Dans une lettre en espagnol, envoyée à l’hebdomadaire catholique « Alfa y Omega », le Pape rappelle l’expérience des nuits de prière partagées avec son frère dans les années 1950, dans la basilique du Saint-Sacrement de Buenos Aires.
Alessandro De Carolis et Benedetta Capelli – Cité du Vatican
«J’ai été ému» : c’est ce qu’a écrit le Pape François dans une lettre adressée à la revue « Alfa y Omega », après avoir reçu la photocopie d’un registre conservé dans les archives de la basilique du Saint-Sacrement de Buenos Aires, dans lequel étaient notés les noms des «adorateurs nocturnes», c’est-à-dire des personnes qui, le soir à partir de 21 heures, se relayaient pour prier avant l’eucharistie, une pratique en usage dans la basilique depuis 1917. Parmi les noms qui ressortent, il y a ceux de Jorge Mario Bergoglio et de son frère Oscar, qui entre 1954 et 1955 ont partagé cette expérience marquée par une figure fondamentale, celle du père José Aristi, religieux sacramentin, provincial de sa congrégation, qui a passé d’innombrables heures de sa vie de prêtre au confessionnal. Une figure de la miséricorde, aimée et centrale dans la vie de celui qui allait devenir Pape.
Les samedis de la prière
«Venite adoremus» est la phrase que François retient avec «émotion». Les différents adorateurs l’utilisaient pour réveiller la personne qui venait après eux. Depuis sa maison de Flores, dans la banlieue de Buenos Aires, le jeune Jorge – rappelle le magazine – se rendait en bus en centre-ville pour rejoindre la basilique du Saint-Sacrement, et de nombreux samedis soirs étaient consacrés à la prière. «L’adoration commençait vers neuf heures du soir, après le sermon du père Aristi», explique le Pape dans la lettre. La flamme de la vocation avait déjà été allumée en lui, mais, écrit-il, ce qu’il menait était «une vie chrétienne normale». Puis l’expérience de ces nuits d’adoration l’a profondément marqué.
Cette croix ne doit pas finir dans le sol
Lorsque le père Aristi est décédé lors de la veillée pascale de 1996, Mgr Bergoglio, alors évêque auxiliaire, est descendu dans la crypte de la basilique où le corps avait été déposé et, tout en déposant des fleurs, a fait un geste presque impulsif. «J’ai pris, raconte François, la croix du chapelet et je l’ai détachée avec un peu de force». «À ce moment-là, j’ai regardé le prêtre et j’ai dit: « Donne-moi la moitié de ta miséricorde »» et «j’ai ressenti quelque chose de fort qui m’a donné le courage de le faire». Le seul témoin de ce geste, note le magazine, est le prêtre sacramentin Andrés Taborda. «Je me souviens qu’il disait : « c’était mon confesseur. Avec ce chapelet à la main, il a absous beaucoup, beaucoup de pécheurs; il ne lui est pas possible de l’emporter sous terre’’».
Le chapelet dans la poche qui n’est pas là
Le magazine rapporte également l’anecdote racontée par Diego Vidal, un laïc qui coordonne depuis des années les adorateurs nocturnes de la basilique. Il raconte : «Lors d’un congrès eucharistique, dans une province éloignée de Buenos Aires, l’archevêque de l’époque est passé devant moi et je lui ai demandé s’il connaissait le père Aristi. Il s’est arrêté immédiatement et m’a répondu: « Je le connais ?’’ Et il a sorti le chapelet du prêtre de son habit». Depuis lors, pour l’évêque et cardinal Bergoglio, et aujourd’hui pour le Pape François, la croix-chapelet du père Aristi est un compagnon inséparable. «Je l’ai mis ici, dans ma poche», écrit-il encore. «Les chemises du Pape n’ont pas de poches, mais je porte toujours un petit sac en tissu, et depuis lors, ma main va toujours ici. Je ressens la grâce ! L’exemple d’un prêtre miséricordieux, d’un prêtre qui s’approche des blessures fait beaucoup de bien.»
C’est par amour que le Christ a voulu se donner en dépassant les lois de la physique, par la « transsubstantiation ». Notre foi grandit dans la lutte entre ce que l’on perçoit sensiblement et ce que l’on croit spirituellement.
Le Christ a dit à ses apôtres « Faites ceci en mémoire de moi ». La folie de son amour, c’est le sacrifice de la messe. Ce n’est pas seulement un souvenir pour nous émouvoir, c’est un fait : Jésus vient s’offrir à nouveau pour nous sur l’autel comme il le fit sur la croix. Au moment où le prêtre prononce les paroles : » Ceci est mon corps livré pour vous – ceci est la coupe de mon sang versé pour vous », s’opère le grand acte qui nous sauve. Car ce n’est pas le prêtre qui prononce ces paroles, mais c’est le Christ, par la bouche du prêtre. À ce moment précis de la messe, c’est comme si deux millénaires d’histoire étaient balayés et que nous étions contemporains de Marie et de Jean au pied de la croix. De sorte que chacun et chacune peut vraiment faire l’expérience existentielle de la folie de l’amour de Dieu pour nous. Il livre sa chair, il verse son sang. Il a versé tout son sang, rien que pour moi. À ce moment-là, nous touchons ce grand mystère.
