La « permanence eucharistique » selon Vera Grita, par Elisabeth de Baudoüin

Vera Grita, par Elisabeth de Baudoüin © Salvator

Vera Grita, Par Elisabeth De Baudoüin © Salvator 

La « permanence eucharistique » selon Vera Grita par Elisabeth de Baudoüin

« Un formidable chemin de sanctification », à l’école de Don Bosco

Elisabeth de Baudoüin publie chez Salvator « Vera Grita, une vie eucharistique »: c’est le premier livre en français sur Vera Grita (1923-1969), une laïque consacrée, coopératrice salésienne, dont la cause de béatification a été ouverte en Italie, dans le diocèse de Savone, en 2019.

Les paroles du Christ à Vera Grita sont en quelque sorte une explicitation pour aujourd’hui de l’intuition spirituelle de Thérèse de Lisieux ou de Faustine Kowlaska: Jésus-Eucharistie demeure dans le baptisé entre deux communions, il ne l’abandonne pas. C’est la révélation d’une « permanence eucharistique » d’autant plus bouleversante après l’expérience des confinements sans accès à la communion: mais le Christ était là. Et… à enseigner aux enfants de la Première communion…

Elisabeth de Baudoüin a été journaliste spécialisée dans les questions religieuses. Elle est auteur de trois livres publiés chez Salvator : « Les saints nous conduisent à Jésus », avec le p. François-Marie Léthel, ocd (2017), « Thérèse et François » (2019) et « Vera Grita, une vie eucharistique » (2021).

Zenit – Le message que le Christ confie à Vera Grita pour saint Paul VI, que l’on vient de fêter le 29 mai, est très fort, en pleine crise des années 60… Qu’est-ce que le Christ demande à Paul VI ?

Il lui demande expressément d’approuver, bénir et diffuser dans le monde entier l’Œuvre des tabernacles vivants, qu’il vient apporter à l’humanité par le biais de cette mystique italienne. Le Christ affirme vouloir « recouvrir la terre » de tabernacles d’un genre nouveau : des hommes et des femmes qui le porteront, Lui, Jésus Eucharistie, non seulement en eux, grâce à la communion, mais, pour certaines âmes appelées et préparées, sur eux, dans une custode Le gardant. En pleine crise de 68, où l’Eucharistie est tellement attaquée, Il exhorte ce pape si critiqué et qu’il confirme dans sa mission, à être le premier de ces tabernacles vivants et ambulants, en Le portant en lui et sur lui à travers ses voyages apostoliques. A ce pape novateur, génial inventeur de ces voyages, il demande de multiplier ces derniers pour pouvoir sillonner avec lui les routes de monde, à la rencontre de l’humanité souffrante et perdue. Coïncidence ou signe que le pape, à qui ont été remis les messages de Vera, les a pris au sérieux ? Les voyages apostoliques hors d’Italie vont s’intensifier, durant les années qui suivent. C’est aussi sous le pontificat de ce pape mal aimé que vont être institués ces « christophores » que sont les ministres extraordinaires de la sainte communion : les laïcs qui portent sur eux Jésus Hostie pour le donner aux malades ou aux personnes en fin de vie.

Le Christ révèle à Vera Grita ce qui était déjà une intuition de Thérèse de Lisieux ou de Faustine Kowalska : la « permanence eucharistique » de Jésus dans celui qui est baptisé, et en état de grâce, et qui communie. Comment est-ce dit dans les écrits de Vera Grita ?

Le Christ dit textuellement qu’il veut « l’adhésion » du tabernacle vivant « à sa permanence eucharistique dans son âme ». Il l’encourage par ailleurs à cultiver cette permanence à travers le souvenir, le dialogue habituel et familier avec Lui, la communion fréquente et l’action de grâce après la communion. « Cette âme m’aura toujours et chaque jour, je renouvellerai en elle ma présence eucharistique, je l’augmenterai grâce à la sainte communion », insiste-t-il. Se trouve ainsi confirmé ce que sainte Faustine Kowalska a déclaré quelque trente ans plus tôt : « J’ai appris que la sainte communion demeure en moi jusqu’à la communion suivante. La présence de Dieu demeure dans mon âme, vivante et perceptible (…). Mon cœur est un vivant tabernacle, dans lequel est conservée l’Hostie vivante [1]. » Quant à Thérèse de Lisieux, qui regrettait tant de ne pouvoir communier plus souvent, son intuition de la permanence eucharistique se traduisait par cette supplique à Dieu : « Restez en moi comme au tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie ».

Est-ce qu’il n’y a pas là une vraie révolution pour la vie eucharistique des baptisés ? Un message pour la fête du Saint-Sacrement ?

