23.06.2024 – HOMÉLIE DU 12ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MARC 4,35-41

Les tempêtes intérieures

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Texte de l’Évangile selon saint Marc 4, 35-41

La semaine passée, nous avions évoqué le fait que la culture juive antique ne dispose pas de notions abstraites, qu’elle affectionne au contraire les images concrètes pour parler des réalités spirituelles. Ainsi, la foi est « grosse comme une graine de moutarde », l’impossible revient à « faire passer un chameau par le chas d’une aiguille », l’inouï de la foi est comme « demander à une montagne de se jeter dans la mer » et surmonter sa peur devient « marcher sur les eaux ».

Longtemps, on a professé que Jésus avait effectivement marché sur l’eau, que c’était là l’essentiel du miracle qui prouvait qu’à Dieu réellement rien n’était impossible, que c’était-là un acte de foi, qu’il fallait croire tel quel cet épisode extraordinaire. Aujourd’hui, il y a encore beaucoup de caricaturistes pour faire leurs choux gras de cet épisode, qui représentent Jésus à quelques centimètres au-dessus des flots. C’est la lecture littérale du texte.

Du point de vue théologique, c’est un peu vite faire de Jésus un surhomme, qui dépasse les capacités physiques de l’humain et les lois de la Nature édictées par Dieu. Si le Christ possède des capacités humaines propres qui dépassent celles de chacune et chacun d’entre-nous, alors nous ne serons effectivement pas sauvés … à moins de parvenir réellement à faire passer un chameau par le chas d’une aiguille ou à marcher nous-mêmes sur l’eau.

Dans toute la Bible, la masse des eaux, la mer et ses flots représentent une menace, la peur, le danger. On l’a oublié mais, jusqu’au début du XXe siècle, la noyade était l’une des principales causes de décès accidentel. Très peu de gens savaient nager. Les bateaux ne s’aventuraient que rarement en pleine mer ; ils faisaient plutôt du cabotage, voyageant de port en port le long des côtes. On comprend dès lors l’importance d’une expression telle que « Passons sur l’autre rive » dans la bouche de Jésus. Il s’agit de surmonter sa peur d’avancer en eaux profondes pour atteindre l’autre coté. On trouve en filigrane, vous l’avez compris, la mort – et le peur de mourir qu’il faut surmonter – et la Résurrection.

De nos jours encore, certaines de nos expressions traduisent cette idée de la mer comme un péril que l’on affronte et qui parfois nous emporte – « se jeter à l’eau », « perdre pied » dans l’existence, « être submergé » par les évènements, ou, pour une entreprise, « faire naufrage » : toutes des expressions qui évoquent toujours la peur ancestrale de l’eau.

La Bible, le Nouveau comme l’Ancien Testaments, regorge d’évocations de la mer comme du réceptacle de toutes les peurs. C’est le lieu des monstres marins, de la baleine qui avale Jonas. Mais quand Moïse fend la mer en deux, ce n’est pas pour produire un miracle comme l’a représenté Cecil B. DeMille, dans le film Les dix commandements.

Ça c’est de nouveau la lecture littérale du texte. Quand Moïse fend la mer en deux, ce que le lecteur contemporain de Jésus comprend, c’est qu’il exorcise la peur de traverser le désert que le peuple s’apprête à affronter. De même, quand Dieu dit à Job, dans la première lecture, qu’il est celui qui fixe des « limites à la mer » et qui arrête « l’orgueil de ses flots », quand le psaume chante que Dieu réduit la tempête au silence et fait taire les vagues, le lecteur antique comprenait fort bien qu’il s’agissait avant tout des vagues de nos états d’âme, des tempêtes de notre esprit et du tangage de notre cœur.

Ainsi on voit se dessiner une lecture spirituelle bien plus profonde que la lecture littérale : la foi en Dieu permet de surmonter toutes les peurs, d’affronter tous les périls sereinement. Être comme le Christ qui marche sur les eaux, c’est avoir vaincu toutes ses angoisses. A cet égard, l’image que donne l’Évangile de Jésus qui dort sur un coussin, alors que c’est la panique à bord et que les flots envahissent la barque, est particulièrement parlante, spirituellement parlante.

Il n’y a pas si longtemps encore, croire que Jésus avait effectivement marché sur les eaux, qu’il apaisait réellement les tempêtes, était considéré comme un jalon de la foi. Il fallait aller jusqu’à croire l’extraordinaire concret de ces récits, pour monter l’extraordinaire de sa foi. Mais la lecture spirituelle est bien plus puissante comme jalon : elle dit que toutes nos peurs révèlent nos manques foi. Elle dit aussi que Dieu sera toujours là pour apaiser toutes nos tempêtes.

Finalement, ceci nous donne un critère pour discerner quelle interprétation préférer – entre lecture littérale ou spirituelle de certains passages extraordinaires de la Bible. Ce critère, c’est celui de la portée de l’interprétation. Je ne me sens pas particulièrement sauvé par un Christ qui, par la foi, me rendrait capable de marcher sur l’eau. D’autant que je sais nager.

Par contre, je me sens véritablement sauvé si ma foi en Jésus me délivre de toutes mes peurs et de toutes mes angoisses, s’il apaise effectivement toutes mes tempêtes spirituelles, tous les naufrages de mon cœur et s’il me permet d’aller en confiance, toujours plus profond, à travers les flots parfois tumultueux de mon âme. Clairement, la lecture spirituelle a ici une portée bien plus universelle, bien plus efficace, que l’interprétation littérale.

