06.07.2025 – HOMÉLIE DU 14ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 10, 1-12,17-20

La disparition du Diable

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Évangile selon saint Luc 10, 1-12.17-20

Combien de fois n’avons-nous nous pas entendu cette citation de l’Évangile « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux » ? Souvent pour appeler à prier pour les vocations. Nous avons tous une vocation religieuse. Tous nous sommes appelés à être les ouvriers de notre vie spirituelle. Comme les relations d’amour, la vie spirituelle se travaille, s’entretient. Un peu comme on cultive un jardin. Dis-moi, est-il beau le jardin de ton âme ?

Qu’est-ce que le Royaume de Dieu dont Jésus nous demande de proclamer la proximité ? Est-ce simplement la perspective d’un Paradis au-delà de la mort ? Ce Royaume que Dieu nous présente comme un banquet de noces auquel il ne cesse de nous inviter est-il seulement celui de la fin des temps ? Est-ce cela, la fin des temps, que le Christ nous annonce toute proche ?

Le Règne de Dieu, c’est celui de son Amour. Et si le Christ insiste tant pour dire qu’il s’est rendu tout proche de nous, c’est parce qu’il est accessible dès à présent. Il nous est possible de vivre d’un amour divin, de la plénitude de l’Esprit Saint, dès ici-bas. Il est possible que le jardin de notre âme soit un magnifique jardin et notre vie en ce monde un perpétuel banquet de noces où l’on célèbre l’amour entre les personnes.

Mais parfois dans notre jardin, il y a des mauvaises herbes, des ronces qui l’envahissent, comme parfois dans notre cœur ne coule pas le vin magnifique de l’amour mais le vin aigre du ressentiment, du mépris voire de la haine. Parfois, au lieu de nous laisser gagner par l’Esprit Saint, notre âme se fait envahir par un esprit mauvais et, au lieu de trouver la paix du cœur, nous souffrons et nous perdons espoir. A force, ces ronces dans notre âme, ce vinaigre qui coule parfois en nous, ces mauvais états d’esprit, le ressentiment, le mépris, la haine qui nous envahissent peuvent susciter le découragement – le jardin de notre âme n’est alors plus entretenu – ou pire, la dépression – et notre jardin est alors laissé à l’abandon …

Ainsi, on comprend que, pour trouver la paix de l’âme, il faut lutter contre ces assauts d’esprits mauvais. Voilà le rôle de l’ouvrier pour la moisson : désencombrer les âmes de tout ce qui les assaille, les étouffe et les fait dépérir. Et tous, nous sommes appelés à le faire. C’est le sens de l’exclamation des disciples : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. »

On ne parle plus beaucoup du Diable ni des démons aujourd’hui. Un peu comme si tous ces discours qui parlent d’Enfer étaient d’un autre temps – des images archaïques, au fond, pour effrayer les gens simples …

Dans le discours de l’Église, le Diable a disparu dans les années 1970. C’est un phénomène qui a commencé plus tôt. Sans doute, après les horreurs de la Seconde guerre mondiale, était-il plus difficile de prêcher sur l’Enfer. Mais on constate qu’à partir des années 70, presque plus aucun livre de théologie ne paraît sur les anges et les démons ; les homélies qui évoquent le Diable et l’Enfer deviennent rarissimes. L’obsession était alors celle du sens – tout alors devait avoir un sens – et ce dont on ne comprenait plus le sens, il fallait l’évacuer. Adieu l’encens, adieu toutes les dévotions populaires, adieu les élans mystiques, adieu les miracles, adieu les dogmes incompréhensibles ! L’évacuation du mystère au sein du discours de l’Église est, pour ma part, la principale cause de la désertification de nos assemblées. Pour rejoindre le plus de monde possible, il fallait tout simplifier, tout rationaliser, tout expliquer, tout psychologiser. Se voulant accessibles, les discours religieux sont devenus spirituellement plats, n’évoquant plus les mystères d’une relation affective avec Dieu. A nos ambons, le relationnel humain a pris le pas sur le spirituel. Je crois fort en l’urgence de reprendre le discours mystique, sinon nous ne sommes plus qu’une philosophie du vivre ensemble, ce qu’un bon repas convivial peut sans doute mieux réaliser qu’une messe.

Le Diable existe, l’Enfer existe et il nous arrive d’être assaillis par des démons. Si nous voulons que des expressions telles que « vivre un enfer » ou « faire face à ses démons » aient un sens, il faut bien que « enfer » et « démons » aient quelque réalité. De même, quand on parle d’élans diaboliques ou de pulsions démoniaques, on comprend bien qu’ils s’agit de réalités qui nous dépassent. Il y a des gens qui vivent un enfer, il y a des gens qui sont sous l’emprise d’esprits mauvais, nous-mêmes il nous arrive d’être assaillis par de mauvais sentiments.

Le Christ, par le don de l’Esprit Saint, nous a donné tous pouvoirs sur les assauts d’esprits mauvais. « Les esprits vous sont soumis » dit Jésus. Les démons qui nous assaillent n’ont que le pouvoir que nous leur laissons. Ils peuvent certes nous faire de terribles suggestions – ainsi la tentation n’est pas un péché – mais Dieu nous donne aussi la force spirituelle, son Esprit d’Amour, pour y faire face et résister.

Vous avez le pouvoir de rendre vie aux personnes dépressives, par amour.
Vous avez le pouvoir de consoler celles qui sont en deuil, par amour.
Vous avez le pouvoir de faire taire tous les élans de haine, d’apaiser toutes les peurs, d’assécher toutes les larmes, par amour.
Vous avez le pouvoir de chasser tous les démons, par amour.
Vous avez ce pouvoir pour les autres, et vous l’avez pour vous-mêmes.

« Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » dit Jésus. On peut certes le comprendre comme la méchanceté du monde qui refuse la parole de Dieu et persécute celui qui en témoigne. Mais on peut aussi le comprendre comme ‘Je vous envoie combattre les loups qui assaillent votre âme’.

La spiritualité chrétienne est un sport de combat. Et c’est un beau combat. La paix du cœur est à ce prix : lutter patiemment, assaut après assaut, contre les attaques d’esprits mauvais qui parfois nous emportent. C’est ainsi que nous verrons sortir de notre âme pulsions de haine, de mépris, de désespérance, de désordres affectifs et comportementaux.

Donne-nous de croire, Seigneur, que nous pouvons triompher de tout esprit mauvais, grâce à la puissance mystérieuse de ton Amour et que c’est ainsi que nous sommes sauvés.

« Le Royaume de Dieu est tout proche de vous ».

