François, Poutine et Xi. Les déboires de la « diplomatie parallèle »

Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso (traduction de diakonos.be) :

François, Poutine et Xi. Les déboires de la « diplomatie parallèle »

L’attribution au cardinal Matteo Zuppi d’une « mission » de paix en Ukraine sans davantage de précisions constitue la dernière initiative personnelle prises par le Pape François au nez et à la barbe des diplomates de la Secrétairerie d’État.

En plus d’être archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, Mgr Zuppi est également l’un des membres historiques de la Communauté de Sant’Egidio, universellement connue pour la « diplomatie parallèle » qu’elle exerce depuis de nombreuses années dans plusieurs parties du globe.

Mgr Zuppi sait qu’il n’est pas aimé en Ukraine, ni par le gouvernement de Kiev, ni par l’Église grecque catholique locale. Dans le flot ininterrompu de ses déclarations sur la guerre, il s’est toujours gardé d’approuver avec clarté aussi bien le droit de l’Ukraine à prendre les armes pour se défendre contre l’invasion russe que les livraisons d’armes de la part de nombreuses nations occidentales. « Le chrétien – a-t-il déclaré – est un homme de paix qui choisit une autre manière de résister : la non-violence ».

Évidemment, ces paroles sont du pain bénit pour Russie, et plus encore celles du fondateur de Sant’Egidio, Andrea Riccardi, monarque tout-puissant de la Communauté.

Dès le premier jour de l’agression Russe, Riccardi a milité pour la reddition de l’Ukraine et a même lancé un appel pour que Kiev soit déclarée « ville ouverte », c’est-à-dire occupée par l’armée de l’envahisseur sans opposer de résistance.

Et c’est encore ce même Riccardi qui a prononcé le 5 novembre dernier le discours de clôture de l’imposant cortège pacifiste qui a traversé les rues de Rome jusqu’à Saint-Jean-de-Latran pour réclamer le cessez-le-feu, avec des dizaines de bannières de Sant’Egidio mais évidemment pas un seul drapeau ukrainien.

On ne peut qu’être frappé par la distance entre les positions de Zuppi et Riccardi et celles du ministre des Affaires étrangères du Vatican, l’archevêque Paul Gallagher, qui défend quant à lui sans réserve le droit de l’Ukraine à se défendre par les armes.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le Pape François semble également affectionner tout particulièrement la « diplomatie parallèle » de Saint’Egidio avec un autre pays, la Chine.

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En effet, de nouveaux événements sont récemment venu saper l’accord secret sur la nomination des évêques passé en 2018 entre le Saint-Siège et la Chine et renouvelé pour la deuxième fois pour deux années supplémentaires en octobre dernier.

Depuis la signature de cet accord, il n’y a eu à ce jour que six nominations à peine : en 2019 à Jining et Hanzhong (mais dans ces deux cas, les candidats avaient déjà été approuvés des années auparavant, respectivement en 2010 et en 2016) ; en 2020 à Qingdao et à Hongdong ; en 2021 à Pingliang et à Hankou-Wuhan.

Ensuite, pendant plus d’un an, plus rien. Jusqu’à ce que le Saint-Siège communique, le 24 novembre 2022, avoir appris « avec étonnement et regrets » la « cérémonie d’installation » de John Peng Weizhao, ancien évêque de Yujiang, en tant qu’« évêque auxiliaire de Jiangxi » également.

Rome dénonce cet acte comme « ne correspondant pas » avec l’accord en cours et, qui plus est, posé dans le diocèse de Jiangxi qui n’est « pas reconnu par le Saint-Siège », c’est-à-dire avec les frontières unilatéralement définies par le gouvernement de Pékin.

Mais la Chine ne s’est pas arrêtée en si bon chemin et a posé un deuxième acte unilatéral. Le 4 avril 2023, le directeur de la salle de presse vaticane, Matteo Bruni – lui aussi membre de Sant’Egidio – a communiqué que le Saint-Siège « a appris par les médias » que Joseph Shen Bin avait quitté son précédent diocèse de Haimen pour être installé à la tête d’un autre diocèse, celui de Shanghai.