Ces trois mystiques – pour ne citer qu’elles – s’inscrivent en faux contre une opinion, largement répandue dans l’Eglise, qui veut que la présence réelle de Jésus dans l’Hostie consacrée ne perdure que quand celle-ci est conservée dans le tabernacle « de pierre », pour les malades ou en vue de l’adoration eucharistique. Pour la communion, c’est une autre affaire : pas de « permanence », mais une présence fugitive, qui s’évanouit, dès que les espèces du pain se sont dissoutes dans le corps. Pour autant, la permanence eucharistique constitue moins une révolution qu’un retour à la source, celle de l’Evangile, où le Christ lui-même affirme : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure (du grec menei, rester) en lui ». Ceci dit, le fidèle qui communie et prend conscience de cette permanence ne peut plus vivre comme avant. Cela l’engage, vis-à-vis de lui-même et du prochain. En ce sens, c’est un formidable chemin de sanctification. « Au tabernacle vivant, j’ouvrira la voie de la sainteté », a déclaré le Christ à Vera. C’est une belle promesse, à relayer au moment de la fête du Saint-Sacrement !

Vera Grita était une laïque, institutrice et coopératrice salésienne : autrement dit les pieds sur terre et dans la belle spiritualité de Don Bosco ?

Vera Grita a été marquée par les salésiens dès son enfance : Ce sont les filles de Marie Auxiliatrice, la branche féminine de la congrégation fondée par don Bosco, qui l’ont préparée à sa première communion, en Sicile. Elle en a gardé un attachement très fort à ces deux piliers de la spiritualité salésienne que sont la communion et la confession fréquentes. En 1944, elle vit une tragédie qui change le cours de son existence : le 4 juillet, elle est piétinée par la foule lors du bombardement de la ville de Savone par l’aviation anglo-américaine. Son corps est massacré et cette ravissante jeune fille de 21 ans, jusque-là en parfaite santé, vivra désormais clouée sur la croix. Elle va alors puiser dans la foi les forces nécessaires pour surmonter cette épreuve et supporter la souffrance physique, qui ne la lâchera jamais. Grâce à ses qualités de courage et de détermination et une intense vie de prière, enracinée dans l’Eucharistie, elle réussit à mener une vie presque normale. Elle passe même le concours pour devenir « maîtresse d’école » et le réussit. Malgré ses difficultés, qu’elle ne met jamais en avant et sur lesquelles elle reste très discrète, elle exerce ce métier avec talent et passion jusqu’à sa mort, en 1969, à l’âge de 46 ans. Entre temps, cette jeune femme de plus en plus priante et proche des salésiens s’est consacrée dans le célibat et, en octobre 1967, elle est devenue coopératrice salésienne. C’est alors que commence l’expérience mystique hors norme qu’elle vit pendant deux ans et qui sera à l’origine de l’Œuvre des tabernacles vivants.

[1] Cf. Petit journal 1302, 29 septembre 1937.

Source: ZENIT.ORG, le 5 juin 2021

«N’ayons pas peur de laisser Jésus-Hostie entrer dans les maisons», par Elisabeth de Baudoüin

Congrès eucharistique de Budapest 2020 @ congressieucaristici.va
Congrès Eucharistique De Budapest 2020 @ Congressieucaristici.va

«N’ayons pas peur de laisser Jésus-Hostie entrer dans les maisons», par Elisabeth de Baudoüin

L’Evangile donne de magnifiques exemples

« Privés de communion eucharistique en cette période de confinement, les laïcs ont faim du Pain de Vie. Que faut-il en penser ? Comment répondre à leur attente ? »: Elisabeth de Baudoüin, laïque, mère de famille, et auteure de « Les saints nous conduisent à Jésus – entretien avec le Père François-Marie Léthel » (Salvator 2017) et « Thérèse et François » (Salvator 2019) répond.

Zenit – Beaucoup de laïcs se sont sentis appelés par Dieu à la communion quotidienne, depuis 10, 20, 50 ans… au milieu des obligations professionnelles, des engagements familiaux et sociaux. Prend-t-on actuellement suffisamment en compte le désir du Christ lui-même de venir à chacun, lorsqu’on ne répond que par des solutions télématiques ?

Elisabeth de Baudoüin – Malgré la bonne volonté et les efforts de part et d’autre, ces solutions ne comblent pas la faim. En particulier chez les « laïcs eucharistiques » : ceux pour qui participer à l’Eucharistie et communier chaque jour ou fréquemment est vital. La communion spirituelle, préconisée par l’Eglise en cette période de pandémie, peut être source de consolation. Des fidèles du monde entier en font actuellement l’expérience, à travers la participation virtuelle à la messe quotidienne du Pape, qui la propose au moment de l’action de grâce. Mais la communion spirituelle ne représentera jamais qu’un « mieux que rien » par rapport à la communion sacramentelle et on ne peut pas les mettre sur le même pied d’égalité. Pourquoi d’ailleurs le Christ aurait-il institué la seconde si la première suffisait ?

