26.03.2023 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE DE CARÊME – JEAN 11, 1-45

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RESSUSCITÉS DANS LE CHRIST

Par le Fr. Didier-Marie Golay, ocd

Il y a quinze jours, vous vous en souvenez, nous étions invités à contempler le dialogue de Jésus avec la femme de Samarie dans lequel Jésus se révélait comme la source d’eau vive. La semaine dernière, nous entendions le dialogue de Jésus et de l’aveugle-né. Jésus se manifestait alors comme la lumière du monde, comme la lumière véritable. Aujourd’hui, dans ce dialogue avec Marthe et Marie, la révélation culmine à son sommet. Jésus se révèle comme « la Résurrection et la Vie » (cf. Jn 11, 25). Et cette Bonne Nouvelle, il nous faut l’accueillir.

Quand Jésus se présente comme « la Résurrection et la Vie », nous sommes tournés vers sa divinité ; mais ce qui est frappant dans ce passage de l’évangile selon saint Jean, c’est la manière dont sont étroitement mêlées la divinité de Jésus et son humanité. Dans ce passage, saint Jean nous montre vraiment que Jésus est pleinement homme et pleinement Dieu. Qu’il est vrai homme et vrai Dieu. Son humanité transparaît à travers l’amitié qu’il noue avec Marthe, Marie et Lazare. À plusieurs reprises l’évangéliste précise que Jésus les aimait (Cf. Jn 11, 3.5.36).

Les deux sœurs font dire à Jésus : « Celui que tu aimes est malade » (Jn 11, 3). Il sera profondément ému de la peine des deux sœurs. Il sera bouleversé en approchant de la tombe de son ami Lazare et il pleurera (Cf. Jn 11, 33.35). Toute l’humanité du Christ Jésus nous est présentée ici et c’est dans la plénitude de cette humanité, rejoignant notre propre humanité, qu’il va pouvoir se révéler comme « Résurrection et Vie ».

Mais avant d’aller plus loin dans cet évangile, arrêtons-nous quelques instants sur ce verset 3 : « Seigneur, celui que tu aimes est malade » Cette prière que Marthe et Marie font à Jésus peut nous mettre chacun et chacune sur un chemin de conversion par rapport à nos prières d’intercession et à nos demandes. Bien souvent, quand nous faisons des prières d’intercession, sans nous en rendre compte, nous donnons des ordres à Dieu : « fais ceci ; fais cela ; donne la guérison à telle personne ; fais que telle personne ait du travail ; fais que mon petit-fils ait son diplôme ; etc. » Finalement nous donnons des ordres à Dieu pour qu’il soit à notre service.

Saint Jean de la Croix, dans son Cantique Spirituel (CS B, strophe 2, § 8) nous indique de quelle manière intercéder. Il nous donne d’abord l’exemple de la Vierge Marie à Cana qui se contente de présenter la situation : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3), puis il évoque notre passage : « Les sœurs de Lazare, au lieu d’envoyer demander au Sauveur la guérison de leur frère, se bornèrent à lui représenter que celui qu’il aimait était malade (Jn 11, 3) ». Présenter simplement la situation pour que Dieu puisse agir selon les desseins de son amour ; que son Règne puisse advenir dans cette situation ; pour que son Nom soit sanctifié dans cette situation… Il y a là un chemin de conversion de nos mentalités et de nos manières de faire pour évangéliser nos prières d’intercession.

