Syrie: après le séisme, la Via Crucis des chrétiens alépins

Alep, dévastée par la guerre et le séisme du 6 février 2023.Alep, dévastée par la guerre et le séisme du 6 février 2023.

Syrie: après le séisme, la Via Crucis des chrétiens alépins

En ce Vendredi Saint, nous vous proposons les témoignages d’un prêtre jésuite et d’un frère franciscain à Alep en Syrie, pays frappé par douze ans de guerre; et le 6 février dernier, par un séisme qui a touché le sud de la Turquie et le nord de la Syrie où il a engendré dans ce pays la mort de près de 6 000 personnes. 

Jean-Charles Putzolu, Myriam Sandouno – Cité du Vatican

À Alep, les habitations déjà fragilisées par les bombardements se sont effondrées lors du séisme du 6 février dernier. Des milliers d’autres édifices ont été endommagés et ont contraint les habitants à quitter leur domicile. Aux déplacés de la guerre, qui dure depuis douze ans, se sont ajoutés les déplacés du tremblement de terre.

Dans cette agglomération de 2 millions d’habitants, les Églises restent mobilisées pour apporter une aide à la fois spirituelle et matérielle à des gens qui n’ont plus rien, et qui rencontrent chaque jour mille difficultés pour se procurer de l’eau et de la nourriture.

La collecte de Terre Sainte pour les victimes du séisme

Cette année, la collecte du Vendredi Saint sera destinée aux victimes du séisme. Elle sera «d’une grande importance, et en fonction des fonds récoltés nous pourrons construire des nombreux projets humanitaires», confie depuis Alep le frère Bahjat Elia Karakach, de la Custodie de Terre Sainte. «Habituellement, les Syriens ne sont pas seulement des bénéficiaires de la collecte, mais ils y participent activement chaque année. Malheureusement, je ne m’attends pas à ce que cela se produise dans notre pays cette annéeLes gens sont ici tous en dessous du seuil de pauvreté», ajoute le curé latin d’Alep. 

De fait, la situation économique dégradée a amplement impacté la vie des Syriens, et des Alépins en particulier, plus encore après le séisme.

Pour le jésuite Michel Daoud, la population alépine vit tous les jours un chemin de Croix. Comme Simon de Cyrène qui est venu aider Jésus à porter sa Croix, «nous essayerons autant que possible de contribuer un peu, de porter la croix de ces gens autant qu’on le peut. Ce n’est pas toujours facile. Les besoins des gens sont énormes», dit-il en expliquant que les personnes qu’il croise ne viennent pas uniquement chercher une aide spirituelle mais également un soutien matériel, «parce que vivre au quotidien est un besoin urgent. Avoir du pain, avoir de la viande… On ne mange plus de viande, on reste au niveau du riz, au niveau du blé, au niveau des légumes, mais très peu de fruits, très peu de viande, très peu de fromage. Le fromage coute de 30 à 40 000 livres par kilo. C’est très cher. La viande à 70 000 livres. Autrefois elle coûtait 20 livres, 30 livres, mais hier, elle était à 70 000 livres». Des prix insoutenables dans un contexte où le salaire moyen est de l’ordre de 130 000 livres, soit à peine plus de 20 dollars par mois.

Églises et couvents ouverts aux déplacés

Le père Daoud se démène avec ses confrères de la compagnie de Jésus, pour fournir une aide quotidienne à environ 8 000 déplacés dans un camp dont le JRS, le service des Jésuites pour les réfugiés, s’occupe. L’une des priorités, confirmée par frère Bahjat, est de tenter de dissuader les chrétiens d’émigrer. «Toute la jeunesse est en train de quitter le pays», constate amèrement le père Michel. «Nous avons beaucoup de personnes âgées maintenant, très peu de jeunes. Les étudiants, une fois qu’ils ont fini l’université, préparent leur voyage en Europe ou en Amérique. Sinon, ils se sentent un peu abattus. Ils ne se sentent pas encouragés pour préparer leur avenir ici, car tout est un peu en panne, tout est par terre», regrette le jésuite.

