13.04.2025 – HOMÉLIE DU DIMANCHE DES RAMEAUX – LUC 22,14-71.23,1-56

D’acclamations en abandons

Évangile selon saint Luc 19, 28-40

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Il y a un dicton qui dit : c’est dans l’adversité qu’on reconnaît ses amis, qui souligne la superficialité de certaines de nos relations. Peut-être avez-vous déjà pu vérifier qu’à mesure que s’accumulent les problèmes, on est de moins en moins soutenu, de plus en plus délaissé. Quand le malheur s’abat sur quelqu’un, il se trouve dans son entourage des gens pour lui tourner le dos, ou se défiler quand il sollicite de l’aide.

Ce que nous célébrons aujourd’hui n’est pas seulement le dimanche des Rameaux – l’acclamation triomphale du Christ à son entrée à Jérusalem – c’est le dimanche des Rameaux et de la Passion. Notre célébration est plus tragique que joyeuse : elle va de la joyeuse entrée de Jésus à sa mort, abandonné de presque tous. Il y a un terrible contraste entre les deux Évangiles que nous venons de lire.

Luc nous présente ici un récit très construit. Si on en fait l’exégèse, on constate qu’il est abondamment truffé de citations de l’Ancien Testament. Le propos est ici de dire que l’histoire de Jésus correspond en tous points à celle du Messie annoncé : à la fois roi triomphal et serviteur souffrant. Voilà pour la théologie derrière les textes.

Quant au contexte, vous le savez, il est particulièrement tendu. La terre de Judée est sujette à de fréquentes révoltes que les Romains redoutent plus que tout. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à écraser dans le sang le moindre soulèvement de foule, comme lors de la révolte de Judas le Galiléen, à Séphoris, la ville proche de Nazareth, alors que Jésus était adolescent, où deux mille révoltés ont été crucifiés par les Romains. Jésus et ses contemporains ont vu l’horreur, la violence extrême de l’occupant. Les temps sont apocalyptiques et messianiques. Tous les textes de l’époque montrent un désespoir profond et l’attente d’un libérateur. Les fêtes religieuses juives – comme ici la Pâque – sont pour Rome des rassemblements très sensibles. Le procurateur – Ponce Pilate – monte alors de Césarée, au bord de la mer où il réside habituellement, et vient en personne superviser le maintient de l’ordre à Jérusalem. C’est dire la fébrilité des troupes. Qu’à cette occasion, un Juif entre dans la ville, acclamé par une foule comme un roi, on comprend qu’il se fasse immédiatement arrêter. Pilate ne peut pas courir le risque d’une sédition. C’est d’ailleurs le chef d’accusation qu’il fera inscrire sur la croix : le fait que le Christ ait été acclamé comme roi des Juifs. Du point de vue romain, l’entrée triomphale de Jésus sous l’acclamation des rameaux signe d’emblée son arrêt de mort.

Dès lors, c’est le malheur et l’opprobre qui s’abattent sur Jésus et la peur qui s’installe parmi ses disciples. Les foules se retournent : elles ne crient plus « Hosanna ! » mais « Crucifie-le ! ». Presque tous ses proches l’abandonnent. Beaucoup s’enfuient. Pierre le renie vigoureusement. Au pied de la croix, il ne reste plus que sa mère, un tout jeune disciple et quelques femmes.

Le malheur, et a fortiori la mort, font fuir les gens. Tous ceux qui ont vu un jour leur vie s’effondrer ont vu aussi leur univers social se réduire, souvent drastiquement. La solitude de la personne souffrante est quelque chose de réel. Quand, pour les autres, nous ne représentons plus l’espérance, alors ils sont nombreux à nous délaisser. Et, au moment de la mort, ne restent bien souvent à nos côtés que ceux qui nous aiment d’un amour emprunt d’éternité. Voilà la base du dicton : « C’est dans l’adversité qu’on reconnaît ses amis » : quand, dans la souffrance, la déchéance et même la mort, il ne reste plus auprès de nous que ceux dont l’amour est indéfectible.

Pour le Christ pourtant, ce dicton n’est pas vrai. Il continue à considérer comme amis ceux qui l’on rejeté, renié, abandonné ; ceux qui ont appelé à sa crucifixion et ceux qui l’ont effectivement tué. Alors qu’il agonise et malgré leur trahison, il continue à les aimer, à les considérer comme ses amis, à prier pour eux. Il n’abandonne pas ceux qui l’abandonnent, au contraire il maintient éternel l’amour qu’il éprouve pour eux.

Méditons un instant sur cette attitude de Jésus qui, s’avançant vers une mort certaine, voit même ses plus fidèles amis l’abandonner, la profonde tristesse qui s’ajoute à l’angoisse qu’il ressent, le terrible sentiment de solitude de celui qu’ils acclamaient tous, il y a quelques jours encore, comme un roi libérateur. Pourtant son amour n’a pas changé.