Jésus accueille la demande, mais malgré les sentiments d’affection qu’il nourrit à l’égard de Lazare, il va attendre deux jours avant de se mettre en route. Deux jours pour permettre à l’œuvre de Dieu de se manifester. Jésus donne à ses disciples un premier enseignement en leur parlant de la mort comme d’un sommeil, comme d’un temps de passage entre cette vie et la vraie Vie. Sur les pierres tombales de nos cimetières, nous pouvons lire : « Ici repose… », laissant bien entendre que, pour nous chrétiens, la mort n’est qu’un temps de sommeil dans l’espérance d’un éveil. Cet enseignement de Jésus est très important. L’épître aux Hébreux affirme que Jésus est venu « affranchir tous ceux qui, leur vie entière, étaient tenus en esclavage par crainte de la mort. » (He 2, 14-15). Avouons, frères et sœurs, que parfois nous sommes bien souvent tenus en esclavage par crainte de la mort. Nous n’envisageons pas spontanément notre mort comme un sommeil, comme un passage vers le Père. Nous avons sur ce point à vivre une profonde conversion au plus intime de notre être, pour consentir à notre être mortel, à l’être mortel de nos proches, mais avec cette certitude de foi que la mort n’est qu’un sommeil qui débouche sur la plénitude de la vie.

Jésus revient à Béthanie avec ses disciples et rencontre d’abord Marthe qui affirme sa foi en la Résurrection aux derniers jours. Mais Jésus lui affirme : « Moi, je suis la Résurrection et la Vie, tout homme qui vit et qui croit en moi ne pourra jamais » (cf. Jn 11, 25-26). Cette parole est très importante car Jésus nous indique que, si nous avons foi en lui, nous ne ressusciterons pas simplement aux derniers jours mais que nous sommes déjà ressuscités.

Frères et sœurs, est-ce que vous vous sentez être des ressuscités ? Est-ce que déjà cette Vie nouvelle est déjà à l’œuvre en vous ? à l’œuvre en nous ? Est-ce que nous avons pleinement conscience que la grâce du baptême nous a fait mourir au péché pour renaître en Christ conscience ? Est-ce que nous cherchons à faire en sorte que ce germe de vie divine, de vie ressuscitée, puisse d’épanouir dans toutes les fibres de notre être.

Nous sommes déjà des Ressuscités ! Nous le deviendrons pleinement quand nous serons passés par la mort ; mais nous sommes déjà ressuscités avec le Christ puisque nous croyons en lui et que nous vivons de lui, nous nourrissant de son Corps et de son Sang dans cette Eucharistie qui est le mémorial de son Mystère Pascal. Répondrons-nous comme Marthe : « Oui, Seigneur, je crois. » (Jn 11, 27).

Puis le texte évoque la rencontre de Jésus avec Marie. L’évangile nous dit que Marie et que les juifs pleuraient bruyamment (selon le terme grec) alors que Jésus pleurait silencieusement. L’évangéliste nous montre ainsi que même dans la peine et la douleur, Jésus reste maître de lui-même. Après s’être tourné vers son Père dans l’action de Grâce, Jésus « éveille » son ami Lazare. La description qui est faite de la « résurrection » de Lazare nous renvoie à la Résurrection du Christ Jésus mais avec de notables différences :

La grotte reste fermée par une pierre (Jn 11, 39) alors qu’au matin de Pâques, la pierre a été roulée (Jn 20, 1). Le corps sent déjà (Jn 11, 39), alors qu’au matin de Pâques le tombeau sera vide (Jn 20, 2). Les bandelettes enserrent les membres de Lazare et le suaire couvre son visage (Jn 11, 44). Au matin de Pâques, Pierre et Jean, entrant dans le tombeau vide, découvriront les bandelettes rangées et le suaire posé à part (Jn 20, 6-7). Cela nous rappelle qu’il n’y a qu’une Résurrection véritable, celle du Christ Jésus au matin de Pâques ; et c’est en lui, et en lui seul, que nous ressuscitons pleinement et vréritablement.

Notre évangile s’achève sur le fait que ceux qui étaient là autour de Marie crurent en lui. À la fin de ce onzième chapitre de l’évangile selon saint Jean, nous entrerons dans la Passion (Jn 12). Dans une semaine s’ouvrira pour nous la Semaine Sainte qui nous fera vivre la plénitude de ce Mystère Pascal, plénitude de notre foi chrétienne.

En cette eucharistie, frères et sœurs, demandons l’intercession de Marthe et de Marie :

  • qu’elles nous apprennent à être des intercesseurs selon le cœur de Dieu,
  • qu’elles nous apprennent à être des croyants qui accueillent pour eux-mêmes et pour le monde la Bonne Nouvelle de la Résurrection.

