05.11.2023 – HOMÉLIE DU 31ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – MATTHIEU 23,1-12

Hypocrisie et abaissement

Par le Fr. Laurent Mathelot OP

Évangile de Matthieu Mt 23, 1-12

Si on est un tant soit peu conséquent, en tant que prêtre, on les prend avant tout pour soi, les lectures d’aujourd’hui : « Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement (…) j’enverrai sur vous la malédiction, je maudirai les bénédictions que vous prononcerez. » ; « ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. » ; « Ne donnez à personne sur terre le nom de père ».

J’ai pour moi d’être encore un assez jeune prêtre et de ne pas encore me penser comme un « prince de l’Église ». Mais j’ose vous faire une confidence : je suis très mal à l’aise avec les compliments : « Oh, Père ! Comme vous avez bien prêché … » Ce qui m’effraie, c’est la crainte abyssale de la flagornerie ; au fait que je puisse y être sensible. Vous m’aiderez.

Il se pourrait que nous soyons beaucoup ici à nous souvenir d’avoir agit contrairement à nos paroles ; comme le dit l’Évangile : à avoir dit et n’avoir pas fait. C’est sans doute une constante de la nature humaine qu’il arrive que nous recommandions à d’autres d’agir autrement que nous-mêmes n’agissons. Mais ici l’accusation est plus grave : il s’agit de contraindre sous « de pesants fardeaux, difficiles à porter », sans soi-même « remuer du doigt ». Autrement dit : d’imposer à autrui une règle rigide alors que soi-même on ne la respecte pas. C’est l’hypocrisie du pouvoir que dénoncent les textes que nous lisons aujourd’hui. Et, en l’occurrence, l’hypocrisie du pouvoir clérical..

Je ne sais pas si comme moi vous vous penchez de temps en temps sur les causes de l’actuelle déchristianisation de l’Occident, voire des différentes déchristianisations à travers l’Histoire, mais il me semble qu’une des causes majeures de la désaffectation pour l’Église a été son hypocrisie – je l’espère, passée. « Ils disent et ils ne font pas » : on comprend la perte de crédibilité quand on condamne en chaire les vices qui sont pourtant les siens ; on comprend l’absence de crédibilité quand on prêche la fraternité et que l’on exerce soi-même une tyrannie ; on comprend l’anéantissement abyssal de toute crédibilité lorsque des hommes prétendument pétris de l’amour de Dieu violent les enfants qui leur sont confiés.

Les textes aujourd’hui dénoncent l’abus de pouvoir à dessein d’écraser l’autre. Et on aurait tort de restreindre sa réflexion aux seuls pouvoirs institutionnels. Dans tout milieu professionnel ou associatif, au sein des familles, au sein des couples, il y a des enjeux de pouvoir et donc, hélas, la place pour des abus.

Et même en nous-mêmes : il est fort possible de devenir son propre tyran, son propre esclavagiste. Il nous arrive à nous-même « de dire et de ne pas faire » ; et, peut-être, nous arrive-t-il, par ailleurs, d’être envers nous-mêmes d’une complaisance hypocrite. Les deux vont souvent de paire : tyrannie et complaisance …

L’abus de pouvoir est souvent l’artifice de ceux qui cherchent à dissimuler en eux-mêmes une béance, une faille ou une absence morale, une contradiction intime que l’on ne parvient pas à résoudre. C’est forcément le cas, lorsqu’on se pense tout-puissant, intouchable voire que l’on se prend pour Dieu. « Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. » dénoncera l’Écriture qui d’emblée donne la solution : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé ».

C’est un vibrant appel à l’authenticité de soi face à l’hypocrisie. L’hypocrisie ne peut qu’évoluer en tyrannie, laquelle finit par s’exercer et doit alors être dénoncée. Y compris celle que nous exerçons envers nous-même.

Au contraire, au lieu de nous ériger en moralistes, nous mettre au service de la faiblesse. Comme le dit saint Paul : « pleins de douceur (…) comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons », comme le chante le Psaume : « sans avoir le regard fier, ni le cœur ambitieux », mais « d’une âme égale et silencieuse ».

Il y a fort à parier que si nos Églises se sont vidées, c’est parce qu’elles sont tombées par le passé dans un moralisme hypocrite que les scandales récents ont heureusement dévoilé. « À mon tour je vous ai méprisés, abaissés devant tout le peuple » dit Dieu dans le Livre de Malachie (Ml 2,9).

Au contraire, comment se remplissent les Églises ?

Si on regarde les premiers siècles chrétiens, ce n’est pas à coups de catéchisme et de discours théologiques que se sont opérées les conversions. C’est parce que l’Église était la seule à exercer un service social que n’offrait pas l’État. C’est quand elle prend soin des affligés que l’Église est en croissance, lorsqu’elle est au service et pas au pouvoir.

L’Église n’est pas là pour donner des leçons au pécheur, encore moins pour le juger et le condamner. Elle est là pour témoigner de ce que Dieu veut le rejoindre, le relever et finalement l’embrasser. L’Église est au service des pécheurs comme une mère bouleversée tendrait les bras vers son enfant s’il chute.

De même, spirituellement, envers autrui comme envers nous-même, il convient d’être au service et non au pouvoir. Ne pas juger, ne pas condamner mais s’abaisser pour rejoindre de tout cœur celui qui est malheureusement par terre. A cet égard, nous devons être miséricordieux envers tous les pécheurs, y compris celui que nous sommes. Les deux sont d’ailleurs intrinsèquement liés : mon manque de miséricorde envers le propre miséreux que je suis entraînera ma rigidité de cœur envers autrui, ma volonté de juger plutôt que rejoindre les faiblesses humaines. Toutes nos hypocrisies se résolvent par l’abaissement miséricordieux de nous-même au niveau de la misère qui nous touche.