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 1er juillet 2025

06.07.2025 – HOMÉLIE DU 14ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LUC 10, 1-12,17-20

Avec le Christ ressuscité,
témoins de la joie de l’Évangile

Textes bibliques : Lire

Pistes pour l’homélie par l’Abbé Jean Compazieu :

Nous sommes invités à la joie parce que cette Jérusalem est une mère pour nous. Isaïe nous dit que nous serons nourris et rassasiés du lait de ses consolations. Ce lait consolateur dont il est question, c’est “le lait non frelaté de la parole” (2 P. 2. 2). Isaïe nous parle également de la paix “qui déborde comme un torrent”. Cette paix, ce n’est pas seulement l’absence de conflits ; c’est surtout la plénitude de la présence de Dieu, la gloire des nations converties au Seigneur.

Cette Jérusalem dont il est question n’est pas vraiment la Jérusalem terrestre qui est très belle. Ce texte d’Isaïe est une prophétie qui n’est pas encore réalisée. Nous chrétiens, nous comprenons qu’il s’agit de l’Église. Elle est vraiment une mère pour nous : elle nous enfante à travers le baptême, elle nous nourrit de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie ; elle nous annonce quelque chose de la Jérusalem céleste. C’est vers cette joie éternelle que nous marchons. Nous en avons un avant-goût sur cette terre ; elle nous sera donnée en plénitude dans la Jérusalem céleste. “Notre cité se trouve dans les cieux” (Phil 3. 20). St Cyrille d’Alexandrie nous le dit : “Dans l’Église du Christ, pas de place pour la tristesse ; l’Église est riche de l’espérance de la vie sans fin et de la gloire sans déclin”

Cette “joie de l’Évangile” doit être annoncée à tous. Saint Luc nous raconte l’envoi des 72. Ce chiffre symbolise l’ensemble des nations connues à l’époque de Jésus. C’est une manière de dire que la Bonne Nouvelle doit proclamée dans le monde entier. Elle est pour tous, pour les chrétiens qui ne vont plus à l’Église, pour les adolescents en pleine crise, pour ceux qui tournent en dérision la foi des chrétiens. Tous les hommes du monde entier doivent pouvoir entendre et accueillir cette bonne nouvelle.

Voilà donc une vaste mission qui dépasse nos possibilités humaines. Mais il y a une chose que nous ne devons jamais oublier : Jésus envoie des soixante-douze “dans toutes les villes et localités où lui-même devait se rendre”. La mission n’est pas leur affaire mais celle du Seigneur. Le principal travail c’est lui qui le fait dans le cœur des hommes, des femmes et des enfants qu’il met sur notre route. Bernadette de Lourdes disait : “Je ne suis pas chargée de vous faire croire mais de vous dire”. En dehors du Seigneur, rien n’est possible.

Au moment où il rédige son Évangile, saint Luc pense à ceux qui sont les missionnaires des communautés. C’est bien le Seigneur ressuscité qui les désigne et les envoie pour porter la bonne nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre. Cette mission est un défi extraordinaire. Aujourd’hui, encore plus qu’autrefois, les chrétiens sont affrontés aux persécutions. Beaucoup sont assassinés simplement parce qu’ils annoncent l’Évangile aux hommes. Mais rien ne pourra arrêter la Parole de Dieu ni l’empêcher de produire du fruit. C’est précisément en voyant le courage des chrétiens persécutés que des hommes et des femmes se convertissent au Christ. Nous en avons de nombreux témoignages dans le monde d’aujourd’hui.

L’apôtre Paul (2ème lecture) nous montre la réalisation de la prophétie d’Isaïe. Avec Jésus mort et ressuscité, le salut est offert à tous. Il n’est pas le résultat d’une accumulation de bonnes actions ou de mérites. C’est un don gratuit de Dieu. La seule fierté de Paul, c’est la croix du Christ : Elle est la clef qui introduit dans la création nouvelle ; elle nous arrache à toutes les pesanteurs du péché. Au jour de notre baptême, nous sommes devenus enfants de Dieu.

En nous rassemblant ici dans cette église, nous nous nourrissons de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie. Puis comme les 72, nous sommes envoyés pour annoncer : “Le règne de Dieu s’est approché de vous.” Dans un monde où beaucoup de choses vont mal, Dieu vient nous remplir de sa présence et de sa gloire. L’Évangile insiste sur l’urgence de cette mission. Comme le Christ et comme les prophètes, nous serons affrontés au rejet ou à l’indifférence. Mais rien ne peut arrêter l’arrivée du règne de Dieu. Si nous rencontrons la méchanceté, nous triompherons du mal par le bien.

Avec le prophète Isaïe, nous comprenons que la présence du Seigneur doit nous faire exulter de joie, même quand tout va mal. Oui, nous comptons sur toi, Seigneur : toi qui nous envoies “comme des agneaux au milieu des loups”, rends-nous forts dans les épreuves et garde-nous fidèles à la mission que tu nous confies.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN, le 29 juin 2025

19.04.2025 – HOMÉLIE DE LA VEILLÉE PASCALE – LUC 24,1-12

Veillée pascale 2025

“Il est vivant”

Textes bibliques de la veillée pascale : lire

Toutes ces lectures bibliques qui nous sont proposées pour cette veillée pascale nous montrent que Dieu n’a jamais cessé d’être présent à son peuple.

Il est celui qui crée le monde avec amour et par amour. Il est encore celui qui a vu la misère de son peuple et qui veut le sauver. Tout au long des siècles, le monde a beaucoup changé. Mais Dieu n’a pas changé. Malgré les infidélités de son peuple, Dieu reste fidèle à son alliance. Et il envoie des prophètes pour le lui dire. Au cours des périodes sombres, ces derniers sont intervenus pour appeler le peuple à la conversion : « Revenez à moi de tout votre cœur… »

C’est très important pour nous aujourd’hui. Notre monde aussi a beaucoup changé. Mais Dieu reste le même. Il est le Dieu de l’alliance, celui qui continue à aimer son peuple d’un amour passionné. L’important ce n’est pas d’adapter notre religion à ce monde mais de nous ajuster à Dieu qui nous appelle à revenir vers lui. Avec lui, le mal et la mort ne peuvent avoir le dernier mot.

C’est cette bonne nouvelle qui nous est rapportée dans l’Évangile de saint Luc. Il nous parle des femmes qui sont venues au tombeau de grand matin. Ce sont les mêmes qui avaient suivi Jésus jusqu’au pied de la croix. Elles ont été plus courageuses que les hommes. Ces derniers se sont cachés car ils avaient peur d’être recherchés et poursuivis par les juifs. Elles ont suivi leur Maître jusqu’au pied de la croix. En venant au tombeau en ce matin de Pâques, elles croyaient embaumer son corps.