Oui, en cette eucharistie, le Ressuscité se fait ressuscitant pour chacun et chacune d’entre nous. Que cela nous conduise, par lui, avec lui et en lui, à rendre gloire, à rendre grâce au Père tout-puissant.

Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

Source : LE CARMEL EN FRANCE, le 20 mars 2023

26.03.2023 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE DE CARÊME – JEAN 11, 1-45

26.03.2023 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE DE CARÊME – JEAN 11, 1-45

Par le fr. Yves Bériault, o.p.

Il y a quelques années, on avait présenté au Grand théâtre de Québec, les neuf symphonies de Beethoven, sur une période de deux semaines ! Un véritable tour de force dont j’avais eu le privilège d’être le témoin. C’est à la suite de ces concerts que l’inspiration suivante m’était venue de comparer les évangiles à des symphonies, chacun de ces évangiles ayant son propre compositeur inspiré par Dieu, pour nous parler de Dieu et de son action en son Fils Jésus Christ. Un dictionnaire nous dirait d’une symphonie qu’il s’agit d’une longue pièce musicale pour un grand orchestre et qui est souvent constituée de plusieurs mouvements, tout aussi variés les uns que les autres.

Dans une symphonie, il y a toujours un thème principal, soutenu par des thèmes sous-jacents qui viennent l’introduire, qui le laissent deviner, qui préparent son exécution, jusqu’à ce que la symphonie éclate et atteigne son apogée. C’est alors que le thème principal et les sous-thèmes s’unissent l’un à l’autre dans une extraordinaire explosion de sons et d’émotions. Et tout est dit et la salle éclate en bravos.

La liturgie du carême est ainsi conçue. Elle ressemble à s’y méprendre elle aussi à une symphonie, où de dimanche en dimanche, nous passons d’un mouvement à un autre, d’un évangile à un autre, alors que Jésus se révèle peu à peu, jusqu’à l’accomplissement final de sa mission.

Revenons sur le chemin parcouru jusqu’à maintenant en ce carême. Les récits évangéliques des quatre premiers dimanches nous ont amené sur le Mont de la Tentation avec Jésus, pour ensuite passer au Mont de la Transfiguration. Nous avons été témoins de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, ainsi que de la guérison de l’aveugle-né à la piscine de Siloé. Depuis le début du carême, la liturgie de la Parole s’est déroulée progressivement sur le mode d’une symphonie. Appelons-la : la Symphonie pascale, dans laquelle les sous-thèmes du désert, de la lumière, de la montagne et de l’eau nous ont préparés au mouvement symphonique de ce dimanche où nous sommes mis en présence du miracle de la résurrection de Lazare.

Il s’agit sans doute du miracle le plus spectaculaire de Jésus. Dans ce récit, dans ce mouvement l’on peut entendre clairement le thème sous-jacent à tout l’évangile, même s’il n’est pas encore joué à sa pleine mesure, dans son total déploiement. Mais ce que nous avons vu et entendu aujourd’hui prépare la finale de cette Symphonie pascale qui est la résurrection du Christ le matin de Pâques, et qui est en fait un véritable Hymne à la joie. Voyons maintenant d’un peu plus près ce qui se passe dans ce mouvement de notre symphonie aujourd’hui.

Remarquez comment Jésus prend son temps avant d’aller voir Lazare et ses deux sœurs. Ce n’est pas de l’indifférence de la part de Jésus. Au contraire, il sait ce qu’il fait et il ira voir Lazare en temps et lieu, à l’Heure de Dieu.

N’avons-nous pas tous et toutes un jour attendu cette Heure dans nos vies, convaincus que si Dieu avait été là, s’Il avait agi quand nous le lui avions demandé, les choses se seraient passées bien différemment. « Seigneur, si tu avais été ici. Mon frère ne serait pas mort. » Non seulement les miracles ne surviennent pas toujours quand nous les demandons, mais Dieu ne répond pas toujours comme nous le lui demandons. Les miracles dans nos vies, et ils existent, sont le plus souvent imperceptibles, comme la sève printanière dans les arbres en attente de leur floraison. Mais le plus grand miracle de tous, c’est combien Dieu tient à nous, combien il nous aime, nous promettant qu’en temps et lieu il va nous sauver et nous ramener à la vie, qu’il va ouvrir nos tombeaux.

