25.02.2024 – HOMÉLIE DU 2ÉME DIMANCHE DU CARÊME B – MARC 9,2-10

Évangile selon saint Marc 9, 2-10

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Le récit que nous venons de lire de la Transfiguration est hautement symbolique, très imagé. La présence d’Élie et de Moïse renforce ce sentiment : ils sont les deux seuls personnages de l’Ancien Testament à avoir bénéficié d’une apparition de Dieu sur cette montagne (Ex 3 et 1 R 19), l’un – Moïse – symbolise la Loi, et l’autre – Élie – l’arrivée du Messie. Tout est en place pour un récit plein de sens : Jésus apparaît comme le Messie tant attendu d’Israël, l’accomplissement de la Loi, l’envoyé resplendissant de Dieu. Et la blancheur éclatante de son vêtement vient ajouter la classique touche concrète que la rhétorique juive apprécie particulièrement. Non seulement il est le Messie, mais cela se voit de manière éclatante. Il est lumineux de la présence de Dieu. Une voix venue du Ciel vient sceller le tout : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! ». Voilà, c’est du tragique ; c’est du pimpant ; c’est du colossal, du Cécil B. De Mille. C’est tellement impressionnant qu’on ne peut plus douter : il est le Messie ; l’authentique Fils de Dieu, c’est lui.

Mais est-ce vraiment tout ce que le récit veut dire ? S’agit-il simplement de nous présenter une image – une de plus, oserais-je dire – de la divinité de Jésus ? Fallait-il une théophanie, une intervention directe de Dieu, que les disciples ne comprennent pas – et nous, peut-être pas plus – qui redise ce qui était déjà scellé au baptême : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » ? On a l’impression que ce récit de la Transfiguration fonctionne comme un surlignage blinquant. Il y a quelque chose de too much.

Et surtout, pourquoi lire ce récit en plein Carême, alors que nous allons vers Pâques ? L’épisode du sacrifice d’Isaac est plus dans l’air du temps. Pâque, où Dieu sacrifiera son Fils bien-aimé, forme un diptyque avec ce récit de la Genèse où celui du père des croyants a été épargné.

Abraham auquel Dieu avait déjà demandé de quitter son pays, sa patrie et la maison de son père se voit maintenant réclamer en sacrifice son fils chéri – la traduction grecque utilise le même mot « bien-aimé » qu’utilisera l’Évangile à propos Jésus – et de vouer ce fils bien-aimé en sacrifice à Dieu.

Dans le Proche-Orient ancien, avoir des enfants est un gage de sécurité pour les vieux jours. Il n’y a pas d’aide sociale, d’assurance maladie, de pension. Seul l‘amour généreux de vos enfants garantit une paisible vieillesse. Demander à Abraham de sacrifier son fils, c’est lui demander de sacrifier tout : son enfant, son avenir et la joie de son cœur. D’autant qu’Isaac était également le fruit d’une promesse de Dieu. Au fond, ici, Dieu reprend même sa parole. Le texte semble vouloir dire : à mesure où tu me sacrifieras tout, je te comblerai de bénédictions.

Évidemment, le sacrifice envisagé pour Isaac est un holocauste qui ressemble fortement aux sacrifices qui s’opéraient alors au Temple de Jérusalem, l’animal étant voué totalement à Dieu dans les flammes d’un brasier. Et il s’est trouvé des historiens pour dire – peut-être avec raison d’ailleurs – que ce passage, dont la tension culmine dans l’arrêt de la main d’Abraham, signifierait simplement le rejet par Dieu des sacrifices d’enfants qui existaient dans l’Antiquité. Dieu ne veut plus de sacrifices humains ; l’holocauste d’un animal au Temple suffit désormais. Et pour nous, l’Eucharistie.

Mais le texte dit beaucoup plus que ça. Il présente finalement le sacrifice d’Isaac comme un test de la foi d’Abraham. C’est une lecture littérale de penser que Dieu demande ici qu’on s’apprête à lui sacrifier tout ce qu’on a de plus précieux. D’ailleurs, cette interprétation est proprement inaudible par qui a perdu un enfant. Dieu ne demande pas ce genre de sacrifice. Ce que dit le texte c’est que l’amour d’Abraham pour Isaac devient, pour Dieu, un jalon de sa foi qui justifie la fin des sacrifices. Notre foi se mesure à l’aune de notre relation d’amour la plus intense, la plus essentielle. Et l’amour suffit à tous les sacrifices.

Reste la question de la place de la Transfiguration du Christ dans cette ambiance pascale ? Est-ce simplement, comme je l’ai déjà dit, un récit de plus pour nous faire prendre la mesure de la divinité du Christ par la mise en scène d’images extraordinaires ? Finalement, le récit de la Transfiguration se réduit-il à un artifice littéraire ?

A bien y réfléchir, la résurrection est une transfiguration de la mort. Si nous disons que les morts ressuscitent, la mort – toute mort – s’en trouve transfigurée … Ultimement, toujours rayonnante. Que ce soit quand il nous précède sur la montagne ou qu’il nous devance au calvaire, le Christ transfigure tout.

Ainsi, la place de ce récit dans le cadre pascal se justifie pleinement pour dire que le Christianisme est autant une transfiguration de la vie qu’une transfiguration de la mort. A la suite du Christ, tout est plus rayonnant.