Au lendemain de la secousse du 6 février, les Franciscains ont ouvert les portes de leur monastère et de leur église devant les personnes terrifiées, abandonnant leurs maisons dans des circonstances difficiles avec le froid, l’obscurité, la pluie et la peur. «Les gens ont été accueillis dans nos trois monastères situés à Alep, dans différents quartiers de la ville, et les frères ont fourni aux gens, en plus d’un abri et de la chaleur, de la nourriture, des matelas et des couvertures. Ils ont également organisé des séances de soutien psychologique, des prières et des chants pour les soulager», rapporte le frère Bahjat Elia Karakach.

Malgré ce soutien et les efforts déployés par les Églises, beaucoup d’Alépins ne reçoivent aucune aide, «mais il ne fait aucun doute qu’il y a beaucoup des gens comme la veuve dans la Bible qui ne seront pas avares d’offrir l’argent qu’ils possèdent pour le partager avec les familles les plus pauvres. Alors, ce que nous attendons, c’est la consolation qui vient des familles qui ont le cœur pur et des intentions sincères», dit le franciscain en référence à la collecte du Vendredi Saint.

Des vocations qui ne cèdent pas au découragement

Apporter un témoignage d’espérance n’est pas une mission simple dans le contexte actuel du pays. Au milieu des décombres d’Alep, le découragement est au coin de la rue. «Je ne peux pas nier que quelquefois nous sommes un peu découragés. Mais grâce à notre engagement, nous essayons vraiment de nous soutenir par notre vie personnelle, notre vie spirituelle, pour avoir un peu d’élan et continuer», admet le père Daoud. «Je crois que le Seigneur est là pour nous dire: “réveillez vous!”. Quand Jésus était en agonie, Il a trouvé ses disciples endormis et il est venu les réveiller. J’essaie aussi, avec la communauté, d’être autant que possible réveillé pour répondre un peu aux besoins de ces gens», poursuit-il.

La foi du frère Bahjat aussi s’en est retrouvée secouée. «Il ne fait aucun doute que les événements douloureux qui ne nous quittent pas en Syrie nous font nous poser des nombreuses questions. Pourquoi cela nous arrive t il? Où est le Seigneur? Etc. Mais je me retrouve, comme beaucoup ici, à ressentir la main, l’attention et la miséricorde du Seigneur pour nous. Nous sentons que cette douleur nous fait partager sa douleur et c’est le chemin qui nous mènera à sa rencontre et au bonheur à ses côtés», dit le franciscain ajoutant que tout au long de la Semaine Sainte, il invite son troupeau «à prier le Christ crucifié afin que nous puissions jouir de sa paix et nous réjouir de sa résurrection».

Être une source d’espérance

L’engagement du père Daoud est total: «J’essaie de dire à tous ces gens que nous chrétiens, où nous le sommes à fond, où nous ne le sommes pas. Si vous voulez être vraiment chrétien, il faut être témoin dans les moments de peine et dans les moments de joie, dans les jours difficiles comme dans les jours heureux». Après les célébrations pascales «en musique et avec tout ce qu’on peut imaginer comme festivité populaire», le père Daoud retrouvera ses fidèles dans leur vie ordinaire. «J’essaie le plus possible de faire quelque chose pour aider ces groupes, pour qu’ils restent éveillés, pour qu’ils sentent autant que possible que nous chrétiens, nous ne pouvons pas être des gens immobiles quand il y a des crises. Au contraire, c’est une occasion de nous renouveler et de nous recréer de nouveau grâce à l’Esprit-Saint qui est en nous». Le père Daoud sent en lui le désir de transmettre «le goût de vivre, le désir de vivre, une joie de vivre». Sans ce désir, conclut-il «ça ne vaut pas la peine d’être chrétien».

Source : VATICANNEWS, le 7 avril 2023

Alep: la mobilisation des chrétiens pour aider les plus pauvres

Des jeunes bénévoles partent distribuer des colis alimentaires à Alep.Des jeunes bénévoles partent distribuer des colis alimentaires à Alep.

Alep: la mobilisation des chrétiens pour aider les plus pauvres

Dans de nombreuses paroisses d’Alep, quelle que soit leur confession, les chrétiens de Syrie se sont organisés pour essayer de ne laisser personne sur le bord de la route. Distribution de nourriture, de vêtements, d’argent parfois, la solidarité des communautés chrétiennes permet à des milliers de personnes de survivre et de retrouver un minimum d’espérance.