Mais rien ne se passe comme elles l’avaient prévu. Quand elles arrivent, elles trouvent un tombeau vide. Deux messagers du Seigneur interviennent. Si elles veulent trouver Jésus, ce n’est pas dans un cimetière qu’il faut le chercher. Il est sorti de son tombeau ; il est vivant. Cette bonne nouvelle, il faut l’annoncer à tous, et en premier aux disciples. Ces derniers ont eu du mal à y croire. Pour eux, c’était impensable. Mais la victoire du Christ ressuscité a été plus forte que leurs réticences.

Voilà cette bonne nouvelle qui a été transmise de génération en génération. C’est à nous maintenant de prendre le relai pour qu’elle continue à être annoncée. Dans certains pays, les chrétiens le font au péril de leur vie. Mais rien ne peut empêcher la progression de la Parole de Dieu. Nous-mêmes, nous sommes envoyés dans le monde d’aujourd’hui pour être témoins et messagers de Jésus ressuscité. Notre mission c’est de dire et de témoigner. Mais le principal travail, c’est Dieu qui le fait dans le cœur de ceux et celles qu’il met sur notre route. L’Évangile restera toujours une force communicative pour les hommes d’aujourd’hui.

Cette mission qui nous est confiée, nous la portons dans notre prière. C’est important pour nous. La parole que nous avons à proclamer ce n’est pas la nôtre mais celle de Jésus. C’est pour cela que nous avons sans cesse à nous ajuster à lui. C’est avec lui que notre vie pourra devenir un authentique témoignage.

Ce soir, nous pouvons faire nôtre ce chant d’envoi : « Allez-vous-en sur les places et sur les parvis ! Allez-vous-en sur les places y chercher mes amis. »

Source : PUISER À LA SOURCE, le 4 avril 2026

19.04.2024 – HOMÉLIE DE LA VEILLÉE PASCALE – LUC 24, 1-12

Du tombeau à la lumière

Évangile selon saint Luc 24, 1-12

Nous avons médité, jeudi passé, à l’occasion du Lavement des pieds et de la dernière Cène, sur l’angoisse qui devait tirailler Jésus alors qu’il voyait la mort s’approcher inexorablement ; sur les larmes qui devaient lui monter aux yeux, alors qu’il partageait un dernier repas avec Judas : « Pourquoi me fais-tu ça ? Pourquoi ce rejet, cette violence, cette crucifixion ? 

Pourtant le Christ ne fait aucun reproche à Judas. A sa trahison, il répond par un amour toujours plus humble, s’abaissant pour lui laver les pieds, prendre soin de sa liberté d’aller, partager encore un repas avec lui. Plutôt que se laisser envahir par la peur de ce qui va arriver, le Christ se laisser submerger par l’amour. Ce faisant, il désarme son agresseur : au lieu de se laisser prendre, il se donne. L’antidote aux forces qui broient de l’humain, c’est l’amour.

Nous ne supportons pas le vide que crée en nous la douleur. La souffrance fait que nous ne sommes plus à nous-mêmes. Viennent alors les pensées sombres et les réflexes de vengeance, contre autrui ou contre nous-même. On se fabrique des boucs émissaires : faire mal à quelqu’un exactement là où nous-même avons mal, pour compenser ce vide que crée en nous toute souffrance.

C’est le vrai danger des maux et des souffrances qui nous atteignent : ils instillent en nous le poison du désespoir et l’esprit de vengeance – contre soi, contre les autres, contre la vie voire contre Dieu. Très vite l’amertume nous envahit l’âme et, après elle, le ressentiment et la haine – de soi, des autres, de la vie voire de Dieu. Et c’est alors l’Enfer. Notre peur de souffrir encore nous enferme dans le rejet de soi, des autres, de la vie voire de Dieu.

Ainsi, toute la spiritualité chrétienne consiste à ne pas se laisser enfermer dans la peur, le ressentiment voire la haine qui surgissent de la violence que nous subissons. Ceux qui ont eu a subir de lourds traumatismes savent à quel point la peur, l’anxiété, l’angoisse de souffrir encore peut rendre la vie infernale et vide.

Notre monde aujourd’hui est perclus de peurs, de souffrances et d’anxiété. Notre planète agonise et les peuples partout se confrontent. La santé mentale des populations est inquiétante. Partout le désespoir gagne et l’avenir s’obscurcit. Il y a quelque chose de l’angoisse apocalyptique qui nous étreint. Certains imaginent déjà la fin des temps.

Alors que nous voyons chaque jour l’amour et la fraternité humaine se dissoudre dans la peur du lendemain, allons-nous être de ces disciples qui abandonnent et trahissent le bel idéal chrétien dans un grand élan de sauve-qui-peut ? Allons-nous laisser l’angoisse de l’avenir nous ronger nous aussi et nous désespérer ?

Pourtant, surmonter l’angoisse et la peur est humainement possible. C’est ce que le Christ nous montre à Pâques. Si le Christ-Humain effectivement meurt et ressuscite, le Christ-Dieu, lui, reste éternel. Face à l’humanité qui s’effondre, l’amour divin reste intact. Il est possible, confrontés à la souffrance et même à la mort, de ne pas chercher de revanche. Au contraire, comme le montre Jésus, il est possible de trouver dans l’abaissement une manière toujours plus humble d’aimer.

L’antidote à l’enferment dans la douleur c’est le surcroît d’amour. Si nous pensons que notre monde court à sa perte, c’est alors qu’il faut nous abaisser pour l’aimer d’avantage.

Bien sûr, on peut toujours espérer un miracle, mais surmonter les drames de la vie par l’amour est quelque chose qui s’apprend et requiert de l’entraînement. Même si, comme le bon larron, on peut espérer le surgissement du salut à la toute fin d’une vie désordonnée, il est préférable de se former à transcender nos anxiétés et nos peurs par l’amour, par une vie spirituelle régulière, par une amitié habituelle avec Dieu. Ce qui nous libère des angoisses à venir, c’est notre proximité actuelle avec Dieu.

Notre monde est en crise, comme l’est à Pâques la communauté des disciples de Jésus. Tous, comme nous aujourd’hui, font face à l’effondrement de leur bel idéal. Serons-nous de ceux qui laisseront la peur du lendemain nous envahir ou serons-nous de ceux qui restent en compagnie du Christ jusqu’au pied de la croix ? De notre croix …

Aujourd’hui les temps sont anxiogènes et le risque est grand de se laisser égarer. Déposons nos peurs et nos angoisses au pied de cet autel et demandons à Dieu de les convertir en amour, que de nos tombeaux vides, il fasse surgit la lumière.