Notre foi nous affirme que cela est vrai à cause de la résurrection de Jésus qui nous confirme qu’il est véritablement la Lumière du monde, qu’il est la Vie éternelle. Et c’est là le thème central de notre symphonie pascale que l’on entend de dimanche en dimanche, tout au long de ce Carême, et qui va se déployer et retentir solennellement le matin de Pâques, dans un formidable Allegro vivace !

Mais poursuivons notre réflexion. L’Évangile de ce dimanche nous présente l’un des sous-thèmes majeurs de la vie de Jésus, qui est d’une grande importance dans notre Symphonie pascale.

Quelle est la réaction de Jésus quand Marie, la sœur de Lazare, lui dit : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. » L’Écriture nous dit que lorsque Jésus a vu pleurer Marie, ainsi que la foule qui l’accompagnait, il frémit intérieurement. Il demanda alors où l’on avait déposé le corps de Lazare et il pleura à son tour devant son tombeau. C’est là une des scènes les plus poignantes des évangiles, où la vie tout à coup semble s’arrêter. Tous les acteurs de ce récit semblent retenir leur souffle, attendant de voir ce que Jésus va faire, alors qu’il pleure.

« Voyez comme il aimait Lazare », se disent-ils entre eux. Et ce mouvement musical s’entend comme un émouvant Adagio. Ce sous-thème dans notre symphonie nous parle de l’humanité de Jésus qui réagit avec indignation et tristesse devant la mort de son ami Lazare.

Les passages où Jésus pleure dans les Évangiles sont les plus révélateurs quant à la nature de Dieu et de son amour pour nous, et nous n’avons pas souvent l’occasion de porter un regard aussi intime sur l’humanité de Jésus. Le miracle d’aujourd’hui évoque non seulement la résurrection du Christ et son pouvoir sur la mort, mais il nous dévoile aussi l’extraordinaire proximité de Jésus à chacune de nos vies.

Jésus pleure devant le tombeau de Lazare. Il va pleurer aussi sur la ville de Jérusalem, qui refuse de l’accueillir comme Sauveur. Il va pleurer et supplier au Jardin de Gethsémani devant la passion à venir, et il va pleurer sur la croix en intercédant pour nous auprès de son Père. Jusqu’à la fin, notre salut et notre bonheur seront la seule et unique passion de Jésus.

Si la mort semble l’emporter dans nos vies, nous savons désormais que l’amour de Dieu pour nous est plus fort que la mort. C’est là le message central de l’évangile d’aujourd’hui. Nous entendons le Christ le crier : « Lazare ! Sors de ton tombeau ! Tiens-toi debout ! Viens, n’aie pas peur, car je suis avec toi ! »

Avec ce miracle, notre Symphonie pascale n’est pas encore terminée, mais elle n’a jamais été aussi proche de son mouvement final, qui éclatera au matin de Pâques, confirmant ainsi les paroles de Jésus à Marthe, la sœur de Lazare :

« Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »

Telle est la foi de l’Église, cette foi que nous proclamons et célébrons, alors que nous poursuivons notre montée pascale.

fr. Yves Bériault, o.p.

Source : LE MOINE RUMINANT, le 20 mars 2023

26.03.2023 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE DE CARÊME – JEAN 11, 1-45

De dimanche en dimanche, à la lumière du ressuscité

Fais lever les temps nouveaux !

