Poutine, Satan et le chant de la colombe

Montage réalisé lors de la retransmission du discours du president russe, Vladimir Poutine, le 30 septembre 2022.
Montage réalisé lors de la retransmission du discours du president russe, Vladimir Poutine, le 30 septembre 2022. • XOSE BOUZAS / HANS LUCAS

Poutine, Satan et le chant de la colombe

La course à l’abîme dans laquelle s’est engagé Vladimir Poutine, et avec lui la Fédération de Russie, a de quoi inquiéter l’Occident, présenté comme l’ennemi à combattre. Cette vision paranoïaque et manichéenne du monde rend pressant l’appel du pape François à la paix en Ukraine.

Par Aymeric Christensen

Le diable, donc. On connaissait les références pseudo-chrétiennes, hérético-évangéliques du président russe, on avait assisté avec effarement à la bénédiction d’un « combat contre les forces du mal » par le patriarche orthodoxe Kirill, mais Vladimir Poutine a franchi un nouveau pas en dénonçant, dans un discours halluciné, vendredi 30 septembre 2022, le « satanisme pur et simple » de l’Occident.

Corruption, propagande, autoritarisme, répression

Comme si la fuite en avant née des revers militaires qui ne cessent de s’accumuler pour lui en Ukraine ne lui laissait d’autre choix que l’irrationalité et le travestissement de son impérialisme en guerre sainte, de son probable échec historique en mission eschatologique. Lui, que l’on aimait à dépeindre en maître d’échecs, se révèle jour après jour sous son vrai visage : celui d’un vulgaire et dangereux accro au poker, prêt à tout instant à faire tapis.

Pour sauver la face ne restent que l’escalade et l’exaltation d’un « ennemi » à la hauteur de son destin à la tête d’une grande Russie messianique. Cet adversaire, bien sûr, c’est le monde occidental sous la férule des « Anglo-Saxons », « prêt à tout pour préserver le système néocolonial qui lui permet (…) de piller le monde entier », « contraire à la nature même de l’homme, à la vérité, à la liberté et à la justice ».

Autant de renversements à l’ironie tragique, quand on considère la politique étrangère de Poutine, notamment en Afrique, son mépris absolu d’un État souverain ou simplement de la vie humaine et, sur le plan intérieur, son régime mêlant corruption, propagande, autoritarisme, répression brutale et enfermement des opposants… Même les « valeurs » conservatrices et sécuritaires dont il se prétend le défenseur – jusqu’à trouver chez nous des séides pour adhérer à cette vision – sont contredites par la GPA légale et les statistiques russes en matière d’homicides, de divorces ou encore d’avortements.

L’appel du pape à un cessez-le-feu

L’homme du Kremlin est passé maître dans l’art d’entortiller de minces fils de faits véritables pour draper ses discours de larges tissus de mensonges. N’est-ce pas là, dans la tromperie, la calomnie et la division, que l’on trouve étymologiquement le véritable satanisme ? Le diable s’habille en Pravda.

Tout cela serait absurde et risible si la déraison d’un homme ne risquait de faire basculer le monde entier dans un hiver nucléaire, hors de contrôle, dévastateur. C’est pourquoi il faut prendre au sérieux l’appel du pape à un cessez-le-feu, adressé « avant tout au président de la Fédération de Russie, le suppliant d’arrêter cette spirale de violence et de mort, y compris pour le bien de son peuple ».

Cette supplique sans précédent à Vladimir Poutine lui-même, au lendemain de l’annexion illégale de territoires ukrainiens, marque un heureux tournant dans la diplomatie vaticane depuis le début de cette agression brutale. Même si François réitère ses appels à ce que Volodymyr Zelensky se montre « ouvert à des propositions de paix sérieuses » – peut-il en effet y avoir une négociation « sérieuse » avec un pays qui bafoue sans vergogne le moindre de ses engagements ? –, il est en effet nécessaire de continuer d’explorer toutes les voies possibles, même les plus étroites, en faveur de la paix.

C’est bien notre avenir commun qui est en jeu. Et il y a là aussi un rappel cruel que la « dissuasion » nucléaire n’en est une que jusqu’à ce qu’une étincelle y mette fin ; à partir de quoi elle ne peut que devenir une mortelle escalade. Au bord de l’abîme, l’humanité saura-t-elle entendre enfin le chant fragile de la colombe, ou cédera-t-elle à ses plus vieux démons ? Si la diplomatie appartient aux diplomates, les chrétiens peuvent déjà recourir à la prière.

Source : LA VIE, le 4 octobre 2022

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