10.09.2023 – HOMÉLIE DU 2ÈME DIMANCHE DE L’AVENT B – MARC 1,1-8.

Les terres arides

2ème dimanche de l’Avent — 10 décembre 2023 , par le Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Marc 1, 1-8

On sent de l’empressement dans le texte du Livre d’Isaïe : « Parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli ». C’est l’accomplissement d’une délivrance … Le contexte est celui du retour de l’exil à Babylone ; on est au VIe siècle avant Jésus-Christ ; le peuple marche dans le désert pour rentrer à nouveau en Terre promise. Cette partie du Livre d’Isaïe s’appelle le Livre des consolations. Et nous aussi, aujourd’hui, nous marchons dans le désert. Et nous aussi, aujourd’hui, nous avons besoin de consolations.

Ce qu’il y a de remarquable dans ce texte, donc, c’est son empressement. Pour Isaïe, la marche au désert est déjà la consolation : « préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu ». Avec des images simples, le prophète nous montre la mécanique de toute conversion : les chemins de délivrance sont des terres arides, parfois escarpées, qu’il convient d’aplanir telle une rampe vers le temple de Dieu. C’est la perspective d’arriver de nouveau en Terre promise qui fait déjà de la marche au désert une consolation. Et c’est ce que Jean le Baptiste avait très bien compris. Nous allons y revenir.

La vision de la progression spirituelle comme un territoire que l’on parcourt, celle du bonheur comme une terre que l’on rejoint est classique dans la Bible. Ce qu’annonce ici Isaïe c’est que les états de l’âme précèdent ceux du terrain à mesure que la vision de l’âme est plus claire. Ils sont au désert ; la route est certes pénible mais la perspective de la délivrance, de l’arrivée en Terre promise les emporte. L’Esprit devance l’action. Retenons ceci du Livre des consolations : un chemin de conversion, aussi aride soit-il, c’est déjà la délivrance.

La seconde lecture, celle de la deuxième lettre de Pierre, aborde cette dynamique de la conversion sous l’angle temporel. Le chemin est ici un temps de patience ; l’entrée en Terre promise est vue comme « le jour du Seigneur », précisément le jour final où disparaît le temps, le jour où le sentiment d’éternité, de paix, gagne enfin. Pour Dieu, « un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour ». C’est une description du bonheur, où le temps n’importe plus ; alors que, dans le malheur, chaque seconde compte. Le temps n’en finit pas pour celui qui souffre, chaque jour est un effort, alors qu’en plein bonheur, le temps ne compte plus et nous touchons au sentiment d’éternité. Le psaume décrit cet état de bonheur : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».

Dans l’Évangile, Jean le Baptiste reprend cette idée d’Isaïe – qu’il cite – de la spiritualité qui se vit comme un territoire que l’on parcourt, où les montagnes représentent ces moments où nous touchons au divin et les ravins nos dépressions.

Jean est ce fils de bonne famille, issu de l’élite sacerdotale, qui dénonce l’hypocrisie de son milieu, lequel accepte l’occupation romaine pour sauver les apparences du culte. Alors Jean retourne au Jourdain pour signifier que le pays d’Israël est devenu lui-même une terre d’exil, qu’il faut à nouveau entrer en Terre promise et que cette nouvelle terre – ce nouveau territoire où Dieu vit désormais – c’est notre corps. En cela – et c’est ce que le texte veut que nous comprenions – il est le précurseur du christianisme. Par le baptême, notre corps devient une Terre promise, un temple, le lieu par excellence où Dieu se rend présent.

Le temps de l’Avent est un temps où nous explorons les recoins de notre âme comme on explore un territoire pour en aplanir les escarpements, combler les fossés, rendre droites nos routes sinueuses, nos idées tordues, nos égarements.