Présents au pied de la croix et de l’autel
Par ce fait que la croix et l’autel sont contemporains, nous sommes véritablement en contact immédiat avec le Christ. Nous ne faisons pas un voyage dans le temps, mais nous sommes réellement et spirituellement présents au pied de la croix, au pied du Golgotha, avec Marie et Jean et on voit la folie de l’amour de Dieu pour nous et ce pardon qui va jaillir de son cœur par le sang qui coule comme un flot de miséricorde pour laver les péchés du monde et inonder le cœur des hommes de l’amour du Père.
C’est un « mémorial » et non un nouveau sacrifice, comme si celui de jadis était insuffisant et qu’il fallait y rajouter quelque chose. C’est le même Christ rendu présent parmi nous et qui se donne avec les dispositions d’oblation qui étaient les siennes le soir du Jeudi Saint. On appelle cela un « mémorial », non en ce sens qu’il nous aiderait seulement à nous souvenir de ce qu’il a fait pour nous, mais parce que s’actualise en lui l’évènement initial : nous faisons mémoire devant Dieu de ce qu’il a opéré jadis et nous savons qu’alors il le réalise, selon sa promesse. Voilà pourquoi la participation à la messe est vraiment une grande chose. Même si la communion en est l’aboutissement normal, il y a déjà un grand bienfait à nous unir au sacrifice du Christ par la foi et l’amour. Si nous ne pouvons pas communier, nous pouvons déjà le rejoindre dans le don nuptial qui est le sien. Et puis nous profitons de toute la richesse que l’Église a déployée autour de ce moment décisif : chants, lectures, présence de nos frères, enseignement.
Il nous l’a dit
L’engagement du Seigneur est si total qu’il va jusqu’à nous donner réellement son corps et son sang, non en figure, mais en réalité, il ne se contente pas de dire : « je t’aime », il le prouve, il se donne à nous concrètement, charnellement, dans l’Eucharistie. C’est ce que l’on appelle la présence « réelle » parce qu’elle prend l’apparence d’une chose (res). Elle est la seule de ce type. Jésus est présent au milieu de nous de bien des façons : par sa parole, par nos frères, dans la liturgie, etc. Mais il n’y a que là que la présence atteint cette densité et ce réalisme. Ce que nous voyons comme une chose posée au milieu des autres choses est en réalité une personne vivante. Il prend le risque de se cacher dans une apparence si déconcertante pour que notre rencontre avec lui se fasse dans la foi.
Le mystère de la foi, par excellence
Que voit-on, quand on est un spectateur extérieur et qu’on ne croit pas ? Presque rien ! Et pourtant il est là. Saint Thomas d’Aquin nous dit que sur la croix sa divinité était cachée, mais que tout le monde pouvait voir son humanité, eh bien, là, même son humanité est voilée. C’est le mystère de la foi par excellence. Sa joie, ses délices, c’est de demeurer parmi les enfants des hommes et c’est son désir le plus cher. Il est venu il y a 2000 ans en prenant chair de la Vierge Marie, il a vécu avec nous, il a souffert, il est mort, il est ressuscité, il est monté au ciel. Et alors, il a voulu remplir cette promesse de demeurer avec nous jusqu’à la fin des temps et en même temps, nous manifester le plus grand amour. Il a donc inventé cette chose absolument prodigieuse pour que l’on n’oublie jamais la folie de son amour et pour qu’il reste avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps, que l’on puisse le rencontrer personnellement, corporellement aujourd’hui, sous tous les cieux, dans tous les temps de l’histoire des hommes.
La transsubstantiation
L’Église appelle ce grand miracle la transsubstantiation. C’est un mot savant pour nous dire que toute la réalité du pain et toute la réalité du vin sont changées dans le Corps et le Sang adorables du Christ, Jésus ne s’ajoute pas à une réalité existante, il en prend la place. Il ne se fait pas pain, le pain cède la place à Jésus, même si les apparences demeurent. Car le Seigneur n’a pas permis que le vin dans le calice perde ses propriétés alcooliques ou que le pain ne comporte plus de gluten, sans quoi nous n’aurions plus besoin de la foi : le miracle serait constatable par n’importe qui.
Nous prenons au pied de la lettre la parole du Christ : « Ceci est mon corps. » On ne dit pas « ce pain est mon corps », ce qui serait faux théologiquement ; ni « ce pain contient mon corps », ni « ce pain représente (ou symbolise) mon corps ». Non. C’est très difficile à exprimer, ceci est un neutre, une chose encore indistincte, car, tant que l’on n’a pas dit le « est », c’est encore du pain, et dès que l’on a dit le « est », cela devient le Corps du Christ. Donc, « ceci, ce que vous voyez là, cette chose que l’on ne peut pas qualifier parce que cela va vite changer, est véritablement mon corps ». Et tout d’un coup, quand les paroles sont dites, c’est le Corps du Christ ; alors il faut se prosterner et adorer.
