19.02.2023 – HOMÉLIE DU 7ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – Matthieu 5,38-48

Aimer sans limites

Par Fr. Laurent Mathelot

« Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël. Tu leur diras : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Si nous regardons ce commandement de l’Amour – « Aime ton prochain comme toi-même » comme la définition de relations correctes entre nous, la seule mesure sur laquelle se fonde une société juste, si nous disons que notre comportement envers autrui ne peut pas différer de celui que nous attendons envers nous-mêmes, comment comprendre cette mesure – « Aime ton prochain comme toi-même » – si on ne s’aime pas ?

Comment aimer les autres si on ne s’aime pas soi-même ? Et si nous n’avons pas un regard bienveillant sur nous-même, comment espérer avoir un regard bienveillant – un regard d’amour – sur l’humanité ou sur le monde ?

Nous connaissons tous des chrétiens qui passent leur vie à faire des reproches aux autres : c’est le signe qu’ils ne s’aiment pas. Nous connaissons tous des chrétiens qui passent un temps considérable à critiquer leur prochain, la société et les temps actuels : c’est le signe qu’ils ne s’aiment pas. Nous connaissons tous des chrétiens qui témoignent d’un regard injuste envers les autres, parce que nous sommes parfois ces chrétiens injustes et c’est toujours le signe que nous sommes aussi injustes envers nous-mêmes, que nous ne nous aimons pas. En tous cas pas comme Dieu nous aime, et nous commande d’aimer.

Déjà le Christ était averti de ce danger – celui d’être incapable de véritablement aimer lorsque on a un regard méprisant envers soi. C’est pourquoi, il précisera ce commandement de l’Amour donné à Moïse : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » [ Jean 15, 12 ] . Aime ton prochain comme Dieu t’aime ! Mais avant toute chose : toi-même, aime-toi comme Dieu t’aime !

Paul dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ». Avons-nous ce regard sur nous-mêmes ? Sommes-nous toujours conscients de la valeur inouïe que nous avons aux yeux de Dieu ? Croyons-nous vraiment que nous sommes des tabernacles, des calices au sein desquels Dieu se rend présent ? Avons-nous cette certitude que, dans nos corps et nos esprits brisés, Dieu désire tant venir vivre ? Pour toujours …

Si nous ne voyons pas nos corps et nos esprits comme des vases sacrés, d’une beauté particulière, intense et délicate, à la fois précieux et fragiles, d’une valeur inouïe aux yeux de Dieu c’est que nous ne nous aimons pas. En tous cas pas assez.

Je sais : c’est parfois difficile. C’est difficile de s’aimer soi-même alors que nous avons les yeux rivés sur les failles qui nous brisent. C’est difficile de s’aimer soi-même, confrontés parfois à notre inintelligence, notre mauvaise volonté, nos habitudes détestables et les élans de haine qui parfois nous gagnent. C’est difficile de s’aimer soi-même, confrontés à son propre péché. Qui ne s’est jamais fait des reproches ? Qui ne s’est jamais trouvé ridicule, injuste ou parfois méchant ?

Comment s’imaginer vase sacré, temple du Dieu-Amour alors que nous côtoyons chaque jour notre propre laideur ? Comment avoir conscience de notre infinie valeur quand nous connaissons si bien nos fragilités, nos mauvaises habitudes, nos pensées détestables et, peut-être, ce que nous considérons comme des vices ? N’est-il tout de même pas nécessaire d’avoir un regard lucide sur soi-même ? C’est précisément cette sagesse du monde qui est folie devant Dieu.

Oui, bien sûr, il faut avoir un regard lucide sur soi-même mais il faut en outre, à ce regard, la lucidité de Dieu ! Ce regard qui est folie pour les hommes. Ce regard qui fait de nous, malgré notre corruption, des sanctuaires sacrés. Ce regard empli de confiance et de bienveillance, qui nous voit déjà saints, parfaits comme notre Père céleste est parfait.

Je vous en prie : émerveillez-vous de la bonté qui réside en vous ; admirez la tendresse dont vous êtes capables ; réjouissez-vous de votre désir d’affection, de communion et de paix. Émerveillez-vous de vous-mêmes comme de temples saints, de véritables sanctuaires de l’amour de Dieu. Jamais nous ne devons oublier de considérer votre propre beauté aux yeux de Dieu. Alors tout nous appartiendra, […] le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout sera à nous, et nous, au Christ, comme le Christ est à Dieu.

Nous n’aimerons les autres que si nous nous aimons nous-mêmes comme le Christ nous aime. Et avant de se réconcilier avec le monde, il convient de se réconcilier avec soi-même : aimons vos ennemis même si cet ennemi, c’est parfois nous-même.

Pour pouvoir aimer ses ennemis, il faut aimer sans limites. Ce n’est possible que s’éprouvant soi-même aimé sans limites par Dieu.

Fr. Laurent Mathelot, dominicain

Source : RÉSURGENCES.BE, le 15 février 2023

19.02.2023 – HOMÉLIE DU 7ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – Matthieu 5,38-48

Cette sainteté qui nous pousse à aimer nos ennemis !