Cette vision de notre esprit comme un lieu à découvrir, à parcourir, à entretenir comme un jardinier, voire à parfois terrasser comme un entrepreneur ; cette considération de notre âme comme un lieu où Dieu veut naître, s’incarner et vivre ; nous incite, en ce temps de l’Avent, à nous voir comme des crèches vivantes ; à transformer l’étable parfois encombrée de notre esprit en un lieu où Dieu peut naître et vivre fragilement. Notre âme doit être, au moins, une petite mangeoire où loger la divinité naissante, un lieu clair dans notre esprit parfois troublé où peut vivre, comme un petit enfant, l’amour divin.

Aujourd’hui les temps sont troublés : nous affrontons avec difficultés l’urgence climatique ; la pandémie a eu un impact psychologique mondial qui persiste ; les idéologies maintenant se radicalisent et partout des guerres éclatent. L’humanité est actuellement fortement inquiète, ce qui n’est pas sans nous troubler l’âme, révélant ainsi nos propres escarpements, approfondissant nos gouffres intimes et, pour beaucoup, élargissant nos failles. Notre monde s’enfonce dans l’individualisme et, petit à petit, le lait et le miel de nos relations sociales se changent en aridité et en soif. Les temps actuels nous poussent à une plus grande solitude d’âme. Et désormais plus seuls avec nous-mêmes, nous nous affrontons plus souvent à cet encombrement spirituel, aux parts d’ombre qui sont les nôtres, à ce que notre âme n’est pas encore prête à ne rayonner que la seule présence de Dieu. Trop souvent, au lieu de voir, comme Isaïe, notre marche au désert actuelle comme un chemin de délivrance – et donc de joie –, nous récriminons. Qui fréquente les réseaux sociaux se rend compte que notre époque est à la lamentation. 

Malgré les inquiétudes, les souffrances, la faim d’autrui et la soif d’amour, malgré l’aridité du chemin, voici le temps de la conversion lumineuse ; le temps de se désencombrer l’esprit ; le temps d’apprêter son cœur ; le temps de faire de son âme une crèche et d’y voir l’aboutissement du chemin.

Aplanissez ce chemin ; rendez droite la route qui va de votre esprit à votre cœur ; voyez votre âme comme un lieu sacré, où vit ce petit enfant – vous ! – qui ne veut vivre que d’amour divin. Notre monde en a urgemment besoin.

C’est un temps de l’Avent particulier et Noël le sera aussi : actuellement, l’humanité se déchire de guerres et nous prions pour la paix. Mais si nous gardons à l’esprit que cet enfant qui incarne l’amour de Dieu vit en nous, et que toute traversée du désert est un chemin vers cette présence intérieure, alors nous retrouverons l’espérance et la joie.

Seigneur, fais de mon cœur une crèche où tu viens au monde.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 6 décembre 2023

10.09.2023 – HOMÉLIE DU 2ÈME DIMANCHE DE L’AVENT B – MARC 1,1-8.

Pistes pour l’homélie de l’Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


Tout au long de la nouvelle année liturgique, la liturgie nous fera entendre l’Évangile selon saint Marc. Aujourd’hui, nous en lisons le commencement. “Commencement”, c’est d’ailleurs le premier mot de cet Évangile. Cela nous renvoie au premier récit de la Création dans le livre de la Genèse : “Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre (Gn 1, 1). C’est une manière de dire que Dieu est le commencement de toutes choses. L’Évangile de Marc nous invite à accueillir Jésus qui fait toutes choses nouvelles. Le chrétien c’est quelqu’un qui commence chaque jour et à toute heure de la journée.

L’Évangile de saint Marc nous présente le “commencement de la bonne nouvelle de Jésus Christ Fils de Dieu”. C’est donc Dieu lui-même qui vient en la personne de Jésus. Cet Évangile s’ouvre par la prédication de Jean Baptiste : “À travers le désert, une voix crie… et Jean Baptiste parut dans le désert”. Alors, on peut se poser la question : pourquoi avoir choisi le désert pour annoncer cette bonne nouvelle ? Pourquoi n’avoir pas choisi un lieu de passage des foules ?

