Comprendre le voyage historique de réconciliation du pape François avec les peuples autochtones du Canada

Du Père Raymond J. de Souza sur le National Catholic Register :

Comprendre le voyage historique de réconciliation du pape François avec les peuples autochtones du Canada

Le dernier voyage papal au Canada a été effectué par le pape Jean-Paul II en 1984.

22 juillet 2022

Dimanche, le pape François entamera un voyage papal tout à fait unique en près de 50 ans de voyages papaux à l’étranger. 

Il s’agira d’un pèlerinage qui ne s’adressera pas à l’ensemble de l’Église du Canada, mais qui sera étroitement axé sur les peuples autochtones. Il aura un caractère « pénitentiel », comme le Saint Père l’a caractérisé lors de son discours à l’Angélus dimanche dernier. Et alors que la plupart des voyages papaux ont des thèmes multiples – histoire, famille, jeunesse, évangélisation, justice, etc. – celui-ci est exclusivement destiné à favoriser la « réconciliation », au sens où ce terme a fini par être compris dans la politique canadienne.  

Un peu d’histoire s’impose. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les Canadiens ont commencé à entendre des voix autochtones parler des  » pensionnats indiens « , une partie de l’histoire du Canada qui était restée largement cachée.  

(Au cours des dernières décennies, le terme « Indien » – utilisé pendant la majeure partie de l’histoire du Canada – a été remplacé par « autochtone » et maintenant « indigène »). 

À la fin du XIXe siècle, le gouvernement canadien a instauré une politique de pensionnats pour les enfants indigènes. L’éducation devait leur apprendre à lire, à écrire et à compter, mais elle comportait également une dimension culturelle, dans le cadre d’un projet d’assimilation dont l’expression la plus célèbre était « tuer l’Indien dans l’enfant ». Les enfants indigènes se voyaient souvent interdire de parler leur langue maternelle ou de porter leurs vêtements traditionnels. 

Au début, la fréquentation de l’école était volontaire, mais au début du XXe siècle, elle est devenue obligatoire, ce qui a entraîné la séparation forcée des enfants de leur famille. La plupart des écoles ont fermé dans les années 1960, mais quelques-unes sont restées jusque dans les années 1980. Aujourd’hui, tout le monde – l’Église, l’État et les dirigeants autochtones – considère que cette période est un chapitre sombre de l’histoire du Canada.  

Si les écoles ont été créées et financées par le gouvernement canadien, leur fonctionnement a été confié aux églises. Les catholiques géraient environ deux tiers des écoles ; le tiers restant était géré par des protestants. La majorité des écoles catholiques étaient gérées par les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée (OMI). 

Les témoignages de ceux que l’on appelle aujourd’hui les « survivants » ont commencé en 1990. Ils ont parlé de maladies, d’hygiène, de nutrition et de soins de santé inadéquats, ainsi que d’abus physiques et sexuels.  

Depuis plus de 30 ans, les Canadiens consacrent une énergie considérable à l’héritage des pensionnats. En 2006, un règlement financier de près de 4 milliards de dollars a été conclu, avec la participation du gouvernement et des églises. 

Des excuses officielles ont été présentées par le gouvernement canadien à la Chambre des communes d’Ottawa en 2008. Des excuses ont été présentées par le pape Benoît XVI à une délégation de dirigeants autochtones au Vatican en 2009.  

Puis est venue la Commission de vérité et de réconciliation (CVR), une enquête mise en place par le gouvernement fédéral. Elle a rendu son rapport en 2015 et a dressé une liste d' »appels à l’action ». Faisant fi des excuses présentées en 2009 par le pape Benoît XVI, la CVR a exigé que le pape François se présente au Canada « dans un délai d’un an » pour présenter de nouvelles excuses. 

L’Église au Canada a choisi de ne pas défendre les excuses de Benoît XVI, ni les douzaines d’excuses qui ont été présentées par les diverses entités catholiques concernées, à commencer par les excuses complètes de l’OMI en 1991, bien avant que la plupart des Canadiens ne soient au courant de l’histoire des pensionnats. 

En 2015, on pensait que la question serait mise en sommeil et que, pendant ce temps, le travail quotidien de coopération au niveau local se poursuivrait.  

