’h », dont dérive le mot français « Messie ». Le Christ ou le Messie est ainsi celui que Dieu a consacré par l’onction.

Le titre n’appartient pas qu’à Jésus. Dans l’Ancien Testament, les rois d’Israël sont christs. Sirius, le roi perse qui libère les Hébreux de la captivité à Babylone est, lui-aussi, appelé christ. On le voit, c’est un terme général qui qualifie ceux qui dirigent le peuple vers la délivrance et le salut. A notre baptême, nous avons tous reçu l’onction sainte qui fait de nous des christs, des personnes aptes à se diriger elles-mêmes, avec l’aide l’Esprit Saint, vers le salut.

C’est l’occasion de nous poser la question : qui gouverne ? Qui gouverne notre cœur, notre vie ?

Le roi est celui qui incarne le gouvernement. C’est là sa définition. Gouverner, c’est avant tout prendre des décisions, donner une direction à une action et finalement un sens à l’existence, au moins l’inscrire dans une certaine perspective. Et convenons d’appeler roi ou reine celui qui tient la barre, qui décide, qui gouverne.

Évacuons d’emblée le cas maladif de celui qui se prend pour le roi, qui considère le gouvernement essentiellement sous l’angle de la reconnaissance et des égards qu’il reçoit parfois – « ceux qui aiment les premiers rangs dans les assemblées » dira l’Écriture (Mt 23, 6) – qui demandent avant tout à être reconnus, à être servis, à être obéis ; qui veulent le pouvoir non pour ce qu’il permet mais pour ce qu’il représente. Se prendre pour le roi dénote une stratégie immature pour compenser une médiocrité que l’on se connaît. C’est du camouflage.

Qui gouverne ma vie ? Quelles sont la ou les personnes qui m’incitent à telle ou telle direction ? Qui dirige le sens que prend mon existence ? Qui lui donne son sens ultime ?

Beaucoup diront peut-être : finalement, le roi, c’est moi. Je suis le maître de mon existence. Je me sens fondamentalement libre. Je fais ce que je veux. Je suis le roi. C’est moi qui gouverne ma vie.

C’est un peu simple, je trouve, de s’affirmer le roi, de se penser pleinement en charge de sa destinée, d’espérer avoir totalement le gouvernail de sa vie en main. Il y a des choix libres pour tous, c’est certain – et Dieu nous veut libres. Mais il y a des choix contingentés, des choix orientés – par d’autres ou par les événements – et il y a aussi des directions qui nous sont imposées, parfois contre notre gré.

Qui gouverne ?

Le monde, l’État, la société, notre entourage exercent sur nous une influence, parfois avec poids. Beaucoup de décisions que nous prenons le sont en fonction de notre environnement et même de la pensée d’autrui.

Qu’est-ce qui oriente mon affectivité ? Moi ? Qui détermine la direction que prend mon cœur ? D’où me viennent tel ou tel attrait ? De ma propre décision ? D’où viennent mes centres d’intérêts, mes préoccupations ? De ma seule liberté ou la vie qui a été la mienne, les personnes qui ont eu sur moi une influence les ont-elles contingentées, orientées ? Les opportunités qui me sont offertes dépendent en grande partie des circonstances : on ne choisit ni ses parents, ni sa famille, ni la culture dans laquelle on naît.

Qui gouverne ma vie ? Qui gouverne mes choix ?

Si les marques font de la publicité, c’est que ça marche. C’est d’ailleurs prouvé. Les discours que nous recevons ont pour but de nous convaincre, pas toujours en dialogue. Beaucoup d’idées, de concepts, de stéréotypes nous sont imposés par la culture ambiante, par les médias, aussi par nos proches. La fabrication du consentement – en fait son orientation – est une science dont se servent désormais les politiciens, les économistes et les stratèges.

Qui gouverne ce à quoi je pense ?

Les idées sur lesquelles votre cerveau sautille actuellement : ce sont les miennes. Ce sont mes mots auxquels votre cerveau attache son attention. Le fil de pensée qui est le vôtre pour l’instant qui le dirige ? Vous ? Moi ? Les deux ?

Et même lorsque je me prends personnellement en charge, il m’arrive de m’aveugler, de me tromper, de me mentir même parfois. Qui gouverne alors ? Mon inconscient ?

Alors répondons à toutes ces questions.

Dieu nous a créés libres et la liberté que je prends est celle de vouloir le bien. Comme nous tous ici, je l’espère, je me donne la direction du bien – de manière presqu’abstraite et ainsi plus librement.

Le bien que je désire : c’est l’amour. Et je le désire tellement que je l’érige en puissance de gouvernement pour ma vie. C’est l’amour – ici aussi dans ce qu’il a d’absolu, et libre – qui oriente et dirige ma vie.

Il se trouve que l’amour est toujours une personne.

Dans le mesure où le Christ, incarne pour nous, l’amour personnel de Dieu qui vient à notre rencontre, alors oui : je souhaite qu’il soit pour moi le roi, cette personne qui gouverne ma vie avec une puissance qui me dépasse. Avant tout autre – la société, l’époque ou celles et ceux qui m’entourent – c’est lui, l’amour parfaitement incarné de Dieu, que je souhaite voir orienter tout mon univers.