Dans sa Passion selon saint Matthieu, Jean-Sébastien Bach a ajouté une scène qui ne se trouve pas dans les Évangiles où, après l’avoir renié, Pierre croise le regard de Jésus que l’on emmène en prison. Peut-être connaissez-vous ce superbe aria intitulé « Erbarme dich, mein Gott » où Pierre supplie le Christ de lui pardonner son reniement : « Seigneur prends pitié, vois mes larmes ! Vois mon cœur et mes yeux qui pleurent amèrement devant toi. » Bach ne présente pas la réponse de Jésus. Tout son art consiste à la laisser deviner dans les larmes de Pierre.

A la maison, quand nous glisserons nos brins de rameaux derrière nos crucifix, pensons au sens profond du geste que nous accomplissons, qui signifie : je veux être de ceux qui amènent leur brin d’espérance au pied de toutes les croix, de celles qui en amour veulent rester fidèles jusqu’à la fin, qui n’abonnent pas un ami qui souffre, fut-il rejeté de tous.

Ce n’est pas tant la présence de rameaux bénis qui protège nos maisons que l’intention dont ces branches témoignent. Poser un brin de buis sur un crucifix c’est dire : Seigneur, en amour, je veux t’être fidèle jusqu’au bout.

Fr. Laurent Mathelot

Source : RÉSURGENCE.BE, le 9 avril 2025

13.04.2025 – HOMÉLIE DU DIMANCHE DES RAMEAUX – LUC 22,14-71.23,1-56

Ensemble,
acclamons le Christ qui se donne

Homélie par l’Abbé Jean Compazieu

Textes bibliques : Lire

L’évangile des Rameaux proclamé avant la procession d’entrée nous a rapporté des paroles qui donnent à réfléchir : “Quelques pharisiens qui se trouvaient dans la foule dirent à Jésus : “Maître, arrête tes disciples !” Mais Jésus leur répondit : “Je vous le déclare, s’ils se taisent, les pierres crieront.” Voilà donc cette foule à laquelle nous nous joignons pour acclamer le Christ. Mais aujourd’hui, nous voyons qu’elle n’est pas unanime. Il y en a toujours quelques uns pour récriminer.

Cette foule rassemblée autour du Seigneur rend grâce pour tous les miracles qu’elle a vus. Elle reconnaît en Jésus “celui qui vient au nom du Seigneur.” Mais certains estiment que c’est trop et ils lui demandent d’arrêter ses disciples. Aujourd’hui, nous pouvons nous poser la question : Est-il possible d’en faire trop pour le Seigneur ? Si nous lisons les évangiles et l’histoire de l’Église, nous remarquons que ce reproche revient régulièrement : Marie verse un parfum précieux sur les pieds de Jésus. Alors Judas fait remarquer qu’avec l’argent correspondant, on aurait pu servir les pauvres. Le curé d’Ars qui vivait très pauvrement se procurera les ornements et les objets sacrés les plus beaux pour le culte. Ce ne sont là que quelques exemples parmi bien d’autres.

Rien n’est trop beau pour Dieu. Nous n’avons pas à nous retenir quand il s’agit de lui rendre grâce pour les merveilles qu’il accomplit. Nous n’en ferons jamais trop pour lui. Quelquefois, on entend parler de “programme minimum” pour la télévision ou les services publics et nous savons combien cela peut être décevant. Dans notre relation avec le Seigneur, cela ne doit pas exister car lui-même s’est donné totalement, jusqu’au sacrifice de sa vie sur une croix.

Aujourd’hui, nous entrons dans la grande semaine sainte. Nous allons suivre jusqu’à son sacrifice sur la croix. Comprenons bien : C’est notre vie qui est clouée à la croix avec lui ? Notre vie avec ses peines, ses souffrances et ses péchés que le Christ a pris sur lui. “C’était nos péchés qu’il portait dans son corps sur le bois”. Un jour il a dit qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. C’est ce don total du Christ que nous allons célébrer tout au long de cette semaine Sainte.

Alors n’ayons pas peur d’en faire trop pour Celui qui n’a pas mesuré son amour pour nous. Ne nous retenons pas pour chanter les louanges du Seigneur. Nous sommes tous attendus pour les célébrations du Jeudi Saint, Vendredi Saint, veillée pascale et dimanche de Pâques. Rejoignons tous les vivants qui tombent à genoux et qui proclament : « Jésus Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père. » Et que notre liturgie vécue tout au long de cette semaine nous affermisse dans la foi.

Seigneur, nous voulons être là avec la foule pour te louer et pour te glorifier. Nous ne voulons pas être seulement des spectateurs. Tu es vraiment le Roi qui vient au nom du Seigneur ! Tu mérites notre louange pour toutes les grandes choses que tu as faites et que tu fais encore. Tu mérites notre reconnaissance éternelle pour tout ce que tu as fait pour nous. Accorde-nous ta grâce, que nous chantions sans cesse tes louanges non seulement par des mots mais également par nos actions.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 6 avril 2025