Tout change, le réjouissant comme le triste, le tragique comme l’exaltant, le banal comme le précieux. Il y a continuité de transfigurations. Marcher à la suite du Christ, c’est en permanence se transfigurer et, ainsi, transfigurer le monde.

Regardez les personnes rayonnantes ; regardez les personnes lumineuses. Elles vous montrent l’autre versant de la Crucifixion : la joie de vivre, la joie d’aimer.

Et puis, si vous apprenez à les connaître, vous remarquerez que certaines d’entre elles vous montrent aussi la Crucifixion : qu’en-deçà de leur rayonnement, il y a un sacrifice profond, une blessure essentielle, une crucifixion passée. Et vous verrez alors la Résurrection.

Transfiguration et Résurrection s’embrassent pour dire que tout – la vie, la mort, les joies, les peines, les naissances et les deuils – tout ! peut finalement rayonner de l’amour de Dieu.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 20 février 2024

25.02.2024 – HOMÉLIE DU 2ÉME DIMANCHE DU CARÊME B – MARC 9,2-10

Le Fils Bien-aimé

Pistes pour l’homélie par l’Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


Tout au long du Carême, nous entendons un appel à revenir vers le Seigneur et à lui donner la première place. Dans la première lecture, nous découvrons Abraham qui a répondu à l’appel de Dieu par une disponibilité absolue. Mis à l’épreuve, il n’a pas refusé de sacrifier ce qu’il avait de plus précieux, l’enfant porteur de la promesse. S’il est prêt à sacrifier ce fils unique, c’est parce qu’il aime Dieu de tout son cœur. Son amour pour Dieu est plus grand que tout.

Dans l’Évangile, nous avons écouté le récit de la Transfiguration : il nous montre le Christ plein de gloire parce qu’il répond à l’amour du Père. S’il est prêt à mourir pour manifester sa fidélité absolue au Père, c’est parce qu’il aime le Père de toute ses forces. La seule manière de répondre à l’amour et à la tendresse de Dieu c’est de l’aimer “de tout notre cœur, de toutes nos forces et de tout notre esprit”.

Les Évangiles nous donnent de nombreux témoignages de cet amour sans limite : nous pensons à Marie qui a dit : “Voici la servante du Seigneur” ; en répondant à l’appel de Dieu, elle a fait l’offrande de toute sa vie. Dans la seconde lecture, saint Paul s’adresse à des chrétiens persécutés ; il leur adresse des paroles d’espérance et de réconfort : “Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?” Malgré les épreuves qui les accablent, il les invite à une confiance totale en Dieu ; lui-même s’est donné au Christ sans réserve.

L’Évangile nous montre les trois disciples qui font la découverte extraordinaire de Jésus transfiguré et lumineux. Ce rayonnement vient précisément de son amour sans réserve pour son Père et pour le monde entier. Pierre voudrait rester là à fixer l’événement. Mais la voix du Père vient le rappeler à la vraie priorité : “Celui-ci est mon Fils Bien aimé : écoutez-le”. Cette parole est importante. Nous devons écouter Jésus. Ce n’est pas le pape ni les évêques ni les prêtres qui disent cela, c’est Dieu lui-même qui nous le dit à tous. Le Seigneur est là au cœur de nos vies, de nos loisirs et de nos soucis. Mais trop souvent, nous sommes ailleurs. Nous organisons notre vie en dehors de lui.

Nous disciples du Christ, nous sommes appelés à être des personnes qui écoutent sa voix et qui prennent au sérieux ses paroles. Pour écouter Jésus, il faut être proche de lui, il faut le suivre, il faut accueillir son enseignement. C’est ce que faisaient les foules de l’Évangile qui le poursuivaient sur les routes de Palestine. Le message qu’il leur transmettait était vraiment l’enseignement du Père. Cet enseignement, nous pouvons le trouver chaque jour dans l’Évangile ; quand nous le lisons, c’est vraiment Jésus qui nous parle, c’est sa Parole que nous écoutons.

Dans cet épisode de la Transfiguration, nous trouvons deux moments significatifs : la montée et la descente. Le Seigneur nous appelle à l’écart, à monter sur la montagne. Comprenons bien, il ne s’agit pas de faire de l’alpinisme mais de trouver un lieu de silence et de recueillement pour mieux percevoir la voix du Seigneur. C’est ce que nous faisons dans la prière. Pendant l’été, beaucoup choisissent de passer quelques jours dans un monastère. Ils ont besoin de ce temps de ressourcement pour leur vie chrétienne.

Mais nous ne pouvons pas rester là. La rencontre avec Dieu dans la prière nous pousse à « descendre » de la montagne. Nous sommes invités à retourner en bas, dans la plaine et à rejoindre le monde dans ce qu’il vit. Nous y trouverons tous ceux et celles qui sont accablés par le poids du fardeau, des maladies, des injustices, de l’ignorance, de la pauvreté matérielle et spirituelle.

Nous sommes envoyés pour être les témoins et les messagers de l’espérance qui nous anime. Cette parole que nous avons reçue doit grandir en nous. Cela ne se réalisera qui si nous la proclamons. Si nous l’accueillons, ce n’est pas pour la mettre dans un conservateur mais pour la donner aux autres ; c’est cela la vie chrétienne : accueillir Jésus et le donner aux autres. Lui seul peut nous transfigurer. En ce jour nous le supplions : “Toi qui es Lumière, toi qui es l’amour, mets en nos ténèbres ton esprit d’amour.”

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 17 février 2024