Vatican News

Alep était avant la guerre la ville la plus peuplée de Syrie, devant la capitale Damas. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La cité, qui s’est vidée à cause des Syriens partis à l’étranger pour tenter de trouver un meilleur avenir, compte selon une récente estimation environ 1,8 millions d’habitants contre 4,6 millions en 2010. De fait, il suffit de lever les yeux en direction des fenêtres pour constater le nombre impressionnant d’appartement laissés vides, abandonnés.

La guerre laissera pour des années encore des traces profondes, visibles et non, au cœur de la ville. Lorsqu’on arrive par le sud, il est possible de ne pas se rendre compte immédiatement des effets destructeurs des bombardements. Pendant la guerre, l’armée syrienne occupait le sud de la ville tandis que les «rebelles» et les «terroristes» occupaient les quartiers nord. «Au sud, on ne voit pas les destructions», explique un Alépin qui souhaite conserver l’anonymat. «Les terroristes étaient moins bien équipés que l’armée régulière, moins d’armes lourdes, donc moins de dégâts. En revanche – poursuit-il – si vous allez au nord, vous verrez les conséquences des bombardements aériens de l’armée russe qui venait en appui de l’armée syrienne». Il explique qu’il est assez facile de reconnaitre une maison bombardée du ciel, d’une autre abimée par une roquette : «Les bombes lancées par les avions aplatissent totalement les bâtiments, comme un mille-feuille». Une petite idée des armes utilisées nous est donnée par les carmélites d’Alep qui, le soir du 22 octobre 2016, ont entendu un sifflement dans l’air. Sœur Anne-Françoise, la supérieure, se souvient encore du missile long de six mètres, venu se planter dans le jardin du couvent, sans exploser. Elle n’en connait pas la provenance, les démineurs syriens qui sont venus extraire l’engin, n’ont rien dévoilé. Mais elle assure avoir été protégée par saint Jean-Paul II, que l’on célèbre précisément ce jour-là.

Bâtiments détruits ou endommagés dans le centre d’Alep

Bâtiments détruits ou endommagés dans le centre d’Alep

Mais le drame se situe surtout dans la vieille ville, ou tout au moins ce qu’il en reste. Le quartier, reconnu patrimoine mondial de l’UNESCO, n’existe plus. En fait, la vieille ville était entre deux feux, prise en étau entre les différentes parties en conflit. Rien n’a été reconstruit. Les gravas sont encore là, poussés sur le bord de la route pour consentir la circulation. Les ruelles étroites du centre historique son devenus des sentiers bordés de monticules de pierres et de déchets en tous genres, plastiques, canettes…

Fratelli tutti au quotidien

La condition des Alépins est telle que certainement, qui compte aujourd’hui, c’est l’entraide, la fraternité. Entre chrétiens, entre chrétiens et musulmans, entre Alépins, tout simplement. Dans le quartier le plus pauvre d’Alep, qui était la zone rouge durant le siège, duquel personne ne pouvait ni entrer ni sortir à cause des barrages d’une part, mais aussi et surtout à cause des tireurs embusqués perchés dans les étages des bâtiments des alentours, un prêtre argentin s’est installé depuis quatre ans. Hugo Fabian Alvaniz a reconstruit son église et petit à petit, il agrandit sa paroisse. Non, le père Hugo n’a pas la folie des grandeurs, mais il vient en aide à un nombre si important de familles qu’il lui faut s’agrandir. Chaque jour, dans les sous-sols aménagés de la paroisse, la communauté de bénévoles reçoit des enfants pour des heures de soutien scolaire assurés par des étudiants. Il y a des ateliers de couture, de cuisine et toute sorte d’activités utiles pour les 1200 familles que la paroisse du prêtre argentin aide chaque jour. L’atelier cuisine permet de confectionner les repas chauds qui seront livrés aussi au domicile des destinataires. L’atelier couture rend des vêtements réutilisables. Rien ne se perd. Comment fait-il avec si peu ? c’est presque un miracle quotidien. Il y a quatre ans, lorsqu’il s’est installé, il recevait 24 enfants. Ils sont plus de 500 aujourd’hui. «Les familles savent qu’on est là par le ‘bouche à oreille’, et ça n’arrête jamais», dit-il. Sa paroisse accueille aussi des sourds et malentendants. C’est un grouillement de personnes du matin au soir. Un vrai lieu de vie, et de foi.