Pendant combien de temps ?
« La présence eucharistique du Christ commence au moment de la consécration et dure aussi longtemps que les espèces eucharistiques subsistent » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 1377). Ainsi la présence réelle de Jésus au Saint-Sacrement est-elle tributaire du maintien des espèces (espèces = ce qui apparait, c’est-à-dire le pain et le vin). De sorte que quand les espèces sont altérées, sont changées ou disparaissent, il n’y a plus de présence réelle, à proprement parler. C’est encore un abaissement auquel Jésus a dû se soumettre : sa présence dépend des hommes et parfois leur manque de soin, leur oubli, leur maladresse peut faire disparaître ce fragile support qui le relie à nous.
Un défi à nos sens
« Le grand miracle qui se produit à la messe est un miracle qui défie toutes les lois physiques » nous dit saint Thomas d’Aquin. Le théologien recense sept ou huit lois physiques qui sont bousculées par ce qui se passe quand les paroles de la consécration sont prononcées et que, tout d’un coup, un bout de pain devient Dieu et un peu de vin devient Dieu. La philosophie elle-même balbutie devant ce mystère. Descartes a essayé de construire une théorie philosophique de l’Eucharistie, mais il a échoué. Même les termes de « substance » et d’« accidents » que nous employons pour tenter de dire ce qui se passe dans la consécration sont utilisés en un sens inusité : normalement c’est la substance qui demeure et les accidents qui se modifient (un homme en vieillissant reste toujours le même homme, mais ses cheveux blanchissent par exemple) ; dans l’Eucharistie, c’est l’inverse : les accidents (c’est-à-dire ce que l’on voit du pain et du vin) restent inchangés, mais la substance a complètement changé : c’est le Corps du Christ !
Notre foi grandit dans cette lutte, admettre qu’il peut y avoir un pont entre ce que je perçois sensiblement et ce que je crois spirituellement dans ma foi.
Les raisonneurs peuvent se moquer : au musée de l’athéisme à Moscou, ne montrait-on pas naguère une hostie (consacrée ou pas ? on ne saura jamais) dans une vitrine avec l’inscription « Dieu des chrétiens » à côtés des pierres sacrées ou des totems des religions traditionnelles ? C’est pourtant le même Jésus tout entier qui est dans chaque hostie. Il reste entier dans chaque parcelle quand on partage l’hostie. C’est là un premier miracle. Mais le plus grand miracle, c‘est que nous puissions croire à ce qu’il nous a dit : il y a un tel décalage entre ce que l’on voit et ce que l’on croit, et pourtant nous pouvons le rejoindre par notre foi, être sûr, vraiment sûr, qu’il est là !
Depuis 2.000 ans
Par l’acte de foi en l’Eucharistie, notre foi grandit dans la foi que transmet l’Église depuis deux millénaires. Nos sens nous permettent de voir l’hostie, ils voient les apparences qui sont toujours là. Ce n’est pas facile de faire l’acte de foi de nous dire que c’est Jésus qui est présent, c’est difficile. Et notre foi grandit dans cette lutte, admettre qu’il peut y avoir un pont entre ce que je perçois sensiblement et ce que je crois spirituellement dans ma foi. Dans l’acte de foi en l’Eucharistie, ma foi rejoint la foi gardée dans toutes les Églises apostoliques d’Orient et d’Occident depuis 2000 ans, cette foi qui est celle de tous les saints, de tous les docteurs, de tous les Pères de l’Église. Saint Thomas d’Aquin explique que si on n’a pas la foi sur un seul article de foi, on n’a pas la foi du tout, car la foi consiste à reconnaître la foi de l’Église et à y adhérer, parce que c’est l’Église qui la porte depuis toujours et non parce que notre petit cerveau y consent. Voilà pourquoi les vérités de foi sont d’un niveau de certitude bien supérieur à toutes nos certitudes personnelles.
Un jour, j’expliquais à des enfants ce qu’était la communion et l’un d’eux m’a arrêté en disant : « Arrête d’expliquer, c’est Jésus. » Une autre fois, je préparais un enfant de 7 ans à sa première communion, en faisant avec lui un moment d’adoration ; l’enfant me dit : « Nicolas, c’est fou de penser que c’est Jésus devant nous. » Alors que je cherchais une réponse intelligente pour lui dire : « C’est vrai, tu as raison », l’enfant répondit lui-même : « C’est la toute-puissance de Dieu » qui avait fait changer un bout de pain en hostie. Dieu peut se faire tout vulnérable et tout pauvre. À un enfant qui prépare sa communion, il faut lui montrer que c’est vraiment Jésus et le laisser croire que Dieu peut se faire tout vulnérable et tout pauvre.