Seigneur, même si demain nous inquiète et que l’avenir semble incertain, fais que nous soyons des témoins de ta Résurrection.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 16 avril 2025

05.01.2025 – HOMÉLIE DE L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR – MATTHIEU 2,1-12

Quand Dieu se manifeste

Homélie par le Fr. Laurent Mathelot

Nous célébrons aujourd’hui l’Épiphanie, je voudrais réfléchir avec vous sur la séquence « Adoration des Mages – Vie cachée de Jésus – Baptême par Jean – Tentations au désert » que nous présentent les évangiles à partir d’ici et tenter d’en tirer quelques enseignements pour notre vie spirituelle.

On va d’abord se débarrasser du stéréotype de Roi mage. Le texte de Matthieu qui relate l’Adoration des mages ne dit jamais qu’ils sont rois ni, d’ailleurs, qu’ils sont trois. Le terme grec μάγοι (magoï) désigne plutôt des savants, des sages venus d’Orient. Pour les Juifs, les sagesses sont orientales. C’est de Mésopotamie, de l’actuel Irak, que vient Abraham. C’est à l’Extrême-Orient que se trouve Babylone, la ville des sagesses qui ont cherché à s’élever d’elles-mêmes jusqu’à Dieu, dans l’épisode de la Tour de Babel. L’Adoration des mages, ce sont en fait les sagesses orientales qui viennent déposer leurs trésors aux pieds de l’Enfant-Jésus ; les sagesses humaines qui s’inclinent devant l’Incarnation divine. L’apparition d’une étoile est le phénomène cosmique qui, par excellence, interroge la science des hommes – c’est là sa symbolique dans le récit, qui renforce l’idée que les mages sont des savants, des astronomes, des sages qui étudient le cosmos. Le récit de l’Épiphanie met ainsi en scène les premiers à être avertis en eux-mêmes de la venue de Dieu sur Terre : d’abord des bergers, c’est-a-dire des gens simples, n’ayant que leur bon sens pour comprendre le monde et les plus éminents savants de l’époque qui déposent, aux pieds de l’Enfant-Dieu, toute la richesse de leur savoir. Ce que le récit montre ici, c’est que, si la simplicité et la science mènent à Dieu, devant lui, elles s’inclinent.

Épiphanie est un mot grec qui signifie « se manifester, apparaître, être évident, éclatant » – littéralement : « sur-briller ». Pour les bergers comme pour les mages, l’incarnation de Dieu est devenue évidente, éclatante. Plus précisément, on parle de « théophanies » c’est-à-dire de Dieu qui se manifeste, qui apparaît, dont la présence devient évidente. Pour Moïse, le Buisson ardent était une théophanie, une manifestation claire de la présence de Dieu. Nous en trouverons une autre dans l’Évangile de la semaine prochaine, lorsqu’après le Baptême de Jésus, le ciel s’ouvre, que l’Esprit Saint apparaît tel une colombe et qu’une voix venant du ciel proclame : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. ».

Dans nos vies aussi se produisent des événements qui touchent au divin. Nous avons tous dans nos existences – je l’espère – des événements où le temps semble suspendu, comme éternel, même s’il ne dure qu’un instant ; où l’esprit et le cœur se laissent gagner par une plénitude qui emporte tout. Parmi ces parcelles d’éternité qui nous gagnent, il doit y avoir – je pense – la mise au monde d’un enfant : pour nous croyants, donner la vie touche au divin. Pour des parents qui voient naître leur enfant, il y a quelque chose de la manifestation de Dieu dans leur existence. D’autres moments humains ont le goût de la plénitude divine : un « je t’aime » entendu, une tête complice qui se pose sur votre épaule, un moment de pure amitié ou un bel élan de fraternité. Il y a, si on y est attentif, tout au long de l’existence, de nombreux petits moments qui touchent au divin : chaque fois que nous voyons une manifestation authentique d’amour, nous, croyants, y voyons une manifestation de Dieu.

Dans notre vie spirituelle aussi. Si vous vous enfoncez dans la prière, s’il vous arrive de creuser votre relation avec Dieu, vous vivrez de ces moments qui touchent à l’extase spirituelle, qui donnent le sentiment de communion avec le divin, qui nous emportent dans un élan d’éternité. Il y a des prières qui peuvent se révéler intenses et qui n’inondent pas moins le cœur qu’un élan amoureux.

Pour les bergers qui le rejoignent spontanément, pour les mages qui viennent à lui avec leurs sagesses : la rencontre avec le Christ est ce moment d’éternité, cette apparition phénoménale de Dieu dans leur vie qui les emporte vers le divin. Imaginez ce qu’il se passe dans le cœur et l’esprit des mages lorsqu’ils voient leurs espérances réalisées dans cet enfant qui manifeste authentiquement Dieu. Imaginez ce qu’il se passe dans le cœur et l’esprit de Jésus, à son baptême, quand il entend cette voix venue du ciel qui dit « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »

Et puis plus rien, le désert …

Parce que si on réfléchit aux bergers, aux mages venus adorer l’enfant Jésus dans la crèche, pour eux, pendant les trente années qui suivent, il ne se passe rien. A part l’épisode où Jésus, jeune adolescent, viendra retrouver des sages au Temple, pendant trente années le Salut qu’il apporte reste totalement caché, pour ainsi dire : disparu, enfoui. Pour peu que les mages aient été âgés au moment de la venue de Jésus au monde, pour eux, il ne s’est rien passé d’autre …

Et même pour Jésus, après la théophanie de son baptême, les Évangiles nous racontent que l’Esprit l’emporte au désert pour y être tenté. Comme si la joie devait nécessairement retomber ; comme si après toute épiphanie, tout événement lumineux, toute manifestation divine dans l’existence, il devait y avoir un passage à vide … Pour les mères qui accouchent, on appelle cela une dépression post-partum : alors que la plus grande joie, avec leur enfant, vient de leur arriver, certaines mères sombrent dans le blues.

Les manifestations de Dieu, le sentiment d’éternité que donne la joie divine quand elle nous gagne, les grandes joies de nos existences, parce qu’elles changent profondément les choses en nous, parce qu’elles s’affrontent à nos libertés, parce qu’elles donnent à nos vies une autre dimension, les manifestations divines au sein de nos existences créent parfois paradoxalement en nous un sentiment de deuil, d’absence, de vide, de désert.