Dis-moi quelles sont tes peurs et tes angoisses ; je te dirai ce que ta foi en Dieu doit encore rejoindre.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 19 juin 2024

23.06.2024 – HOMÉLIE DU 12ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MARC 4,35-41

Dans nos tempêtes, passer de la peur à la confiance 

Pistes pour l’homélie par l’Abbé Jean Compazieu

Textes bibliques : Lire

Les textes bibliques de ce dimanche nous invitent à passer de la peur à la confiance. Nous savons tous que cela n’est pas facile, surtout quand nous sommes affrontés à des tempêtes. La première lecture nous parle de Job quand il se trouve douloureusement éprouvé par le mal. Il reproche à Dieu de rester muet devant la souffrance qui lui est infligée et qui lui paraît injuste ; mais Dieu lui répond en affirmant sa puissance sur la mer, et, à travers elle, sur tout ce qui détruit l’homme. La suite de ce récit nous montrera que Job va retrouver une situation bien plus belle que celle qu’il avait au début.

Ce cri de souffrance est toujours d’actualité : des hommes, des femmes et des enfants sont douloureusement éprouvés par la maladie, la pauvreté, la famine. Beaucoup n’ont plus la force de crier vers le Seigneur ; nous pouvons le faire en leur nom. Ce cri est une prière que Dieu entend. La bonne nouvelle c’est qu’il ne nous laisse pas désespérés. Il ne cesse de venir vers nous.

Toutes ces souffrances qui accablent notre monde, le Christ les a prises sur lui ; c’est la grande découverte de Paul : Jésus est mort pour tous les hommes en portant le poids de leur mal ; nous ne devons plus rester centrés sur nous-mêmes mais sur lui qui est mort et ressuscité pour nous. Notre priorité absolue doit être d’accueillir cette vie nouvelle qu’il nous a obtenue par sa Passion et sa mort ; c’est une vie essentiellement caractérisée par un immense amour.

Dans l’Évangile, nous voyons que c’est cet amour qui pousse le Christ vers “l’autre rive”. Pour comprendre cette décision, nous devons comprendre qu’il ne s’agit pas seulement de l’autre côté du lac. C’est d’abord celle du monde païen. Jésus veut le rejoindre là où il en est. Il veut le libérer des puissances du mal et lui annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile. C’est une manière de dire qu’il n’est pas venu pour le seul peuple d’Israël mais aussi pour tous les hommes du monde entier. Il veut que tous aient la vie en abondance.

Mais au moment de la traversée, les puissances du mal se déchaînent pour faire obstacle à cette annonce de l’Évangile. Elles veulent engloutir la barque de la Parole pour l’empêcher d’atteindre cette autre rive. Ce qui est étonnant dans cet évangile, ce n’est pas la peur des disciples ni leur crainte quand ils reconnaissent Jésus comme Dieu. Le plus surprenant c’est la question qu’il leur pose : “Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ?

Quand on se trouve sur un bateau mal maîtrisé, face à une violente tempête, on a vite fait d’avoir peur. Quand saint Marc écrit son évangile, il s’adresse à des chrétiens persécutés. L’Église est un peu comme la barque de Pierre en train de couler. Ils ont l’impression que Jésus dort. Alors, ils l’appellent au secours : “Seigneur, sauve-nous ; nous périssons.” Et dans son Évangile, Marc leur rappelle ce qui s’est passé autrefois avec Jésus et les Douze sur la mer. Ils étaient complètement désemparés par la violente tempête qu’ils ont dû affronter. Mais avec Jésus, les puissances du mal n’ont jamais le dernier mot.

Si nous voulons être fidèles au Christ, nous sommes appelés à sortir de notre petit confort et à le suivre vers l’autre rive. De nombreux prêtres, religieux, religieuses et laïcs ont quitté leur famille, leurs amis pour aller vers l’inconnu. Ils ont traversé les océans pour annoncer Jésus à des peuples qui ne le connaissaient pas. Et actuellement, nous voyons des prêtres africains, indiens ou autres qui ont quitté leur famille et leur pays pour venir nous évangéliser. L’Évangile doit être annoncé à tous.

Cet évangile est une bonne nouvelle pour notre Église et notre monde affrontés aux tempêtes de la vie. C’est surtout un appel à la foi. Le Seigneur marche à nos côtés. Il est sur la barque de Pierre. Depuis le matin de Pâques, nous sommes passés sur “l’autre rive” celle de la “recréation” du monde. Désormais, plus rien n’est comme avant. Nous vivons de la vie nouvelle du Ressuscité. Cette vie doit être remplie de solidarité, de partage, de justice. Désormais, nous pouvons vivre comme le Christ, non pour être servis mais pour servir. Nous pouvons affronter les mêmes combats que lui pour maîtriser toutes les tempêtes des hommes, celles du mal et de la haine sous toutes ses formes. Avec lui, nous sommes assurés de la victoire.

Le Seigneur est toujours là au cœur de nos vies. Son Eucharistie nous le rappelle. Quelles que soient les tempêtes, et même s’il semble dormir, il veille sur nous comme sur son bien le plus précieux. Il est proche de nous, en nous. Il est notre lumière et notre salut. Rien ne saurait nous séparer de son amour.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 16 juin 2024