13.08.2023 – HOMÉLIE DU 19ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATHIEU 14, 22-33

Évangile de Matthieu 14, 22-33

Par le Fr. Laurent Mathelot

Marcher sur ses peurs

La première question qu’il me semble convenir de se poser face à un récit tel celui que nous venons d’entendre où Jésus marche sur l’eau, c’est celle de la réalité des faits : Jésus a-t-il effectivement marché sur l’eau ?

Examinons les deux possibilités : est-ce un récit imagé – une parabole – qui nous parle de Jésus ou, véritablement, les événements se sont-ils déroulés comme le présente le récit ?

Si Jésus a effectivement « marché sur l’eau » et si Pierre a pu pendant un temps le faire aussi, alors le récit nous dit que notre foi, si elle est suffisante, nous permet de marcher sur l’eau. Une lecture littérale de ce récit est à rapprocher d’une lecture littérale d’un autre passage de l’Évangile de Matthieu (21, 21) : « Si vous avez la foi et si vous ne doutez pas, […] vous pourrez dire à cette montagne : “Enlève-toi de là, et va te jeter dans la mer”, et cela se produira. ».

Pensez-vous que votre foi vous permettra un jour d’espérer qu’une montagne se jette dans la mer ? Pensez-vous pouvoir un jour marcher sur l’eau ?

Une lecture littérale de ces textes ne dit pas grand-chose, sinon qu’elle nous parle d’une foi surhumaine, inimaginable et inaccessible. Une lecture littérale ne nous parle plus de nous, d’un Dieu qui vient nous rejoindre. Au contraire, elle nous présente la véritable foi comme quelque chose d’impossible. S’il faut attendre de voir des montagnes se jeter dans la mer ou de pouvoir marcher sur l’eau pour être sauvés, alors l’Évangile n’est plus une Bonne Nouvelle.

Examinons dès lors l’autre hypothèse : celle d’un récit qui nous parle en images des réalités spirituelles qui nous traversent.

Dans la Bible, la mer est le symbole de la peur et de la mort ; contrairement à la source qui est un symbole d’espérance et de vie. On se souvient bien sûr du récit du Déluge où Dieu se repent d’avoir fait l’homme puisqu’il est plein de malice. On se souvient aussi du récit de l’Exode, où Dieu fend la mer en deux parts pour que le peuple échappe à pied sec à l’emprise du Pharaon. Dans d’autres passages, la mer est le repère des monstres marins : Léviathan ou la baleine qui avale Jonas. Et dans le Nouveau Testament, il est fait mention des naufrages de Paul.

Il faut bien se rendre compte que, jusqu’à une époque très récente, peu de gens savaient nager. La noyade était une des principales causes de mortalité par accident. Tous avaient un peur immense des eaux profondes. Et même la navigation se faisait par cabotage, s’éloignant rarement des côtes.

On comprend dès lors que le récit nous enseigne que la foi triomphe de la peur. Jésus qui marche sur l’eau, c’est l’image du Christ qui surmonte toute peur. D’ailleurs lorsque Pierre se mit à le suivre sur l’eau, le texte nous dit que « voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! ».

Il me semble que cette deuxième lecture, nous parle infiniment plus de la puissance de Dieu que la lecture littérale. C’est parce que la foi nous délivre de toute peur que Jésus apparaît véritablement comme un sauveur en toute circonstance ; et pas seulement comme un maître-nageur qui viendrait nous secourir alors que l’on se noie.

L’Évangile n’est pas tant un manuel de natation mais bien un écrit spirituel qui nous parle de délivrance universelle. La peur nous fait nous enfoncer dans la mort et la foi nous permet de surmonter toutes les circonstances tragiques de la vie. Voilà le véritable enseignement de ce récit.

« Non habbiate paura ! » s’était écrié le pape Jean-Paul II dans l’homélie inaugurant son pontificat. « N’ayez pas peur ! ». Ces mots s’adressaient aux chrétiens au-delà du rideau de fer, et ils ont été prophétiques : le mur de Berlin est finalement tombé. « N’ayez pas peur ! » ; ayez foi dans la salut que vous propose le Christ.

Les chrétiens de Pologne étaient terrassés par la peur de l’empire soviétique et ils avaient certainement de véritables raisons d’avoir peur. « N’ayez pas peur ! » leur rappela le pape ; croyez en la force de votre foi ; croyez en la puissance de Dieu qui passe à travers vous. Et de fait, nous savons aujourd’hui que les chrétiens de Pologne qui ont entendu ce message ont pris leur destin en main ; ont fini par renverser des montagnes ; qu’ils ont obtenu l’impossible.

La peur est le moteur qui nous conduit en Enfer. Car l’Enfer c’est d’être enfermé et rien n’enferme mieux que la peur. C’est la peur qui maintenait les populations de l’est en prison ; c’est la peur qui encore aujourd’hui nous fait nous barricader et c’est encore la peur qui nous fait envisager d’ériger des remparts et des murs, là où la foi et l’Évangile nous commandent pourtant de bâtir des ponts.

Quelles sont mes barricades, mes remparts de protections ? Quelles sont en moi les peurs que le Christ doit encore rejoindre ? Les peurs qui m’enferment ; desquelles j’ai besoin d’être délivré, sauvé ? Voilà des questions pour aujourd’hui.

« Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : ‘Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur !’ »

Fr. Laurent Mathelot, dominicain

Source : RÉSURGENCES.BE, le 8 août 2023

13.08.2023 – HOMÉLIE DU 19ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATHIEU 14, 22-33

Confiance, n’ayez plus peur !