Par l’Abbé Jean Compazieu

Homélie

Textes bibliques : Lire

Nous approchons de la fin du Carême. Les textes bibliques de ce dimanche nous laissent entrevoir la joie de Pâques, la victoire de la vie sur la mort. Nous sommes invités à participer à cette victoire en nous engageant au service de la paix et de la vie. Comme chaque année, le CCFD nous appelle à lutter contre les souffrances et les inégalités qui marquent notre monde. Nous le voyons bien, les pauvres sont de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux. L’actualité internationale est dominée par la violence, les conflits, la détresse de ceux qui fuient leur terre à la recherche d’un lieu de paix. Il est important d’être attentifs aux cris d’ici et de là-bas. Le CCFD-Terre Solidaire nous invite cette année à nous laisser toucher par les cris du monde et à les transformer en espérance partagée.

Pour ce combat, c’est vers le Seigneur que nous nous tournons. Les textes bibliques de ce dimanche voudraient nous y aider. Nous avons tout d’abord la première lecture qui nous ramène au quatrième siècle avant Jésus Christ. Le peuple d’Israël se trouve en grande détresse car il est déporté en terre d’exil. Mais le prophète Ézéchiel intervient pour raviver l’espérance des exilés. Dieu ouvrira le tombeau dans lequel ce peuple s’est englouti. Il le ramènera vers la terre d’Israël. Ce sera la victoire de la vie sur la mort. À travers ce texte biblique, nous avons déjà une approche de l’idée de résurrection.

Il y a un mot qui revient souvent dans l’Ancien Testament et dans l’Évangile : c’est le verbe “sortir”. Nous découvrons un Dieu qui fait “sortir” son peuple d’Égypte ; il lui annonce qu’il le fera sortir de ses tombeaux : “Je mettrai en vous mon Esprit et vous vivrez.” L’Évangile nous parle également d’un Dieu qui “sort”. Nous connaissons tous la parabole du semeur qui est sorti pour semer. Et nous n’oublions pas le maître qui sort pour embaucher jusqu’à la 11ème heure. Aujourd’hui, le CCFD nous invite à sortir de notre indifférence et de notre passivité. Comme au temps de Moïse, le Seigneur voit la misère de son peuple et il nous envoie pour le libérer de tout ce qui le détruit.

Dans la lettre aux Romains, l’apôtre Paul nous parle de l’Esprit qui nous fait sortir de l’emprise de la chair. Dans son langage, il s’agit des faiblesses de la condition humaine et du péché. Nous sommes appelés à vivre sous l’emprise de l’Esprit. À travers ce message, il nous revoie à la vie divine qui est semée en nous. Elle est le gage de notre résurrection. C’est la vie qui l’emporte sur la mort. Nous devenons de jour en jour plus attentifs, plus solidaires et généreux. Grâce à l’Esprit Saint, nous apprenons à ouvrir nos yeux, nos mains et notre cœur.

L’Évangile de ce dimanche nous fait assister à la sortie de Lazare de son tombeau. À travers ce geste extraordinaire, Jésus exprime pleinement son pouvoir sur la mort. Les disciples savent que cette montée vers Jérusalem est une marche vers la mort. Malgré leur incrédulité, il veut leur faire comprendre que cette route s’achèvera par la victoire de la vie.

De cet Évangile, nous devons surtout retenir la déclaration solennelle de Jésus : “Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra”. Puis nous avons la réponse de Marthe : “Oui, Seigneur, je crois.” En lisant cet Évangile, nous prenons conscience d’une réalité importante : ce n’est pas seulement Lazare qu’il faut sortir de son tombeau ; c’est l’humanité tout entière qu’il faut délivrer de la mort. Nous sommes tous appelés à sortir de notre égoïsme, notre indifférence, notre péché. Comme pour Lazare, le Seigneur nous dit à tous : “Viens dehors !”

Un simple retour à la vie ne fait que reculer l’échéance. Le Christ veut nous faire émerger à une autre vie. Il nous appelle à une vie nouvelle. Ce sera le triomphe de la vie sur la mort. C’est une vie qui ne passera pas. Mais avant toute chose, il nous faut entendre l’appel du Christ qui veut nous faire sortir de notre tombeau. Avec lui, c’est l’événement merveilleux de la victoire de la vie sur la mort. Nous sommes invités à vivre ce carême comme un passage vers une vie plus juste, plus solidaire, plus ouverte à Dieu et aux autres. Avec le Christ, nous pouvons toujours triompher de nos peurs et retrouver le courage et l’espérance de repartir en avant. C’est chaque jour qu’il nous faut ressusciter avec lui.