Dans le quotidien de la Conférence épiscopale italienne « Avvenire », le spécialiste de la Chine, Agostino Giovagnoli, cherche à minimiser les faits en faisant remarquer qu’il ne s’agit pas d’une consécration épiscopale mais seulement du transfert d’un évêque d’un siège à l’autre, et qu’il est possible qu’il y ait eu un « malentendu » entre les autorités de Pékin, « peut-être, dans ce cas, à cause d’un changement récent à la tête de l’organisme du Front uni qui traite des affaires religieuses et en partie du catholicisme ».

Giovagnoli est lui aussi membre de haut niveau de Sant’Egidio, en plus d’être professeur d’histoire contemporaine à l’Université catholique de Milan et vice-président de l’Institut pontifical Jean-Paul II pour le mariage et la famille. Il fait partie de l’Institut Confucius de Milan, l’un de nombreux instituts du même nom ouverts par Pékin dans le monde entier pour promouvoir la langue et la culture chinoise.

Mais Shanghai n’est pas un diocèse comme les autres, c’est l’un des plus anciens et des plus importants de Chine. Gouverné jusqu’à sa mort en 2013, à 97 ans, par le jésuite Aloysus Jin Luxian – à ton tour précédé par l’héroïque Ignace Kung Pinmei créé cardinal en secret par Jean-Paul II en 1979 pendant qu’il était en prison – il comptait dans l’ordre de succession l’évêque « souterrain » Joseph Fan Zhongliang, qui avait cédé sa charge à Jin, ainsi que l’évêque auxiliaire Joseph Wenzhi Xing et l’autre évêque auxiliaire, Thaddée Ma Daqin.

Cependant, le premier des trois successeurs potentiels, Fan, est mort en 2014. Le second, Wenzhi, aujourd’hui âgé de soixante-trois ans, préféré par le Vatican, a été contraint par le régime à se démettre en 2011 pour des raisons jamais élucidées. Et le troisième, consacré évêque en 2012 sur accord conjoint de Pékin et Rome, a été arrêté le jour même de son ordination pour avoir démissionné de l’Association patriotique des catholiques chinois, l’instrument principal à travers lequel le régime exerce son contrôle sur l’Église. Et depuis lors, il est toujours aux arrêts malgré qu’il se soit publiquement rétracté, et il reste assigné à résidence dans le séminaire attenant au sanctuaire marial de Notre-Dame de She-Shan, dans les environs de Shanghai.

En revanche, après une décennie de diocèse vacant, ce sont à présent les autorités chinoises qui ont choisi et installé unilatéralement le nouvel évêque de Shanghai. Et l’on comprend pourquoi. Shen est le numéro un des évêques inféodés au régime communiste, il est vice-président de la Conférence politique consultative du peuple chinois, l’organe composé de plus de deux mille délégués appelés à approuver les décisions du président Xi Jingping et du leadership du parti, et c’est également le chef du Conseil des évêques chinois, la conférence épiscopale fantoche jamais reconnue par Rome qui désigne tous les nouveaux évêques en vertu de l’accord secret de 2018, ne laissant au Pape que la faculté de l’approuver ou pas.

De plus, le nouvel évêque de Shanghai est un habitué des meetings internationaux organisés par la Communauté de Sant’Egidio. Les derniers auxquels il a pris part étaient ceux de Münster et d’Osnabrück en septembre 2017 et de Bologne en octobre 2018, le diocèse dirigé par Mgr Zuppi depuis trois ans.

Mais de là à penser que la « diplomatie parallèle » philo-chinoise de Sant’Egidio puisse influer sur une amélioration des rapports entre Rome et Pékin, il y a de la marge.