Notre baptême a fait de nous des « christ-roi », des personnes qui, munies de l’onction de l’Esprit-Saint, sont capables de se gouverner elles-mêmes. Ainsi la personne qui gouverne le chrétien c’est lui-même, en dialogue avec Dieu.

Ne cherchons pas à gouverner nos vies seuls, nous nous égarerions …

Fr. Laurent Mathelot

Source: RESURGENCE.BE, le 20 novembre 2025

16.11.2025 – HOMÉLIE DU 33ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 17 1-6

Le jour du Seigneur

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot.

Avez-vous entendu parler de la « collapsologie » ? Du latin collapsus – évanouissement –, c’est la science des effondrements qui étudie l’effondrement des espèces, celui des économies, et au-delà, de nos modes de vie et civilisations. Il y a, derrière la notion de collapsologie, la crainte d’un château de carte qui s’écroule. Les lectures d’aujourd’hui sont un traité de collapsologie : elles parlent du « Jour du Seigneur », de la fin des temps, de l’Apocalypse, de l’effondrement final de tout ce qui ne résistera pas face à Dieu.

Les livres d’Histoire nous racontent les récits de civilisations qui se sont effondrées, d’époques millénaristes où tous pensaient la fin des temps arrivée. On pense aux grandes invasions, aux grandes famines, aux grandes pestes, aux guerres mondiales. On pense peut-être, aujourd’hui, au dérèglement climatique. En effet, si on est loin de la panique suscitée par l’arrivée de la peste ou de la guerre, beaucoup s’inquiètent désormais d’un prochain effondrement, sinon de l’humanité, en tous cas de nos modes de vies.

Notre foi affirme une fin des temps, précédée de combats violents et persécutions, lieu de révélation de notre véritable nature. Voilà le jugement final, le « jour du Seigneur » : lorsque, dans le combat pour la Vie, nous apparaissons finalement tels que nous sommes.

Quand arrivent les pestes, les famines, les guerres et les persécutions, la nature des hommes se révèle. Au fur et à mesure que s’approchent les catastrophes, les comportements changent en effet. Toujours, la crainte de la mort révèle la nature humaine.

C’est exactement le sens du mot Apocalypse, qui ne signifie pas d’abord toute une série de catastrophes, guerres ou combats mais Révélation – du grec apokálupsis : dévoilement. L’Apocalypse est avant tout la Révélation de la véritable nature humaine – celle du Christ et la nôtre – dans le combat final pour la vie. Face aux sentiments extrêmes, dans les joies intenses comme dans les tragédies les plus accablantes, notre humanité en effet se dévoile. L’Apocalypse n’est pas tant un déchaînement d’événements terribles que la révélation de nos réactions face à de tels événements.

Finalement, face au danger, c’est la nature du Christ en nous qui se révèle, comme elle se révèle sur la Croix, face à la persécution et à la mort. Si confrontés à une guerre qui s’annonce, vous prônez l’amour fraternel, si voyant surgir la famine vous persistez à défendre le partage équitable, si quand survient une épidémie vous continuez à vouloir embrasser le lépreux, c’est certain : on va vous persécuter. Même au sein de nos communautés, de nos familles si, face à un ennemi qui nous assaille, nous prêchons encore l’amour, il s’en trouvera pour vouloir nous faire taire, et peut-être nous livrer à la mort.

Le Livre de Malachie présente le jour du Seigneur, c’est à dire Dieu qui se révèle à la fin des temps, comme un Soleil brûlant qui se lève, consumant les arrogants comme la fournaise et guérissant de son éclat ceux qui le craignent, les fidèles qui gardent ses commandements.

Mais qui ici ne se sent pas parfois arrogant ? Qui ici peut prétendre être resté fidèle, en toutes circonstances, au commandement d’aimer ? Et comment réagirions-nous face à l’imminence d’un cataclysme, d’une guerre ou d’un effondrement de masse ? Face à la mort qui approche, face au combat pour la vie, serons-nous de ceux que la peur terrorise ou de ceux qui maintiendront jusqu’au bout l’amour ? Serons-nous des lâches ou des justes ? Avez-vous déjà été confrontés à un moment de panique ?

Être arrogant, c’est avant tout se croire supérieur – supérieur aux autres et supérieur à Dieu. Et ça nous arrive à tous, parfois. C’est précisément cette arrogance que l’Apocalypse vient dramatiquement révéler, car il arrive toujours un moment où la mort gagne et notre belle supériorité s’effondre. A mesure que nous y aurons cru, ce sera la panique. Les arrogants d’aujourd’hui seront les lâches de demain face à l’adversité. Comme ce sont les humbles face à la mort, qui seront les forts au moment venu. Le Christ, en tête.

Tous nos Temples s’effondreront. Tous nos édifices aussi grands et beaux soient-ils tomberont en ruine, à commencer par l’édifice de notre propre vie. Le Temple, cette magnifique construction à la gloire du Dieu d’Israël, était à l’époque de Jésus flambant neuf : une merveille prête à rivaliser avec tous les édifices de l’Empire, à l’image de l’arrogance d’Hérode. Le Temple fonctionne ici comme l’image forte de tous nos édifices humains, de toutes nos constructions personnelles, de tous nos fantasmes de grandeur.

