27.08.2023 – HOMÉLIE DU 21ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MT 16,13-20

Évangile de Matthieu 16, 13-20

Pour vous, qui suis-je ?

On a tendance à voir le paysage religieux que présentent les Évangiles (et la Bible en général) de manière assez monolithique, assez stéréotypée : globalement, il y a les Juifs (dont sont issus les Chrétiens) et il y a les païens (ce qui englobe tous les autres). Le paysage religieux au temps de Jésus est extraordinairement plus diversifié. Outre qu’il y a de nombreuses sectes juives, parfois s’affrontant entre elles d’ailleurs, de même, les « païens » regroupent en réalité un nombre considérable de pratiques religieuses, toutes aussi diversifiées les unes que les autres, se côtoyant comme se côtoient les divinités.

Et on est précisément là, à la frontière entre ces deux mondes : le monde juif et le monde païen ; à la frontière entre le monde au Dieu unique et le monde aux dieux multiples. C’est là, à Césarée de Philippe, ville à la frontière du monothéisme que Jésus pose la question : « Pour vous, qui suis-je ? »

Le nom local de Césarée de Philippe c’est Baniyas ou Panéas, tiré du nom du dieu Pan. Au IIIe siècle av. J.-C., les Lagides fondent cette ville pour faire concurrence au centre religieux sémitique de Dan. Une caverne au nord du site s’appelle d’ailleurs la « grotte de Pan » et, proche de son entrée, se trouve un temple dédié au dieu Pan. A l’époque de Jésus, Hérode y a fait construire un temple à la gloire d’Auguste.

La scène que nous présente l’Évangile d’aujourd’hui nous montre Jésus et ses disciples face à ces temples païens, aux confins de la maison d’Israël. « Pour vous, qui suis-je ? ». On comprend que le cadre où est posée cette question n’est pas anodin. Césarée est une ville d’affirmation de divinités païennes.

Jésus y est-il présenté en contraste de son homologue païen ? Dans la mythologie grecque, en effet, Pan (du grec ancien, signifiant autant « universel » que « faire paître ») est une divinité de la Nature, protecteur des bergers et des troupeaux. Les philosophes stoïciens identifiaient ce dieu avec la nature intelligente, féconde et créatrice. Enfin, chez Plutarque, on le trouve plus proche des héros que des dieux, puisqu’il aurait été mortel. Universel, protecteur des bergers et des troupeaux, Dieu et pourtant mortel : ça ne vous rappelle personne ? Il y a des similitudes, des proximités entre Jésus et le dieu Pan. A tel point que quelques représentations de Pan seront plus tard « reconverties » par l’Église en images du Bon Pasteur.

A ce stade, on peut se poser la question du point de vue de l’auteur. Est-ce son intention de placer cette scène à Césarée de Philippe ? Dans un cadre où s’affirment face à Israël les divinités païennes ?

Au printemps 65 (ou 66), Césarée est le théâtre d’affrontements entre Grecs et Juifs à la suite desquels la communauté juive s’enfuit de la ville. En 70, Titus, après avoir détruit Jérusalem, séjourne à Césarée de Philippe « où il donna des spectacles divers où beaucoup de prisonniers périrent, les uns jetés aux bêtes féroces, les autres forcés à lutter, comme des ennemis, les uns contre les autres » [Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, VII, ii, 1]

A l’heure où est écrit cet Évangile, Césarée est une ville martyre où de nombreux Juifs (et sans doute déjà des Chrétiens) ont été massacrés, une ville où les armées païennes ont humilié le peuple d’Israël. Les chrétiens de l’époque savaient cela, qu’à l’endroit où Pierre confessait que Jésus était le Messie, le Sauveur attendu par Israël, beaucoup avaient péri humiliés par l’occupant païen pour leur foi au Dieu unique.

Pour nous, les deux interprétations sont parlantes. Soit que l’épisode soit authentique – Jésus est allé, face aux temples païens poser à ses disciples la question « Pour vous qui suis-je ? » – soit que l’évangéliste ait placé Jésus à cet endroit pour associer la crucifixion du Christ au martyr de ceux qui avaient péri là pour leur foi.

Aujourd’hui aussi le Christ se présente sur un arrière-fond totalement « païen ». Notre monde est amplement « déchristianisé ». Face à ce monde qui, au mieux ignore les religions, au pire les méprise, face surtout à l’élan missionnaire de nos Églises qui semble enrayé, la question « Pour vous, qui suis-je ? » apparaît autant percutante qu’urgente. « Qui suis-je ? » pour vos communautés renfermées ? Un Dieu privé ? Chacun son christ ? On se serait revenu à une forme de polythéisme …

Prions qu’à nouveau, à la question de Jésus « Pour vous, qui suis-je ? » nos Églises répondent aussi spontanément et avec la même exaltation que Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Ce sera le signe qu’elle sont à nouveau rayonnantes.

Suis-je moi-même prêt à ce cri d’amour ?