En fait, il y a plusieurs raisons : dans le monde de la Bible, le désert, c’est un lieu symbolique très fort. C’est le lieu de la rencontre avec Dieu. C’est dans cet espace dépouillé qu’il parle au cœur de l’homme pour l’inviter à se convertir : “Préparez les chemins du Seigneur, aplanissez sa route…” Nous voici donc mobilisés. Nous devons nous arracher à nos fauteuils confortables, retrousser nos manches et mettre la main à la pâte. Se convertir, c’est sortir de nos habitudes sclérosées et de nos lamentations stériles. Jean Baptiste nous recommande d’aplanir la route. Il s’agit d’enlever tous les obstacles pour que le Seigneur puisse passer et que nous puissions le rejoindre.

Le désert est aussi le symbole de l’aridité de nos cœurs. Nous le voyons bien tous les jours : nos cœurs ressemblent souvent à cette terre aride, altérée et sans eau. Pensons à tous ces déserts d’humanité où l’homme est devenu pire qu’un loup pour l’homme, déserts de dignité dans lesquels des hommes et des femmes sont traités comme du matériel qu’on utilise et qu’on jette. Et nous n’oublions pas les nombreux déserts de solitude, les déserts d’amour de ceux qui ne savent pas aimer et ne se sentent pas aimés. Dans tous ces déserts, nous voyons des hommes qui n’arrivent pas à se comprendre ni à se supporter.

Or c’est là que le Christ nous rejoint pour venir nous chercher. L’Évangile commence dans les déserts de nos vies. Dans le sable du désert, il n’y a pas de vie. Mais dès qu’il pleut, le sol se recouvre de végétation et de fleurs. De même, sans la présence du Seigneur, nos vies sont desséchées. Mais Dieu ne nous abandonne pas. Ce qu’il sème en nos cœurs ne meurt jamais. A la première occasion favorable, il se révèle pour transfigurer notre vie.

Dans la première lecture, nous lisons un message de consolation. Cette consolation commence à se réaliser avec la proclamation du prophète Isaïe. Elle s’adresse à un peuple qui souffre de son exil en terre étrangère : Il a été écrasé, humilié. Mais la situation est en train de changer. Dieu va sauver son peuple. Chacun est invité à se redresser et à se reprendre vigoureusement en main. Il s’agit de collaborer ensemble au projet de Dieu qui veut sauver son peuple et lui manifester sa gloire. L’Église d’aujourd’hui nous invite à maintenir le cap sur Dieu. Avec force et parfois avec angoisse, elle reprend le cri des prophètes : “Voici votre Dieu qui ne cesse de vous aimer.”

La seconde lecture est de l’apôtre Pierre. Il s’adresse à des chrétiens qui trouvent que le jour du Seigneur “a du retard”. Il lance une vigoureuse mise en garde contre l’affadissement de l’espérance. Le délai qui nous est laissé doit être accueilli comme un signe de l’infinie patience de Dieu. Il laisse à chacun la possibilité de se convertir. Si le Seigneur prend du temps, c’est pour laisser à l’humanité le temps de murir. Mais une chose est sûre : le jour du Seigneur viendra inexorablement et de façon imprévisible. C’est ce message que vient nous rappeler ce temps de l’Avent. L’important, c’est de se tenir tendu vers la pleine réalisation du projet de Dieu.

C’est de cette espérance que nous avons à témoigner dans le monde d’aujourd’hui. Cela commence en donnant la première place au Christ dans notre vie. Il n’est pas possible de l’annoncer aux autres si nous ne l’accueillons pas en nous. Noël c’est Jésus qui vient à nous. Vivre Noël, c’est d’abord accueillir cette venue du Sauveur dans notre vie. Il est la source qui vient irriguer nos déserts ; il fait revivre ce que l’on croyait mort. Aujourd’hui, nous te prions, Seigneur, toi qui es le Sauveur et l’Ami des hommes, donne-nous d’être les témoins de ton amour auprès de tous ceux et celles que tu mets sur notre route. Amen

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 3 décembre 2023