19.02.2024 – HOMÉLIE DU 1ER DIMANCHE DE CARÊME – MARC 1,12-15

Libres d’errer

Par le Fr. Laurent Mathelot

Vous connaissez sans doute l’importance symbolique des nombres dans la Bible. 40 est le chiffre qui parcourt les lectures d’aujourd’hui : 40 jours de déluge, 40 jours de Jésus au désert, 40 jours de Carême.

On trouve ailleurs d’autres mentions symboliques du nombre 40 : Moise, comme Jésus, se retire 40 jours sur la montagne pour jeûner ; le prophète Élie monte également vers l’Horeb, la montagne de Dieu, au terme d’une marche de 40 jours et 40 nuits ; bien sûr, l’Exode, les 40 ans d’errance du peuple libéré d’Égypte dans le désert avant d’entrer en Terre promise ; mais aussi les rois David et Salomon qui règnent tous deux 40 ans ; enfin, c’est 40 jours après la Résurrection que Jésus monte vers le Père.

Dans la tradition juive, quarante ans c’est le temps qu’il faut pour façonner un homme selon le cœur de Dieu, le temps de la maturation du disciple. On retrouve le Carême, qui est aussi un temps de maturation, de formation des disciples à la joie de Pâques.

Alors, quelles grandes lignes dégager de ces événements que le chiffre quarante rapproche ?

Le déluge est survenu, comme le dit le Livre de la Genèse, parce que « toutes les pensées du cœur de l’homme se portaient uniquement vers le mal à longueur de journée » (Gn 6, 5-8). Dieu, nous dit le texte, se repend d’avoir crée le vivant et fait de la Terre un désert maritime où erre seule, sans but, pendant quarante jours, l’arche de Noé. Vous connaissez la suite, une colombe lui apportera la promesse d’une terre émergée – d’une Terre promise et ainsi, d’une vie nouvelle.

On voit déjà se dessiner un thème que l’on retrouve dans l’Exode. Dieu a libéré son peuple de l’esclavage de l’Égypte et maintenant il erre dans le désert. Un peu comme si, à l’instar de Noé, une fois sauvé par Dieu, il devait y avoir une certaine errance ; comme si, une fois qu’on est libéré par Dieu, il y avait nécessairement une période de tâtonnement, de flou, où l’objectif, la finalité n’apparaissent pas clairement, un peu comme quand on sort de l’obscurité vers la lumière éclatante et qu’on écarquille les yeux.

De même, pendant les quarante jours qui séparent la mort de Jésus de son Ascension, les disciples ont une impression très floue de ses apparitions, comme si ce temps d’errance était nécessaire pour qu’ils comprennent de ce qui se joue sous leurs yeux.

Quarante est clairement le nombre qui symbolise le temps où l’humanité erre après avoir été libérée par Dieu – libérée du Déluge, libérée d’Égypte, libérée à Pâque de la mort.

Et au fond, toute liberté n’est-elle d’abord et avant tout une liberté d’errance ? L’exercice d’une liberté commence par la liberté d’errer, quitte à se tromper. C’est précisément ça être libre : pouvoir dans une certaine mesure se perdre, errer.

Et quand Pierre, dans la seconde lecture, rapproche notre baptême du déluge, ne rend-il pas compte justement de la liberté des enfants de Dieu ? Ne sommes-nous pas nous-mêmes dans un temps d’errance entre la libération, le salut reçu à notre baptême, et la place qui nous est finalement réservée auprès de Dieu ? Effectivement, nous sommes dans cet état : déjà sauvés et pourtant en train d’encore errer et de parfois nous tromper.

Alors pourquoi Jésus va-t-il au désert ? Faut-il qu’il y subisse une épreuve ? Dieu veut-il le tester ? Est-il lui aussi en train d’errer entre le bien et le mal ?

On est juste après son baptême. Dieu vient à peine de dire « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » – qui sont précisément les paroles qui, aux yeux des hommes, scellent en lui l’alliance entre la divinité et l’humanité. On pourrait dire qu’à son baptême, ceux qui l’entourent comprennent que Jésus est divin. Dans la tentation au désert, c’est l’inverse : la divinité comprend pleinement l’humain. En Jésus, Dieu se fait homme jusqu’à la tentation.

Et évidement c’est pour nous une libération. La tentation, c’est la part ultime d’humanité que la divinité accepte, justement pour nous soyons libres, totalement libres. Être tenté, ce n’est donc pas pécher, c’est au contraire envisager la plénitude de la liberté que Dieu nous donne, y compris la liberté de nous tromper. Il n’y a pas un Dieu pour nous punir de nos errances. Au contraire, il y a un Dieu qui pardonne chaque faux pas que nous reconnaissons. Précisément parce qu’il nous veut libres.

Ce qui ne veut pas dire que nous puissions faire n’importe quoi : « tout m’est permis, dira Paul, mais tout ne convient pas » (1 Co 6, 12 et 10, 23).

Le carême est précisément le travail de la tentation ; par le jeûne et l’abstinence, par certaines privations, il est un apprentissage à être tenté et à cependant maintenir un cap que l’on s’est donné.

Il est normal et tout à fait juste d’être tenté par de la nourriture quand on a faim. En organisant cependant un jeûne, nous travaillons ce sentiment de tentation, de la faim qui nous titille, d’une certaine errance entre tenir bon ou céder. Et finalement, dans cette errance, nous faisons l’exercice concret de notre fondamentale liberté.