« Pour vous, qui suis-je ? »

Fr. Laurent Mathelot OP

Source : RÉSURGENCES.BE, le 22 août 2023

27.08.2023 – HOMÉLIE DU 21ÈME DIMANCHE ORDINAIRE – MT 16,13-20

21ème dimanche du temps ordinaire

Dieu nous a tous appelés

Pistes pour l’homélie 
Textes bibliques : Lire
Les lectures bibliques de ce dimanche nous montrent des hommes qui ont été appelés par Dieu pour une mission bien précise. Dans le texte d’Isaïe (1ère lecture), c’est Eliaquim qui est appelé. Il reçoit l’investiture pour remplacer un serviteur royal devenu trop ambitieux. Nous ne savons rien de la vie d’Eliaqim. Son nom signifie “Dieu l’a suscité”. II fait partie de ceux que Dieu a choisis pour conduire son peuple : “Il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda”. Comprenons bien : ce n’est pas nous qui nous donnons la mission. C’est Dieu qui appelle et nous envoie. Il compte sur nous pour participer à son œuvre de salut du monde.

Saint Paul a, lui aussi, été suscité par Dieu. Au départ, c’était un pharisien persécuteur. Puis un jour, il a  rencontré Jésus sur le chemin de Damas. Cette rencontre a été pour lui le point de départ d’un véritable bouleversement. Le persécuteur acharné est devenu un grand témoin de la foi auprès des païens. Dans le passage que nous venons d’entendre, il proclame avec enthousiasme les merveilles de Dieu : “Tout vient de toi, Seigneur”. Paul rend gloire à Dieu qui s’est révélé au cours des siècles par son œuvre d’amour. Tous les hommes, juifs et païens, sont appelés à devenir ses fils. Si Dieu a suscité le peuple d’Israël, c’est pour partager avec l’humanité tout entière ce bonheur d’être aimé de Dieu. Voilà une bonne nouvelle qui doit nous réjouir le cœur.

C’est important pour nous qui avons tendance à ne voir que nos petites communautés. Depuis la Pentecôte, les disciples du Christ sont suscités pour sortir. Ils sont envoyés dans un monde hostile ou indifférent pour témoigner de l’amour qui est en Dieu. Comme Paul, beaucoup le font au péril de leur vie. La mission de l’Eglise n’est pas de se sauver elle-même mais de sauver le monde. Et c’est en vue de cette mission que le Seigneur nous envoie son Esprit Saint.

Dans l’Evangile, c’est Pierre qui est suscité par le Christ. Il est appelé à être la pierre sur laquelle Jésus édifiera son Eglise. Cette promesse fait suite à la question qu’il vient de poser : “Et vous, qui dites-vous que je suis ?” Et c’est précisément Pierre qui répond par une belle profession de foi : “Tu es le Christ, le Fils de Dieu”. Il reconnaît en lui le Fils du Dieu vivant, le Fils bien-aimé et unique.

En réponse à cette belle proclamation de sa foi, Jésus change le nom de Simon : “Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise, et la puissance de la mort n’aura pas de prise sur elle.” Pierre est choisi par Jésus  comme fondement de cette Eglise qu’il bâtira tout au long des siècles. Cette Eglise défiera les forces de mort et de destruction. Jésus donne à Pierre et à ses successeurs le pouvoir sur son domaine. Ils devront continuer son enseignement, établir des règles de gouvernement de ce nouveau peuple de Dieu et réconcilier les pécheurs.

Nous, chrétiens d’aujourd’hui, nous sommes suscités pour participer activement à cette mission. La bonne nouvelle doit être annoncée à tous, jusqu’aux “périphéries”. Le problème de nos communautés, c’est qu’elles n’ont pas toujours ce souci missionnaire. Beaucoup se contentent d’un “programme minimum”. C’est un affront aux martyrs d’autrefois et d’aujourd’hui qui n’ont pas hésité à donner leur vie pour le Christ. Et surtout, c’est un affront à Celui qui nous a aimés jusqu’au bout, jusqu’à la mort sur une croix.

Dieu a suscité Eliaqim puis ses apôtres Pierre et Paul. Aujourd’hui, c’est à nos communautés qu’il fait appel. Il compte sur nous pour que la bonne nouvelle soit répandue dans le monde entier. Un jour, nous aurons à rendre compte de cette mission. Le Seigneur attend de nous que nous donnions le meilleur de nous-mêmes dans l’annonce de l’Évangile.  Et surtout, nous ne devons pas oublier que Dieu a donné à Pierre le pouvoir des clés : “Je te donnerai les  clés du Royaume des cieux…” Ce pouvoir, c’est celui d’ouvrir le Royaume à tous les hommes. Il est confié à toute l’Église représentée par Pierre et ses successeurs.

Cette mission nous rejoint dans un monde où beaucoup de portes sont fermées. Pensons à tous ceux et celles qui sont enfoncés dans leur passé et leur mauvaise réputation. Le monde se méfie d’eux. Il ne leur laisse aucune chance. Avec Jésus et avec nous tous, la bonne nouvelle doit être annoncée aux petits, aux pauvres et à tous ceux et celles qui se sentent inutiles aux yeux du monde. Nous sommes envoyés vers eux pour leur dire qu’ils ont du prix aux yeux de Dieu.

C’est pour mieux répondre à cet appel que nous venons chaque dimanche à l’Eucharistie. C’est là que nous nous nourrissons de la parole et du Corps du Christ pour la mission qui nous est confiée. Merci Seigneur, pour cette nourriture. Tu nous précèdes chaque jour auprès des hommes, des femmes et des enfants que tu mets sur notre route. Sois avec nous pour que nous soyons de vrais témoins de ton amour.

Source : PUISERALASOURCE.FR