Que viennent les catastrophes, la mort ou la fin des temps, et ils s’effondreront nos beaux idéaux sur la famille, la fraternité entre tous, et peut-être même le bel idéal que nous avons de nous-même. Que surgissent les malheurs, les famines et les guerres, que vienne la panique et nous verrons l’humanité s’effondrer. De quel coté serons-nous alors ? De celui des bourreaux, des arrogants apeurés ou de celui des victimes livrées à l’amour malgré tout ? Comment savoir ? Comment savoir, face à une situation apocalyptique, quelle sera ma réaction ?

« Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 10) dit Paul aux Thessaloniciens. Face à l’ampleur des problèmes, l’oisiveté n’est pas acceptable. L’indice pour savoir comment nous nous comporterons en situation de grande détresse est notre volonté présente de ne pas rester passifs face aux défis du monde, aux urgences qui déjà se présentent à nous. Le Christ le dit à la fin de l’Évangile : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie.»

Et en effet, si nous voulons vivre, quels que soient les défis, les drames, les catastrophes et la mort même qu’il nous faudra affronter, si nous avons su ne pas être arrogants et laisser l’Esprit du Christ prendre notre défense, malgré la souffrance ou les persécutions, nous entendrons alors Dieu, son Père et notre Père, nous dire, comme le soulignait l’antienne de l’Évangile : « Redresse-toi et relève la tête, car ta rédemption approche ». Il n’y a que le Christ en nous qui résistera à l’effondrement du temple de notre corps.

Ce sera alors pour nous l’Apocalypse, la révélation de la puissance divine que nous avons su incarner. Il suffit de persévérer à simplement aimer. Jusqu’à voir dramatiquement s’approcher la mort, les guerres, les souffrances et même les persécutions : aimer.

Si vous persistez à aimer, et Dieu et l’humanité, quels que soient les défis qui se présentent à vous, vous n’aurez jamais peur. C’est cet amour qui parlera pour vous aux moments ultimes et vous serez sauvés.

Fr. Laurent Mathelot

Source : RÉSURGENCE.BE, le 12 novembre 1015

09.11.2025 – HOMÉLIE DE LA SOLENNITÉ DE LA DÉDICACE DU LATRAN – JEAN 2 13-22

Temple et petits marchandages

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Jean 2, 13-22

Aujourd’hui, nous célébrons la fête de la Dédicace de la Basilique Saint-Jean-du-Latran. Cette basilique, érigée à Rome au IVesiècle, est la cathédrale de l’évêque de Rome – le Pape – et elle porte le titre de « mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde ». C’est l’Église en tant que temple, sanctuaire, demeure de Dieu, que nous célébrons. La dédicace d’un édifice religieux marque le moment où il est consacré, devenant un lieu saint où le peuple se rassemble pour célébrer les mystères divins. Au-delà de la pierre et de l’histoire, cette fête nous invite à contempler le temple comme signe de la présence de Dieu parmi nous, rappelant que les lieux de culte sont des espaces privilégiés où le ciel rencontre la terre, et où la communauté chrétienne célèbre son unité dans la foi.

Partant de cette définition du temple comme lieu de rencontre du ciel et de la terre, avec Paul, nous constatons qu’elle désigne autant les édifices où nous rencontrons Dieu que notre propre corps, premier lieu où Dieu veut surgir dans le monde. Paul dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » ; « Vous êtes une maison que Dieu construit ». Si la Basilique du Latran représente symboliquement le temple matériel, élevé par des mains humaines pour honorer Dieu, ces versets nous révèlent que le véritable temple est vivant et spirituel : c’est chacun de nous, baptisé et habité par l’Esprit, pierres vivantes de l’Église qui se construit. Ainsi, cette fête ne se limite pas à une commémoration historique ; elle nous appelle à reconnaître notre propre consécration intérieure, à veiller sur ce sanctuaire personnel pour qu’il reste pur et rayonnant de la présence divine, et à bâtir ensemble une communauté où Dieu puisse véritablement demeurer.

Dans l’Évangile, Jésus se trouve donc au Temple de Jérusalem, un édifice magnifique, pas encore tout à fait achevé, un des plus grands temples bâtis de main d’homme, une splendeur assurant partout le rayonnement de la Cité sainte, une merveille du monde antique. Là, il dit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »

Aussi beaux que soient tous les temples que cette humanité pourra construire, aucune beauté faite de main d’homme n’égalera la beauté créée par Dieu : « Vous êtes une maison que Dieu construit » ; « vous êtes un sanctuaire de Dieu ». Le temple sacré que constitue notre corps est infiniment plus précieux que toutes les cathédrales, toutes les œuvres d’art de nos églises, tous les calices, ciboires et ostensoirs réunis. Avec l’Eucharistie, le temple sacré de notre corps est le seul véritable trésor dont dispose l’Église. Et, aux yeux de Dieu, il a une valeur inouïe, incomparablement plus élevée que nous ne pouvons l’imaginer. « Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime » dit le Seigneur dans le Livre d’Isaïe (43, 4). L’amour de Dieu, voilà notre valeur.