Cet optimisme, déjà largement contredit par les faits, a récemment été douché par la récente interview donnée par l’évêque jésuite de Hong Kong, Stephen Chow à « La Civiltà Cattolica » de retour d’un voyage à Pékin sur invitation de l’évêque de la capitale, Joseph Li Shan, président de l’Association patriotique des catholiques chinois, lui aussi très proche du régime.

Mgr Chow a fait explicitement référence aux deux affaires de Jangxi et de Shanghai pour déduire que « l’accord n’est pas mort » mais qu’il révèle une série de « différences de points de vue entre les deux parties » qui exigeraient des « entretiens plus réguliers et approfondis », notamment « sur les présupposés censés régir le processus de dialogue entre les parties impliquées ».

Il a jouté que « ceux qui sont opposés à l’accord provisoire semblent plutôt défavorables au Pape François », même si « une grande majorité des catholiques en Chine » reste « fidèle au Pape ».

Mais il a surtout tiré un bilan négatif de l’accord, quand il a déclaré qu’ « environ un tiers des diocèses du continent » continue à rester « dans l’attente d’une nomination épiscopale respective ».

En effet, c’est bien ainsi que sont les choses. D’après le Vatican, il y aurait 147 diocèses dans toute la chine, y compris Macao et Hong Kong. Mais il y a aussi le décompte du gouvernement chinois qui a redessiné unilatéralement toutes les frontières et réduit les diocèses au nombre de 99.

Or, sur ces 99 diocèses, 34 sont encore sans évêque, malgré l’accord sur les nouvelles nominations. La liste détaillée des diocèses vacants, avant que n’éclatent les affaires de Jiangxi et de Shanghai, a été publié par « Asia News », l’agence de l’Institut pontifical des Mission étrangères de Milan, qui est spécialisé sur la Chine.

En outre, d’autres statistiques laissent transparaître une Église en difficultés. Dans les séminaires chinois, aussi bien « officiels » que « souterrains », le nombre de candidats à la prêtrise est passé de 2400 au début du siècle à 420 à peine en 2020, qui « peinent à se faire confiance entre eux et ont tendance à rester isolés », a constaté un missionnaire à Hong Kong, qui a rédigé sur thèse de doctorat sur ce sujet.

Mais ce sont surtout les vexations et les restrictions imposées à de nombreux évêques, à bien des prêtres et à un grand nombre de simples baptisés qui pèsent sur l’Église catholique chinoise. Parmi les évêques qui se trouvent davantage dans la ligne de mire, outre l’évêque auxiliaire de Shanghai Ma Daqin dont nous avons parlé, il faut également mentionner :

– l’évêque de Xhanhua, Augustin Cui Hai, jeté en prison à plusieurs reprises ces dernières années et de nouveau arrêté dans une ville inconnue, qui ne donne plus de nouvelles depuis 2021 ;

– l’évêque de Baoding, James Su Zhimin, dans les mains de la police depuis plus de 25 ans, après en avoir déjà passé plus de 40 aux travaux forcés sous Mao Tsé Toung.

– l’évêque de Wenzhou, Shan Zhumin, arrêté à plusieurs reprises et détenu par la police ;

– l’évêque de Zhengding, Jules Jia Zhiguo, assigné à domicile depuis le 15 août 2020 ;

– l’évêque de Xinxiang, Joseph Zhang Weizhou, emprisonné le 21 mai 2021 et depuis lors détenu on ne sait où ;

– l’évêque auxiliaire de Xiapu-Mindong, Vincent Quo Xijin, assigné à résidence, forcé sous la contrainte à démissionner de toutes ses charges.

Les plus persécutés sont les évêques « souterrains », privés de la reconnaissance officielle du régime. Et même quand, écrasés par la pression, ils finissent par accepter de s’enregistrer, les autorités les emmènent dans des endroits secrets où ils sont soumis à des sessions de « rééducation » politique, jusqu’à ce qu’on soit certain qu’ils donnent des gages de soumission.

