28.01.2024 – HOMÉLIE DU 4ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE B – MARC 1,21-28

Être et paraître

Par le Fr. Laurent Mathelot

Si quelqu’un n’a rien d’étonnant, je dis qu’il n’est pas chrétien. Le chrétien est précisément celle ou celui qui, quelque part, doit dénoter, surprendre, interroger. Être chrétien c’est autant être soi qu’une présence, particulière de Dieu qui s’incarne.

« Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : ‘ Qu’est-ce que cela veut dire ? ‘ » Le Christ, nous raconte l’Écriture, ne laisse pas les gens indifférents : il est étonnant. Le chrétien est celui qui a toujours quelque chose d’étonnant en lui, qui pose question, qui entre quelque part en contradiction avec l’esprit du monde. A mon sens, un chrétien ne devrait jamais passer totalement inaperçu. Au fond, c’est la parole de l’Évangile : en quoi différons-nous des autres, si nous n’aimons que celles qui nous aiment, que ceux qui nous font du bien ? [ Mt 5, 46-47 et Lc 6, 32-35 ]. Il doit y avoir chez tout chrétien une façon particulière d’aimer, qui se voit et qui surprend.

« Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée. » C’est parce qu’à bien des égards, il est étonnant par rapport à la culture ambiante, que le christianisme se répand. Et si, aujourd’hui, chez nous, sa renommée est fort ternie, c’est sans doute parce que ceux qui se revendiquaient de l’Église n’avaient plus rien d’étonnant, qu’ils n’apparaissaient finalement pas bien différents d’autres, qui ne croyaient pas.

Et on comprend bien le désintérêt : à quoi bon s’imposer rites et catéchismes si notre religion n’a rien d’extraordinaire, qui suscite l’étonnement, l’émerveillement et l’attrait ? A quoi bon pratiquer, si notre foi ne bouleverse rien ; ne change rien ; ne surprend pas ? Qu’est-ce qui étonne encore du christianisme aujourd’hui ? En quoi, en tant que chrétien, suis-je surprenant ? Au fond, quel est mon témoignage de l’Évangile en ce monde ?

Marc nous raconte que le premier acte posé par Jésus, à peine a-t-il appelé ses premiers disciples, est un exorcisme : à la synagogue de Capharnaüm, il guérit un homme tourmenté par un esprit impur. Bien sûr, il est dit qu’avant, Jésus enseignait et qu’ « on était frappé par son enseignement » mais, à ce stade, l’Évangile ne rapporte aucune des paroles enseignées par Jésus. A dessein, Marc place délibérément l’acte avant la parole.

Son propos est d’établir d’emblée l’autorité de Jésus. Pour ce faire, il utilise un artifice rhétorique qui consiste à placer dans la bouche d’un démon ce que le texte veut que nous comprenions, à savoir que Jésus est le « Saint de Dieu ». Si même les démons l’admettent, a fortiori toute personne sensée … De ceci, on peut tirer plusieurs enseignements.

D’abord que l’autorité ne s’affirme pas de soi. On ne se proclame pas tant sauveur que l’on est reconnu sauveur ; on ne se proclame pas tant parent que l’on est reconnu parent ; on ne se proclame pas tant religieux que l’on est reconnu religieux ; on ne se proclame pas tant chrétien que l’on est reconnu chrétien.

Mais surtout, que l’autorité ne s’affirme pas mais s’établit d’abord en acte. C’est parce qu’on est sauveur en acte, parent en acte, religieux en acte, chrétien en acte que l’on est reconnu tel. Je ne suis pas chrétien simplement parce que je le proclame ; je suis chrétien parce que, par mes actes, je le montre. Le Christ ne se proclame pas tant sauveur que pratiquement il sauve. Il n’est pas tant nécessaire de proclamer l’amour que d’aimer.

Au fond, l’affirmation de cet évangile, c’est que la querelle sur la foi et les œuvres n’a pas lieu d’être. Rien, au sein du christianisme, ne permet de distinguer la foi des œuvres. Elle n’a rien de théorique notre foi et tout de pratique. Elle est un élan du cœur, vers Dieu et vers les hommes, qui concrètement sauve. D’ailleurs, plus loin dans l’Évangile (3, 5 ; 6, 52 ; 8, 17), Marc révélera que le véritable esprit impur n’est autre que le cœur humain endurci, inerte, qui finalement n’agit pas par amour.

Ainsi l’autorité de Jésus s’établit d’elle-même. Avoir autorité c’est d’abord faire impression sans parole, ou préalablement à toute parole, par des actes. Autrement dit, l’autorité s’exerce quand la parole est acte et que l’acte est parole, quand il y a telle adéquation des deux qu’on ne les distingue plus.

Le monde actuel vit une crise de l’autorité. A qui encore se fier de nos jours ? N’assistons-nous pas, de toutes parts, à une chute des élites : religieuses, philosophiques, politiques, scientifiques et même artistiques ? Qui parle encore aujourd’hui avec autorité ? La crise actuelle n’est-elle pas précisément celle du leadership ?

L’autorité de la religion, des parents, des professeurs, des journalistes, des politiques, de la science même : tout ça est remis en cause aujourd’hui. Advienne quelque prêcheur de renouveau quelque peu radical et des foules considérables s’apprêtent à le suivre. Survienne n’importe quelle fake news et ils sont pléthore à y donner foi. Dieu lui-même parle-t-il encore à l’Occident ? Sans parler de l’Église …. Quelle autorité conserve-t-elle aujourd’hui ? Celle du seul pape François ?