On comprend dès lors que l’amour de soi est toujours une sous-estimation. Jamais nous ne serons capables de poser sur nous-même le regard d’amour que Dieu pose. L’amour égoïste est toujours une dévaluation de soi, un faux jugement de la valeur humaine qui est la nôtre. En fait, une surélévation de soi parce qu’intimement, on s’estime dévalué. L’amour égoïste est sans commune mesure avec l’amour que Dieu nous porte.

Les marchands du Temple sont ceux qui s’arrogent le droit de déterminer la valeur de l’œuvre divine. Ils s’enrichissent des sacrifices ; ils monnaient les rites ; ils vendent l’espérance ; ils tarifient l’amour.

Marchands du Temple, les vendeurs de rêve et d’illusion, d’image de marque et de mode ; marchands du Temple, les réseaux sociaux qui nous assurent d’être admirés ou aimés à force de clics ; marchands du Temple, les acteurs médiatiques et politiques qui promettent des solutions simples aux peurs qu’ils attisent. Pour ces gens, nous avons une valeur marchande.

On peut être aussi marchand du Temple que l’on est, lorsque l’on brade ses sentiments ou que l’on compromet son esprit. Il nous arrive de céder aux petits marchandages de la séduction.

« Vous êtes un sanctuaire de Dieu» ; « Vous êtes une maison que Dieu construit ».

Jésus est particulièrement sévère envers les marchands du Temple, qu’il chasse avec un fouet – un des rares actes de violence de sa part, un écho à la violence de Dieu envers les idolâtres, que l’on retrouve partout dans la Bible. Pourquoi donc cette violence ?

Parce que l’idolâtrie, comme l’égoïsme, nous emportent facilement. Il est facile, en effet, de nous illusionner par nos rêves de grandeur et nos vies fantasmées. Il est facile de s’étourdir passionnément pour une illusion de bonheur, une existence rêvée, une ambition illusoire. Ce faisant, nous nous emprisonnons dans une image de nous-même, nous assumons face au monde une image de marque que nous chercherons toujours à peaufiner et, ainsi, une vie de mensonges. Là, nous touchons à l’étymologie de l’idolâtrie, qui est un culte rendu à une image, une illusion. L’idole est toujours la projection de nos fantasmes.

Ainsi, si Paul affirme avec force que nous sommes un temple de l’Esprit Saint, il nous est facile de remplacer cette projection de Dieu dans notre esprit par une illusion de bonheur plus accessible, une idole construite par nos soins. Dieu est virulent contre les idoles, parce qu’elles se substituent facilement à lui dans notre cœur et notre esprit, sans même parfois que nous nous en rendions compte. A cet égard, l’égoïsme – l’idolâtrie de soi – est celle qui nous colle le plus à la peau.

La vie spirituelle est un constant dévoilement de Dieu à travers nos existences. L’idolâtrie, c’est l’arrêt de ce dévoilement, la fixation d’une image fausse de bonheur et finalement, à mesure de son emprise, la disparition de la perspective divine de nos vies, pour une vie de faux-semblants.

Dieu veut la vérité en nous et c’est pourquoi nous devons renoncer à idolâtrer l’image que nous avons de nous-même, de la société, de l’Église et même celle que nous avons du Christ. Le processus est essentiellement inverse : c’est à Dieu qu’il appartient de nous révéler qui il est et qui nous sommes, individuellement et en Église. Et c’est à nous qu’il revient d’accepter cette révélation.

Ne nous arrêtons à aucune image que nous avons de nous-même, de nos familles, de nos communautés, elles sont tellement en-deçà de l’image que nous renvoie le regard de Dieu.

Fr. Laurent Mathelot

Source : RÉSURGENCE.BE, le 4 novembre 2025

01.11.2025 – HOMÉLIE DE LA TOUSSAINT – MATTHIEU 5, 1-12a

Après la mort


Tous les Saints et les fidèles défunts — 1er et 2 novembre 2025

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

A l’occasion de la Toussaint, sans doute est-il utile de rafraîchir nos esprits sur l’enseignement de l’Église à propos de l’au-delà de la mort. Ce n’est en effet pas la mort que nous honorons lors de ces jours saints, mais la vie éternelle. La Toussaint est une fête joyeuse et la célébration des fidèles défunts, une célébration de l’espérance. Comme l’écrit le Catéchisme de l’Église, Dieu, dans sa tendresse infinie, a un plan pour chacun de nous après la mort (CCC 1021).

Dans l’Apocalypse pour la Toussaint, saint Jean nous montre une « foule immense » au ciel, lavée dans le sang de l’Agneau, chantant la louange de Dieu. Et dans le Livre de la Sagesse pour les défunts, nous entendons que « les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et aucun tourment ne les atteindra ». Enfin, l’Évangile de Jean nous assure : « Quiconque voit le Fils et croit en lui a la vie éternelle ; et il le ressuscitera au dernier jour. » Ces textes ne sont pas des idées abstraites ; ils éclairent le chemin que nous empruntons tous après la mort. Alors allons-y, pas à pas.