Un cadeau pour la communion et pour l’adoration
La présence réelle et continue de Jésus dans l’Eucharistie permet à la fois de le manger et de le recevoir dans la communion eucharistique et aussi de prolonger cette communion en l’adorant et en trouvant cette consolation prodigieuse d’être avec lui, comme cela, tout simplement près de son Cœur. L’adoration eucharistique n’a pas tout de suite existé dans l’Église, mais elle est la conséquence d’une prise de conscience de plus en plus nette de la présence réelle de Jésus dans l’hostie sainte. On a beaucoup dit qu’elle suppléait la communion devenue rare dans le peuple chrétien (beaucoup, même dans les monastères, ne communiaient que quatre ou cinq fois par an). Mais on peut aussi voir qu’elle a eu pour effet de faire renaître chez les chrétiens fervents le désir d’une communion beaucoup plus fréquente : quand on a longuement contemplé le Corps de Jésus, comment ne pas désirer le recevoir en soi ?
On voit ce qui arrive quand la communion prise à la hâte et sans vraie préparation n’est vue que comme un rite de la messe, on perd le sens de la rencontre avec quelqu’un qui est notre Dieu.
L’adoration correspond à un moment très important de notre démarche d’amour vers Jésus. L’amour se nourrit des regards posés sur l’être aimé, il a besoin de paroles échangées pour se comprendre, pour partager l’intime de son âme. Comment nous priverions-nous de cela avec Jésus ? La communion n’est qu’un instant, même si on essaie de la prolonger dans une action de grâce. Elle a besoin d’être précédée et suivie de cette rencontre du cœur que rend possible l’adoration. On dit d’une maman qui regarde avec affection son enfant qu’elle le « mange des yeux ». Nous avons besoin de manger Jésus de nos yeux avant de le manger physiquement dans la communion. Il faut grandement se réjouir que les catholiques redécouvrent aujourd’hui l’adoration. Pendant des années, il était de bon ton de dire : « L’Eucharistie est faite pour être mangée et pas regardée » comme si l’un ne menait pas à l’autre ! On voit ce qui arrive quand la communion prise à la hâte et sans vraie préparation n’est vue que comme un rite de la messe, on perd le sens de la rencontre avec quelqu’un qui est notre Dieu.
La communion sacramentelle
La communion est ce moment très fort où nous ne formons plus qu’un avec lui, aucune image ne peut rendre cette unité. La communion à l’Eucharistie est « le centre et le sommet de la vie chrétienne » (Vatican II). Pour saint Thomas d’Aquin, « la communion sacramentelle en elle-même est vectrice de toutes les grâces, puisque ce sacrement est l’unique sacrement non seulement qui communique la grâce, mais qui contient l’auteur de la grâce. » Tous les autres sacrements ne font que communiquer la grâce, ils sont des vecteurs, des transmetteurs de la grâce. L’eau du baptême avec les paroles du baptême, la sainte huile et les paroles prononcées pour la confirmation ; mais dans le Saint Sacrement, c’est et la grâce et l’auteur de la grâce qui est là, Jésus est réellement présent. Ce qui fait de l’Eucharistie le sacrement par excellence. C’est le sacrement source de tous les autres sacrements : « En vérité, en vérité, si vous ne mangez pas mon corps et ne buvez pas mon sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6, 53). Les Pères de l’Église disaient que c’est une revanche sur le péché originel car, de cet arbre magnifique au jardin d’Éden, où le fruit semblait beau à voir et bon à manger, nos pré-parents ont goûté la mort en mettant la main dessus. Et puis, de l’horrible arbre mort qu’est la croix, avec dessus un fruit qui n’a ni beauté ni éclat — le Christ —, quand on le reçoit à l’hostie, on reçoit la vie. C’est l’inverse de la logique de l’Éden. La vraie logique est que, de la mort de la Croix jaillit un fruit qui n’a ni beauté ni éclat et qui, quand on le reçoit en disant « amen », est le corps du Christ ; je reçois la vie et lui me transforme et me transfigure.
L’union qui s’opère
Il est très difficile de décrire l’union qui s’opère entre le Christ et nous à l’heure de la communion. Au moment où nous recevons en nous la présence réelle, Jésus n’est pas un contenu dans un contenant : nous sommes en lui au moins autant qu’il est en nous (Jn 6, 56). Nous n’avons pas à l’imaginer transitant dans notre tube digestif, surtout que, les espèces étant rapidement dissoutes, la présence réelle disparaît assez vite. L’union qui s’opère est beaucoup durable et mystérieuse. Elle s’apparente certes à la nourriture, puisque Jésus nous dit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage » (Jn 6, 54-55). Mais, à la différence d’une nourriture ordinaire, elle n’est pas assimilée par nous, c’est elle qui nous assimile.
On ne peut pas s’empêcher de penser à l’union nuptiale qui se réalise dans un rapprochement où l’homme et la femme se donnent complétement l’un à l’autre. Saint Paul y fait sans doute allusion quand il considère que la fornication est en contradiction avec la communion au Corps du Christ, le chrétien formant avec lui un seul esprit — et un seul corps (1 Co 6, 16-17). Mais, là encore, l’image est insuffisante, car les époux restent malgré tout extérieurs l’un à l’autre. La communion nous fait participer à la vie de l’Esprit, c’est le Seigneur Saint Esprit qui vient habiter en nous au moment où nous recevons le Christ en nous. C’est lui qui réalise l’unité maximale entre Jésus et nous, mais aussi avec tous nos frères chrétiens qui communient au même Corps. C’est lui qui construit ainsi l’Église. Dans les Églises orientales, on chante au moment de la communion : « nous avons reçu le Saint Esprit ». C’est une grande lumière pour nous, qui nous amène à ouvrir plus large notre cœur et voir la communion comme l’entrée dans une nouvelle manière de vivre.