Jamais ni la hiérarchie chinoise ni les autorités vaticanes et encore moins le Pape François n’ont jamais émis la moindre protestation en public contre tout cela. Le seul à avoir haussé le ton à plusieurs reprises, c’est le vieux cardinal Joseph Zen Zekiun, lui aussi arrêté et condamné il y a quelques mois pour avoir défendu la liberté de ses concitoyens de Hong Kong et qui est à l’heure actuelle toujours inculpé de « collusion avec des puissances étrangères ».

À Hong Kong, plus de mille personnes, dont beaucoup sont chrétiennes, sont incarcérées pour avoir participé aux manifestations pour la démocratie de 2014 et de 2019. Lors d’une de ses visites aux détenus, le cardinal Zen a également baptisé Albert Ho, un important leader démocratique.

Dans son message de pâques adressé à ses fidèles peu avant son voyage à Pékin, l’actuel évêque de la ville, Mgr Chow, a demandé aux autorités politiques de faire preuve de clémence envers ces prisonniers, dans l’optique d’un apaisement.

Et il reste à espérer que ce geste de la part d’un confrère jésuite puisse encourager le Pape François à remettre en question sa « voie chinoise », plus encore que la stérile « diplomatie parallèle » de Sant’Egidio.

Source : DIAKONOS, le 24 mai 2023

François, pape à vie. Mais sans un successeur « à lui »

Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso (traduction de Diakonos.be) :

François, pape à vie. Mais sans un successeur « à lui »

« Je suis encore vivant », ce sont ses propres mots. Après son dernier séjour à l’hôpital, Jorge Mario Bergoglio fait tout pour décourager ceux qui tablent sur une sortie de piste imminente de sa part. Mais ce qui est en train de se passer au crépuscule de ce pontificat ne laisse pas présager une succession qui aille dans son sens, au contraire.

Un mois avant Pâques, François a introduit cinq nouveaux cardinaux dans le conseil des neuf qui devraient l’aider à gouverner l’Église universelle. Tous plus ou moins proches de lui, avec en tête le cardinal et jésuite Jean-Claude Hollerich, qu’il a également parachuté à la tête du synode mondial au moyen lequel il voudrait changer la structure de l’Église catholique, de hiérarchique à un régime d’assemblée.

Militant activement pour un changement de paradigme dans la doctrine catholique de la sexualité, Hollerich est effectivement le cardinal favori de Bergoglio, et beaucoup voient en lui le successeur qu’il souhaiterait avoir. Mais c’est également le cardinal qui concentre toutes les critiques, à l’instar de l’américain Robert McElroy, lui aussi très aimé par François. L’un et l’autre ont été publiquement taxés d’« hérétiques », justement à cause de leurs thèses doctrinales hasardeuses, et pas par un professeur de théologie isolé mais bien par d’autres cardinaux de premier plan : hier l’australien George Pell et aujourd’hui l’allemand Gerhard Müller, l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Aux États-Unis, l’évêque de Springfield, Thomas J. Paprocki, éminent canoniste et président de la Commission de la Conférence épiscopale sur le gouvernement de l’Église, a même expliqué par écrit, dans la prestigieuse revue « First Things », qu’un cardinal « hérétique » est également automatiquement excommunié et qu’il devrait donc être démis de ses fonctions par « l’autorité compétente », qui dans ce cas est le Pape. Mais ce dernier ne fait rien, avec pour conséquence paradoxale qu’un « cardinal excommunié pour hérésie pourrait également voter au conclave ».

Ce conflit a été encore davantage attisé par la décision des évêques d’Allemagne et de Belgique d’approuver et de pratiquer la bénédiction des couples homosexuels, interdite par le Dicastère pour la Doctrine de la foi, mais que le Pape a ensuite laissé faire malgré qu’il en ait initialement signé l’interdiction. Avec pour résultat que le camp progressiste lui-même se déchire, sur cette question et sur bien d’autres, avec d’un côté Hollerich et McElroy et de l’autres Walter Kasper, adversaire historique de Joseph Ratzinger en théologie, et Arthur Roche, Préfet du Dicastère pour le culte divin et ennemi implacable de l’ancienne messe en latin, tous deux toujours plus critiques des excès des novateurs, parce que « on ne peut pas réinventer l’Église » au risque de « tomber dans un schisme ».