Aujourd’hui, le même Christ compte sur nous pour participer à cette œuvre de libération. Beaucoup de nos frères et sœurs sont un peu comme s’ils étaient enfermés dans des tombeaux. Nous pensons à tous ceux qui sont opprimés, sans travail, affamés ou malades. Nous croyons que le Seigneur peut ouvrir ces tombeaux-là. Mais nous savons aussi que sa parole et son action passent par nos engagements.

Le CCFD Terre solidaire nous lance un appel à transformer la clameur du monde en espérance. Il n’est pas acceptable que des hommes, des femmes et des enfants restent enfermés dans leur précarité. Le Christ nous apprend à écouter et à nous laisser toucher par leur souffrance. Il nous invite à ouvrir notre cœur, nos yeux, nos oreilles et nos mains. Les bandelettes qui entourent Lazare sont le symbole de notre égoïsme, de notre froideur et de notre indifférence. C’est de cela que Jésus veut nous libérer.

En appelant Lazare à venir dehors, Jésus s’adresse aussi à tous les hommes. Il les appelle tous par leur nom. Avec lui, la mort ne peut avoir le dernier mot. Elle est devenue un passage, une porte vers l’éternité. En ce jour, nous faisons nôtre la profession de foi de Marthe: “Je crois, Seigneur ; tu es le Fils de Dieu qui vient sauver le monde.”

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 19 mars 2023

26.03.2023 – HOMÉLIE DU 5ÈME DIMANCHE DE CARÊME – JEAN 11, 1-45

HOMÉLIE:

Par le Fr. Par Laurent Mathelot

Évangile de Jean 11, 1-45

Lazare

Vous savez sans doute que l’Évangile de Jean est un récit très construit : à la fois une œuvre littéraire, un traité de théologie et un témoignage. Pour le comprendre, il faut apprendre à décoder les nombreuses figures de styles, quantité d’images et autres structures rythmiques. Alors seulement on peut en appréhender le sens et le voir comme une œuvre unifiée, un tout. Vous savez aussi qu’il est le plus tardif des quatre évangiles et qu’il offre donc un regard plus distancié. Plus spirituel aussi.

Parmi les figures de styles, il y a les sept signes que Jésus accomplit avant la Pâque, qui vont de l’eau changée en vin à Cana à la résurrection de Lazare qui en est le point d’orgue – sept étapes qui développent, en croissant, la compréhension de l’événement pascal.

Ce récit de la résurrection de Lazare est lui-même très construit. Et il offre un enseignement théologique particulièrement dense. Par ses similitudes avec la mort et la résurrection de Jésus, il éveille les disciples à la compréhension de ce qui va suivre. Une question se pose dès lors : est-ce, de la part de Jean, une image – une sorte de parabole – ou Lazare est-il véritablement revenu de la mort ?

Il vous apparaîtra peut-être évident que Marthe, Marie et Lazare – frère et sœurs – préfigurent la toute première « communauté chrétienne », les premiers croyants, avec les apôtres, à être cités par leur nom. Ensemble, ils forment l’embryon de l’Église. Dès lors, la résurrection de Lazare n’est-elle pas un récit imagé, là pour enseigner que le salut à venir concerne toute l’Église ?

Nous savons que le judaïsme aime les images concrètes – le chameau qui passe par le chas d’une aiguille – et ces images particulièrement concrètes sont là pour nous faire prendre la mesure de ce qui se joue. Personne pourtant, n’envisage concrètement de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Cette idée du récit comme une parabole est renforcée par les nombreuses incises théologiques évoquées plus haut. Clairement, Jésus apparaît ici comme un théologien qui délivre un enseignement, au centre duquel se trouve la phrase : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Ainsi, au cœur du récit, se trouve ce qu’on appelle le kérygme, le centre de la foi chrétienne, ce que nous rappelons dans chaque Credo : Jésus est mort et ressuscité et quiconque croit en lui vivra de même.

