16.06.2024 – HOMÉLIE DU 11ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – MARC 4,26-34

Qu’est-ce que le règne de Dieu ?

Par le Fr. Laurent Mathelot

« À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? » Voilà la question que pose Jésus dans l’Évangile. Aujourd’hui, on dirait sans doute « Qu’est-ce que le règne de Dieu ? » et on se poserait la question de savoir sous quelle conditions voit-on que Dieu règne. La tentation moderne est de poser un regard analytique – presque scientifique – sur le règne de Dieu. « Que peut-on raisonnablement penser de ce règne ? »

C’est sans doute oublier un peu vite que l’analyse scientifique, le discours rationnel sont valides à mesure où ils se détachent de leur objet. Il y a une distance nécessaire pour observer les choses, nous dit la science. Or, nous dit le Christ, le Royaume de Dieu s’est approché de nous, il est tout proche, il passe à travers nous ; il nous précède et il nous suit ; il nous transcende. Difficile dans ces conditions d’avoir la distance nécessaire pour un regard objectif. De même, qu’il est difficile d’avoir une distance objective avec l’humanité, la vie, l’amour. Notre regard sur le règne de Dieu est nécessairement subjectif. Il faut vivre quelque chose de ce règne pour en parler avec foi.

« Qu’est-ce que le règne de Dieu ? »

Vous le savez, la culture juive n’apprécie pas tant les notions abstraites. C’est sans doute pour cette raison qu’on ne trouve pas dans la Judée antique de traités de géométrie. La raison juive fonctionne par analogies concrètes : l’esprit est toujours vu comme un « souffle » ; s’élever spirituellement revient à « aller sur une haute montagne » ; l’impossible consiste à « faire passer un chameau par le chas d’une aiguille », l’inouï de la foi revient à « demander à une montagne de se jeter dans la mer » ; surmonter sa peur devient « marcher sur l’eau ». La pensée juive – et donc le discours de Jésus – sont truffés de ces allusions à des éléments du quotidien ; à des situations concrètes pour dire les réalités spirituelles.

Ainsi, quand Jésus parle du règne de Dieu, il est comme une graine de moutarde que l’on plante ; il fonctionne comme les semailles et la moisson. Déjà le Livre d’Ézéchiel avait présenté l’avènement du Christ comme la tige d’un grand cèdre que Dieu plante sur une haute montagne et qui déploie ses rameaux. Plus qu’une allégorie végétale – la terre c’est ici l’homme (Adam), la semence c’est la foi, aussi petite soit-elle, et la croissance telle un cèdre est celle de l’Esprit – plus qu’une allégorie agricole, c’est ici le concret et le naturel de ce royaume que l’on veut souligner : le royaume de Dieu c’est la croissance spirituelle de tous les jours. Et tous les triomphes célestes que nous rapportent les apocalypses et autres récits extraordinaires qui parsèment la Bible, qui traduisent les combats spirituels qu’il faut parfois mener, se ramènent toujours concrètement à cela : le règne de Dieu est comme une semence qui germe et qui grandit, que l’on dorme ou que l’on se lève. Une croissance spirituelle avant tout discrète et paisible avant d’apparaître extraordinaire et triomphale.

Jésus aurait pu recourir à d’autres images toutes aussi concrètes et parlantes pour les gens de son époque : « Le règne de Dieu est comme celui de César : il domine toute la terre ». Il ne le fait pas. La force de la parabole agricole, c’est qu’elle dément toute notion d’impérialisme divin au profit d’une croissance spirituelle naturelle, cultivée au quotidien.

Évidemment, la conception concrète et quotidienne du règne de Dieu que présentent les paraboles se heurte à une certaine limite lorsque, de la pensée juive, elle passe à la pensée grecque – la nôtre – qui jongle avec l’abstraction. L’image agricole que donne Jésus perd de son caractère absolu dans une culture rationnelle. Finalement, on pourrait avoir l’impression d’une image un peu simpliste pour des gens à la culture simple.

D’ailleurs Paul, dans sa Deuxième lettre aux Corinthiens souligne que tous, nous cheminons dans la foi et la confiance, non dans la claire vision. « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous demeurons loin du Seigneur. » Voilà qui atténue le caractère pleinement actuel du royaume. Pour Paul, le règne de Dieu se déploie certes en nous mais reste toujours partiel et n’est véritablement réalisé qu’au-delà de la mort, lors de la rencontre ultime avec Dieu.

Et c’est peut-être le point avec lequel notre époque a spirituellement le plus de difficultés. Sommes-nous d’accord de dire, avec Paul que « nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur » ? Avons-nous une telle soif du règne de Dieu que nous souhaiterions abandonner tout ce qui nous retient en ce monde pour vivre de sa seule présence ? Avons-nous le désir de tout lâcher pour faire le grand saut vers Dieu, là, maintenant ? N’est-ce pas pourtant ce que nous désirons le plus, vivre d’un amour infini ?

Alors « Qu’est-ce que le règne de Dieu ? »

Je crois que nous devons maintenir les deux images : celle du règne de Dieu comme d’une réalité éminemment concrète qui se vit dans le quotidien et qui est notre façon d’aimer, au jour le jour, du mieux possible, celles et ceux qui nous entourent. Mais le règne de Dieu est tout autant une réalité qui nous dépasse complètement, un horizon d’amour que nous désirons de tout notre cœur, depuis notre plus tendre enfance et qui ne ne se dément pas ; un infini d’amour qu’on ne rencontre pourtant véritablement qu’au delà de la mort, lorsque l’on a enfin donné sa vie, et vers lequel aussi, tendent notre prière, notre désir et notre foi.