Certes, sur le plan de la communication, les novateurs occupent le devant de la scène. Ils récitent une leçon rédigée pour eux depuis l’extérieur par le « politiquement correct » séculier, qui le leur rend bien. Mais ensuite quand, au sein de l’Église, on va au fond des choses, on découvre que les novateurs sont loin d’être majoritaires, même en Europe.

Fin mars, l’élection du nouveau président de la Commission des épiscopats de l’Union européenne en a surpris plus d’un. Le président sortant était le cardinal Hollerich, avec en lice pour lui succéder Antoine Hérouard, l’archevêque de Dijon, l’homme de confiance du Pape, qui l’avait déjà utilisé pour inspecter et mettre sous tutelle un diocèse d’orientation traditionnaliste, celui de Fréjus-Toulon, ainsi que le sanctuaire marial de Lourdes.

Et c’est pourtant l’italien Mariano Crociata, qui a été élu, l’évêque de Latina, mis au placard par le Pape François depuis le début de son pontificat pour le punir de la manière dont il avait joué son précédent rôle de secrétaire général de la Conférence épiscopale italienne, jugée par le Pape comme trop sourde à ses attentes. Une véritable claque qui n’a pas fini de faire parler d’elle, vu comment, au cours de l’audience qu’il a accordée à la Commission après le vote, François s’est montré glacial avec le nouvel élu Crociata et au contraire chaleureux pour manifester sa « reconnaissance » à tout ce qu’avait fait son prédécesseur Hollerich qui « ne s’arrête jamais, jamais ! ».

Le vote des évêques d’Europe de l’Est aura certainement pesé en faveur de Crociata. Mais le rôle des évêques de Scandinavie a été tout aussi déterminant, eux qui avaient adressé une lettre à leurs fidèles sur la question de la sexualité, diffusée le cinquième dimanche de Carême, et qui a eu un grand écho dans le monde entier par la nouveauté de son langage et la solidité de son contenu, parfaitement en ligne avec l’anthropologie biblique et avec la doctrine catholique qui en dérive, et donc opposée aux thèses d’Hollerich et consorts. Dans sa recension pour le quotidien laïc « Domani », Giovanni Maria Vian, ex-directeur de « L’Osservatore Romano » et professeur de littérature chrétienne antique, a reconnu dans cette lettre de la petite catholicité scandinave le fruit bénéfique « de ces minorités créatives présentes dans nos sociétés sécularisées, comme l’avait déjà prédit il y a plus d’un siècle le jeune Joseph Ratzinger ».

Autrement dit, rien ne laisse présager que le successeur de François puisse être un Hollerich ou un autre personnage du cercle papal. Le cardinal sino-philippin Luis Antonio Gokim Tagle, plusieurs fois cité comme papable, est depuis longtemps hors-jeu, tombé en disgrâce aux yeux de Bergoglio lui-même.

Mais ce sont surtout les « processus » confus mis en branle par le pontife actuel, avec l’actuel désordre doctrinal et pratique croissant qui en découle qui mine l’élection d’un successeur susceptible de poursuivre la même route.

L’échec de la réforme de la Curie, qui éclate au grand jour avec le procès sur les malversations de Londres, rendent chaque jour plus évident que le pape savait tout et approuvait tout, et l’accumulation des revers en politique internationale, de la Russie au Nicaragua en passant par la Chine – qui a même imposé ces derniers jours « son » évêque de Shanghai sans même consulter Rome, au mépris de cet accord tant vanté -, participent également à ce désordre, inexorablement destiné à produire, lorsqu’on arrivera au changement de pontificat, la volonté de marquer un tournant décisif, dans le chef d’une grande partie du collège des cardinaux, y compris dans les rangs de ceux qui ont été nommés par François.