Miracles de la communion
Les prêtres qui sont témoins des merveilles qui se passent dans le cœur des enfants au moment de leur première communion auraient beaucoup à raconter. Mais il n’y a pas que les enfants. L’Eucharistie fait des merveilles dans le cœur et même dans le corps des hommes. Il y a trois ans, j’ai connu un homme qui avait eu un grave cancer de l’œsophage ; il ne pouvait plus du tout déglutir, pas même une goutte d’eau, il fallait humecter le palais et la langue avec un coton-tige et il était sous perfusion pour la nourriture. C’était très lourd, il faisait encore des rayons, tout était grillé dans son corps. Un jour, il arrive à l’hôpital pour les rayons et dit à sa femme qu’il n’en pouvait vraiment plus. Elle lui proposa de l’emmener à la chapelle de l’hôpital pour confier tout cela à Jésus ; une messe y était célébrée. Au moment de l’Eucharistie, pris par le désir de communier, il avance communier, prend le Corps du Christ et l’avale. Il était incapable d’absorber une goutte d’eau. Tout à coup, il s’en rend compte et sa femme le regarde. Après, il est allé communier chaque jour, et cela continue encore aujourd’hui. Une goutte d’eau le fait hurler, une miette de pain est une torture, mais le corps du Christ descend en lui. C’est un miracle, ce n’est pas possible autrement. Les médecins n’y ont pas cru, ils lui ont dit qu’il mentait ; l’un d’eux est allé voir pour constater et a conclu que c’était vraiment un miracle. Scientifiquement, cela ne s’explique pas. Ce mystère des espèces reste un grand mystère. Il faut se dire que c’est Jésus qui est là et il faut adorer.
On pourrait finir par la belle histoire d’Imelda Lambertini, cette toute jeune novice dominicaine qui s’était battue pour faire sa première communion à onze ans (on ne la recevait à cette époque qu’après quatorze ans). Elle disait : « Je ne puis imaginer que, quand on a reçu le Corps du Christ, on ne meurt pas après de joie ; on a reçu le ciel, Dieu est là, c’est inimaginable. » Après qu’elle eut enfin reçu la communion (de façon d’ailleurs assez miraculeuse), elle resta à genoux, prosternée pendant plus d’une heure. Quand les sœurs vinrent la chercher, elles la trouvèrent toujours dans la même position mais morte, partie vers le Seigneur.
Adoration du Du Saint-Sacrement, 8 Juin 2020, Montmartre, Basilique Du Sacré Coeur, Capture Kto.tv
Fête du Saint-Sacrement: « Adoration et annonce de l’Amour », par Mgr Follo
« L’adoration est la prière qui prolonge la célébration »
« Avec la Fête-Dieu, nous célébrons la présence réelle du Christ et nous sommes invités à l’imiter dans le don de nous-mêmes et dans la communion »: c’est l’invitation de Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris (France), dans son commentaire des lectures de la fête du Saint-Sacrement, célébrée ce jeudi 11 juin 2020 dans certains pays, et dimanche 14 juin en France et en Italie.
Adoration et annonce de l’Amour
1) Amour à adorer et à annoncer en procession
En ce dimanche, la Liturgie nous fait célébrer la Solennité du Corps et du Sang du Seigneur, dont le nom traditionnel est « Corpus Domini ». C’est une fête qui a vu le jour au XIIIe siècle et qui s’est bien développée dans toute l’Église catholique. Mais elle a des racines plus anciennes, en effet Saint Jean-Paul II a vu le début de cette fête dans la première « procession » faite par les Apôtres avec le Christ après la dernière Cène. Accompagnant le Rédempteur et, en même temps, l’apportant dans leurs cœurs comme Eucharistie qu’ils avaient reçue quelques instants plus tôt, les Onze sortirent du Cénacle en direction du Mont des Oliviers.
En quittant notre Cénacle, avec le Christ dans nos cœurs, nous aussi allons parmi des hommes amis ou ennemis qu’ils soient. Après avoir célébré l’Eucharistie dans l’Église, après être « sortis » de nous-mêmes pour adorer le Seigneur, le Pain vivant du Ciel, nous sommes invités à « sortir » de notre Cénacle et parcourir les routes du monde pour annoncer l’amour, qui nourrit vraiment notre existence et donne la vie qui ne meurt pas. L’amour est plus fort que la mort et en Jésus-Christ Dieu est parmi nous.