Premier pas : la mort et le jugement immédiat

Le moment de la mort arrive comme un rideau qui se lève sur une scène nouvelle. Notre âme – notre partie immortelle à l’image de Dieu – se sépare de notre corps, qui retourne à la terre. Aujourd’hui, on dispose de nombreux récits d’« expériences de mort imminente » qui témoignent de ce détachement charnel et d’un chemin de lumière où nous retrouvons proches et inconnus.

Ce n’est pas la fin mais la route vers un premier face-à-face intime avec le Seigneur. Le Catéchisme l’appelle le « jugement particulier » : Dieu nous regarde avec amour et vérité, scrutant en nous les reflets de sa grâce. Il ne s’agit pas d’imaginer ce jugement comme un tribunal, mais comme un instantané de notre éclat.

Pour ceux dont la foi et les œuvres sont rayonnantes, il s’agira d’un accueil chaleureux : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ». Pour d’autres, à mesure qu’ils ont alourdi leur cœur comme la pierre, ce sera une rencontre tiède, froide voire glaciale. Mais même là, la justice de Dieu est miséricordieuse : il n’y a pas de surprise, car toute notre vie était une préparation à cette rencontre.

Deuxième pas : les états qui nous attendent

Après ce « constat d’éclat », l’âme entre dans ce que l’on appelle les « états intermédiaires ». Le Catéchisme les décrit simplement : le ciel, le purgatoire ou l’enfer.

Le ciel, c’est la pleine communion avec Dieu, la joie débordante des noces divines. C’est la fête éternelle de la Toussaint, où nos saints, connus ou anonymes, célèbrent l’amour éternel en présence des anges.

Plus de chrétiens peinent à comprendre l’à-propos du purgatoire. Pourtant, au-delà de notre mort, la souffrance que nous avons répandue continue d’agir hélas, alors qu’il ne nous est plus possible d’aller nous réconcilier. Seul Dieu, à travers l’Église, peut désormais réparer le mal que nous avons semé et guérir les cœurs que nous avons laissés meurtris. On comprend ainsi l’offrande de messes, qui est un moyen d’offrir une charité post-mortem, diffuse mais réelle, au nom d’un défunt. Le temps du purgatoire est le temps qu’il faudra à Dieu pour consoler les âmes que nous avons laissées blessées.

L’enfer, enfin, est la séparation définitive de Dieu pour qui choisit en conscience de refuser son amour. Il est, en creux, le signe de l’absolue liberté que Dieu nous donne de l’aimer ou de le renier.

Ces états nous rappellent que la mort n’efface pas nos liens, tant avec le ciel qu’avec la terre, sauf à décider nous-mêmes de les rompre, indifférents à la souffrance que nous laissons.

Troisième pas : le retour glorieux du Christ

Avançons vers la fin des temps. Un jour, connu de Dieu seul, le Christ reviendra pour vaincre définitivement le mal, la souffrance et la mort – c’est la Parousie, son second avènement dont parle l’Apocalypse. « Apocalypse », vous le savez, ne signifie pas « déferlement de cataclysmes », comme trop de films le dépeignent, mais « révélation », dévoilement final de Dieu. L’apocalypse, c’est le triomphe accompli de l’amour de Dieu.

Quatrième pas : la résurrection de nos corps

À cette fin des temps, Dieu ne laissera pas nos corps à l’état de poussière. Comme Jésus est ressuscité avec un corps glorieux, ainsi nous serons transformés : nos corps, anciennement marqués par la souffrance, deviendront immortels, spirituels, rayonnants d’une beauté divine. Pour les justes, ce sera un corps de lumière ; pour les damnés, un corps de souffrance.

Écoutons l’Évangile de Jean pour les défunts : « Tous ceux que me donne le Père viendront jusqu’à moi ; et celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors. » Et plus fort encore : « Je le ressusciterai au dernier jour. » Pensons à nos défunts : ils n’ont pas disparu. Leur âme est déjà entre les mains de Dieu, et un jour, leur corps sera relevé pour une vie nouvelle. C’est l’espérance qui nous fait prier au cimetière : non pour des ombres, mais pour des vivants en attente de plénitude.

Cinquième pas : le jugement dernier

Puis viendra le jugement dernier, public et solennel. Ce n’est pas un nouveau procès, mais la révélation de la justice de Dieu à toute l’humanité. Chaque vie, chaque souffrance, chaque acte de bonté sera vu à la lumière de l’éternité. C’est le moment où le bien et le mal seront séparés pour toujours.

Sixième pas : la nouvelle création

Enfin, la fin des temps culmine dans une merveille : un nouveau ciel et une nouvelle terre, un monde transformé, sans plus de mort, de pleur ou de douleur. Dieu essuiera toute larme, et nous vivrons en sa présence, corps et âme réunis, dans une intimité parfaite. Les Béatitudes y trouveront leur accomplissement : les affamés de justice seront rassasiés pour toujours ; les persécutés, couronnés de gloire. Et les damnés resteront séparés, enfermés dans leur liberté de renier Dieu.

