22.06.2025 – HOMÉLIE DE LA FÊTE DU SAINT SACREMENT – LUC 9,11b-17

Le sacerdoce commun : le sacrement du monde

Homélie par la Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Luc 9, 11b-17

En ce jour de la fête du Saint-Sacrement, nous nous tenons devant le mystère le plus intime de notre foi : Jésus, le Pain vivant, se donne à nous dans l’Eucharistie, humble morceau de pain qui contient la plénitude de sa présence. Ce mystère n’est pas seulement un don à contempler, mais un appel vibrant à vivre notre sacerdoce commun, celui que nous avons reçu au baptême. Par l’Eucharistie, le Christ nous associe à son offrande, nous faisant devenir, dans le monde, des reflets de sa lumière, des hosties vivantes pour la gloire de Dieu et le salut de nos frères.

Imaginez un instant le désert où Jésus, dans l’Évangile, nourrit la foule affamée avec cinq pains et deux poissons. Ce lieu aride, où la faim et la fatigue pesaient sur les cœurs, n’est-il pas une image de notre monde ? Un monde désenchanté, où l’on cherche du sens sans le trouver, où l’homme semble voué à sa perte dans des conflits incessants, où Dieu semble relégué à un lointain silence. Pourtant, au cœur de ce désert, Jésus agit. Il prend le peu que les disciples offrent, le bénit, le partage et le donne. Et ce peu devient abondance, assez pour nourrir des milliers. Ce miracle nous parle de l’Eucharistie, mais aussi de notre vocation : par notre sacerdoce commun, nous sommes appelés à offrir notre « peu » – nos joies, nos peines, nos combats – pour que le Christ le transforme en vie pour le monde.

Le sacerdoce commun des fidèles, c’est cette mission d’être pain rompu, comme Jésus. Le Catéchisme de l’Église nous enseigne que, par le baptême, nous sommes incorporés au Christ, prêtre, prophète et roi (CEC §1268). Nous ne sommes pas seulement spectateurs de l’Eucharistie, mais participants à son mystère. Chaque fois que nous recevons le Corps du Christ, nous disons « Amen » non seulement à sa présence réelle, mais à notre propre transformation. Nous devenons ce que nous recevons : « Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route », chante la Séquence. Ce pain ne nous nourrit pas pour nous-mêmes seuls, mais pour que nous portions la présence du Christ là où elle manque.

Pensez à Melkisédek, cette figure énigmatique qui, dans la Genèse, offre du pain et du vin et bénit Abram. Il est prêtre du Dieu très-haut, et son geste préfigure l’Eucharistie, où le Christ s’offre pour nous. Mais il préfigure aussi notre sacerdoce. Comme Melkisédek, nous sommes appelés à bénir le monde, non par de grands discours, mais par des gestes simples : une parole d’encouragement, un service rendu, une prière offerte dans le secret. Notre sacerdoce commun s’exprime dans ces offrandes quotidiennes, unies au sacrifice du Christ à la messe. Quand nous aimons, quand nous pardonnons, quand nous servons, nous prolongeons l’Eucharistie dans le monde, comme des hosties vivantes données pour la vie de nos frères.

Saint Paul, dans sa lettre aux Corinthiens, nous rappelle les paroles du Christ : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Ces mots ne s’adressent pas seulement aux prêtres ordonnés, mais à toute l’Église. Faire mémoire du Christ, c’est vivre de son amour, c’est laisser son sacrifice façonner nos vies. Chaque fois que nous participons à la messe, nous proclamons sa mort et sa résurrection, non seulement par nos paroles, mais par notre manière d’être. Le sacerdoce commun des fidèles, c’est cette vocation à incarner l’action de grâce – eucharistia – dans chaque instant. Quand vous partagez un sourire avec un inconnu, quand vous portez le fardeau d’un ami, quand vous priez pour ceux qui souffrent, vous êtes prêtres, offrant au monde la présence du Christ.

Mais comment vivre ce sacerdoce dans un monde qui semble avoir oublié Dieu ?

