Miséricorde divine : le livre qui a bouleversé le pape François

©ALESSIA GIULIANI/CPP

Miséricorde divine : le livre qui a bouleversé le pape François

La miséricorde revêt une importance capitale aux yeux du pape François et il ne manque jamais une occasion de le rappeler. Et si cette clef de son pontificat lui avait été inspirée par la lecture d’un ouvrage pendant le conclave ? C’est ce que soutient le cardinal allemand Walter Kasper, président émérite du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.

Huit ans après, le cardinal allemand s’en souvient encore. C’était en mars 2013. Mgr Walter Kasper est à Rome, comme tous les autres cardinaux-électeurs du monde entier, afin de participer au conclave provoqué par le départ surprise de Benoît XVI. Avant de se retrouver dans la chapelle Sixtine pour désigner le successeur de Pierre, les cardinaux arrivent au compte-goutte et sont accueillis dans la résidence Sainte-Marthe, un bâtiment du Vatican prévu à cet effet, dont le futur pontife fera, bouleversant les usages, son lieu de vie quelques jours plus tard. Le cardinal Kasper se présente à l’accueil et on monte sa valise dans sa chambre, qui se trouve être juste en face de celle de l’archevêque de Buenos Aires, le cardinal Jorge Mario Bergoglio.

C’est la parole de notre Dieu, sans elle nous sommes perdus.

À l’époque, vient de paraître l’édition hispanophone du dernier livre du cardinal Kasper publié un an auparavant, La miséricorde, notion fondamentale de l’Évangile et clef de la vie chrétienne. Le haut prélat en reçoit plusieurs exemplaires de son éditeur et décide d’en remettre à ses confrères hispanophones qui sont alors une vingtaine dans le collège des électeurs. Naturellement, il en apporte un exemplaire à son voisin de chambrée. Et la réaction du futur pontife l’a beaucoup marqué : stupéfait, le cardinal Bergoglio voit le mot « Miséricorde » dans le titre et s’écrit : « C’est la parole de notre Dieu, sans elle nous sommes perdus ». Une version légèrement différente existe de cet événement. On la retrouve dans le livre de Gerard O’Connell, L’élection du pape François (2020, Artège). En effet, selon le vaticaniste canadien, qui a récolté de très nombreux témoignages de cardinaux pendant cette période cruciale du conclave, le Pape serait allé encore plus loin et aurait affirmé au cardinal Kasper : « C’est le nom de notre Dieu ! ».

L’anecdote aurait pu paraître insignifiante si le conclave n’avait pas abouti à l’élection de l’Argentin. D’ailleurs, quelques jours après avoir choisi le nom de François, le pontife s’était présenté à la fenêtre du Palais apostolique pour réciter l’Angélus, et avait évoqué à cette occasion le livre sur la miséricorde du cardinal Kasper, qu’il avait décrit comme l’œuvre d’un « bon théologien ». Il avait même plaisanté, affirmant ne vouloir pas faire de la publicité pour les livres des cardinaux.PUBLICITÉ

Dès cet instant se sont alors croisées la petite et la grande histoire : la miséricorde est en effet devenue par la suite un des mots-clés du pape François. Il s’est mis dans les pas de Jean Paul II, grand admirateur de la mystique sainte Faustine Kowalska, qui avait reçu ce message du Christ : « L’humanité ne trouvera pas la paix tant qu’elle ne se tournera pas vers la source de ma miséricorde ». 

Après le pape polonais et le dimanche de la miséricorde divine, institué le dimanche de l’octave de la fête de Pâques, François a en effet poursuivi cette intuition pour l’Église du XXIe siècle. En 2015, il a ainsi lancé les « vendredis de la miséricorde ». Le principe de ces événements, dans le prolongement du dimanche de la miséricorde divine, est simple : faire au moins d’un vendredi par mois, le jour marqué par un acte concret de miséricorde. 

Source: ALETEIA, le 10 avril 2021

25 ans après “Ut unum sint”, entre prophétie et résistance

Saint Jean-Paul II. Son encyclique "Ut unum sint" est parue le 25 mai 1995Saint Jean-Paul II. Son encyclique « Ut unum sint » est parue le 25 mai 1995 

25 ans après “Ut unum sint”, entre prophétie et résistance

“Ut unum sint”, un appel passionné lancé à tous les chrétiens pour qu’ils répondent à la prière de Jésus pour l’unité de ses disciples. L’encyclique du Pape Wojtyla aide à regarder la réalité ecclésiale d’aujourd’hui avec un engagement œcuménique renouvelé.