Mais d’autre part, il n’y a pas de doute que Marthe et Marie soient des personnes concrètes. Elles sont citées par les quatre évangiles. Par ailleurs, le récit met très fort l’accent sur les sentiments qui traversent Jésus : il est saisi d’émotion ; il est bouleversé ; il se met à pleurer. C’est, de tout l’évangile, l’endroit où l’on voit le Jésus le plus concret, le plus humain face à la mort. Alors ? Image ou réalité ?

Déblayons donc, dans notre archéologie du texte, la couche théologique supérieure pour mettre à jour le récit lui-même ; penchons-nous concrètement sur l’histoire.

Certes, elle offre quelques parallèles avec la résurrection du Christ qu’elle annonce, mais ils ne sont pas si nombreux que cela : il s’agit bien entendu du relèvement d’un mort ; il y a la pierre roulée devant la tombe, mais c’est à peu près tout.

Les différences sont plus nombreuses. Les événements se déroulent sur quatre jours contre trois pour la résurrection du Christ ; et surtout, Lazare finira par mourir de nouveau. En outre, il faut encore le débarrasser des bandelettes et du suaire qui le recouvrent, alors que linge funéraire du Christ apparaîtra soigneusement plié. La résurrection de Lazare, finalement, ressemble à une résurrection inachevée.

Maintenant posons-nous la question : pourquoi Jésus pleure-t-il ? On apprend pourtant dès le début du récit qu’il sait que Lazare ressuscitera. Il dit d’emblée : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » et, plus loin : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Quel sens y a-t-il donc à penser que Jésus pleure son ami mort ? Aucun !

Jésus ne doute pas que Lazare vivra, mais il est le seul. La lamentation de Marie se présente comme une constante tout au long du texte « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Et c’est alors que Jésus pleure. Et qu’il ressuscite Lazare. Partiellement.

J’ose une hypothèse : Jésus pleure, non pas parce que Lazare est mort, mais parce que la foi de ses disciples les plus proches est encore dramatiquement incertaine – théologique, certes, mais pas encore pratique – parce qu’ils doutent encore de leur propre salut. Jésus réalise alors qu’il faudra qu’il meure et qu’il ressuscite lui-même ; que seule sa présence aimante et son enseignement n’ont pas suffit ; qu’il faudra la Pâque pour qu’on le croie.

Ensuite il scande : « Enlevez la pierre » ; « Lazare, viens dehors ! » ; « Déliez-le, et laissez-le aller » comme pour dire : il vous reste à faire pour être délivrés de la mort. N’enfermez personne dans un tombeau ; ne prononcez la mort d’aucun !

Dans son encyclique « Laudato Si », au paragraphe 199, le Pape écrit : « On ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs frontières méthodologiques limitées. » On ne peut pas plus soutenir avoir compris la mort, pouvoir en juger. Nos pensées là aussi sont limitées.

Alors finalement répondons à notre question : ce récit présente-t-il des faits ou s’agit-il d’une illustration imagée du Credo ? Je crois qu’il faut tenir les deux : c’est à la fois une image très concrète comme aime en invoquer la culture juive, une illustration de l’enseignement théologique de Jésus. Mais croire qu’il est impossible qu’existe un Lazare qui réellement ressuscite, c’est préserver l’aspect purement théorique de notre foi. Ce pourquoi, justement, Jésus pleurait.

N’enfermons jamais personne dans la mort – et surtout pas nous-même –, c’est le signe le plus tragique de la désespérance. Au contraire, ouvrons tout ce que nous avons pu concevoir comme tombeaux, délions nos morts – y compris ce qui est mort en nous – et laissons-les aller vers Dieu.

C’est l’heure de déposer au pied de la Croix, nos deuils qui doivent encore ressusciter.

Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Source: RÉSURGENCES.BE, le 21 mars 2023