Par l’Abbé Jean Compazieu

Homélie

Textes bibliques : Lire

Les lectures bibliques de ce dimanche nous adressent un appel à  être comme Dieu. C’est lui-même qui nous le demande : “Soyez saints car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint”. C’est un ordre que Dieu nous donne. Notre vocation c’est la sainteté. Nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Sa sainteté c’est celle de l’amour. Cela signifie que nous devons rejeter tout orgueil et toute pensée de haine. En Dieu, il n’y a pas de place pour la vengeance ni pour la rancune. Notre Dieu est Amour. C’est à cela que nous sommes tous appelés.

En ce qui nous concerne, nous savons bien que ce n’est pas gagné. Nous retombons souvent dans les mêmes péchés. Mais le Seigneur est toujours là et il continue inlassablement à nous appeler à lui. Notre pape François nous dit et nous redit qu’il ne se lasse jamais de nous pardonner. C’est de cette manière qu’il nous conduit vers la sainteté. Il nous appelle à sa propre sainteté qui n’est qu’amour et douceur. Cela nous paraît sans doute bien difficile. Le problème c’est que nous sommes souvent des hommes “de peu de foi”. Mais avec des moyens pauvres, le Seigneur est capable de réaliser des merveilles.

Dans la seconde lecture, saint Paul nous précise les raisons de cet appel à être comme Dieu. Il nous dit en effet que nous sommes “le temple de Dieu”. Et puisque Dieu est Amour, on peut dire que nous sommes le temple de l’Amour. Si nous sommes vraiment habités par cette présence de Dieu, cela change tout dans notre vie. Cet amour que nous recevons de lui va nous rendre de plus en plus semblables à lui. Il va chasser la haine, la rancune, la violence et toutes les formes de méchanceté. C’est un amour qui ira jusqu’au pardon. C’est à cela que nous serons reconnus comme disciples du Christ.

Malheureusement, nous faisons mentir Paul tous les jours. Et il le sait très bien. D’ailleurs, sa lettre aux corinthiens  est très polémique. Il y avait beaucoup de divisions dans la communauté des corinthiens. C’est pour répondre à ces problèmes et à bien d’autres qu’il leur écrit cette lettre. Et c’est important aussi pour nous. Comme les habitants de Corinthe, nous ne devons jamais oublier que nous sommes appelés à être les temples de l’Amour. Nous sommes habités par l’Esprit Saint qui nous est donné au jour de notre baptême. Ce que  nous ne pouvons accomplir par nos seules forces est rendu possible par celle du Christ. Il ne cesse de faire appel à ce qui est faible pour réaliser des merveilles.

L’Évangile a de quoi nous surprendre : “Vous avez appris qu’il a été dit : “œil pour œil, dent pour dent…” Cette parole peut nous paraître bien cruelle. En fait, à l’époque, la vengeance était sans fin, implacable et féroce. Elle s’exerçait indifféremment sur le coupable véritable ou présumé, sur un membre de sa famille ou sur un clan. C’était un peu comme les pratiques de la mafia. La loi de l’Ancien Testament était un progrès considérable. Dieu voulait apprendre à son peuple à limiter la vengeance : une seule dent et non pas toute la mâchoire. Nous vivons dans un monde qui souffre de l’escalade de la violence et de la haine. Mais aujourd’hui comme autrefois, Dieu est à l’œuvre pour libérer son peuple de la loi du plus fort.

Mais pour ressembler vraiment à Dieu, il y a une nouvelle étape à franchir. Limiter la vengeance c’est bien. Mais dans son discours sur la montagne, Jésus nous invite à faire un pas de plus. Si nous voulons vraiment ressembler à notre Père des cieux, nous devons nous interdire toute riposte, toute vengeance et toute haine. Ce n’est pas une morale que Jésus nous enseigne, ni une leçon de savoir vivre. Le plus important c’est de découvrir qui est Dieu. Le Dieu de l’Ancien Testament était déjà présenté comme un “Dieu lent à la colère et plein d’amour”.
En fait, nous avons souvent la tête dure : nous nous faisons de fausses images de Dieu. Nous avons du mal à croire qu’il n’est qu’amour. Et pourtant, Jésus ne le dit d’une manière imagée : “Dieu fit lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes”. A l’époque, le soleil et la pluie étaient considérés comme des bénédictions de Dieu. Être comme Dieu, c’est accueillir cet amour universel qui est en lui pour le rayonner et le communiquer autour de nous.

Cet Évangile nous rejoint dans un monde difficile. Aimer nos ennemis, prier pour ceux qui nous persécutent, c’est bien cela qui nous est demandé. Une chose est sûre : le mal et la violence n’auront pas le dernier mot. C’est avec Jésus et en lui que l’amour obtiendra la victoire finale. En ce jour, nous nous tournons vers toi Seigneur : rends-nous forts dans les épreuves. Tu nous as envoyé ton Fils pour nous faire partager ta sainteté. Ouvre nos cœurs à ce mystère. Attire-nous dans cette lumière. Amen

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 11 février 2023