22.10.2023 – HOMÉLIE DU 29ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATTHIEU 22,15-21

Qui dirige le monde ?

Évangile de Matthieu Mt 22, 15-21

Il y a des questions auxquelles, quelle que soit la réponse que l’on donne, on tombe dans un piège, des questions faites pour accuser. C’est le cas de celle-ci : « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César ? ».

Replongeons-nous dans le contexte. Le groupe qui pose la question à Jésus est assez improbable : il s’agit de Pharisiens et d’Hérodiens. Or ces gens se détestent.

La Palestine est occupée par les Romains depuis l’an 63 av. J.-C. et c’est une occupation très dure – de nombreuses révoltes juives en témoignent – en particulier, les habitants croulent sous les impôts. Littéralement, l’occupant pille la Judée. Hérode est un roi collaborateur de l’envahisseur romain ; son objectif, c’est la romanisation de la Palestine : il veut faire de la Judée un joyau romain. Certes, il reconstruit le Temple de Jérusalem, mais il bâtit aussi de nouvelles villes totalement romaines : Césarée maritime, sa nouvelle capitale, dénommée en l’honneur de César, mais aussi Séphoris, que des fouilles viennent de retrouver et qui est la nouvelle ville romaine située juste à côté du petit village de Nazareth. Jésus voyait la romanisation forcée de la terre de Judée. Ça se passait juste à côté de chez lui.

Les Hérodiens – les partisans d’Hérode – sont donc des collaborateurs. Alors que les Pharisiens sont plutôt des résistants. Peut-être, pour mieux comprendre l’étrangeté du tableau que l’Évangile nous présente, pouvez-vous vous replacer dans le contexte de la seconde guerre mondiale : un groupe composé de collabos et de résistants vient trouver Jésus … « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’occupant ? »

Si Jésus répond « oui », il est un collabo, il trahit la nation d’Israël ; s’il répond « non », il est un subversif, il incite à la révolte contre l’occupant. Dans les deux cas, la question vise à faire tenir à Jésus un rôle qu’il ne veut pas tenir : celui d’un leader politique. Dans les deux cas, la question est piégée. Y répondre revient à se situer au niveau d’une querelle de souverainetés terrestres alors que Jésus se présente comme le “Roi de l’Univers”, Roi d’un Royaume qui “n’est pas de ce monde”.

César, lui, a la prétention des deux : il est celui qui règne sur le monde, mais il se présente aussi comme un Dieu. C’est d’ailleurs ce qui déclenchera les persécutions des premiers chrétiens qui refuseront d’offrir des sacrifices à l’empereur et qui, de ce fait, seront vus par la puissance impériale comme des athées, des gens qui ne participent pas à la religion d’État.

Tous les gouvernements encourent le risque de se prendre pour Dieu. Les pharaons égyptiens étaient des dieux, les empereurs romains se proclamaient « Fils de Dieu », jusqu’aux cultes de la personnalité du XXe siècle, d’extrême droite ou d’extrême gauche, en passant par les Khans, les Tsars et les Empereurs du Japon. Cyrus, dont parle le Livre d’Isaïe, est un de ces rois de l’Antiquité à la stature divine. Et, pour le coup, c’est la Bible elle-même qui lui confère cette aura. Cyrus est le seul roi étranger que la Bible qualifie de messie, d’envoyé de Dieu.

Ici aussi, il convient de faire un peu d’Histoire. Vous le savez, le roi babylonien Nabuchodonosor avait envahi la Judée , détruit le Temple et déporté toutes les élites juives en exil dans sa capitale, Babylone, située dans l’Irak actuel. La destruction du Temple et l’exil sont, pour le peuple hébreu, la grande catastrophe dont parlent de nombreux textes bibliques. C’est plus qu’Israël qui est détruit ; c’est toute la puissance de Dieu qui est mise en cause. Comment a-t-il pu laisser un païen détruire son Temple ?

Quelques années plus tard, Cyrus, roi de Perse, l’actuel Iran, conquiert le royaume voisin de Babylone, et libère tous les peuples que Nabuchodonosor avait opprimé. Du point de vue biblique, Cyrus est le destructeur des destructeurs du Temple de Dieu, celui par qui la puissance du Dieu d’Israël est enfin restaurée. C’est pour cela qu’il est qualifié de messie, comme l’ont été tous les rois d’Israël, David, Salomon et tous les envoyés que Dieu a chargés de mener son peuple à la libération.

Jésus aussi, bien sûr, est un messie. Il est même LE messie par excellence, celui qui nous apporte la libération définitive, celle de la mort.

Si Jésus s’était abaissé au niveau de la question « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César ? », il aurait perdu son statut de sauveur universel, en entrant dans une vision partisane.

La phrase « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » invite finalement à faire la part des choses : d’où vient le véritable pouvoir de gouvernement ? De césars qui se le donnent à eux-mêmes ou de messies qui le reçoivent de Dieu ?

Et nous, qui gouverne finalement nos vies ? Est-ce nous-mêmes ou est-ce Dieu ? Comment comprendre pour nous aujourd’hui ce « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » ? Vous l’avez compris, c’est une invitation à faire le tri entre ce qui est spirituel et ce qui est mondain.

A cet égard, les grands mystiques nous disent de compter pour rien ce qui est dans le monde, d’être dès ici-bas tout tendus vers les cieux. Mais ça ne signifie pas pour autant qu’il faille se déconnecter du monde, ou pire le rejeter comme mauvais. L’incarnation de Dieu en la personne de Jésus-Christ est, au contraire, un élan d’amour pour le monde.