La Toussaint nous invite à regarder la mort en face, non avec effroi, mais avec la joie des saints et la tendresse pour nos défunts. Prions pour eux, comme ils prient pour nous. Aspirons à la sainteté, à la joie divine de toute rencontre. Que la Vierge Marie, Reine du ciel, nous guide. Et qu’en ce jour, nos cœurs s’ouvrent à l’espérance : la mort n’est qu’un passage, et au bout, la vie éternelle nous attend.

Fr. Laurent Mathelot

Source : RÉSURGENCE.BE, le 29 octobre 2025

26.10.2025 – HOMÉLIE DU 30ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 18, 9-14

Le regard sur soi

Homélie pat le Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Luc 18, 9-14

Êtes-vous être des gens bien ? Avez-vous quelque fierté à être qui vous êtes ? Paul pense qu’il est quelqu’un de bien, qu’il a mené le bon combat et qu’il va recevoir bientôt la couronne de la justice. Le pharisien de la parabole pense, lui aussi, qu’il est quelqu’un de bien. Tous les deux se pensent justes face à Dieu, à l’inverse du publicain qui se pense misérable et s’humilie devant Dieu.

Combien de fois n’avons-nous pas entendu, peut-être pensé : « Qu’ai-je donc bien pu faire pour mériter ça ? » Je connais des gens qui se sentent coupables de leurs souffrances et ne savent pas pourquoi : « Qu’ai-je donc bien pu faire au bon Dieu pour vivre tant de malheurs ? »

Dieu est un juge impartial. « Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé ». rappelle le Livre de Ben Sira le Sage. La théologie de la rétribution – Dieu qui distribue le bonheur et le malheur comme on donne des bons et des mauvais points – est une fausse théologie. Comment expliquer, si le malheur est une punition, que le Christ ait souffert ? que la Vierge Marie ait dû regarder son fils agoniser sous ses yeux ? Qu’a-t-elle fait pour mériter ça ? Nous ne méritons bien souvent pas le malheur qui nous arrive tandis que des criminels meurent paisiblement dans leur lits, comblés de biens. Va-t-on dire que leur richesse est une rétribution de Dieu ? Il y a des gens bien qui souffrent injustement ; et il y a de terribles pécheurs qui apparemment s’en sortent fort bien.

La théologie de la rétribution est une fausse théologie. Ce n’est pas aussi directement que s’appliquent justice et bonheur, péché et malheur. Le pyromane n’est pas toujours celui qui se brûle et la vie des saints n’est pas toujours paisible. L’action du bien et du mal est plus complexe : nous récoltons ce que d’autres ont semé et d’autres récolteront ce que nous semons, le malheur comme le bonheur. Bien sûr, il arrive que l’amour que nous répandons nous revienne ou, au contraire, que notre péché nous éclate à la figure, mais ce n’est pas toujours le cas.

Alors que dire à ceux qui se pensent maudits parce qu’ils ont déjà trop souffert ? Le texte répond : « Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. » Attention de ne pas retomber ici dans la théologie de la rétribution et penser : celui qui fait le bien, Dieu l’écoute. Non ! Dieu écoute tout le monde ! Dieu aime tout le monde. Ainsi, si j’ai l’impression que Dieu ne m’écoute pas, c’est que je me pense indigne d’être écouté. C’est soit la culpabilité imaginaire que j’évoquais plus haut – se sentir coupable alors qu’on est un innocent qui souffre – soit une culpabilité bien réelle, au malheur que je subis s’ajoute la souffrance que je crée.

La manière dont j’ai l’impression que Dieu m’écoute, se teinte de la valeur que j’ai à mes propres yeux. Plus j’ai tendance à me sentir coupable ; plus je vais avoir tendance à penser que Dieu va vouloir me rejeter … ou me punir. C’est faux : Dieu accueille à bras ouvert celui qui se reconnaît humblement tel qu’il est. Allez relire la joie exubérante du Père dans la parabole du Fils prodigue. C’est touchant.

A l’inverse, plus j’ai tendance à me sentir content de moi-même, bien-pensant et important, plus j’ai tendance à l’autosatisfaction, parfois au prix d’un lourd aveuglement sur mes défauts – la fameuse poutre dans mon œil – plus j’ai tendance à m’élever moi-même, plus je vais m’illusionner de la bienveillance de Dieu à mon égard, qui devient alors un Dieu qui pense comme moi, qui agit comme moi, qui parle comme moi, qui est comme moi. Un Dieu qui, comme moi, ne verrait pas trop mon péché mais très bien celui des autres.

Nous oscillons tous entre ces deux extrêmes, entre sentiment de complète indignité parfois et sentiment d’ultime importance autrefois ; entre dévaluation et surélévation de soi. Dieu a sur nous un regard plus apaisé et Jésus nous présente une plus juste mesure.

Deux hommes montent au Temple : un pharisien et un publicain. Le tort serait d’imaginer que nous soyons l’un ou l’autre, nous sommes les deux, tantôt l’un, tantôt l’autre.