Sergio Centofanti

L’encyclique Ut unum sint de Saint Jean-Paul II sur l’œcuménisme porte la date du 25 mai 1995 : vingt-cinq ans plus tard, elle conserve toute sa fraîcheur et sa charge prophétique. Avec un regard qui se projette en avant, il indique un but qui semble lointain, l’unité des chrétiens: Jésus lui-même le veut et avant d’affronter la Passion, il prie le Père pour que les siens soient un.

Le Pape de l’unité

Le Pape Wojtyla ressent fortement ce désir ardent du Seigneur, il le fait sien, et l’œcuménisme devient l’une des priorités du pontificat, car la division des chrétiens est un scandale qui touche l’œuvre même de Jésus: «Croire au Christ, écrit-il, signifie vouloir l’unité». C’est un acte d’obéissance qui élargit les horizons du cœur et de l’esprit. Mais c’est précisément le Pape de l’unité qui doit subir la grande douleur du schisme: il y a des frères catholiques qui ne comprennent pas cet élan vers l’avant. Ce document intervient 7 ans après l’ordination épiscopale illégitime conférée par Mgr Marcel Lefebvre qui, en 1988, a marqué une rupture avec Rome.

Jean-Paul II accusé de relativisme par les traditionalistes

L’archevêque traditionaliste français accuse le Pape polonais et le Concile Vatican II d’un «faux œcuménisme» qui conduit «l’Église à la ruine et les catholiques à l’apostasie»: il se sent investi par la Providence pour s’opposer à «la Rome moderne, infestée de modernisme», afin qu’elle «redevienne la Rome catholique et retrouve sa Tradition deux fois millénaire». Marcel Lefebvre meurt en 1991. Ses successeurs attaquent l’encyclique de Jean-Paul II parce que, disent-ils, non seulement elle conduit à un «relativisme dogmatique», mais «de fait» la contient déjà. Une position qui repose sur «une notion incomplète et contradictoire de la Tradition», avait déjà dit Jean-Paul II dans la Lettre Apostolique Ecclesia Dei, juste après le schisme de 1988.

Le dialogue est une priorité qui permet des découvertes inattendues

Le document pontifical envisage l’avenir avec courage ; il indique que le dialogue est une priorité et une étape nécessaire pour découvrir les richesses des autres. Il voit toutes les étapes franchies vers l’unité avec les différentes Églises et communautés chrétiennes, à commencer par l’abolition mutuelle des excommunications entre Rome et Constantinople et les Déclarations christologiques communes aux anciennes Églises d’Orient. C’est un chemin qui permet des «découvertes inattendues» dans la conscience que «la diversité légitime ne s’oppose pas du tout à l’unité de l’Église». «Les polémiques et les controverses intolérantes, lit-on dans le texte, ont transformé en déclarations incompatibles ce qui était en fait le résultat de deux regards scrutant la même réalité, mais de deux points de vue différents». C’est un chemin qui permet de «découvrir l’insondable richesse de la vérité» et la présence d’éléments de sanctification «au-delà des frontières visibles de l’Église catholique».

L’expression de la vérité peut avoir de multiples facettes

Il ne s’agit pas de «changer le dépôt de la foi» ni de «changer le sens des dogmes», explique saint Jean-Paul II, mais «l’expression de la vérité peut avoir des formes multiples» car «la doctrine doit être présentée d’une manière qui la rende compréhensible à ceux auxquels Dieu lui-même la destine», quelle que soit la culture à laquelle ils appartiennent, en évitant toute forme de «particularisme ou d’exclusivisme ethnique ou de préjugé racial», comme «toute arrogance nationaliste».

Du dialogue de la doctrine au dialogue de l’amour

L’encyclique indique la nécessité du fait que «dans l’exposition de la doctrine catholique, la manière et la méthode ne soient pas un obstacle au dialogue avec les frères», sachant qu’il existe «une hiérarchie des vérités de la doctrine catholique». L’Église, affirme Jean-Paul II, «est appelée par le Christ à cette réforme continue» qui «peut demander la révision de certaines affirmations ou de certaines attitudes.». «Le dialogue, rappelle-t-il, ne s’articule pas exclusivement autour de la doctrine, mais implique toute la personne» car «c’est aussi un dialogue d’amour». C’est de l’amour que «le désir d’unité est né». C’est un chemin qui exige «un travail patient et courageux. Ce faisant, il convient de ne pas imposer d’autres obligations que celles qui sont indispensables».