Le règne de Dieu c’est vivre aujourd’hui d’une plénitude d’amour qui n’est pas encore là ; d’un manque d’amour qui persiste et nous emporte pourtant très concrètement vers l’amour toujours au-delà que nous ne cessons jamais de désirer.

Le règne de Dieu c’est vivre concrètement, quotidiennement, le paradoxe d’un amour infini.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 12 juin 2024

16.06.2024 – HOMÉLIE DU 11ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – MARC 4,26-34

Espérer contre toute espérance

Pistes pour l’homélie par l’Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


Les trois lectures de ce dimanche vont dans le même sens. Elles nous invitent à la confiance et au courage. L’Évangile nous dit que le Royaume de Dieu est une force qui avance au travers de nombreuses difficultés ; rien ne peut l’arrêter. La première lecture est extraite du prophète Ézéchiel ; elle nous parle, elle aussi, d’une extraordinaire croissance. Dans la seconde lecture, saint Paul s’adresse à des chrétiens persécutés ; mais il garde confiance et il réaffirme son engagement pour le Seigneur.

À travers ces trois lectures, c’est le Seigneur qui nous parle ; il nous a promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde. C’est vrai que les médias nous disent souvent le contraire ; alors on s’interroge : “où es-tu, Seigneur, quand on se fait la guerre dans de nombreux pays, quand on commet des violences contre les plus faibles, quand les plus pauvres sont jetés à la rue ?

Ce cri de désespoir était celui des habitants de Jérusalem. Déportés en exil loin de chez eux, ils sont complètement désemparés. Leur peuple semble voué à la destruction. Le prophète Ézéchiel a assisté à la chute totale de son pays. Mais il annonce à son peuple que rien n’est perdu. Ce qui n’est qu’une minuscule bouture va germer et devenir un grand arbre. Ceux qui sont totalement brisés, Dieu les fera vivre merveilleusement. Le prophète trouve les mots justes pour redonner courage et espérance à son peuple. La haine, la violence et le mal ne peuvent avoir le dernier mot. C’est l’amour qui triomphera. C’est une bonne nouvelle pour nous aujourd’hui. Rien ne doit ébranler notre foi au Dieu sauveur.

C’est aussi de cette espérance que Paul nous parle dans la 2ème lettre aux Corinthiens (2ème lecture). Les premières années du christianisme ont été marquées par des persécutions. L’apôtre Paul rencontre de nombreuses difficultés dans son ministère. Il a l’impression de descendre à la mort. Mais il a la ferme certitude qu’à travers tout cela c’est la vraie vie qui est en train de germer. Le Seigneur nous prépare une demeure éternelle. Il donnera la couronne de gloire à ceux qui auront accompli leur course jusqu’au bout. Ce message de réconfort est aussi une bonne nouvelle pour les chrétiens d’aujourd’hui. Si nous restons reliés au Christ, rien ne peut nous séparer de son amour.

L’Évangile de saint Marc s’adresse aussi à des chrétiens désemparés. Leur question est de tous les temps : dans ce monde où tout va si mal, où est-il notre Dieu ? Que sont devenues les promesses du Christ ? Comment garder la foi face à toute cette violence. Saint Marc leur rappelle les paroles de Jésus autrefois. Il leur parle de cette semence qui germe et grandit toute seule. Mais entre les semailles et la moisson, il y a beaucoup de temps. C’est une manière de dire que le Royaume de Dieu est en gestation. La récolte viendra mais ce sera pour plus tard. Notre Dieu peut paraître absent mais son action est discrète et efficace.

Dans son discours, Jésus précise que cette graine, c’est “la plus petite des semences de la terre”. C’est la logique même de Dieu. Jésus lui-même s’est fait le plus petit et le plus pauvre. Il a été enterré au tombeau. Mais sa résurrection a été le point de départ de la naissance de l’Église. Celle-ci a commencé petitement avec, un groupe d’hommes insignifiants. Mais ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse de Dieu. Nous voyons des statistiques qui s’effondrent, mais rien ne peut empêcher Dieu d’être à l’œuvre.

Avec nos yeux et nos oreilles, nous pouvons savoir ce qui se passe dans le monde. Mais pour reconnaître l’action de Dieu, il faut le regard de la foi. Comme les disciples d’Emmaüs, nous reconnaissons la présence du Christ quand il nous explique les Écritures et qu’il nous partage son pain eucharistique. C’est en lui que toute notre vie retrouve son sens. Nous découvrons que même dans les pires épreuves, Dieu ne nous a jamais abandonnés.

Concrètement, nous croyons que Dieu agit quand les ennemis enfin se parlent, quand des hommes, des femmes et des enfants sortent du cercle infernal de la rancune et de la violence pour faire des gestes de paix et de réconciliation. Dieu agit quand des savants inventent des moyens pour combattre les maladies. Il est présent quand des équipes s’organisent pour visiter des malades ou des prisonniers. C’est ainsi que les signes de la présence de Dieu sont nombreux. Nous sommes comme le paysan de la parabole. Les choses se passent sans que nous n’en sachions rien et sans que nous comprenions comment.

Quand nous voyons la vie germer, c’est Dieu qui est là et qui agit. Que nous dormions ou que nous nous levions, la semence germe. En attendant la moisson, il nous faut apprendre la patience et surtout la confiance. J’ai fait ce que je devais faire. À toi, Seigneur, de jouer. Tu m’as demandé de semer des graines d’amour, de justice, de paix, de réconciliation… Mais c’est toi qui donnes à la semence de pousser et de donner du fruit.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 8 juin 2024