Ce n’est pas que la joie nous quitte ou nous abandonne, que Dieu après nous avoir comblé de sa présence se retire de nos vies, y laissant le sentiment d’un vide abyssal. Non, c’est que ces joies qui font exulter divinement le corps, pour pleinement s’incarner, doivent aussi rejoindre nos doutes et nos souffrances, dans ce qu’ils ont, eux aussi, de plus présent, d’encore vif.

Toutes les manifestations de Dieu, toutes nos joies les plus intenses finissent par rejoindre nos doutes les plus profonds, nos déserts les plus arides, nos solitudes les plus tristes. C’est précisément le signe qu’il s’agit d’action divine : elle rejoint tout, même le plus désespéré en nous, pour s’y mêler, quelque part s’y diluer et nous soigner. Dieu nous montre alors la puissance de la Résurrection ; à quel point il est guérisseur et qu’ainsi, il sauve véritablement le monde.

Comme les mystiques avec Dieu, les amoureux savent que les lunes de miel ne durent qu’un temps. Ce n’est pas le signe d’un amour qui s’étiole, d’une intensité qui disparaît. C’est le signe que l’amour s’incarne au niveau le plus profond, là où il rencontre nos meurtrissures et les guérit.

Merci Seigneur de nous redonner la joie de Noël à tout instant, par le souvenir de nos épiphanies, de ces rencontres divines qui nous ont profondément changés.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 1er janvier 2025

05.01.2025 – HOMÉLIE DE L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR – MATTHIEU 2,1-12

Le Sauveur de tous les peuples

Pistes pour l’homélie


Textes bibliques : Lire


Dans le prolongement de Noël, nous célébrons aujourd’hui la fête de l’Épiphanie. En évoquant cette fête, nous pensons à la visite des mages auprès de l’enfant Jésus. Mais beaucoup ne connaissent pas la signification de ce mot. Il faut savoir qu’une épiphanie c’est une manifestation éclatante de la présence de Dieu. Ce qui était caché devient évident. Dieu s’est manifesté tout au long de l’histoire de son peuple et il continue aujourd’hui.

C’est ce message que nous trouvons dans le livre d’Isaïe (1ère lecture). Le prophète s’adresse à un peuple qui vit une situation désespérée : il lui annonce une bonne nouvelle : les choses vont changer ; l’avenir reste ouvert ; Dieu confirmera son alliance avec David. La ville de Jérusalem deviendra le centre du monde. Les nations viendront vers elle, non plus pour piller mais pour offrir leurs trésors. Elles reconnaitront “les exploits du Seigneur”, ce salut qu’il apporte à tous les peuples.

La seconde lecture fait suite au bouleversement de Paul sur le chemin de Damas. Il y a reçu une révélation extraordinaire : les nations païennes “sont associées au même héritage, au même Corps au partage de la même promesse dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile”. Le Salut en Jésus Christ est offert à tous. Il faut absolument l’annoncer à toutes les nations. Paul a participé à cette mission. Il a été l’apôtre des étrangers. A travers ses lettres, ses discours et ses voyages dans le monde païen, il témoignera de cet amour universel qui est en Dieu.

L’Évangile nous parle de ces mages qui se sont mis en route pour se prosterner devant le Roi des juifs. Les premiers adorateurs de ce Messie Roi sont des païens. Pour se rendre à Bethléem, ils ont été guidés par une étoile, puis par l’Écriture. Les chefs religieux qui connaissent bien la Bible les ont orientés vers cette ville toute proche de Jérusalem. Arrivés devant ce nouveau-né, ils lui offrent leurs présents : l’or destiné à un roi, l’encens à un Dieu, et la myrrhe à un mortel. Comme les mages, nous sommes appelés à la crèche pour y rencontrer le Seigneur et l’adorer.

Ces mages dont nous parle l’Évangile représentent toutes les nations païennes qui viennent se prosterner devant le Christ Sauveur. A travers elles, c’est le monde païen qui a accès au Salut. L’Évangile nous dit qu’ils se sont mis en route. Mais n’oublions pas : c’est Dieu lui-même qui a agi dans leur cœur. Plus tard, le Christ dira : “Personne ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire à moi.” Cet Évangile de l’Épiphanie doit être lu à la lumière de la Pentecôte. Ce jour-là, les nations rassemblées à Jérusalem découvriront la foi annoncée dans leur langue.

Voilà cette fête de l’Épiphanie : Dieu qui se manifeste au monde sous les traits d’un nouveau-né. Le même Dieu continue à se manifester au monde d’aujourd’hui. Malgré la pauvreté et le péché de ses membres, elle continue à rendre témoignage en annonçant l’Évangile jusque dans les “périphéries”. En ce dimanche, notre solidarité et notre prière sont tout spécialement pour les communautés d’Afrique. Elles ont besoin de notre prière et de notre aide matérielle. Ce sera une manière de prendre part à l’évangélisation de ce continent.

L’Épiphanie c’est ce témoignage extraordinaire qui parvient de l’Église du silence en Syrie, en Irak, en Corée du Nord et dans de nombreux autres pays. Dans leurs prisons ou derrière les barbelés, les chrétiens continuent à prier pour leurs persécuteurs. Beaucoup meurent simplement parce qu’ils ont osé proclamer que Dieu existe. Des Épiphanies, nous pourrions en citer bien d’autres. Dans tous les cas c’est la présence de Dieu qui se manifeste sous des formes variées et diverses.

C’est de cela que nous avons à témoigner dans les ténèbres qui environnent notre terre. Nous y voyons des pauvres de plus en plus pauvres et des riches qui ont peur de perdre ce qu’ils croient être leur force, leur richesse. Qu’en cette fête, l’espérance l’emporte ! Que tous les peuples, riches et pauvres, reconnaissent que le petit enfant trouvé par les mages est leur Sauveur.

En ce jour, nous nous tournons vers loi, Seigneur : “Lumière des hommes, nous marchons vers toi. Fils de Dieu, tu nous sauveras.”

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 29 décembre 2024

07.01.2024 – HOMÉLIE POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR – MATTHIEU 2, 1-12

L’éclat de nos vies

Étymologiquement, le mot « épiphanie », qui vient du grec, signifie « sur-briller ». On le traduit en français par « manifestation », mais on perd alors un peu la notion d’éclat. L’adjectif grec « epiphanês » signifie « illustre ». L’Épiphanie, c’est la célébration de l’éclat du Christ.