La primauté de la prière: converger vers l’essentiel

Dans l’œcuménisme, observe le Pape polonais, la primauté revient à la prière commune. Les chrétiens, en priant ensemble, découvrent que ce qui les unit est beaucoup plus fort que ce qui les divise. Le renouveau liturgique opéré par l’Église catholique et les autres communautés ecclésiales a permis des convergences sur l’essentiel et, ensemble, elles se tournent de plus en plus vers le Père avec un seul cœur: «Parfois, la possibilité de pouvoir enfin sceller cette communion “réelle bien que pas encore plénière” semble assez proche. Qui aurait pu seulement l’envisager il y a un siècle?».

Un engagement commun en faveur de la liberté, de la justice et de la paix

Parmi les avancées sur la voie de l’œcuménisme, l’encyclique souligne la collaboration croissante des chrétiens appartenant à diverses confessions dans leur engagement pour «la liberté, la justice, la paix, l’avenir du monde»«la voix commune des chrétiens a plus d’influence qu’une voix isolée» pour «faire triompher le respect des droits et des besoins de tous, spécialement des pauvres, des humiliés et de ceux qui sont sans défense». Pour les chrétiens, souligne le Pape polonais, il ne s’agit pas de simples actions humanitaires, mais de répondre à la parole de Jésus, telle que nous la lisons dans le chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu: «J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger …».

Changer de langage: de la condamnation au pardon mutuel

Jean-Paul II appelle à un changement de langage et d’attitude : il faut éviter le style agressif et antagoniste de l’opposition, le «défaitisme qui tend à tout voir par la négative», «cet enfermement non évangélique dans la condamnation des autres» et ce «mépris qui découle d’une présomption malsaine». Il faut, au contraire, «faire tout ce qui est possible, avec l’aide de Dieu, pour abattre les murs de division et de méfiance, pour surmonter les obstacles et les préjugés», en éliminant les mots et les paroles qui blessent, en choisissant la voie de l’humilité, de la douceur et de la générosité fraternelle. Ainsi, avec le temps, on ne parle plus d’hérétiques ou d’ennemis de la foi, mais d’«autres chrétiens», «d’autres baptisés». «Ce développement du vocabulaire, souligne le Pape Wojtyla, traduit une évolution notable des mentalités». C’est un chemin de conversion qui passe par une voie obligée: le repentir mutuel pour les torts commis. Et Jean-Paul II demande pardon pour les fautes commises par les membres de l’Église.

Le primat du Pape: un service d’amour

La pleine unité a en Pierre son point de référence visible, et Jean-Paul II lance un appel aux communautés chrétiennes pour trouver une forme d’exercice du primat pétrinien qui, «sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission» s’ouvre à une situation nouvelle, comme «un service d’amour reconnu par les uns et les autres».

Une Église sur le chemin de l’unité

Ut unum sint est une splendide synthèse du parcours de l’Église à travers ses 2000 ans d’histoire. C’est une lumière qui indique la voie à suivre, en continuant dans la même direction que ceux qui nous ont précédés. Elle montre le caractère vivant de la Tradition, laquelle, comme le dit le Dei Verbum, trouve son origine chez les Apôtres et progresse dans l’Église sous l’assistance de l’Esprit Saint qui fait grandir l’intelligence de la foi. Dans ce voyage, affirme Jean-Paul II en citant saint Cyprien, les frères doivent apprendre à se rendre à l’autel une fois réconciliés, car «Dieu ne reçoit pas le sacrifice de l’homme qui vit dans la dissension». Au contraire, «le plus grand sacrifice que l’on puisse offrir à Dieu, c’est notre paix, c’est la concorde fraternelle, c’est le peuple rassemblé par cette unité qui existe entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit». Telle est la dernière invitation du dernier Pape du XXe siècle: demander au Seigneur la grâce de tous nous préparer au sacrifice de l’unité.

Source: Vaticannews, le 25 mai 2020