Un vieux père me disait : « Il sent le bouc le Bon Pasteur » et il avait quelque part raison. C’est une manière parlante de redire que Christ a pris sur lui nos péchés (Is 53, 12 ; Mt 8, 17 ; 1 Pi 2, 24). Et c’est le propos de l’Église : affirmer que le Christ est venu rejoindre, relever et embrasser tout ceux qui ne sont précisément pas en odeur de sainteté.

N’ayons pas peur de nous abaisser vers toutes les misères de l’âme humaine. Celles des autres comme les nôtres. Au lieu de juger et condamner, cherchons les moyens de relever ceux qui sont tombés. Il n’y a, en effet, que notre abaissement charitable qui transforme toutes nos hypocrisies en authentique amour.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 31 octobre 2023

05.11.2023 – HOMÉLIE DU 31ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – MATTHIEU 23,1-12

Dans la fidélité à Dieu, vivons ce que nous annonçons.

Par l’Abbé Jean Compazieu

Pistes pour l’homélie


Textes bibliques : Lire


Dans la première lecture et dans l’Évangile de ce jour, chacun en prend pour son grade, les prêtres, le peuple, les scribes et les pharisiens. Le prophète Malachie reproche aux prêtres de son temps de « pervertir l’alliance ». Ils ont pour fonction de se consacrer à Dieu et de chercher sa gloire. Ils doivent enseigner la loi qui leur a été confiée par Moïse. Or voilà qu’au lieu de penser à la gloire de Dieu, ils ne font que rechercher leur seul intérêt. Mais en leur montrant leur péché, le prophète les appelle à la conversion. Il leur rappelle que Dieu est un Père qui aime chacun de ses enfants.

Ce rappel à l’ordre s’adresse aussi à nous tous, prêtres et laïcs. À travers ces paroles du prophète, c’est Dieu qui nous parle aujourd’hui. Il nous invite à accueillir son amour et à nous laisser transformer par lui. Ce qui est premier, c’est précisément cet amour de Dieu pour chacun de nous. Quand nous nous en sommes écartés, il ne cesse de nous appeler à revenir vers lui de tout notre cœur. Son amour va jusqu’au pardon. Quels que soient nos torts, il n’a jamais cessé de nous aimer. Il ne veut que notre bonheur. Nous sommes donc invités à recentrer notre vie sur Dieu et à retrouver son amour.

Dans l’Évangile, Jésus nous montre les pièges de l’autorité. S’adressant à la foule, il dénonce les comportements des scribes et des pharisiens. Mais ce qu’il dit pour eux vaut aussi pour chacun de nous. Qu’il s’agisse des autorités religieuses, politiques ou parentales, ces pièges sont les mêmes.

Premier piège : « Ils disent et ne font pas ». Nous reconnaissons tous le décalage entre nos belles paroles et notre vie de tous les jours. Il est important que chacun pratique ce qu’il enseigne. Un jour, Jésus a dit : « Il ne suffit pas de dire seigneur, Seigneur pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut faire la volonté de mon Père. » Nous sommes envoyés pour annoncer l’Évangile du Christ, mais il importe que toute notre vie soit ajustée à cette Parole.

Deuxième piège : pratiquer l’autorité comme une domination et non comme un service. Jésus reproche aux scribes et aux pharisiens de lier « des fardeaux pesants » et d’en charger les épaules des gens ; mais eux-mêmes « ne veulent pas les remuer du doigt ». Ils ont l’avoir, le savoir et le pouvoir. Cela pourrait être un merveilleux moyen de servir les autres. Au lieu de cela, ils ne pensent qu’à dominer.

Troisième piège : vouloir paraître : « Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes ». Nous connaissons tous cette tentation d’aimer paraître, de rechercher la considération et l’intérêt. Dans le sermon sur la montagne, Jésus nous recommande de n’agir que par amour pour Dieu et par amour pour nos frères sans chercher les louanges des hommes.

Quatrième piège : se croire important, avoir le goût des honneurs. « Ils aiment les places d’honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, ils aiment recevoir le titre de Rabbi (Maître). L’orgueil vient les détourner de Dieu et des autres. Jésus vient leur rappeler la valeur de l’humilité. Les titres et les honneurs ne sont pas mauvais en eux-mêmes. Mais le fait de les porter implique une responsabilité, un témoignage à donner, une mission à accomplir. On ne se grandit qu’en se mettant au service des autres. Cet humble service nous grandit aux yeux de Dieu comme au regard de nos frères.

Dans la seconde lecture, l’apôtre Paul nous donne un merveilleux exemple d’une attitude authentiquement chrétienne et authentiquement apostolique. Plutôt que de se présenter comme apôtre du Christ et d’insister sur l’autorité qui lui vient de Dieu, il adresse aux chrétien un message plein de douceur et d’humilité. Il manifeste envers tous un amour plein d’affection. Sa générosité est extrême. Elle ira jusqu’à offrir sa vie pour les chrétiens. L’attitude de Paul correspond à ce que nous recommande l’Évangile de ce jour. Elle s’inspire de l’amour qui vient de Dieu.

En ce dimanche, les textes bibliques nous provoquent à une véritable remise en question. Le Seigneur nous appelle à revenir vers lui et à nous ajuster à son amour. Il est notre compagnon de route et il chemine avec nous. En célébrant cette Eucharistie, nous le remercions de remettre en l’endroit ce qui était à l’envers dans nos vies.

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 29 octobre 2023