Sans parler du malaise et des critiques suscité par les coups dans l’eau dans la lutte contre le fléau des abus sexuels : du cas du jésuite Marko Ivan Rupnik, toujours protégé par le pape en dépit de l’extrême gravité des faits qui ont été démontrés, à celui de la démission d’un autre jésuite, Hans Zollner, de la commission pour la prévention des abus, pour manifester son mécontentement de la manière dont elle fonctionnait, alors qu’il était la cheville ouvrière de cette commission voulue et créée par François.

Au beau milieu de toute cette confusion, une candidature se détachait bien de la liste des successeurs potentiels, celle du cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne.

On voyait en lui l’homme capable de poursuivre le chemin commencé par François de manière plus amicale et ordonnée, moins monocratique et sans l’alternance permanente d’ouvertures et de fermetures qui caractérise le pontificat actuel. Pour le soutenir dans la route qui mène au conclave, Zuppi peut compter sur le formidable lobby de la Communauté Sant’Egidio, dont il est un membre historique. Aussi bien la Communauté que lui-même ont toujours évité avec soin de prendre clairement position sur les questions controversées telles que l’homosexualité, le clergé marié, les femmes-prêtres, la démocratie dans l’Église, la guerre en Ukraine, ce qui a eu pour effet de leur valoir un certain consensus parmi les cardinaux plus modérés. Le fondateur et chef incontesté de la Communauté, Andrea Riccardi, historien de l’Église, va même jusqu’à se garder de poser des jugements entièrement positifs sur le pontificat et sur la personne du pape Bergoglio.

Cependant, ces derniers jours, la loquacité de Zuppi – à l’occasion d’un déluge d’interviews à l’imitation de François qui est encore plus loquace que lui – n’a fait que rendre plus évidente l’ambigüité sur laquelle il navigue. Certains l’ont même comparé à Zelig, le personnage caméléonesque inventé par Woody Allen, applaudi par tous sans jamais déranger personne. Trop peu pour lier et pour délier, sur la terre comme au ciel.

Source : L’ESPRESSO, le 11 avril 2023

François, «Nous devons tous faire de la politique pour le bien commun»

La couverture du livre El Pastor, actuellement en librairie en Argentine. La couverture du livre El Pastor, actuellement en librairie en Argentine.

François, «Nous devons tous faire de la politique pour le bien commun»

El Pastor, le livre des journalistes Francesca Ambrogetti et Sergio Rubin, qui sort en Argentine, est le résultat de plusieurs entretiens avec le Pape sur les questions les plus importantes et urgentes de l’Église. De la politique à l’économie, des réformes de la Curie romaine aux menaces qui pèsent sur la maison commune. Une place est également accordée à certains aspects personnels: à propos d’un voyage en Argentine, «Il est injuste de dire que je ne veux pas y aller», note le Pape.

Benedetta Capelli – Cité du Vatican

De El jesuita, écrit en 2010, à El Pastor, un volume en cours de publication en Argentine. Francesca Ambrogetti, ancienne responsable d’Ansa en Argentine, et Sergio Rubin, du quotidien El Clarin, reviennent sur la figure de Jorge Mario Bergoglio. Dans le premier livre, ils avaient recueilli les réflexions du cardinal-archevêque de Buenos Aires, dans ce second, l’approche porte sur le magistère du Pape François: les défis relevés au cours des dix années de son pontificat et les perspectives d’avenir comme «la revitalisation de l’annonce de l’Évangile», dit le Souverain pontife, «la réduction du centralisme du Vatican, la mise hors la loi de la pédophilie… et la lutte contre la corruption économique». Un programme de gouvernement, souligne-t-il, qui «consiste à exécuter ce qui a été déclaré par les cardinaux dans les congrégations générales à la veille du conclave».