Ce n’est que s’il y a une réponse à la mort que l’homme peut être vraiment heureux. Mais, si cette réponse existe, alors elle est l’autorisation effective et valide à la joie. Elle est ce qui peut vraiment constituer le fondement d’une fête. Dans son essence, l’Eucharistie est, la réponse au problème de la mort, la rencontre avec l’amour qui a gagné contre la mort. Le Corpus Christi est une réponse à ce noyau du mystère eucharistique.
En outre, s’il est vrai que l’Eucharistie est le sacrement de « se cacher » au plus profond par Dieu – il se cache sous les espèces du pain et du vin, et ainsi, il se cache dans l’homme -, il est également vrai que l’Eucharistie est le sacrement d’une sortie particulière dans le monde – et d’une entrée chez les hommes et au milieu de tout ce qui fait leur vie quotidienne. La présence du Christ dans l’Hostie consacrée est silencieuse, cachée, humble, mais soucieuse de rencontrer le regard de tous les hommes qui l’attendent même sans le savoir. Nous accompagnons la procession eucharistique « en sortie » par la prière, afin que le désir de nous plonger dans le mystère de l’Eucharistie grandisse et que tout le monde puisse s’ouvrir à cet amour infini.
Aujourd’hui, en ce dimanche ce « sortir » a la forme de procession eucharistique où nous, les fidèles, nous accompagnons le Christ par les routes des villes et des villages en répétant l’exode du Rédempteur et de ses Apôtres, du Cénacle au Mont des Oliviers (Au paragraphe 3 j’en écrirai un petit peu plus longuement). Alors, il s’agissait d’une procession dans la douleur de la passion qui commençait. Aujourd’hui il s’agit d’une procession dans la joie de la résurrection du Christ qui bénit le monde et le conforte. En effet la procession du Corpus Domini nous enseigne que l’Eucharistie veut nous libérer de tout détresse et découragement. Elle veut nous remettre debout, afin que nous puissions reprendre le chemin avec la force que Dieu nous donne par le Christ ressuscité, Pain de vie
2) Pain de Vie et d’Amour
Pour entrer dans le mystère de l’Eucharistie, il est, me semble-t-il, nécessaire de se souvenir des paroles de Jésus : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que le monde soit sauvé par lui « (cf. Jn 3,16).
L’Eucharistie est le sacrement qui perpétue ce don qui vient de l’amour fidèle de Dieu.
C’est pourquoi, pour la fête du Corps et du Sang du Christ, la liturgie propose comme première lecture de la messe de ce jour un passage du Deutéronome qui est une invitation à se souvenir que, pendant l’exode, Dieu a toujours été près du peuple d’Israël. Dans son amour fidèle, Dieu n’a pas hésité à mettre à l’épreuve les Hébreux au désert, mais il a toujours été près d’eux et Il leur a donné la manne pour qu’ils puissent poursuivre la route jusqu’à la terre promise.
Dans la deuxième lecture, saint Paul nous parle de la finalité de l’Eucharistie qui est de« former un seulcorps » (cf. 1Co, 17), d’être tous en communion avec le Christ et d’être frères entre nous, en d’autres termes, d’être l’Eglise nourrie du pain eucharistique partagé. Communion signifie échange, partage. Or la règle fondamentale du partage s’énonce ainsi : ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi. Mais qu’est-ce qui est vraiment « à moi » ? La misère, le péché : c’est cela seul qui est exclusivement à moi. Et Jésus, qu’a-t-il « à lui » ? La sainteté, la perfection de toutes les vertus. Dès lors, la communion consiste en ceci que moi je donne à Jésus mon péché et ma pauvreté, et Lui, me donne sa sainteté. C’est là que se réalise « le merveilleux échange », comme le définit la liturgie.
Dans la troisième lecture, un passage du chapitre 6 de l’Evangile de saint Jean nous montre la volonté de Jésus de nourrir tous les hommes de sa chair et de les désaltérer de son sang pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.
Quand nous recevons la communion, le prêtre dit « le Corps du Christ », et le fidèle répond « Amen ». Nous devons donc être membres du Corps du Christ pour que notre Amen soit vrai. C’est un mystère d’unité, de piété et de charité. Un seul pain, un seul corps, fait de beaucoup d’autres. Le pain n’est pas fait d’un seul grain de blé, mais d’un grand nombre de grains. « Au baptême vous avez été imprégnés d’eau. Le Saint Esprit est alors venu en vous comme le feu qui cuit les pâtes. Soyez donc ce que vous recevez et recevez ce que vous êtes » (Saint Augustin).
Il n’en est pas moins important de souligner certains points qui ne sont pas des détails insignifiants. Dans l’Evangile de Jean, nous constatons que l’Apôtre préfère le mot « chair »[1] au mot « corps ». Il veut, probablement, mettre en évidence le réalisme de l’incarnation (« le Verbe s’est vraiment fait chair ») par opposition aux opinions qui tendaient à dénier au Fils de Dieu la capacité à assumer une vraie et totale humanité. Puis on notera la dimension universelle : cette sainte nourriture est pour la vie du monde entier, et enfin, une insistance qui n’a rien de fortuit : manger la chair et boire le sang est indispensable à la vie. Le Christ est la vraie nourriture pour la vraie vie des hommes.