Dans l’Évangile, ils ne sont ni trois, ni rois. Mais ce sont des mages, c’est à dire des savants et des astronomes, venus déposer leurs trésors aux pieds de l’enfant Dieu. La symbolique derrière le récit est forte : ce sont les sagesses du monde qui viennent s’incliner devant le mystère de l’incarnation. Et les objets qu’apportent les mages symbolisent cette reconnaissance : de l’or pour signifier sa royauté ; de l’encens pour témoigner de sa divinité : de la myrrhe pour embaumer son corps quand il décédera. Face au mystère d’un Dieu tout-puissant qui prend chair humaine, accepte la souffrance, l’humiliation et même la mort, toutes les sciences s’inclinent. En filigrane du récit de l’Épiphanie, il y a le mystère de la Résurrection. Nous l’avions évoqué le 4e dimanche de l’Avent, en relevant que de nombreuses icônes de la Nativité placent l’enfant Jésus non pas dans une mangeoire mais dans un sarcophage, emmailloté d’un linceul. Dès la crèche, dès la mise au monde de Dieu, vie et mort s’embrassent.

Au début de l’Avent, j’ai rappelé que le cycle de la Nativité que nous célébrons ne s’achevait pas à Noël, mais aujourd’hui, à l’Épiphanie. Noël célèbre la venue intime de Dieu dans notre chair, l’Épiphanie la manifestation de son éclat au monde. Et c’est pourquoi le monde orthodoxe la célèbre avant tant d’éclat ; ce qui nous manque sans doute aujourd’hui.

Ce que nous célébrons ce dimanche, c’est en effet bien plus que la fête des Rois-Mages, qu’une savoureuse galette désignera au hasard d’une fève. Ce que nous fêtons, c’est l’éclat de Dieu illuminant le monde aujourd’hui à travers nos vies. C’est le rayonnement éclatant du Christ à travers notre humanité que nous célébrons aujourd’hui, l’éclat de nos vies.

Prenons donc un temps pour méditer sur cet éclat. Quand ma vie a-t-elle été lumineuse, rayonnante, éclatante ? Certains penseront sans doute à la naissance de leurs enfants, à leur rencontre amoureuse. D’autres se remémoreront peut être quelques succès, quelques belles victoires à l’occasion d’une épreuve. D’autres encore poseront un regard apaisé sur leur passé et se réjouiront de toutes ses lueurs de joie. C’est l’Épiphanie, faisons l’effort de regarder l’éclat de notre vie.

Enfin, peut-être y a-t-il parmi nous des personnes que ne voient que peu d’éclat dans leur vie, qui ont même l’impression pesante de ténèbres, voire qui vivent actuellement un calvaire. Votre prodigieux éclat se trouve dans le simple fait que vous êtes debout – spirituellement debout. C’est votre acceptation du réel et votre volonté d’un pas de plus qui est lumineuse. C’est votre force vitale malgré les épreuves qui est éclatante.

Il y a de l’éclat en chacun de nous et cet éclat c’est l’éclat de notre cœur, l’éclat de notre amour pour la vie et pour les autres. Nos vies sont rayonnantes à mesure que nous nous laissons envahir par l’amour de Dieu, jusqu’à vaincre toute part d’ombre ou de ténèbres.

A Noël, j’avais osé prêcher : « l’enfant de la crèche c’est nous » pour dire que Dieu voulait vivre chaque instant de notre vie. C’est une identité audacieuse que seule une folle espérance peut maintenir : celle de la totale incarnation de Dieu dans nos vies. Aujourd’hui, je proclame : « L’éclat de vos vies, c’est l’amour de Dieu qui vit en vous ».

Bien sûr aujourd’hui nous faisons mémoire de l’Épiphanie de Dieu à travers la naissance de Jésus Christ, mais ce que nous célébrons ce n’est pas tant un souvenir que son actualité. C’est à travers l’éclat de nos vies que Dieu se manifeste au monde aujourd’hui.

Fais, Seigneur, de nos vies des Épiphanies, des manifestations éclatantes de la puissance de ton amour.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RESURGENCE.BE, le 3 janvier 2024

07.01.2024 – HOMÉLIE POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR – MATTHIEU 2, 1-12

Le Sauveur de tous les peuples

Pistes pour l’homélie par l’ Abbé Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


Dans le prolongement de Noël, nous célébrons aujourd’hui la fête de l’Épiphanie. En évoquant cette fête, nous pensons à la visite des mages auprès de l’enfant Jésus. Mais beaucoup ne connaissent pas la signification de ce mot. Il faut savoir qu’une épiphanie c’est une manifestation éclatante de la présence de Dieu. Ce qui était caché devient évident. Dieu s’est manifesté tout au long de l’histoire de son peuple et il continue aujourd’hui.

C’est ce message que nous trouvons dans le livre d’Isaïe (1ère lecture). Le prophète s’adresse à un peuple qui vit une situation désespérée : il lui annonce une bonne nouvelle : les choses vont changer ; l’avenir reste ouvert ; Dieu confirmera son alliance avec David. La ville de Jérusalem deviendra le centre du monde. Les nations viendront vers elle, non plus pour piller mais pour offrir leurs trésors. Elles reconnaitront “les exploits du Seigneur”, ce salut qu’il apporte à tous les peuples.

La seconde lecture fait suite au bouleversement de Paul sur le chemin de Damas. Il y a reçu une révélation extraordinaire : les nations païennes “sont associées au même héritage, au même Corps au partage de la même promesse dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile”. Le Salut en Jésus Christ est offert à tous. Il faut absolument l’annoncer à toutes les nations. Paul a participé à cette mission. Il a été l’apôtre des étrangers. A travers ses lettres, ses discours et ses voyages dans le monde païen, il témoignera de cet amour universel qui est en Dieu.

L’Évangile nous parle de ces mages qui se sont mis en route pour se prosterner devant le Roi des juifs. Les premiers adorateurs de ce Messie Roi sont des païens. Pour ce rendre à Bethléem, ils ont été guidés par une étoile, puis par l’Écriture. Les chefs religieux qui connaissent bien la la Bible les ont orientés vers cette ville toute proche de Jérusalem. Arrivés devant ce nouveau-né, ils lui offrent leurs présents : l’or destiné à un roi, l’encens à un Dieu, et la myrrhe à un mortel. Comme les mages, nous sommes appelés à la crèche pour y rencontrer le Seigneur et l’adorer.

Ces mages dont nous parle l’Évangile représentent toutes les nations païennes qui viennent se prosterner devant le Christ Sauveur. A travers elles, c’est le monde païen qui a accès au Salut. L’Évangile nous dit qu’ils se sont mis en route. Mais n’oublions pas : c’est Dieu lui-même qui a agi dans leur cœur. Plus tard, le Christ dira : “Personne ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire à moi.” Cet Évangile de l’Épiphanie doit être lu à la lumière de la Pentecôte. Ce jour-là, les nations rassemblées à Jérusalem découvriront la foi annoncée dans leur langue.