Une goutte de lait

L’association s’appelle ‘A drop of milk’ et se situe dans une petite rue d’Alep. Elle est unique en son genre, et est dirigée par les frères maristes. Une petite vitrine discrète, avec à l’intérieur deux jeunes en t-shirt bleu clair. Jusque-là, rien de spécial. Mais cette association fournit un kilogramme par mois de lait en poudre à 3000 familles avec des enfants en bas âge, et du lait concentré pour les nouveau-nés. C’est la seule dans toute la ville qui assure un tel service. Le lait est hors de portée de la plupart des gens. À 12 000 livres syriennes le kilo, sur un salaire moyen de 65 à 70.000 livres, le lait est totalement inaccessible. Les jeunes de l’association sont d’ailleurs très attentifs dans leur méthode de distribution. Chaque bénéficiaire est répertorié pour ne pas recevoir plus que la quantité allouée, et à chaque kilo donné, le paquet est ouvert pour éviter qu’il ne soit revendu. À ce prix, le lait en poudre est de l’or blanc.

l’association des frères maristes d’Alep distribuent du lait en poudre pour les enfants.

l’association des frères maristes d’Alep distribuent du lait en poudre pour les enfants.

L’orphelinat des Arméniens

L’engagement de toutes les Églises chrétiennes implique évidemment la communauté arménienne apostolique. Devant leur cathédrale, tous les jours, les orthodoxes arméniens distribuent des repas chauds aux personnes âgées. La plupart des personnes qui en bénéficient sont de la communauté arménienne, mais là aussi, on ne demande pas la religion des pauvres, on les aide, un point c’est tout. Dans les locaux de la paroisse, des bénévoles s’activent en cuisine et préparent des spécialités arméniennes, empaquetées, mises en sac et données devant la porte où un bon nombre de retraités discutent en faisant la queue. Tous ces gens sont d’une dignité exemplaire, bien habillés, coiffées pour les dames, rien ne laisse à penser qu’ils sont dans une situation de grande pauvreté. «Les pauvres ne demandent jamais», confie un religieux. «Ils acceptent qu’on les aide, mais ils ne viennent pas mendier» dit-il. L’explication qu’il donne, c’est que ces personnes étaient aisées avant la guerre, en témoignent leur tenue vestimentaire ou leur niveau d’instruction. Mais après dix ans de guerre et cinq ans de crise économique, ils n’ont plus rien.

Des enfants de l’orphelinat de l’église arménienne apostolique d’Alep

Des enfants de l’orphelinat de l’église arménienne apostolique d’Alep

Au premier étage du bâtiment, la communauté arménienne a ouvert un orphelinat pour 38 garçons et filles âgés de 8 à 22 ans. Chacun ayant une histoire différente à porter comme un fardeau. Ainsi Marina, 21 ans, a atterri ici après avoir fui Hassaké dans le nord, où son père et son frère ont été tués par des miliciens islamistes. Marina a deux autres sœurs : l’une vit en Jordanie et l’autre à Damas, mais elles ne sont pas en condition de pouvoir accueillir la jeune fille. Leur mère est décédée elle aussi, des suites d’une grave maladie.

Des liens très forts se sont créés dans cet orphelinat, les enfants se considèrent comme frères et sœurs, et appellent «tata»le personnel d’encadrement. Ceux qui ont quitté l’institution et qui sont encore en Syrie reviennent souvent pour les fêtes ; les anciens pensionnaires partis vivre à l’étranger envoient de l’argent pour soutenir l’orphelinat.