La bienheureuse Mère Thérèse de Calcutta disait à se sœurs qu’elles « devaient traiter les maladescomme le prêtre traite l’hostie consacrée » et elle ajoutait cette expérience, fruit de la Communion et de l’Adoration : « Quand j’adore Jésus dans l’Eucharistie, je vois les pauvres, et quand je suis auprèsdes pauvres, je vois Jésus ».
3) Appel, cheminement et adoration
La célébration de la fête du Corps et du Sang du Christ ne consiste pas seulement à célébrer une messe avec une solennité particulière. Une procession est aussi prévue dans les rues de la ville ou du village.
Dans toutes les paroisses de la terre, l’Eglise, le peuple de Dieu réuni autour de l’Eucharistie, avance aujourd’hui devant tout le monde avec une ambition des plus généreuses : celle de posséder et offrir, sous la forme d’un morceau de pain et d’une gorgée de vin, la chair et le sang de Jésus, de celui qui s’est dit le Christ, le Fils de Dieu fait homme, de celui qui est le Rédempteur de l’homme et du monde entier.
Pendant la procession, un peu de ce pain « consacré » est placé dans un précieux ostensoir et est porté par les rues, entre les mains du prêtre, pour être adoré comme le sacrement dans lequel le Seigneur du monde est réellement présent.
Personne n’est obligé d’y croire. Mais la certitude d’un peuple qui grandit dans le monde et qui est ici présent invite tous les hommes à « vérifier » quelle part de vérité peut exister dans ce qu’il est proposé de croire.
Pour tous, croyants ou pas, c’est aujourd’hui une grande occasion de repenser à cette foi de l’Eglise. Le croyant doit en retrouver les raisons pour la raffermir en lui-même. Celui qui ne croit pas encore doit se confronter aux raisons qu’on lui donne. De toutes ces raisons, la plus importante est la « résistance » de cette foi qui, jusqu’à nos jours, « fait » les martyrs (on en dénombre quelque quarante-cinq millions au XXe siècle) et les saints qui donnent toute leur vie par amour pour ce Christ présent dans l’Eglise, dans l’Eucharistie, dans nos frères.
La procession d’aujourd’hui est différente de celle du Jeudi Saint, lorsque, après la première Cène eucharistique, les apôtres accompagnèrent le Christ au Mont des Oliviers. C’est un cheminement avec le Christ Ressuscité, donc plein de joie, d’étonnement serein, d’adoration, qu’est la prière qui se fait regard. « L’adoration est la prière qui prolonge la célébration et la communion eucharistique dans laquelle l’âme continue de se nourrir : elle se nourrit d’amour, de vérité, de paix ; elle se nourrit d’espérance parce que celui auquel on s’adresse ne nous juge pas, ne nous écrase pas, mais nous libère et nous transforme » (Benoît XVI, 2 mai 2008).
Dans cet « exode » eucharistique, les Vierges consacrées dans le monde offrent un exemple. Dans l’Eucharistie, le Christ ne cesse d’aller vers le monde. Ces femmes, dévouées à Lui, avec Lui vont vers le monde. C’est une partie de leur vocation spécifique que de Le porter, présent sous l’espèce du pain et présent dans leur cœur, sur les chemins du monde qu’elles Lui confie en s’en remettant à Sa bonté. A l’exemple des Vierges consacrées, que notre personne soit une maison pour Lui et avec Lui, et que chaque jour de notre vie soit pénétré de sa présence.
Elles vivent de l’Eucharistie et témoignent que l’Eucharistie assumée avec foi engendre une vraie communion avec Dieu et donc avec le prochain. Le Pain consacré et partagé est le signe visible de cette communion. Il est sacrement de charité et le geste de le rompre et de le distribuer doit être un signe d’amour et d’accueil. L’Eucharistie est le Pain de chaque jour pour le chemin des personnes réunies, appelées à louer Dieu et à vivre de Lui.
Avec l’Eucharistie, le Seigneur ne nous laisse pas seuls dans ce cheminement. Il est toujours avec nous. Toujours. Mieux même : Il désire partager notre sort jusqu’à s’identifier à nous. Mais n’oublions pas qu’il ne suffit pas d’avancer. Sans critères de référence, nous risquons de nous égarer, de finir dans un précipice, ou bien de nous éloigner plus rapidement du but, s’Il ne nous montre pas le chemin. Dieu nous a créés libres, mais Il ne nous a pas laissés seuls : Il s’est fait Lui-même « chemin » et Il est venu marcher avec nous pour donner à notre liberté la capacité de discernement qui nous permette de choisir la bonne route et de la suivre.
Cheminer avec le Christ est liberté, et s’agenouiller devant l’eucharistie l’est aussi parce que c’est une affirmation de notre liberté. Celui qui s’incline devant Jésus ne peut et ne doit se prosterner devant aucune puissance terrestre, si forte soit-elle. Nous chrétiens, nous agenouillons en adoration uniquement devant le Saint Sacrement parce que nous savons et nous croyons qu’Il est présent, Lui, l’unique vrai Dieu, qui a créé le monde et l’a tant aimé qu’Il a donné son Fils unique (Jn 3,6).