Pistes pour l’homélie

Par l’Abbé Jean Compazieu

Textes bibliques : Lire


Les textes bibliques que nous venons d’écouter nous invitent à faire un pas de plus sur le chemin de la conversion. C’est ce qui apparaît pour Élie dans le Livre des Rois. Il vient de combattre l’idolâtrie avec beaucoup d’ardeur ; Alors sa vie se trouve en danger. Après 40 jours et 40 nuits de marche, il arrive sur la montagne de l’Horeb (le Sinaï). Il lui a fallu toute cette longue marche pour s’apercevoir qu’il n’était pas sur le bon chemin et que, peut-être, il s’était trompé de Dieu. Comme ses adversaires, il s’imaginait un Dieu de puissance.

Mais Dieu ne l’abandonne pas : il l’invite à se tenir là et à attendre son passage ; il y eut un ouragan, un tremblement de terre, puis un feu. Mais le Seigneur n’était ni dans l’un ni dans l’autre. Après cela, ce fut le “murmure d’une brise légère”. Elie comprend alors que le vrai Dieu n’est pas celui de la violence. Ce n’est pas en massacrant les “infidèles” qu’on sauvera l’honneur du vrai Dieu. Plus tard, Jésus nous révèlera un Dieu qui n’est qu’amour et miséricorde. Il ne sait pas être autre chose. C’est en aimant que nous dirons quelque chose du vrai Dieu.

L’apôtre Paul s’était lui aussi trompé sur Dieu. Dans un premier temps, il a violemment persécuté les chrétiens. Lui aussi croyait défendre l’honneur de Dieu. Mais un jour, il a rencontré Jésus sur le chemin de Damas. Pour lui, cela a été le point de départ d’une véritable conversion. Dans un premier temps, il rappelle aux chrétiens ce qu’ils doivent aux juifs qui leur ont donné Jésus : “C’est de leur race que le Christ est né. Les juifs appartiennent au projet divin”. Paul nous fait part de sa douleur face à l’incrédulité de ses frères de sang. La majorité des juifs suivent les pharisiens. Ils n’acceptent pas que le privilège du peuple élu soit étendu à tous les païens qui ont mis leur foi au Christ.

L’évangile qui vient d’être lu fait suite au récit de la multiplication des pains. Jésus vient de nourrir une foule affamée. Le soir venu, il se retire sur la montagne pour prier. Il veut échapper à tous ces gens qui cherchent à faire de lui leur roi. Plus tard, il précisera que sa royauté n’est pas de ce monde. Sa mission première est de révéler aux hommes les secrets du Père. Nous pouvons imaginer sa déception et sa lassitude devant tous ces gens si lents à croire.

Pendant qu’il est sur la montagne en cœur à cœur avec le Père, les disciples sont sur la barque. Ils avancent péniblement vers “l’autre rive”. Cette barque de Pierre est devenue le symbole de l’Église. Les vagues et les vents contraires évoquent le monde. Quand saint Matthieu écrit son Évangile, il s’adresse à des chrétiens persécutés. C’est encore plus vrai aujourd’hui. En Afrique et ailleurs, les chrétiens persécutés sont bien plus nombreux qu’aux premiers siècles. On veut les obliger à renier leur foi et leur imposer une religion qui n’est pas celle du Christ.

Et puis, il y a bien d’autres tempêtes que nous affrontons un jour ou l’autre : celle des événements difficiles et des horizons bouchés, celle de la maladie, celle de la précarité et de l’exclusion. Nous vivons dans un monde qui souffre de la guerre, de la violence et de l’exclusion. Les pauvres y deviennent de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux. Si nous voulons rester fidèles à l’Évangile du Christ, il nous faut lutter régulièrement contre les vents contraires.

Mais voilà qu’en ce jour, nous entendons une bonne nouvelle : l’Évangile nous montre le Christ qui marche sur les eaux. La mer déchainée est le symbole des puissances du mal. Jésus qui marche sur l’eau nous montre que ce mal n’a pas de prise sur lui. Avant même qu’on l’appelle, il s’avance vers les siens. Son empressement à sauver ceux qu’il aime mérite d’être souligné. Il est “Emmanuel”, Dieu avec nous. Il nous assure de sa présence “tous les jours, jusqu’à la fin du monde. Au cours de cette traversée, les disciples ne reconnaissent pas Jésus. Pour le reconnaître, il faut le regard de la foi. Le plus important c’est que le Christ vient à nous, même si nous n’implorons pas sa venue. Quand la tempête fait rage, il se fait proche. Il reste présent même quand nous nous éloignons ou quand nous l’oublions.

En lisant cet Évangile, comment ne pas penser à la Vierge Marie ? Elle en a connu des tempêtes. Dès le début, elle a dû fuir en Égypte pour protéger son enfant. Elle a beaucoup souffert de l’incompréhension de son peuple qui refusait le message de Jésus. Elle a suivi son fils jusqu’au pied de la croix. Aujourd’hui, elle est toujours là pour nous renvoyer au Christ. Comme à Cana, elle nous invite à faire tout ce qu’il nous dira. C’est ainsi qu’elle nous montre le chemin de la sainteté.

Avec Marie, nous nous tournons vers le Christ. Quand tout va mal, n’hésitons pas à crier : “Seigneur, sauve-moi.” Et le Christ est toujours là pour tendre la main à celui qui l’implore avec confiance. Il est toujours disposé à sauver du naufrage celui qui l’implore. Conscients de notre fragilité et de nos faiblesses, nous le supplions : “Je crois, Seigneur, mais augmente ma foi”. (Luc 17, 5)

Abbé Jean Compazieu

Source : PUISERALASOURCE.FR, le 8 août 2023