L’Église Grecque orthodoxe distribue de l’argent aux plus pauvres

L’Église Grecque orthodoxe distribue de l’argent aux plus pauvres

Distribution d’argent chez les grecs-orthodoxes

Non loin de la cathédrale arménienne, l’Église grecque-orthodoxe s’est elle aussi organisée. La file d’attente commence sur le trottoir. À l’intérieur, on distribue des enveloppes de billets pour les familles nécessiteuses. Les bénévoles viennent aussi de recevoir une livraison de chaussures chaudes pour l’hiver. «Tout ce qui peut être fait est fait» dit un responsable du centre en ouvrant un enveloppe contenant 47 000 livres syriennes distribuées à une personne âgée. Pas grand-chose, quand on sait qu’un kilogramme de viande coute plus cher que cela, et qu’en l’absence d’électricité, il faut acheter des «ampères» à 15 000 livres l’unité par semaine auprès de propriétaires de générateurs collectifs, juste de quoi allumer quelques ampoules, mais pas assez pour le four ou la machine à laver. 800 repas sont également distribués chaque jour et soixante-dix pour cent des personnes aidées sont âgées de plus de soixante-dix ans. Les plus jeunes sont déjà partis, les personnes âgées tentent de survivre. Alep comptait 300 000 chrétiens avant la guerre, il n’en reste plus que 20 000. L’aide des Églises est cruciale pour les habitants d’Alep.

Source: VATICANNEWS, le 27 décembre 2021

Mgr Tobji: « La continuité du christianisme est essentielle à Alep »

La cathédrale maronite d'Alep, en Syrie. La cathédrale maronite d’Alep, en Syrie.

Mgr Tobji: « La continuité du christianisme est essentielle à Alep »

À Alep en Syrie, la présence de la culture chrétienne a deux mille ans. Malheureusement, les conditions dans lesquelles verse le pays obligent de nombreux jeunes à partir vers d’autres destinations.

Ils étaient 150 000 avant la guerre. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 30 000. Le nombre de chrétiens a été divisé par cinq, et ces chiffres se réfèrent uniquement à Alep. Dans toute la Syrie, la vague de migration met en péril une présence chrétienne qui remonte aux origines de la foi. Une présence jugée indispensable non seulement pour la Syrie, mais aussi pour le monde occidental. Mgr Joseph Tobji, archevêque maronite d’Alep, dresse un sombre constat dans une interview accordée aux médias du Vatican:

La présence chrétienne en Orient, et par conséquent à Alep, est millénaire. Elle remonte pratiquement à l’époque des apôtres. Il est donc très important que cette présence soit maintenue; d’abord pour le bien de l’Église universelle, pas seulement pour l’Orient, mais également parce qu’il s’agit d’une partie du corps mystique de Jésus, et que la continuité du christianisme ici à Alep, en Syrie, en Orient, est essentielle pour toute l’Église universelle.

Deuxièmement, la présence chrétienne à Alep, en Syrie, est importante pour le pays et même pour les musulmans, car elle reste un pont entre l’Est et l’Ouest. C’est-à-dire que nous parlons arabe, nous sommes arabes par culture, donc nous nous comprenons très bien avec nos compatriotes, nous sommes liés à eux par une fraternité et par une forte amitié. Nous nous comprenons donc bien. Cela profite également aux musulmans et au christianisme en Occident. Nous sommes un pont et nous sommes des liens de culture humaine aussi pour les gens d’ici.

Le centre historique d'Alep, patrimoine de l'humanité, détruit par la guerre

Le centre historique d’Alep, patrimoine de l’humanité, détruit par la guerre

Voulez-vous dire que si les chrétiens et les musulmans, ici, dans ce pays, dans cette région, peuvent se parler, alors ils peuvent se parler et dialoguer partout dans le monde?

Oui, bien sûr, car ici, nous pouvons être un exemple pour le monde entier. Nous prions parfois ensemble, chrétiens et musulmans. Et les gens, les gens simples, ont des voisins musulmans. C’est-à-dire qu’ils travaillent ensemble avec les chrétiens. Cela donne une idée vraiment réelle de notre foi et de nos valeurs humaines, qui viennent aussi de Dieu, et cela contribue à l’ouverture d’esprit des musulmans ici en Syrie. Ici, par exemple, c’est différent de l’Arabie saoudite; l’islam ici est différent de l’islam dans d’autres parties du monde, en Turquie ou en Afghanistan. Parce que les deux religions coexistent ici, il y a un autre environnement, une autre atmosphère d’humanité.