La découverte de tombes non marquées sur les sites d’anciens pensionnats en mai 2021 a suscité un tollé international en raison de ce qui a parfois été présenté comme des « fosses communes », impliquant un massacre d’enfants autochtones. Cela n’a jamais été le cas, mais la désinformation massive a suscité une vive controverse qui a ébranlé à la fois le gouvernement canadien et les évêques catholiques. 

Le gouvernement fédéral a engagé des centaines de millions de dollars pour l’exploration des tombes. À ce jour, aucune exploration n’a eu lieu. 

La colère contre l’Église catholique s’est manifestée non seulement en paroles, mais aussi par des actes de vandalisme dans des dizaines d’églises catholiques, y compris des incendies dans quelques églises situées dans des réserves autochtones. 

Les évêques du Canada ont donc renouvelé leurs diverses excuses individuelles en une déclaration unifiée en septembre dernier et se sont engagés à réunir 30 millions de dollars pour des projets de réconciliation au cours des cinq prochaines années. La « réconciliation » est le terme générique pour désigner le traitement de l’héritage des écoles résidentielles.  

Et, le plus symbolique, les évêques se sont engagés à demander au pape François de se rendre au Canada pour présenter des excuses sur les terres autochtones, comme l’a demandé la CVR en 2015.  

Avant la découverte en 2021 de possibles sites de sépulture, les évêques avaient déjà travaillé sur une deuxième rencontre papale à Rome, pour renouveler les excuses offertes par Benoît XVI en 2009. Cette rencontre avait été retardée par la pandémie, mais elle a finalement eu lieu en mars et avril 2022, lorsque le Saint-Père a passé cinq heures sans précédent avec des groupes indigènes au cours de la semaine. Il a ensuite présenté de profondes et puissantes excuses et s’est engagé à visiter le Canada. 

Le Saint-Père a choisi le mois de juillet pour sa visite afin de célébrer la fête de Sainte Anne (26 juillet) avec les catholiques autochtones, dont la dévotion à la grand-mère de Jésus est cohérente avec le respect qu’ils accordent à leurs aînés. Le pèlerinage catholique annuel au lac Sainte-Anne (près d’Edmonton) est le plus grand événement religieux annuel pour les autochtones canadiens, dont la majorité sont chrétiens. Le pape François y participera mardi. 

Le pape passera six jours au Canada, le premier jour étant entièrement consacré au repos. Il arrivera à Edmonton le dimanche et participera ensuite à quatre événements sur deux jours, tous limités à une heure en raison de la récente détérioration de la santé du Saint-Père. 

Mercredi, il se rendra à Québec, le premier diocèse catholique d’Amérique du Nord. Au cours de quatre autres événements qui se dérouleront sur trois jours, il devrait évoquer les 200 ans d’histoire entre les catholiques et les autochtones qui ont précédé le premier pensionnat. En effet, la canonisation de Saint François de Laval, premier évêque du Canada, a été accélérée par le pape François en partie à cause de sa défense de la dignité des peuples autochtones.  

Lors de son dernier jour au Canada, le pape François se rendra dans le Grand Nord pour rencontrer les Inuits à Iqaluit avant de rentrer à Rome dans la nuit. 

Les excuses du pape François au Vatican – qui étaient sincères, théologiquement prudentes et rhétoriquement lyriques – semblent avoir rendu la visite réelle anticlimatique. Ce que le Saint-Père va dire, il l’a déjà dit – et d’autres l’ont dit depuis plus de 30 ans. Alors qu’une visite papale est toujours un moment de grâce, les dirigeants catholiques parlent – en privé – de ce voyage comme d’une étape nécessaire qu’ils ont hâte de franchir.  

Du côté des autochtones, on constate un certain manque d’intérêt pour les événements papaux et un manque de coordination pour ceux qui souhaitent y assister, même si le gouvernement fédéral a engagé 35 millions de dollars pour permettre aux survivants de rencontrer le pape. 

Les évêques catholiques financeront le coût de 15 millions de dollars de la visite papale, en plus de l’engagement antérieur pour les projets de réconciliation. Cela ne sera pas facile, car la majorité des diocèses canadiens sont en difficulté financière.  

La visite papale mettra en lumière deux réalités concurrentes.  