Voilà cette fête de l’Épiphanie : Dieu qui se manifeste au monde sous les traits d’un nouveau-né. Le même Dieu continue à se manifester au monde d’aujourd’hui. Malgré la pauvreté et le péché de ses membres, elle continue à rendre témoignage en annonçant l’Évangile jusque dans les “périphéries”. En ce dimanche, notre solidarité et notre prière sont tout spécialement pour les communautés d’Afrique. Elles ont besoin de notre prière et de notre aide matérielle. Ce sera une manière de prendre part à l’évangélisation de ce continent.

L’Épiphanie c’est ce témoignage extraordinaire qui parvient de l’Église du silence en Syrie, en Irak, en Corée du Nord et dans de nombreux autres pays. Dans leurs prisons ou derrière les barbelés, les chrétiens continuent à prier pour leurs persécuteurs. Beaucoup meurent simplement parce qu’ils ont osé proclamer que Dieu existe. Des Épiphanies, nous pourrions en citer bien d’autres. Dans tous les cas c’est la présence de Dieu qui se manifeste sous des formes variées et diverses.

C’est de cela que nous avons à témoigner dans les ténèbres qui environnent notre terre. Nous y voyons des pauvres de plus en plus pauvres et des riches qui ont peur de perdre ce qu’ils croient être leur force, leur richesse. Qu’en cette fête, l’espérance l’emporte ! Que tous les peuples, riches et pauvres, reconnaissent que le petit enfant trouvé par les mages est leur Sauveur.

En ce jour, nous nous tournons vers loi, Seigneur : “Lumière des hommes, nous marchons vers toi. Fils de Dieu, tu nous sauveras.”

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 31 décembre 2023

05.11.2023 – HOMÉLIE DU 31ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – MATTHIEU 23,1-12

Hypocrisie et abaissement

Par le Fr. Laurent Mathelot OP

Évangile de Matthieu Mt 23, 1-12

Si on est un tant soit peu conséquent, en tant que prêtre, on les prend avant tout pour soi, les lectures d’aujourd’hui : « Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement (…) j’enverrai sur vous la malédiction, je maudirai les bénédictions que vous prononcerez. » ; « ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. » ; « Ne donnez à personne sur terre le nom de père ».

J’ai pour moi d’être encore un assez jeune prêtre et de ne pas encore me penser comme un « prince de l’Église ». Mais j’ose vous faire une confidence : je suis très mal à l’aise avec les compliments : « Oh, Père ! Comme vous avez bien prêché … » Ce qui m’effraie, c’est la crainte abyssale de la flagornerie ; au fait que je puisse y être sensible. Vous m’aiderez.

Il se pourrait que nous soyons beaucoup ici à nous souvenir d’avoir agit contrairement à nos paroles ; comme le dit l’Évangile : à avoir dit et n’avoir pas fait. C’est sans doute une constante de la nature humaine qu’il arrive que nous recommandions à d’autres d’agir autrement que nous-mêmes n’agissons. Mais ici l’accusation est plus grave : il s’agit de contraindre sous « de pesants fardeaux, difficiles à porter », sans soi-même « remuer du doigt ». Autrement dit : d’imposer à autrui une règle rigide alors que soi-même on ne la respecte pas. C’est l’hypocrisie du pouvoir que dénoncent les textes que nous lisons aujourd’hui. Et, en l’occurrence, l’hypocrisie du pouvoir clérical..

Je ne sais pas si comme moi vous vous penchez de temps en temps sur les causes de l’actuelle déchristianisation de l’Occident, voire des différentes déchristianisations à travers l’Histoire, mais il me semble qu’une des causes majeures de la désaffectation pour l’Église a été son hypocrisie – je l’espère, passée. « Ils disent et ils ne font pas » : on comprend la perte de crédibilité quand on condamne en chaire les vices qui sont pourtant les siens ; on comprend l’absence de crédibilité quand on prêche la fraternité et que l’on exerce soi-même une tyrannie ; on comprend l’anéantissement abyssal de toute crédibilité lorsque des hommes prétendument pétris de l’amour de Dieu violent les enfants qui leur sont confiés.

Les textes aujourd’hui dénoncent l’abus de pouvoir à dessein d’écraser l’autre. Et on aurait tort de restreindre sa réflexion aux seuls pouvoirs institutionnels. Dans tout milieu professionnel ou associatif, au sein des familles, au sein des couples, il y a des enjeux de pouvoir et donc, hélas, la place pour des abus.

Et même en nous-mêmes : il est fort possible de devenir son propre tyran, son propre esclavagiste. Il nous arrive à nous-même « de dire et de ne pas faire » ; et, peut-être, nous arrive-t-il, par ailleurs, d’être envers nous-mêmes d’une complaisance hypocrite. Les deux vont souvent de paire : tyrannie et complaisance …

L’abus de pouvoir est souvent l’artifice de ceux qui cherchent à dissimuler en eux-mêmes une béance, une faille ou une absence morale, une contradiction intime que l’on ne parvient pas à résoudre. C’est forcément le cas, lorsqu’on se pense tout-puissant, intouchable voire que l’on se prend pour Dieu. « Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. » dénoncera l’Écriture qui d’emblée donne la solution : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé ».

C’est un vibrant appel à l’authenticité de soi face à l’hypocrisie. L’hypocrisie ne peut qu’évoluer en tyrannie, laquelle finit par s’exercer et doit alors être dénoncée. Y compris celle que nous exerçons envers nous-même.

Au contraire, au lieu de nous ériger en moralistes, nous mettre au service de la faiblesse. Comme le dit saint Paul : « pleins de douceur (…) comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons », comme le chante le Psaume : « sans avoir le regard fier, ni le cœur ambitieux », mais « d’une âme égale et silencieuse ».

Il y a fort à parier que si nos Églises se sont vidées, c’est parce qu’elles sont tombées par le passé dans un moralisme hypocrite que les scandales récents ont heureusement dévoilé. « À mon tour je vous ai méprisés, abaissés devant tout le peuple » dit Dieu dans le Livre de Malachie (Ml 2,9).

Au contraire, comment se remplissent les Églises ?

Si on regarde les premiers siècles chrétiens, ce n’est pas à coups de catéchisme et de discours théologiques que se sont opérées les conversions. C’est parce que l’Église était la seule à exercer un service social que n’offrait pas l’État. C’est quand elle prend soin des affligés que l’Église est en croissance, lorsqu’elle est au service et pas au pouvoir.