Les sœurs de Jésus – Marie à Damas aident des dizaines de familles chrétiennes en difficulté. Contraintes de fuir par la guerre, elles se sont réfugiées à Damas. En situation de …

Afin de maintenir ce dialogue entre chrétiens et musulmans, les chrétiens doivent rester. Aujourd’hui, le problème est que les jeunes s’en vont. Les jeunes que l’on rencontre vous parlent de leurs études, de leurs amis, ils se montrent avec une grande dignité… puis dès que l’on parle avec eux de leur avenir, la réponse est la même pour tous: ils veulent aller à l’étranger. Dans leur propre pays, ils disent ne pas trouver de source d’espérance…

Bien sûr, ils ne trouvent pas d’espérance, ils ne trouvent pas d’avenir. Un jeune homme « optimiste », disons, ne peut pas vivre dans cet environnement qui est le nôtre en Syrie, de dépression et de pression, mais pas de pression politique, de pression de la vie, de pression de la vie quotidienne. Ensuite, ils étudient pendant cinq ans à l’université et ne trouvent pas de travail, ou s’ils en trouvent un, le salaire n’est pas suffisant pour acheter des cigarettes. Et donc ils regardent toujours vers l’Occident, ils veulent vivre comme en Occident, en pensant à une vie romantique, la belle vie, dans le bon sens du terme, un avenir, un travail, la liberté et le bien-être. C’est ce qui vient toujours à l’esprit des jeunes, surtout lorsqu’ils voient leurs camarades qui sont partis, qui travaillent, qui se prennent en photo devant des beaux immeubles ou dans des parcs. Nous n’avons plus rien de tout cela ici, donc ce rêve ne cesse de se renforcer dans l’esprit de nos jeunes.

Ils n’ont plus d’espérance, ils ne trouvent pas de travail, et ils traversent un contexte économique extrêmement compliqué, que les sanctions internationales sont loin d’arranger. Selon vous, les conditions existent aujourd’hui pour espérer une levée de ces sanctions?

En réalité, je suis pessimiste sur ce front car, humainement parlant, il n’y a aucune raison aujourd’hui pour que les gouvernements occidentaux, américains et européens lèvent les sanctions car ils les ont imposées pour obtenir quelque chose en retour. Et ils n’ont toujours rien obtenu de ce qu’ils exigent. En revanche, je suis optimiste dans la foi car le Seigneur peut tout faire, rien ne lui est impossible, mais humainement parlant, je ne vois pas d’issue.

Temps de prière devant la cathédrale maronite d’Alep, le 22 novembrebb 2021

Parlons de votre cathédrale ici à Alep. Pour ceux qui connaissent la ville, la cathédrale maronite se trouve en plein centre, et pendant les années de guerre, elle était véritablement encerclée, prise entre deux feux, entre les tirs de l’armée et ceux des rebelles. Dans quel état avez-vous trouvé l’église à la fin des combats?

Oui, en fait la cathédrale était juste sur la ligne de front, parce que l’armée syrienne était assise devant la façade et les terroristes, nous disons ‘terroristes’, pas ‘rebelles’, étaient derrière la cathédrale et se tiraient dessus. Comme notre église est le plus haut bâtiment du quartier, elle recevait toutes les bombes et les roquettes. Je l’ai donc trouvé sans toit, toute la coupole avait été transpercée, une bonne partie des murs d’enceinte avaient été abattus… C’était un véritable désastre.

J’ai également été pendant seize ans le prêtre de la cathédrale. Elle représente ma vie ici, et j’ai toujours ressenti, chaque fois que je suis venu après le cessez-le-feu, un pincement au cœur. Et puis je suis devenu évêque et j’ai décidé d’entreprendre les travaux après la guerre. C’est très important de reconstruire, de restaurer cette cathédrale. Elle est un signe d’espérance, un témoignage de la présence chrétienne ici à Alep. Il y avait un fort désir, et une forte insistance, pour qu’on la reconstruise.

Évidemment, nous avons attendu plus de deux ans car avant, nous avons reconstruit les maisons des Aleppins, leurs habitations, et une fois cela terminé, nous sommes passés à l’étape suivante, la reconstruction de la cathédrale. Vous ne savez pas la joie que les gens, les maronites, les fidèles des autres rites, les musulmans aussi, nous ont exprimée: enfin vous êtes de retour! Cette cathédrale est un signe d’espérance, une présence lumineuse.

Source: VATICANNEWS, le 13 décembre 2021