Si jadis l’Église a pris l’ascendant sur l’Empire romain qui la persécutait, ce n’est pas avec des discours, ni par l’affirmation de soi, ni même grâce à la beauté de son message. Si l’Église a pu recevoir par le passé quelqu’autorité, c’est parce qu’elle s’est instituée service social : agent de guérison et de résurrection. Le reste n’est que théorie.

Avant toute chose, être chrétien ce n’est pas dire, c’est agir. Le Christianisme n’est pas tant parole ; qu’acte d’aimer.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCE.BE, le 24 janvier 2024

28.01.2024 – HOMÉLIE DU 4ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE B – MARC 1,21-28

Une parole qui libère

Pistes pour l’homélie de l’Abbé Jean Compazieu


textes bibliques : lire


Dans la première lecture tirée du livre du Deutéronome, nous avons entendu un vieil épisode qui nous a rappelé ce qui s’est passé au Sinaï au temps de Moïse : Le peuple était rassemblé au bas de la montagne ; il entendait la voix de Dieu qui parlait à Moïse. Son cœur était partagé entre l’émerveillement et la peur. Finalement, c’est la peur qui l’a emporté. « Je ne veux plus entendre la voix de Dieu, disait-il, car je ne veux pas mourir. » Et Dieu a répondu en annonçant la venue d’un prophète, un homme qui ne parlera pas en son nom personnel mais au nom de Dieu, un homme qui dira les paroles même de Dieu.

Le texte du Deutéronome précise que cet homme ne devra pas dire de paroles autres que celle qui vient de Dieu. On se demande pourquoi il a cru bon d’apporter cette précision. En fait, il faut savoir que ce texte a été écrit bien plus tard pour mettre le peuple en garde contre les faux prophètes. Au temps de Jérémie, il y a beaucoup de beaux parleurs : « Ce qu’ils prêchent n’est que vision de leur imagination. Cela ne vient pas de la bouche du Seigneur. » (Jr. 23. 16) Le vrai prophète c’est celui qui est le porte-parole de Dieu devant les autres. Tout au long de l’Ancien Testament, nous voyons des prophètes rappeler au peuple d’Israël qu’il est le peuple de l’alliance. Ils dénoncent les ruptures et les transgressions. Ils appellent les gens à une conversion radicale. Cet appel nous rejoint tous aujourd’hui. Par notre baptême et notre confirmation, nous sommes appelés à devenir des prophètes en transmettant la Parole de Dieu.

Saint Paul insiste sur ce point. Il nous dit que nous devons « être attachés au Seigneur sans partage ». Ailleurs, il nous rappelle que « le temps est limité ». Ce message est une réponse à des questions très concrètes que les chrétiens de son temps se posaient. Il précise que vouloir plaire à son mari ou à son épouse c’est bien. Mais le plus important c’est de ne pas oublier les affaires de Dieu. C’est une priorité absolue pour tout chrétien. Cet appel vaut pour nous aujourd’hui. Il y a beaucoup de choses qui passent avant les « affaires de Dieu », avant la prière, avant la messe du dimanche, avant l’inscription d’un enfant au catéchisme… Nous avons tous à nous convertir à Celui qui donne tout son sens à notre vie. Notre mission c’est d’être les témoins fidèles de Jésus Christ.

L’Évangile nous révèle que Jésus est ce prophète annoncé par Moïse. Il est un prophète puissant par ses paroles et ses actions. Son enseignement est nouveau. Saint Marc nous le dit : “Il enseignait en homme qui a autorité.” Il ne se contente pas de répéter ce qu’il a étudié. Il parle avec l’autorité de Dieu.

L’Église d’aujourd’hui a reçu pour mission d’annoncer cette parole de Dieu. Dans un monde enchaîné par la haine, la violence, l’égoïsme, la précarité, c’est plus que jamais nécessaire. Ce monde a besoin d’entendre une parole qui libère et qui redonne espérance. Nous sommes tous envoyés pour crier la bonne nouvelle à temps et à contretemps.

Cette bonne nouvelle nous concerne tous. Jésus est venu nous libérer de l’esprit mauvais. Il ne cesse de nous apporter la liberté des enfants de Dieu. La guérison de ce possédé nous montre que l’heure de notre libération est arrivée. Cet homme dont parle l’évangile c’est l’humanité entière. Ce que Jésus a commencé à Capharnaüm, il va le continuer tout au long de son ministère en Palestine. Et il continue à la faire tout au long des siècles par son Église. C’est lui qui parle quand on lit dans l’Église les Saintes Écritures. C’est lui qui donne la vie quand on baptise. Il est toujours à l’œuvre dans le monde d’aujourd’hui.

Si nous voulons être des messagers de la bonne nouvelle, il faut que toute notre vie soit imprégnée de cet amour qui est en Dieu. Nous ne pouvons parler que de ce que nous vivons avec Jésus. Pour cela, nous commençons par nous nourrir de la Parole de Dieu ; nous nous laissons transformer par elle. Il est important que notre vie soit en accord avec cette Parole que nous avons à annoncer de la part de Dieu.

Comme autrefois dans la synagogue, le même Jésus rejoint les communautés réunies en son nom dans toutes les églises du monde. Il nous fait entendre sa Parole. Il vient nous libérer de toutes nos attaches. Ouvrons-nous à cette Parole qui guérit d’elle-même. Avec lui, nos actes et toute notre vie deviendront conformes à cette parole. En accueillant le Christ libérateur, nous pourrons chanter avec plus de force : “Ta Parole, Seigneur est vérité, et ta loi délivrance.”

Abbé Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 20 janvier 2024