Ce qui retiendra le plus l’attention, c’est la relation entre les dirigeants politiques autochtones et les évêques catholiques – une relation tendue marquée par la suspicion de mauvaises intentions de part et d’autre. L’autre réalité est celle des bonnes relations au niveau des paroisses et des diocèses qui marquent la vie de la plupart des catholiques indigènes, où la réconciliation est en cours depuis trois décennies.  

Il s’agira de la quatrième visite papale au Canada. Saint Jean-Paul II a fait un voyage de 12 jours à travers le pays – l’un de ses plus longs voyages dans un seul pays – en 1984. Lors de ce voyage, le mauvais temps l’avait empêché de rendre visite aux autochtones canadiens dans le Grand Nord, il y est donc retourné en 1987. Son troisième voyage a eu lieu en 2002, à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse à Toronto. Le pape Benoît XVI n’a pas visité le Canada.

Source: National Catholic Register. le 22 juillet 2022

Cardinal Parolin: le Pape vient au Canada pour étreindre les peuples autochtones

Cardinal Parolin: le Pape vient au Canada pour étreindre les peuples autochtones

Le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État du Saint-Siège, expose aux médias du Vatican les lignes directrices de ce 37e voyage apostolique du Successeur de Pierre en terre canadienne. Le cardinal Parolin souligne que le Pape veut montrer sa proximité de manière concrète avec les populations qui souffrent, «pour prier avec elles et se faire pèlerin parmi elles».

Entretien réalisé par Massimiliano Menichetti – Cité du Vatican

Éminence, le Pape François se prépare à partir pour le Canada. Cette visite sera axée sur la rencontre avec les populations autochtones et l’Église locale. C’est un voyage très désiré?

Oui, c’est certainement un voyage très désiré et au centre duquel il y aura une étreinte avec les peuples autochtones et l’Église locale, comme l’a rappelé le Saint-Père dimanche dernier, en déclarant: «Je viendrai parmi vous au nom de Jésus pour rencontrer et embrasser les peuples autochtones». Le Saint-Père a montré à plusieurs reprises sa grande préoccupation pour les peuples autochtones. Nous pouvons penser aux différentes visites lors de ses voyages, aux nombreuses rencontres qu’il a eues au Vatican, et aussi à l’exhortation apostolique Querida Amazonia. Dans le cas des peuples autochtones canadiens, il s’agit, a-t-il précisé dans son discours de dimanche dernier, d’un «pèlerinage pénitentiel» à la suite des rencontres qu’il a eues avec certains de leurs représentants à Rome en mars et avril derniers.

Après l’écoute et une première rencontre, l’occasion se présente maintenant d’un plus large partage. Le Pape se rendra pendant plusieurs jours sur des lieux éloignés les uns des autres, avec le désir de visiter les communautés autochtones, là où elles vivent. Il est certainement impossible de répondre à toutes les invitations à visiter tous les lieux, mais le Saint-Père est animé par le désir de manifester une proximité concrète. Proximité est précisément le mot-clé. Le Pape n’a pas seulement l’intention de prononcer des mots, mais surtout d’être proche, de manifester sa proximité de manière concrète. C’est pourquoi il a entrepris de toucher de ses propres mains la souffrance de ces peuples, de prier avec eux et de se faire pèlerin parmi eux.

En avril, le Saint-Père a demandé pardon pour la participation de certains catholiques aux préjudices subis par les peuples autochtones, en particulier ceux qui ont eu des responsabilités dans les pensionnats entre la fin du XIXe siècle et les dernières décennies du XXe siècle. Le pardon et la réconciliation guideront-ils ces six jours canadiens?

Comme nous nous en souvenons tous, le Pape, lors de la réunion du 1er avril, a exprimé sa honte et son indignation face aux actions de pas mal de chrétiens qui, au lieu de témoigner de l’Évangile, se sont adaptés à la mentalité coloniale et aux politiques gouvernementales passées. Des politiques d’assimilation culturelle qui ont gravement porté atteinte aux communautés autochtones. Le rôle de certains catholiques dans ce qu’on appelle le système des pensionnats, qui a eu pour effet de retirer de nombreux enfants autochtones de leur famille, a été particulièrement douloureux. Et c’est précisément ce contexte historique qui configure et caractérise la dimension pénitentielle, comme je l’ai mentionné avant ce voyage, dans laquelle les thèmes de la guérison, des blessures et de la réconciliation seront présents.