Lecture Patristique
Saint-Augustin
Commentaire du Psaume 137
“Je vous adorerai dans votre saint temple ». Quel est ce saint temple ? Celui où nous devons habiter, où flous devons adorer. Car nous courons pour adorer Dieu. Notre cœur gonflé veut enfanter, et cherche où il pourra le faire. Or, quel est ce lieu où il faut adorer Dieu ? Quel est ce monde ? Quel est cet édifice ? Quel est son trône dans le ciel, au milieu des étoiles ? Nous le cherchons dans les saintes Ecritures et nous le trouvons dans la Sagesse : « Pour moi », dit-elle, « j’étais avec lui, et chaque jour je faisais ses délices ». Puis elle chante les œuvres de Dieu et nous indique son trône. Quel est-il ? « Quand Dieu », dit-elle, « affermissait les nuées en haut, quand il établissait son trône au-dessus des vents ». Mais son trône est aussi son temple. Où donc irons-nous ? Est-ce pardessus les vents qu’il nous faudra l’adorer ? S’il faut l’adorer par-dessus les vents, les oiseaux l’emportent sur nous. Mais si nous appelons âmes les mêmes vents, c’est-à-dire, si les vents sont une figure symbolique des âmes, selon cette expression d’un autre psaume : « Il a volé sur les ailes des vents »c’est-à-dire sur les vertus des âmes, ce qui fait qu’un souffle de Dieu prend le nom de vent ou d’âme ; non point qu’il nous faille entendre par là ce vent qui pousse notre corps et qui est sensible, mais quelque chose d’invisible qui échappe à la perspicacité de nos yeux, à la sensibilité de nos oreilles, au discernement de l’odorat, à la perception du goût, au toucher des mains : mais une certaine vie, qui nous anime et que l’on appelle âme; si, dis-je, nous entendons ainsi les vents, il n’est pas nécessaire de chercher des ailes visibles, pour voler avec les oiseaux et adorer Dieu dans son temple; mais nous trouverons que Dieu est assis au-dessus de nous-mêmes, si nous voulons lui être fidèles. Voyez si tel n’est point le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple ». Il est certain néanmoins, il est évité que Dieu habite dans les anges. Donc lorsque dans la joie qui nous vient des biens spirituels, et non des biens terrestres, nous chantons des hymnes à Dieu en présence des anges, cette congrégation des anges devient le temple de Dieu, et nous adorons le Seigneur dans son temple. Quant à l’Eglise de Dieu, elle est sur la terre et dans le ciel ; l’Eglise de la terre se compose de tous les fidèles, l’Eglise du ciel de tous les anges. Mais le Seigneur des anges est descendu vers l’Eglise d’ici-bas, et ses anges le servaient, lui qui était venu pour nous servir 3. « Car », nous dit-il, « ce n’est point pour être servi, mais pour servir, que je suis venu ». Que nous a-t-il servi, sinon ce qui fait aujourd’hui notre nourriture et notre breuvage ? Si donc le Maître des anges a bien voulu nous servir, ne désespérons pas d’être un jour les égaux des anges. Celui qui est plus grand que les anges s’est donc abaissé jusqu’à l’homme, le Créateur des anges s’est revêtu de l’homme, le Maître des anges est mort pour l’homme. « Je vous adorerai dans votre saint temple » : c’est-à-dire, dans ce temple qui n’est pas fait de la main des hommes, mais que vous avez fait.
« Je confesserai votre nom dans votre miséricorde et votre vérité ». Tels sont les deux attributs que nous voulons chanter, comme il est dit dans un autre psaume « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ». Tels sont, ô mon Dieu, les deux attributs que nous confessons. Votre miséricorde et votre vérité ; c’est par la miséricorde que vous jetez sur le pécheur un regard favorable, et par la vérité que vous tenez à vos promesses. « Je vous confesserai dans votre miséricorde et dans votre vérité ». Et c’est là ce que je veux vous rendre selon les forces que je tiens de vous, en exerçant la miséricorde et la vérité ; la miséricorde par l’aumône, la vérité dans mes jugements. C’est en cela que Dieu nous aide, en cela que nous méritons Dieu ; et dès lors, toutes les voies du Seigneur sont la miséricorde et la vérité ; il ne vient à nous par aucune autre voie, et nous n’avons aucune autre voie pour aller à lui.
NOTE
[1] Le terme utilisé par saint Jean pour « chair » est « sarx », qui correspond à l’hébreu « basar » : ce terme sémitique ne signifie pas tant la chair au sens matériel, comme nous l’entendons, mais l’humanité, la personne.
Dans le langage de la Bible, l’expression « chair et sang » désigne la personne humainedans sa réalité historique, l’homme total dans sa manifestation concrète. Par conséquent, l’expression « manger la chair » ne fait pas référence à l’anthropophagie, à une forme de cannibalisme, mais elle indique plutôt le fait d’entrer en communion totale avec le Sauveur.