Si nous nous penchons sur l’Histoire, nous voyons que la question de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie était la question centrale de ce début de XIIIe siècle, quand la fête du Saint-Sacrement – la Fête-Dieu – a été instituée.

L’histoire est d’abord celle de la vision de Julienne de Cornillon, à Liège, en 1209, d’une lune échancrée, dont il manque un morceau, comme s’il manquait quelque chose au rayonnement eucharistique au sein de l’Église.

On est au temps des Cathares, une secte chrétienne prétendant que le monde est fondamentalement mauvais, créé non par Dieu mais par le Diable, que le corps humain est mauvais, soumis aux tentations, que le Christ n’est qu’un être spirituel. Ce que proposent les Cathares, c’est tout bonnement un désenchantement du monde : pour eux, Dieu a déserté la Création.

Pourtant, l’Eucharistie nous dit tout le contraire. Jésus est là, dans ce pain rompu, dans ce vin versé, dans nos cœurs transformés. Il nous invite à réenchanter le monde par notre foi. Chaque acte de charité, chaque moment de vérité, chaque sacrifice consenti est une manière de dire : « Dieu est présent, Il agit, Il aime. » Comme le chante le Psaume : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melkisédek. » Ce sacerdoce éternel du Christ, nous y participons en offrant volontiers nos vies par amour.

Le mystère eucharistique nous appelle à une conversion profonde. Recevoir le Christ dans la communion, c’est accepter d’être brisé comme Lui et donné comme Lui. Cela demande du courage, surtout dans un monde où la foi peut sembler fragile et la violence invincible. Mais c’est précisément dans cette fragilité que notre sacerdoce commun brille. Nous ne sommes pas appelés à être parfaits, mais fidèles. Comme les disciples dans l’Évangile, nous n’avons souvent que peu à offrir. Mais ce peu, donné avec foi, devient abondance entre les mains du Christ. Une écoute patiente, un mot gentil, un geste de miséricorde, un travail bien fait, une souffrance offerte, une prière fervente : voilà les pains et les poissons de notre sacerdoce commun.

En ce jour de la fête du Saint-Sacrement, laissons l’Eucharistie renouveler notre vocation baptismale. Le Christ, Pain vivant descendu du ciel, nous dit : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 6, 51). Vivre éternellement, c’est dès maintenant laisser sa présence rayonner à travers nous. Que notre vie devienne une eucharistie, une action de grâce qui redonne espoir au monde. Que nous soyons, comme le Christ, pain rompu pour nourrir les affamés, lumière pour éclairer les ténèbres, prêtres pour bénir la création.

Seigneur, toi qui te donnes dans le Saint-Sacrement, fais de nous des hosties vivantes, ta présence offerte au monde pour sa sanctification. Amen.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 18 juin 2025

22.06.2025 – HOMÉLIE DE LA FÊTE DU SAINT SACREMENT – LUC 9,11b-17

Fête du Saint Sacrement (Année C)

Textes bibliques : Lire

Pistes pour l’homélie par l’Abbé Jean Compazieu

Jésus parlait à la foule du Royaume de Dieu. Il le comparait à une graine de moutarde, du levain, un trésor, une perle, un filet, des invités au festin. A travers ces diverses images, il cherche à donner une idée de ce qu’est le Royaume de Dieu. Il le fait avec des mots humains que tout le monde peut comprendre. Mais il ne se contente pas d’en parler. Il donne aussi à la foule des signes de sa réalisation : “Les aveugles voient, les boiteux marchent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.”

Arrivés au terme d’une journée harassante, les disciples se rendent bien compte que la foule a faim et qu’il vaudrait mieux la renvoyer. Mais Jésus ne l’entend pas ainsi ; s’adressant aux douze, il leur dit : “Donnez-leur vous-mêmes à manger.” Et c’est le récit de la multiplication des pains. Nous le connaissons bien parce que nous l’avons entendu souvent. Mais nous ne devons pas nous contenter de regarder le côté merveilleux de cet événement. Le Seigneur a mieux à faire que de nous en mettre plein la vue ; il a un message de la plus haute importance à nous transmettre.