L’Église n’est pas là pour donner des leçons au pécheur, encore moins pour le juger et le condamner. Elle est là pour témoigner de ce que Dieu veut le rejoindre, le relever et finalement l’embrasser. L’Église est au service des pécheurs comme une mère bouleversée tendrait les bras vers son enfant s’il chute.

De même, spirituellement, envers autrui comme envers nous-même, il convient d’être au service et non au pouvoir. Ne pas juger, ne pas condamner mais s’abaisser pour rejoindre de tout cœur celui qui est malheureusement par terre. A cet égard, nous devons être miséricordieux envers tous les pécheurs, y compris celui que nous sommes. Les deux sont d’ailleurs intrinsèquement liés : mon manque de miséricorde envers le propre miséreux que je suis entraînera ma rigidité de cœur envers autrui, ma volonté de juger plutôt que rejoindre les faiblesses humaines. Toutes nos hypocrisies se résolvent par l’abaissement miséricordieux de nous-même au niveau de la misère qui nous touche.

Un vieux père me disait : « Il sent le bouc le Bon Pasteur » et il avait quelque part raison. C’est une manière parlante de redire que Christ a pris sur lui nos péchés (Is 53, 12 ; Mt 8, 17 ; 1 Pi 2, 24). Et c’est le propos de l’Église : affirmer que le Christ est venu rejoindre, relever et embrasser tout ceux qui ne sont précisément pas en odeur de sainteté.

N’ayons pas peur de nous abaisser vers toutes les misères de l’âme humaine. Celles des autres comme les nôtres. Au lieu de juger et condamner, cherchons les moyens de relever ceux qui sont tombés. Il n’y a, en effet, que notre abaissement charitable qui transforme toutes nos hypocrisies en authentique amour.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 31 octobre 2023

05.11.2023 – HOMÉLIE DU 31ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – MATTHIEU 23,1-12

Dans la fidélité à Dieu, vivons ce que nous annonçons.

Par l’Abbé Jean Compazieu

Pistes pour l’homélie


Textes bibliques : Lire


Dans la première lecture et dans l’Évangile de ce jour, chacun en prend pour son grade, les prêtres, le peuple, les scribes et les pharisiens. Le prophète Malachie reproche aux prêtres de son temps de « pervertir l’alliance ». Ils ont pour fonction de se consacrer à Dieu et de chercher sa gloire. Ils doivent enseigner la loi qui leur a été confiée par Moïse. Or voilà qu’au lieu de penser à la gloire de Dieu, ils ne font que rechercher leur seul intérêt. Mais en leur montrant leur péché, le prophète les appelle à la conversion. Il leur rappelle que Dieu est un Père qui aime chacun de ses enfants.

Ce rappel à l’ordre s’adresse aussi à nous tous, prêtres et laïcs. À travers ces paroles du prophète, c’est Dieu qui nous parle aujourd’hui. Il nous invite à accueillir son amour et à nous laisser transformer par lui. Ce qui est premier, c’est précisément cet amour de Dieu pour chacun de nous. Quand nous nous en sommes écartés, il ne cesse de nous appeler à revenir vers lui de tout notre cœur. Son amour va jusqu’au pardon. Quels que soient nos torts, il n’a jamais cessé de nous aimer. Il ne veut que notre bonheur. Nous sommes donc invités à recentrer notre vie sur Dieu et à retrouver son amour.

Dans l’Évangile, Jésus nous montre les pièges de l’autorité. S’adressant à la foule, il dénonce les comportements des scribes et des pharisiens. Mais ce qu’il dit pour eux vaut aussi pour chacun de nous. Qu’il s’agisse des autorités religieuses, politiques ou parentales, ces pièges sont les mêmes.

Premier piège : « Ils disent et ne font pas ». Nous reconnaissons tous le décalage entre nos belles paroles et notre vie de tous les jours. Il est important que chacun pratique ce qu’il enseigne. Un jour, Jésus a dit : « Il ne suffit pas de dire seigneur, Seigneur pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut faire la volonté de mon Père. » Nous sommes envoyés pour annoncer l’Évangile du Christ, mais il importe que toute notre vie soit ajustée à cette Parole.

Deuxième piège : pratiquer l’autorité comme une domination et non comme un service. Jésus reproche aux scribes et aux pharisiens de lier « des fardeaux pesants » et d’en charger les épaules des gens ; mais eux-mêmes « ne veulent pas les remuer du doigt ». Ils ont l’avoir, le savoir et le pouvoir. Cela pourrait être un merveilleux moyen de servir les autres. Au lieu de cela, ils ne pensent qu’à dominer.

Troisième piège : vouloir paraître : « Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes ». Nous connaissons tous cette tentation d’aimer paraître, de rechercher la considération et l’intérêt. Dans le sermon sur la montagne, Jésus nous recommande de n’agir que par amour pour Dieu et par amour pour nos frères sans chercher les louanges des hommes.

Quatrième piège : se croire important, avoir le goût des honneurs. « Ils aiment les places d’honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, ils aiment recevoir le titre de Rabbi (Maître). L’orgueil vient les détourner de Dieu et des autres. Jésus vient leur rappeler la valeur de l’humilité. Les titres et les honneurs ne sont pas mauvais en eux-mêmes. Mais le fait de les porter implique une responsabilité, un témoignage à donner, une mission à accomplir. On ne se grandit qu’en se mettant au service des autres. Cet humble service nous grandit aux yeux de Dieu comme au regard de nos frères.

Dans la seconde lecture, l’apôtre Paul nous donne un merveilleux exemple d’une attitude authentiquement chrétienne et authentiquement apostolique. Plutôt que de se présenter comme apôtre du Christ et d’insister sur l’autorité qui lui vient de Dieu, il adresse aux chrétien un message plein de douceur et d’humilité. Il manifeste envers tous un amour plein d’affection. Sa générosité est extrême. Elle ira jusqu’à offrir sa vie pour les chrétiens. L’attitude de Paul correspond à ce que nous recommande l’Évangile de ce jour. Elle s’inspire de l’amour qui vient de Dieu.

En ce dimanche, les textes bibliques nous provoquent à une véritable remise en question. Le Seigneur nous appelle à revenir vers lui et à nous ajuster à son amour. Il est notre compagnon de route et il chemine avec nous. En célébrant cette Eucharistie, nous le remercions de remettre en l’endroit ce qui était à l’envers dans nos vies.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 29 octobre 2023