25.09.2022 – HOMÉLIE DU 26ÈME DIMANCHE ORDINAIRE- LUC 16, 19-31

Évangile de Luc 16, 19-31

Il s’appelait Lazare

Quel est le pauvre qui agonise sur mon seuil pendant que je me distrais ? L’Évangile utilise une image choquante pour la culture de l’époque. Littéralement il parle d’un pauvre qui se fait « lécher par les chiens ». C’est éminemment répugnant dans l’Orient ancien. Cet évangile est scandaleux pour l’auditoire de Jésus. Quel est le pauvre qui meurt comme un chien sur mon seuil pendant que je m’amuse ?

Quels sont, non seulement les pauvres que je ne vois pas, mais les pauvres que je ne veux pas voir ? Quels sont celles et ceux alentours qui meurent dans mon indifférence ? Pas seulement physiquement, mais qui meurent de manque d’amour, qui meurent de solitude, de blessure humaine ou de chagrin ? Mettons, si vous le voulez bien, derrière le terme de ‘pauvre’, toutes les pauvretés, celles du corps comme celles de l’âme.

Ne vous est-il jamais arrivé de détourner le regard d’un pauvre ? ou détourner vos pas ? … Ne vous est-il jamais arrivé de vous inventer une de ces raisons que l’on invente pour ne pas donner de l’argent à ceux qui nous mendient ? … « Elle va le boire » « Il va s’acheter de la drogue ». Sans parler de la légende urbaine du mendiant qui a refusé le sandwich qu’on lui tendait. Comme si un pauvre devait toujours manger la nourriture que d’autres choisissent pour lui …

Je l’ai fait. Récemment encore, j’ai détourné le regard quand je me suis aperçu qu’il allait croiser celui du pauvre que je regardais. Je n’ai pas voulu que nos yeux se rencontrent. C’est un péché constant de ne pas vouloir voir les pauvres … Leur regard nous renvoient à nos propres pauvretés. Et ce n’est pas toujours plaisant.

Que dire alors de ceux qui ne supportent pas de voir la pauvreté à leur porte ? Je connais cet état d’esprit où, parce que l’on souffre soi-même, toute souffrance devient insupportable – la nôtre mais aussi celle des autres. Je sais que parfois, on n’en peut plus de voir la souffrance.

Le prophète Amos considère quant à lui le problème sous une autre ampleur ; il s’adresse aux dirigeants, à ceux qui sont en position d’agir. « Malheur à vous qui vivez bien tranquilles, qui vous croyez en sécurité, vautrés dans le luxe, pendant que le désastre s’abat sur le pays » ; « Malheur à vous qui profitez des avantages du pouvoir, alors que la catastrophe frappe à nos portes » … Oui malheur à celui qui préfère jouir, plutôt qu’agir ; à celle qui est en position d’aider, mais préfère s’amuser.

En situation de crise, les profiteurs sont mal vus. C’est avant tout la corruption du pouvoir qui est cause de malheur. Mais la corruption n’est pas que de profiter de sa position pour s’enrichir. Il y a la corruption des élites intellectuelles qui produisent des discours négationnistes ; il y a la corruption affective qui profite des sentiments ; il y a la corruption religieuse, l’idolâtrie d’un leader, le culte du chef, voire le sentiment de toute puissance et d’intouchabilité.

« Toi, homme de Dieu, recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle ! » dit Paul à Timothée.

« Empare-toi de la vie éternelle ! » « Mène le bon combat, celui de la foi. » Quel est ce bon combat ? Et quelle est cette vie éternelle dont il faut s’emparer ? C’est de croire que l’amour triomphe de toutes les pauvretés.

Toutes les pauvretés reflètent un manque d’amour. Ça ne veut pas dire que c’est le manque d’amour qui les cause toutes. Tous, nous sommes nés nus et pauvres, et nous serions morts si, par amour, quelqu’un ne nous avait pas nourri et soigné. Il y a une pauvreté naturelle de l’humanité. Et comme le Pape l’a rappelé : « un linceul n’a pas de poches » ; nous n’importons rien dans la mort, sinon l’amour.

La pauvreté est toujours un creuset pour l’amour et c’est parce qu’ils reflètent notre dureté de cœur que nous ne voulons pas voir les pauvres qui nous entourent. A cet égard, ils cristallisent comme un caillou piquant le commandement d’aimer de Dieu. Et c’est d’abord sur celles et ceux que nous pouvons aider mais que nous essayons de ne pas voir, qu’achoppe notre refus de Dieu. La parabole que donne le Christ est très sévère à cet égard.

Un riche, habillé comme un prince, fait chaque jour des festins somptueux. « Ils boivent le vin à même les amphores, vautrés sur leurs divans » avait dit le prophète Amos. Un pauvre espère à sa porte recevoir les miettes de cette vie de luxe et il meurt léché par les chiens. Le riche meurt aussi. C’est notre pauvreté commune : tous nous mourrons. Le texte dit : « Le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. » C’est subtil mais l’un est au ciel tandis que l’autre retourne à la terre, à la poussière, vers l’Enfer.

Que s’est-il passé ? Le pauvre n’a jamais perdu la foi. Il a persisté à croire, comme Dieu le lui demandait, en l’amour humain, même si, comme le Christ, il en est mort. Voilà pourquoi il est dit que des anges l’emportent aux cieux. Le riche lui a concrètement perdu la foi en Dieu, son refus de voir la misère à sa porte et son enfermement dans l’auto-satisfaction, l’ont muré dans son égoïsme. Tellement étourdi par les distractions et les plaisirs qu’il se donne, il est devenu incapable d’aimer quelqu’un d’autre que lui-même.