La question qui reste c’est : dans nos relations avec le monde qui nous entoure, nous comportons-nous comme un César – avide et oppressant, exigeant des autres un culte – ou comme Dieu – compatissant et aimant, acceptant même, s’il le faut, des autres le mépris ? Et si nous sommes honnêtes, nous dirons qu’en nous il y a un peu des deux : de César et de Dieu.

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » : Faites de toutes vos relations au monde un enjeu spirituel.

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCES.BE, le 17 octobre 2023

22.10.2023 – HOMÉLIE DU 29ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MATTHIEU 22,15-21

Soyons des disciples missionnaires à la foi active et la charité efficace

Pistes pour l’homélie par le Père Jean Compazieu


Textes bibliques : Lire


En ce 29ème dimanche du Temps ordinaire, nous entendons des textes bibliques qui nous interpellent. Ils nous rappellent l’importance que nous avons aux yeux de Dieu et le rôle que nous avons auprès des autres ; ce sont les paroles de la première lecture : “Je t’ai appelé par ton nom. Je t’ai donné un titre ; je suis le Seigneur et il n’en est pas d’autre.” Cette bonne nouvelle a été annoncée à un peuple qui vient de passer 50 ans en exil sur une terre étrangère. Ce peuple anéanti et humilié va pouvoir retrouver sa dignité et sa fierté. Ce qui est extraordinaire, c’est que Dieu se sert d’un roi païen pour réaliser son projet de salut. Cyrus, roi de Perse est devenu l’homme providentiel qui permettra au peuple d’Israël de retrouver sa terre.

À travers ce texte du prophète, nous entrevoyons un autre libérateur : il s’agit de Jésus lui-même. Avec lui, ce n’est pas seulement Israël qui est sauvé. Il est venu pour tous les peuples du monde. Il nous voit plongés dans notre péché, loin de Dieu. Il a livré son Corps et versé son Sang pour nous et pour la multitude. Il veut associer tous les hommes à sa victoire sur la mort et le péché. La journée missionnaire est là pour nous appeler à être  missionnaires.

Nous sommes envoyés pour annoncer “la joie de l’Évangile” ; c’est l’appel que nous adresse inlassablement le pape François : “la joie de l’Évangile remplit le cœur de ceux qui rencontrent Jésus.” C’est cette joie que nous avons à communiquer et à rayonner dans ce monde qui en a bien besoin. Devant ce désert spirituel, la tentation est grande de se décourager et de dire que ça ne sert à rien. Mais dans ce désert, “il faut des hommes de foi, qui par l’exemple de leur vie, montrent le chemin vers la Terre promise et ainsi, tiennent en éveil l’espérance”. (Pape François)

C’est de cette espérance que Paul témoigne dans la 2ème lecture ; il découvre chez les chrétiens de Thessalonique une foi active. Il a annoncé l’Évangile à des gens qui ne le connaissaient pas. Ces païens ont accueilli la Bonne nouvelle et se sont convertis à Jésus Christ. Mais il découvre que le principal travail, c’est Dieu qui le fait dans le cœur des hommes.

Cette annonce de l’Évangile n’a pas été facile pour les envoyés. Ils se sont trouvés affrontés à des gens qui ont cherché à le discréditer. C’est ce qui s’est passé pour Jésus tout au long de son ministère. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous voyons les pharisiens et les partisans d’Hérode se mettre d’accord pour lui tendre un piège ; ils commencent par faire l’éloge de sa franchise, de sa rectitude et de son intégrité ; mais ce langage flatteur vire progressivement vers un complot contre Jésus : “Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur César ?”

Ces oppositions à l’Évangile sont toujours d’actualité : la tentation est grande de mettre hors circuit ceux qui nous remettent en question et nous poussent à changer. Quand la parole de l’Église nous dérange, on fait tout pour la discréditer. Mais rien ne doit arrêter l’annonce de la bonne nouvelle. Le Christ compte sur chacun de nous pour être les témoins et les messagers de ces paroles de la Vie Éternelle.

Dans l’Évangile de ce jour, Jésus remet les choses “à l’endroit” : “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.” Certains pourraient croire que Jésus nous invite à un partage clair entre les deux domaines. Pour beaucoup c’est “la semaine à César et le dimanche à Dieu. »  Mais ce n’est pas cela que Jésus nous demande. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, “c’est reconnaître, face à n’importe quel type de pouvoir que Dieu est le Seigneur de l’homme et qu’il n’y en a pas d’autre” (pape François). Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est s’ouvrir à sa volonté et coopérer à son Royaume de miséricorde, d’amour et de paix.”

Rendre à césar ce qui est à césar, c’est participer à l’organisation de la société dans laquelle nous vivons, c’est assainir les relations en les fondant sur la loyauté, c’est assumer nos tâches dans les divers domaines de la vie sociale, économique et familiale. Nous avons tous à lutter pour que la dignité des plus pauvres soit reconnue et respectée. C’est dans ce monde tel qu’il est que nous sommes envoyés comme messagers de l’Évangile. À l’occasion de cette semaine missionnaire, nous sommes mis devant nos responsabilités. Le Christ nous veut en état de mission quels que soient notre et notre situation.

En célébrant cette Eucharistie, nous voulons, Seigneur, te rendre ce qui te revient. Nous t’offrons tous les actes de foi, d’espérance et de charité qui émaillent de nos vies et de celles de tous nos frères. Avec toi nous nous engageons à tout faire pour que l’amour l’emporte sur la haine et la violence. Sois avec nous pour que l’Évangile soit annoncé dans le monde entier. Amen

Père Jean Compazieu

Source : DIMANCHEPROCHAIN.ORG, le 15 octobre 2023