Dix-neuf chapitres en 346 pages divisés en un prologue signé par le Pape dans lequel, écrit-il, «je dois reconnaître une vertu à Francesca et Sergio: leur persévérance». Les journalistes proposent une analyse du magistère à travers des interviews périodiques réalisées pendant 10 ans. De nombreux sujets sont abordé : des questions relatives aux immigrés à la défense de la vie, en passant par l’impact des réformes de la Curie romaine et les abus sur les enfants. Sur ce point, François souligne que son pontificat «sera évalué en grande partie par la manière dont il aura traité ce fléau». Puis le mariage et la famille, la menace de la maison commune, le «génie féminin», le «carriérisme» dans l’Eglise. Sur l’homosexualité, il a souligné que «ceux qui ont souffert du rejet de l’Église, je voudrais faire savoir qu’ils sont des personnes dans l’Église».

L’Evangile pour convertir une mentalité

La politique est l’un des thèmes centraux. «Oui, je fais de la politique,répond le Pape, parce que tout le monde doit faire de la politique. Et qu’est-ce que la politique ? Un mode de vie pour la polis, pour la cité. Ce que je ne fais pas, et que l’Église ne devrait pas faire, c’est de la politique de parti. Mais l’Évangile a une dimension politique, qui consiste à transformer la mentalité sociale, voire religieuse, des gens » afin qu’elle soit orientée vers le bien commun.

Un autre thème fort concerne l’économie, François répète que le phare à suivre est la doctrine sociale de l’Eglise, qu’il ne s’agit pas d’une condamnation du capitalisme mais qu’il est nécessaire, comme l’a indiqué Jean-Paul II, de suivre une «économie sociale de marché». Aujourd’hui, ajoute-t-il, la finance prévaut et la richesse est de moins en moins participative, «Nous sommes tous d’accord sur fait que la concentration de la richesse et l’inégalité ont augmenté. Et qu’il y a beaucoup de gens qui meurent de faim».

Clarté dans les finances du Vatican

François s’attarde ensuite sur les affaires financières du Vatican, défendant la bonne foi de la «grande majorité» des membres de l’Eglise, «mais on ne peut nier, dit-il, que certains clercs et beaucoup, je dirais, de faux « amis » laïcs de l’Eglise ont contribué à détourner le patrimoine mobilier et immobilier, non pas du Vatican, mais des fidèles». Evoquant ensuite l’affaire de la propriété londonienne, il souligne que c’est précisément au Vatican que «l’achat suspect» a été détecté. «Je me suis réjoui, dit le Pape, parce que cela signifie qu’aujourd’hui l’administration du Vatican a les moyens de faire la lumière sur les choses laides qui se passent à l’intérieur». Sur les relations entre l’État et l’Église, il dit donc défendre «la laïcité de l’État, pas la laïcité qui, par exemple, n’autorise pas les images religieuses dans les espaces publics».

Prêt à aller en Chine

Concernant l’Argentine, le Pape souligne que «les accusations de péronisme sont monnaie courante» et appelle les syndicats à défendre la dignité des travailleurs et leurs droits. Il maintient également que son intention de se rendre dans le pays «reste valable», «Il est injuste de dire que je ne veux pas y aller». Concernant l’accord entre le Saint-Siège et la Chine, le Pape se dit conscient des problèmes et des souffrances locaux, se montrant disposé à se rendre dans le pays asiatique : «Demain, si c’était possible !».

L’Église n’est pas une mère par correspondance

Enfin, le Pape confesse avoir eu des crises de foi, surmontées avec l’aide de Dieu. «De toute façon, ajoute-t-il, une foi qui ne nous met pas en crise est une foi en crise. De même qu’une foi qui ne nous fait pas grandir est une foi qui doit grandir».