Nous n’avons pas à avoir peur des tentations, elles sont le reflet de la liberté que Dieu nos donne. Nous n’avons pas à en avoir peur, mais nous avons à les maîtriser, les dominer pour précisément rester libres. Et c’est à ça que nous entraîne le Carême.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 14 février 2024

19.02.2024 – HOMÉLIE DU 1ER DIMANCHE DE CARÊME – MARC 1,12-15

Peuple de l’alliance


Pistes pour l’homélie par l’Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


Nous voici entrés dans le temps du Carême. Nous avons quarante jours pour nous préparer à la grande fête de Pâques. Le carême n’est pas d’abord un temps de pénitence et de privation. Bien au contraire, c’est un temps pour choisir la meilleure part. Il s’agit de rejeter la pacotille et de choisir le seul vrai trésor. Le Carême est un temps de conversion, un temps pour revenir à Dieu et lui redonner toute sa place dans notre vie. Nos appareils, nos voitures ont besoin d’une maintenance, d’une mise à jour. Il en est de même pour notre foi. Comme toute relation d’amour et d’amitié, elle a besoin d’entretien.

Les lectures bibliques de ce dimanche nous révèlent un Dieu qui fait alliance avec l’humanité ; c’est ce message que nous avons entendu dans la 1ère lecture (Livre de la Genèse). Nous y avons retrouvé l’histoire de Noé qui a échappé au déluge. Ce récit nous parle de Dieu qui a établi son alliance avec tous les hommes et tous les êtres vivants qui sont avec eux. Cette alliance est inaltérable. C’est Dieu qui en a l’initiative ; il le fait sans condition, par pure gratuité. Il promet une fidélité indéfectible à ses alliés humains, même s’ils sont infidèles.

Comme signe de cette alliance, Dieu donne à Noé le signe de l’arc en ciel. Vivre le Carême c’est vivre sous cet arc qui nous mènera jusqu’à Pâques. Notre Dieu sera toujours là pour nous accompagner, pour nous prendre par la main et marcher avec nous. Il nous aide à discerner ce qu’il y a de positif dans nos vies, même si nous vivons des situations de trahison. Jamais il ne nous fermera les bras. Nous pouvons toujours compter sur son amour.

Dans sa lettre, l’apôtre saint Pierre revient sur le déluge. Il attire notre attention sur le petit nombre de sauvés, huit en tout. Ce chiffre lui permettra de montrer la grandeur du salut en Jésus. Le déluge est comme une figure du baptême. C’est bien plus qu’une simple purification. La famille de Noé est ressortie vivante des eux du déluge. Désormais c’est l’eau du baptême qui nous sauve. Nous sommes tirés de ce qui nous menait vers la mort et conduits vers Dieu. C’est lui qui fait alliance avec nous et qui nous invite à marcher avec lui.

L’Évangile de saint Marc nous rappelle que Jésus est venu pour le salut de tous les hommes. S’il est conduit au désert ce n’est pas pour construire une arche de sauvetage ; c’est pour se préparer aux combats qui l’attendent au cœur de ce monde. Pendant quarante jours, il a été tenté par Satan. L’Évangile nous dit qu’il vivait parmi les bêtes sauvages (Je peux vous assurer qu’on les y entend). Saint Marc ajoute que “les anges le servaient”. En quelques mots, l’Évangile nous la victoire de Jésus sur Satan. Il vit dans un monde réconcilié, en paix avec les bêtes sauvages et en communion avec Dieu.

Vivre le Carême c’est suivre Jésus à travers le désert. C’est là, dans le silence, que nous pourrons écouter la voix de Dieu. Dans le bruit et la confusion, ne n’est pas possible : on n’y entend que des voix superficielles. La voix de Dieu, nous l’entendons en nous mettant à l’écoute de sa Parole. Notre pape François insiste beaucoup sur la nécessité de lire l’Évangile chaque jour. C’est là que nous trouvons les paroles de la Vie éternelle. Quand nous les lisons, c’est Jésus qui est là, c’est lui qui nous parle. C’est avec lui que nous pourrons être victorieux de toutes les forces du mal.

Dans ce désert du Carême, nous ne sommes donc pas seuls. Jésus est là présent avec le Père et l’Esprit Saint. Comme pour Jésus, c’est le même Esprit Saint qui nous guide sur le chemin du Carême. Il nous aide à renoncer à Satan qui ne cesse de nous pousser au mal. Le Carême c’est d’abord un temps de libération. Le fil conducteur se trouve résumé en quelques mots : “Les temps sont accomplis, le règne de Dieu est tout proche : Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle.” Annoncer la bonne nouvelle c’est dire que le règne de Dieu est en train de commencer. Le projet de Dieu est en train de se réaliser.

Nous vivons dans un monde imprégné par l’indifférence, l’incroyance, la “non foi”. C’est pour ce monde que le Christ est venu. À travers notre vie et notre témoignage de foi, tous doivent pouvoir reconnaître que “le règne de Dieu s’est approché.” En ce jour, nous nous tournons vers la Vierge Marie qui a été un modèle de docilité à l’Esprit Saint. Qu’elle nous aide à nous laisser conduire par lui. C’est avec Jésus et avec Marie que nous sommes en route vers la victoire de Pâques.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 10 février 2024