Aux laïcs qui ont l’habitude du contact avec le Corps de Jésus, ce contact manque. Ils le recherche en allant auprès du tabernacle, dans les églises ouvertes, mais cela ne suffit pas. Ils sont – en effet – comme Marie-Madeleine qui pleure devant le tombeau vide et dit aux anges : « On a enlevé le Seigneur mon Maitre et je ne sais pas où on l’a mis ». Cette réponse de l’apôtre des apôtres a retenti particulièrement douloureusement dans leur cœur au moment de Pâques. Sans ce contact « charnel », ils ont du mal à chanter Alléluia ! Les prêtres, qui n’en sont jamais privés, le mesurent-ils vraiment ? Pensent-ils en effet aussi à la souffrance de Jésus de ne pas pouvoir se donner dans ce « corps à corps » ?

« Donnez-leur vous-même à manger de peur qu’ils ne défaillent en chemin » : donner ou ne pas donner le Pain de Vie aux baptisés en temps de confinement? L’Eglise Mère n’a-t-elle pas la mission de nourrir le Peuple de Dieu ?

Les attitudes sont manifestement différentes selon les lieux. Certains prêtres cherchent à répondre à cette faim des fidèles, avec toutes les précautions nécessaires. D’autres s’y refusent. Une amie m’a confiée que ces jours derniers, elle s’est retrouvée devant le tabernacle avec son curé, qui sait qu’elle communie habituellement tous les jours. Elle lui a demandé s’il pouvait lui donner le Corps du Christ et il a dit non. Elle s’est alors sentie comme une petite fille à qui sa maman a refusé un bonbon. Comment justifier un tel refus ? Par le fait qu’il ne faut pas séparer la communion au Corps et au Sang du Christ de la célébration liturgique ? Mais dans de telles circonstances, cela ne tient pas ! Par ailleurs, pourquoi refuser le Pain de Vie aux fidèles quand les boulangers, avec toutes les précautions qui s’imposent, continuent à servir le pain de table à leurs clients ? Il ne faut pas être plus royaliste que le roi !

En d’autres circonstances  – camps nazis, goulag, prisons communistes en Asie – les prêtres et les évêques ont déployés des trésors d’ingéniosité pour faire parvenir des miettes d’Eucharistie à leurs codétenus. Quelles solutions pourrait-on inventer en ce temps de danger sanitaire – mortel – pour faire parvenir son Viatique au Peuple de Dieu dénutri mais sans mettre qui que ce soit en danger ?

Le frère Jean-Ariel Bauza-Salinas, op, a très bien répondu à cette question sur Zenit et fait des propositions concrètes en ce sens. Le théologien François-Marie Léthel, ocd, également. A ma place de simple laïque, j’ose ajouter ceci : cette pandémie devrait être l’occasion d’un « bond en avant », dans la confiance des prêtres envers les fidèles laïcs et leur capacité à prendre soin de Jésus Hostie. Leur fidélité à la messe et la communion quotidiennes ou fréquentes relève bien souvent de l’héroïsme et suppose un grand amour de Jésus réellement présent dans le pain et le vin consacrés. L’Eucharistie leur est déjà confié à travers différents ministères : distribuer la communion ou l’apporter aux malades. A présent, il faut aller plus loin !

On marche vers le Congrès eucharistique international de Budapest (13-20 septembre): au lieu d’une « décroissance » du culte eucharistique, la pandémie ne peut-elle pas devenir une occasion de croissance du culte eucharistique dans les familles, dans tout le Peuple de Dieu, reconnu comme adulte et responsable dans son amour de Jésus vivant dans le Pain du Ciel ? 

Oui, la crise que nous traversons devrait permettre à Jésus Hostie d’entrer dans les maisons, spécialement ces petites « églises domestiques » que sont les familles où Jésus est aimé. Il n’y pas de risque que Jésus dans son Saint-Sacrement soit maltraité dans ces familles-là ! Combien y serait-il au contraire « dorloté », en particulier par les enfants qu’il aime tant ! En ce temps de confinement, la communion pourrait même y être organisée, selon des modalités à mettre en place. N’ayons pas peur d’être audacieux et de faire preuve de créativité ! Pardon à mes frères et amis prêtres, mais si le monopole de la célébration des Saints Mystères leur est définitivement acquis, prendre soin du Corps de Jésus ne leur est pas exclusivement réservé. L’Evangile, auquel il faut toujours se référer, comme nous le rappelle si souvent le pape François, particulièrement en période de crise, nous donne de magnifiques exemples en ce sens : Marie Madeleine avec son parfum de prix répandu sur les pieds de Jésus qu’elle sèche avec ses cheveux, Véronique qui essuie son visage ensanglanté sur le chemin qui monte au calvaire, Joseph d’Arimathie qui demande à Pilate son corps crucifié, le descend de la Croix et l’enveloppe dans un linceul (et on peut imaginer avec quel amour il s’y est employé), les saintes femmes qui regardent dans le tombeau pour voir comment ce corps a été placé et s’en retournent pour préparer des aromates et des parfums … sans parler de la Vierge Marie, Mère du Verbe incarné… Ces exemples pourraient nous inspirer pour explorer de nouvelles voies. L’audace et la créativité font grandir l’Eglise.

Source: Zenit.org, le 18 avril 2020 par Anita Bourdain