A l’époque de Jésus, les pharisiens représentent un des nombreux courants du judaïsme en crise, c’est le courant montant, qui deviendra dominant après la mort de Jésus. Les pharisiens sont un peu le nouvel establishment politique et religieux. Pharisien, ça veut dire « séparé » dans le sens qui se considère mis-à-part des autres, plus pieu, plus respectueux de la Loi, nouveau juif comme on est nouveau riche, sûr de soi et peut-être arrogant. « Je ne suis pas comme les autres hommes, voleur, injuste, adultère. Moi je jeûne et je fais l’aumône. » Voilà un pharisien.

Les publicains, eux, ont choisi une toute autre orientation politique. Ils collaborent avec l’occupant romain. Ils collectent les impôts pour son compte. Ils tiennent pour lui des tâches administratives. Ils sont haïs par les gens comme les collabos l’étaient pendant la seconde guerre mondiale. Le publicain que la parabole nous présente ose à peine lever les yeux vers Dieu : « Je suis pécheur Seigneur, aide-moi. »

Et Jésus renverse la logique, celui qui se reconnaît injuste est plus juste que celui qui se croit juste. Comme nous l’avons dit, l’un est clairvoyant sur lui-même et l’autre est aveugle.

On a ainsi, au fil des lectures, quatre situations. La première est de se croire coupable de tous les malheurs qui nous arrivent : ce n’est pas vrai. Il y a de la souffrance qui nous atteint et dont nous sommes totalement innocents. La deuxième est celle du publicain qui, aussi lourde que soit sa faute, est juste aux yeux de Dieu parce qu’il a su s’abaisser au niveau de sa médiocrité et la reconnaître. La troisième situation est celle du pharisien qui se gonfle de lui-même pour ne pas voir sa faute, qui s’élève au rang de Dieu. Et la quatrième est celle de Paul, qui a raison d’espérer la couronne de la justice alors qu’il va bientôt mourir.

Il y a une élévation de soi qui n’est pas de l’orgueil, c’est la sainteté. Paradoxalement, elle s’obtient en s’abaissant. Paul a raison d’espérer triompher devant Dieu, alors qu’il est au plus bas, parce il a su reconnaître auparavant, comme le publicain de la parabole, la bassesse dont il était responsable. Honnête sur lui-même, il sait juger de son innocence face au malheur qui l’accable. Il y a une élévation de soi qui n’est qu’orgueil, c’est le pharisien qui s’élève lui-même au niveau de Dieu – qui ,en fait, rabaisse Dieu à son niveau – et qui se rend ainsi totalement aveugle sur la mal qu’il peut commettre. Il y a un abaissement de soi qui est clairvoyance, c’est l’honnêteté. Paradoxalement, elle nous élève. Le publicain est présenté juste par Dieu parce qu’il s’abaisse à la réalité de qui il est. Enfin, il y a un abaissement de soi injuste, trop sévère, qui nous fait penser mériter le malheur dont nous sommes innocents. Ici, c’est sur la justice de Dieu qu’on se rend aveugle.

L’enseignement des lectures d’aujourd’hui, c’est qu’il nous faut nous aimer tels que Dieu nous aime : envisager nos bassesses d’un regard juste et se réjouir de la hauteur à laquelle il veut nous élever. Il y a, dans cet écart, toute la miséricorde de Dieu.

Fr. Laurent Mathelot

Source : RESURGENCE.BE, le 24 octobre 2025

19.10.2025 – HOMÉLIE DU 29ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 18, 1-8

La spiritualité est un sport de combat

Évangile selon saint Luc 18, 1-8

La spiritualité est un sport de combat, en tous cas une épreuve d’endurance. Chrétiens, c’est notre corps et notre esprit que nous devons entraîner au beau combat de l’amour. Et ce n’est pas forcément de tout repos. Il n’est pas toujours facile d’entraîner notre esprit vers l’espérance et la joie ; encore moins facile parfois d’y entraîner le cœur et le corps. Ce n’est pas facile de maintenir la persévérance. Ce n’est pas facile de ne jamais baisser les bras.

Vous le savez, c’est du passage du Livre de l’Exode que nous venons de lire, que vient cette expression : « Baisser les bras ». Le peuple hébreu marche dans le désert, en route vers la Terre promise, et les Amalécites, qui sont alors leurs ennemis jurés, les attaquent par surprise. Spirituellement, les Amalécites représentent ici l’ennemi intime qui nous agresse. Israël part donc au combat et Moïse mène spirituellement la charge. Quand il a les mains levées, Israël domine ; quand il baisse les bras, Amalec l’emporte. Ces bras tournés vers le ciel évoquent bien sûr le geste du prêtre en prière. On en tire un premier enseignement : tout combat est avant tout spirituel, même s’il dépend de la maîtrise du corps.

Les bras levés vers Dieu sont le signe de l’orientation de notre cœur et c’est la faiblesse de notre corps qui témoigne en premier de notre découragement. Voilà le sens de l’expression « baisser les bras ». A peine nos combats cessent-ils d’être soutenus par l’espérance, que nos corps flanchent, signe que notre esprit flanche aussi.

La spiritualité est un sport de combat ; car tout combat est spirituel – les sportifs vous le diront : c’est la volonté dans l’entraînement qui fait le vainqueur. En ce sens, la prière est un entraînement aux combats spirituels que nous aurons à mener.