Mais pas seulement, car les rencontres, dans le sillage de celles, chaleureuses, qui ont eu lieu à Rome, seront aussi sous le signe de la fraternité et de l’espérance, et seront également sous le signe de la réflexion sur le rôle que les peuples autochtones jouent aussi aujourd’hui. En effet, il peut être profitable pour tous de redécouvrir nombre de leurs valeurs et de leurs enseignements. Je pense, par exemple, à l’attention portée à la famille et à la communauté, à l’attention portée à la création, à l’importance accordée à la spiritualité, au lien fort entre les générations et au respect des personnes âgées. À cet égard, le Pape tient particulièrement à célébrer la fête des saints Joachim et Anne, les grands-parents de Jésus, précisément dans le cadre de ce voyage.

Le successeur de Pierre confirmera l’Église catholique dans la foi. Il a exprimé le souhait de participer au pèlerinage évocateur au lac Sainte-Anne. Pourrait-il demander un nouvel élan évangélisateur dans un pays d’immenses ressources, et pas uniquement naturelles?

Dans chacun de ses voyages apostoliques et plus généralement dans son ministère, le Saint-Père ne se contente pas de confirmer la communauté chrétienne, mais il veut aussi être un frère dans la foi avec le peuple de Dieu, se faisant pèlerin sur les lieux qu’il visite et avec les traditions religieuses qu’il rencontre. C’est pour cela qu’il souhaite fortement vivre un moment liturgique au lac Sainte-Anne, que les habitants appellent le lac de Dieu. C’est là que se déroule, depuis plus de cent ans, un pèlerinage en l’honneur de Sainte Anne, la grand-mère de Jésus. De nombreux malades et blessés, atteints dans leur chair et leur esprit, se baignent dans ces eaux. Dans ce lieu particulier, dans le contexte d’un cadre naturel très évocateur, il sera beau, dans le cadre de l’évangélisation, de revenir aux sources de la foi. Nous pensons à Jésus assoiffé et guérissant, versant dans les cœurs l’eau de l’Esprit Saint, l’eau qui jaillit pour la vie éternelle. En même temps, comme dans les autres étapes d’autres voyages, le Pape ne manquera pas de rappeler l’urgence de l’évangélisation dans un contexte fortement sécularisé, en faisant appel précisément aux défis que le sécularisme pose à nos priorités pastorales, à nos langages et en général à notre manière d’être Église et de témoigner de la foi aujourd’hui.

La devise de la visite est «marcher ensemble». Qu’attend le Saint-Père de ce voyage?

Cette devise, en plus d’indiquer le chemin parcouru avec les communautés autochtones canadiennes, évoque le mot synode «marcher ensemble». Comme le Pape l’a souvent répété, le synode n’est pas un événement occasionnel, mais plutôt un style ecclésial. Un style ecclésial que nous sommes tous appelés à assumer dans l’esprit de l’Évangile et des premières communautés chrétiennes. Un style qui se caractérise par l’écoute mutuelle, le dialogue, le discernement pastoral commun et la fraternité. Ici, j’imagine que ce sera précisément dans cet esprit que le Saint-Père ne manquera pas de proclamer une fois de plus la parole prophétique de l’Évangile qui nous invite à tisser la fraternité, à construire la paix, à dépasser les divisions, qui sont souvent le fruit non seulement de l’égoïsme personnel, mais aussi de mentalités et de visions déformées.

En ce sens, rappelant l’importance de la charité mutuelle, le Saint-Père espère sans doute pouvoir encourager de manière significative le chemin déjà entamé par l’Église et la société canadienne sur la voie de la réconciliation et de la guérison. Un chemin qui, à partir de la purification de la mémoire, ravive le désir d’un parcours fraternel dans lequel tous, Église et société civile, sont impliqués de manière concordante. Comme dans de nombreux domaines, ce «marcher ensemble» est aujourd’hui plus que jamais essentiel. Ce n’est que de cette manière qu’il est possible de construire et de s’ouvrir à un avenir d’espérance.

Source: VATICANNEWS, le 23 juillet 2022