Sans doute l’avez-vous remarqué, la parabole ne donne pas le nom du riche ; seulement celui du pauvre. Je n’ai pas fait grand-chose d’humain en donnant à un pauvre de quoi manger, si je n’ai même pas pris la peine de demander son prénom. Comme Dieu, connaissons-nous le prénom des pauvres sur notre seuil ?

Il s’appelait Lazare, ce qui signifie ‘Dieu m’a aidé’.

Fr. Laurent Mathelot

Source: RÉSURGENCES.BE le 17 septembre 2022

25.09.2022 – HOMÉLIE DU 26ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – LUC 16,19-31

Homélie – Malheureux, êtes-vous les riches !

Par l’Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


La liturgie de ce dimanche nous fait entendre la voix du prophète Amos. Le prophète c’est quelqu’un qui parle de la part de Dieu. Sa mission n’est pas d’enfoncer le pécheur dans son mal mais de l’appeler à se convertir. Amos se montre implacable envers la société corrompue de son temps. Il critique d’une manière virulente l’exploitation des pauvres par les riches et les puissants. Quand le droit et la justice sont bafoués, le pays court à sa perte.

Ces paroles très dures sont pourtant celles d’un amour qui ne veut que le bonheur de son peuple. Mais quand on aime, on se met parfois en colère. Dieu ne supporte pas qu’une petite minorité s’enrichisse au détriment des plus pauvres. Si Amos revenait, il dénoncerait tout ce gaspillage qui est une gifle tous ceux et celles qui n’ont pas de quoi survivre. Dans son encyclique “Laudato si”, le pape François nous invite tous à une véritable conversion.

C’est aussi l’appel que nous retrouvons dans l’Évangile de ce dimanche : il nous montre un homme riche qui fait bombance tous les jours. Cet homme ignore le pauvre Lazare qui reste couché devant son portail. Dieu ne peut pas tolérer cette situation dramatique. Il a créé le monde pour que tous les hommes y vivent ensemble en frères. Il nous invite à partager les biens qu’il a créés en abondance. Il ne supporte pas qu’une infime minorité possède plus de la moitié des richesses globales.

Entendons-nous bien : la richesse n’est pas nécessairement mauvaise. Mais elle peut nous entrainer au péché quand elle nous rend sourds et aveugles. Les nouveaux pauvres sont de plus en plus nombreux dans nos villes mais aussi dans nos campagnes. Ils ont besoin d’une aide matérielle, oui, bien sûr. Mais ils attendent surtout que nous les regardions et que nous leur parlions.

Le péché du riche c’est qu’il n’a pas vu. Ses richesses lui ont fermé les yeux, bouché les oreilles et fermé le cœur. C’est absolument dramatique parce que c’est son avenir éternel qui est en jeu : il n’y aura pas de séance de rattrapage ; il verra plus clair parce que la mort lui aura enlevé toutes les richesses qui l’aveuglaient ; ce jour-là, il ne pourra plus repartir à zéro. L’Évangile nous parle d’un grand abîme entre lui et Lazare ; cet abîme infranchissable, c’est lui, le riche, qui l’a creusé. Cette solitude dans laquelle il se trouve, c’est lui qui l’a organisée. Il s’y est complètement enfermé. Maintenant, personne ne peut rien pour lui.

Il nous faut recevoir cet Évangile comme un appel pressant à nous convertir. Le Seigneur compte sur nous pour que nous ouvrions nos yeux, nos oreilles et surtout notre cœur à tous ceux et celles qui souffrent de la précarité, du mépris et de l’exclusion. Nous ne devons pas attendre qu’une apparition vienne nous dire qui est Lazare et où le trouver : il est à notre porte, même s’il habite au bout du monde. Si nous ne le voyons pas, c’est que nous sommes aveuglés. Il devient urgent de combler les ravins d’indifférence, de raboter les montagnes de préjugés et d’abattre les murs d’égoïsme.

La grande priorité c’est de construire des ponts, de tracer des routes et d’aller à la rencontre des autres. Le Christ est là pour nous accompagner car il sait bien que c’est au-dessus de nos forces personnelles. Sa grande mission a été de réconcilier les hommes avec le Père mais aussi entre eux. Il nous veut unis à lui et entre nous. C’est le grand commandement qu’il nous laisse : “Aimez-vous les uns les autres COMME je vous ai aimés” (autant que je vous ai aimés). Nous n’aurons jamais fini de nous ajuster à son regard d’amour sur les personnes qui nous entourent. C’est pour tous que le Christ a livré son corps et versé son sang.

Dans la seconde lecture, saint Paul nous dit que nous serons jugés sur nos actes. À travers son disciple Timothée, c’est aussi à chacun de nous qu’il s’adresse. Il nous invite à garder le commandement du Seigneur. Il s’agit pour nous de vivre “dans la foi et dans l’amour, la persévérance et la douceur”. Les disciples sont appelés à mener “le bon combat” et à “s’emparer de la Vie Éternelle”. Le Royaume divin à venir est déjà dans ce combat.

L’Eucharistie qui nous rassemble nous annonce un monde où il n’y aura plus de pauvres. Dans ce monde nouveau, tous, riches et pauvres se retrouveront à la même table ; ils partageront ce qu’ils possèdent. Personne n’y manquera du nécessaire. Tous auront assez pour entrer dans la fête. Le monde que l’Eucharistie annonce c’est celui-là même que le Christ est venu instaurer. Rendons-lui grâce et ÉCOUTONS-LE.

Abbé Jean Compazieu

Source: DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 17 septembre 2022