Dans la vie spirituelle, il est important de se rendre compte quand nous baissons les bras, quand charnellement nous flanchons, et de chercher alors du soutien. C’est le deuxième enseignement de ce texte : il y a ceux qui nous entourent, qui nous soutiennent alors que nous baissons les bras comme Aaron et Hour viennent aider Moïse. Le combat spirituel est avant tout un sport d’équipe : d’abord une équipée personnelle avec Dieu, ensuite une équipée humaine et solidaire. On retrouve ici les deux aspects du commandement d’aimer : Dieu et son prochain.

Il ne faut pas cependant que notre soif d’amour et de paix nous aveugle sur la nature parfois dure des combats spirituels qu’il faut mener. Je l’ai dit, Amalec, c’est ici l’ennemi intime par excellence, l’ennemi viscéral, l’ennemi qui nous touche au cœur : méchancetés, humiliations, mépris, agressions, violences subies : voilà Amalec. C’est spirituellement qu’il nous faut passer au fil de l’épée ces sentiments de haine et de mépris qui nous assaillent. Un par un. Et ce n’est pas toujours facile de lutter contre les assauts d’un ennemi intime et mauvais. Ne négligeons pas, la violence de certains combats spirituels, et de certaines blessures affectives en nous.

Ne présumons pas non plus de nos propres forces. Dieu est là qui nous aide et la communauté est là qui nous soutient : essentiellement dans l’Eucharistie qui nous restaure ou dans la Réconciliation quand nous flanchons. Mener un combat spirituel, c’est aussi se laisser aider, soutenir et accompagner. C’est peut-être d’ailleurs le premier grand combat spirituel à mener, contre notre propre volonté de nous en sortir seul face à un combat intime ; fermant de plus en plus la porte de notre cœur, d’abord aux autres et puis à Dieu. Quand jamais, à aucun ami, nos souffrances ne peuvent être partagées, alors s’ouvre pour nous la porte de l’Enfer. A l’opposé de la volonté s’en sortir seul, et donc de s’enfermer en nous-même face au combat spirituel, le Christ nous présente la volonté farouche d’une veuve à demander justice.

A l’époque, être veuve ou orphelin, c’est la pauvreté assurée. Non seulement la pauvreté matérielle – ce sont alors essentiellement les hommes qui gagnent de l’argent – mais aussi la pauvreté sociale, dans une culture qui ne s’adresse pas aux femmes seules en rue. Seule la charité, souvent de proches, permet alors aux veuves de vivre. Dans la Bible, une veuve est toujours synonyme d’extrême dénuement, de solitude et de détresse.

Ceci fait écho à notre propre solitude dans le combat spirituel. On se sent parfois bien seul à mener certains combats personnels, à lutter pour survivre physiquement, spirituellement, amoureusement. La veuve que Jésus présente dans la parabole ne s’enferme pas dans sa solitude. Bien que méprisée, elle s’acharne à demander justice – quand bien même le juge ne serait pas intègre. Alors donc, pensez Dieu !

Elle ne baisse pas les bras la veuve de la parabole. Elle ne se lasse pas de demander de l’aide alors qu’elle est démunie de tout. Elle ne se lasse même pas d’espérer la justice de celui qui est corrompu. Et c’est le troisième enseignement des lectures d’aujourd’hui : la ténacité à réclamer l’aide d’autrui et la justice de Dieu.

Ne restez pas seul face à certains combats spirituels et affectifs. Ce qui nous appartient de faire seul, c’est de maintenir notre volonté de justice et d’intégrité. Mais pas plus. Même Moïse a eu besoin de l’aide du prêtre Aaron et de son neveu Hour, pour le soutenir dans le combat spirituel contre l’ennemi intime, littéralement : pour ne pas baisser les bras.

Je vous en prie, même pour des combats intimes et personnels, pour les combats amoureux, les combats spirituels, le combat pour que règne la justice et la paix dans notre cœur, n’ayez jamais honte de demander de l’aide : d’abord celle de Dieu, ensuite celle de la communauté. Ne présumez pas de votre seule force spirituelle, ou charnelle, vous vous enfermeriez dans un isolement mortifère qui vous ferait mener seul des combats spirituels parfois intenses, au prix d’un corps qui finit toujours par flancher. Alors, le risque est grand de sombrer dans le désespoir et d’alourdir son cœur comme la pierre, espérant s’épargner des souffrances qui alors se figent.

Le Chrétien qui se veut un athlète de l’amour discipline son cœur, son corps et son esprit en conséquence. Comme s’entraînent les sportifs, entraînez-vous au beau combat de l’amour, avec pour nourriture l’Eucharistie, pour entraînement la prière, et pour douche la Confession. Je vous encourage à devenir des marathoniens de l’amour de Dieu, c’est exaltant comme sport. Et parfois extrême …

La spiritualité chrétienne est un sport de combat. A l’intensité de l’amour que nous souhaitons voir triompher en nous, répondra l’intensité du combat intime qu’il nous faudra mener. Et nous n’y arriverons jamais seul …

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 15 octobre 2025