À propos de l’Église du futur, il explique que la proximité est la clé de tout. L’Église est une mère, et je ne connais pas de mères «par correspondance», «La mère donne de l’affection, elle touche, elle embrasse, elle aime. Quand l’Église n’est pas proche de ses enfants parce qu’elle est occupée par mille choses ou qu’elle communique avec eux par des documents, c’est comme si une mère communiquait avec ses enfants par lettre».

Source : VATICANNEWS, le 26 février 2023

François, «un pèlerin de la paix» en RDC et au Soudan du Sud

François, «un pèlerin de la paix» en RDC et au Soudan du Sud

Après la prière de l’angélus, dimanche 29 janvier, François est revenu sur son prochain voyage qui le portera à partir du mardi 31 janvier en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. Un voyage initialement prévu en juillet, repoussé pour des raisons de santé. «Depuis très longtemps je voulais me rendre dans ces deux pays», a affirmé le Saint-Père. 

Pour ce 40e voyage apostolique, le Pape revêtira son habit de «pèlerin de paix et de la réconciliation», a-t-il déclaré à la foule rassemblée place Saint-Pierre, à l’issue de la prière de l’angélus, deux jours avant son départ pour Kinshasa. «Ces terres, situées au centre du grand continent africain, sont éprouvées par de longs conflits, a-t-il développé, la République démocratique du Congo souffre, surtout dans l’Est du pays, en raison d’affrontements armés et de l’exploitation, le Soudan du Sud, déchiré par des années de guerre, a hâte que cessent les violences continuelles qui obligent beaucoup de personnes à vivre déplacées et dans des conditions de grande détresse.»

Le mardi 31 janvier, le Pape quittera Rome pour la capitale de la République démocratique du Congo.

Une Église vivante dans un pays martyrisé

Malgré l’instabilité politique actuelle du pays, l’Église catholique congolaise continue d’être l’une des Églises les plus vivantes d’Afrique. En témoignent le nombre toujours croissant de catholiques, qui représentent environ 33% de la population (dont 90% est chrétienne), la forte fréquentation de l’Église, même chez les jeunes, les vocations florissantes, l’activisme laïc catholique et sa large présence dans la société et dans les médias.

L’est de la RDC compte quelque 120 groupes armés, dont des rebelles islamistes prenant pour cible des civils. Cette visite intervient d’ailleurs deux semaines après un attentat meurtrier revendiqué par l’organisation de l’État islamique (EI) dans une église pentecôtiste du Nord-Kivu.

Soudan du Sud, une étape œcuménique     

Dans son message, le Pape a également rappelé qu’il arrivera au Soudan du Sud, l’État le plus jeune du monde, accompagné de l’archevêque anglican Justin Welby et du révérend Dr Iain Greenshields.

Éprouvé par une instabilité chronique, ce pays pauvre de 11 millions d’habitants a sombré dans une sanglante guerre civile en 2013 opposant les ennemis jurés Riek Machar et Salva Kiir, qui a coûté la vie à près de 400 000 personnes.

Le Pape François a exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation constante pour le sort du peuple sud-soudanais, et a lancé au fil des années plusieurs appels à la paix dans le pays, mais aussi un certain nombre d’initiatives significatives. Parmi celles-ci, la veillée de prière spéciale pour le Soudan du Sud et la République démocratique du Congo qu’il a présidée dans la basilique Saint-Pierre le 23 novembre 2017. La même année, il a également lancé l’initiative «Pope for South Sudan», une contribution financière d’environ un demi-million de dollars américains pour soutenir des projets sanitaires, éducatifs et agricoles dans le pays.

Le 11 avril 2019, le Pape et Justin Welby avait invité les plus hautes autorités civiles et ecclésiales sud-soudanaises à se joindre à une retraite œcuménique au Vatican. À la fin de la retraite, à la maison Sainte-Marthe, Fançois avait accompli un geste hautement significatif: embrasser les pieds du président Kiir et de son rival Machar.

Source : VATICANNEWS, le 29 janvier 2023