“Donnez-leur vous-mêmes à manger.” Jésus sait très bien qu’ils n’en sont pas capables. Mais il veut leur faire partager son attention aux autres, son souci de tous. Il est saisi de pitié devant ces foules affamées, pas seulement celles qui sont là, devant lui, mais aussi celles de tous les temps. Les disciples sont prêts à partir pour acheter ce qu’il faut. Mais cela ne convient pas à Jésus. Il a une autre solution, celle du partage. C’était déjà la consigne du prophète Isaïe : “Partage ton pain avec celui qui a faim, Et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile”

Dans l’évangile de ce jour, tout commence par un temps d’organisation : “Faites-les asseoir par groupe de cinquante.” Ce sera sans doute plus commode pour le service mais le plus important est ailleurs. Jésus veut former les disciples à leur mission. C’est à eux de rassembler les foules. Le Royaume de Dieu n’est pas une foule indistincte mais un rassemblement organisé, une “communauté de communautés”. C’est aussi ce qui se passe chaque dimanche dans nos églises. Nous sommes, nous aussi, une communauté organisée et c’est le Seigneur qui nous accueille en sa maison et nous invite à son festin.

Dans le récit de la multiplication des pains, nous retrouvons les mêmes gestes que Jésus au soir du Jeudi Saint : “Il prit les pains et les poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna. Voilà quatre verbes que nous retrouvons dans chacune de nos eucharisties. Nous apportons le pain et le vin, fruit de la terre et du travail des hommes. Nous reconnaissons que tout vient de Dieu. Nous n’en sommes pas les propriétaires mais les intendants. Ce geste répété à chaque eucharistie va peu à peu nous transformer et faire de nous des intendants de nos richesses pour le bien de tous. En demandant à ses disciples de donner à manger à la foule, il voulait leur faire découvrir qu’ils ont des richesses insoupçonnées mais à condition de tout reconnaître comme un don de Dieu.

Il importe que nous en tirions les conclusions : nous ne pouvons pas nous contenter de recevoir le pain de l’Eucharistie et de nous en nourrir. Nous devons aussi le donner à ceux et celles qui nous entourent comme les apôtres l’ont fait. Nous ne pouvons pas nous contenter de prier le Christ pour qu’il donne à manger à ceux qui ont faim. Lui-même nous renvoie à notre mission : prendre ce que nous possédons, même si c’est peu de chose et le partager avec ceux qui ont faim. Une pauvre femme répondait un jour à Saint Vincent de Paul : “Si les pauvres ne partagent pas entre eux, qui le fera ?”

Si nous allons à l’Eucharistie, ce n’est pas seulement pour nous-mêmes mais aussi en portant la préoccupation de tous les autres, de tous ceux et celles qui ont faim, faim de pain, de tendresse, d’amour et de liberté. Le Seigneur ne cesse de nous renvoyer à eux car il ne veut qu’aucun ne se perde : “Donnez-leur vous-mêmes à manger”. Donnez ce qu’il faut de votre temps, de vous-mêmes, de vos disponibilités. Faites tout pour que l’autre vive. On ne peut pas séparer l’Eucharistie de toute cette vie des hommes. L’important c’est que nous lui donnions la petite part de nous-même. Puis quand le repas est terminé, vient un autre service : ramasser soigneusement ce qui reste. En effet, il y aura encore d’autres foules à nourrir. Tout au long des siècles, il faudra continuer à distribuer les dons de Dieu.

En célébrant cette Eucharistie, nous nous tournons vers toi Seigneur. Aide-nous à entrer plus pleinement dans ce mouvement de don total de nous-mêmes avec toi et par toi. Que notre don soit de plus en plus à la mesure du tien, toi qui as tout donné de lui-même pour notre vie et pour la gloire du Père.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 15 juin 2025