Alessandro Serenelli, l’assassin sauvé par sa victime

Alessandro Serenelli, l’assassin sauvé par sa victime

En 1909, Alessandro Serenelli purge une peine de prison de trente ans pour l’assassinat de Maria Goretti, sa petite voisine de onze ans et demi, qu’il a massacrée parce qu’elle refusait ses avances. Ce drame atroce a bouleversé l’Italie. Pourtant, le jeune criminel ne manifeste aucun remords. Le seul à plaindre, dans l’histoire, c’est lui, comme il ne manque pas une occasion de le rappeler. C’est vrai, Sandro n’a pas eu de chance dans la vie, ce qui lui a permis de bénéficier de circonstances atténuantes, mais cela n’excuse pas tout, tant s’en faut ! Cela, l’aumônier de la prison essaie de le lui faire comprendre depuis bientôt sept années, relayé par l’évêque du lieu, Mgr Blandini, qui vient régulièrement voir le garçon. En vain. Pourtant, ce matin-là, à la surprise de l’évêque, Serenelli réclame sa visite et, au lieu de l’insulter, comme d’ordinaire, lui demande l’explication du rêve étrange qu’il a fait la nuit précédente : il a vu Maria…

Les raisons d’y croire

  • Alessandro Serenelli est incontestablement digne de compassion. Son père, alcoolique et violent, le battait. Sa mère, issue d’une famille au sein de laquelle les troubles mentaux sont héréditaires, a tenté de le noyer quand il était bébé, ce qui lui a valu d’être internée en hôpital psychiatrique, où elle est décédée sans que son fils l’ait connue. L’enfant n’a jamais été aimé ni éduqué. Adolescent, il s’est engagé comme mousse sur des navires où on lui a enseigné la loi du plus fort, le mépris de la morale chrétienne, à boire « comme un homme » et prendre son plaisir avec des prostituées. En fait, il ne distingue pas le bien du mal et, s’il le pouvait, ne s’en encombrerait pas car il est égoïste : il ne songe qu’à lui et à ce qui lui plaît. Il écrira en 1961 dans son testament : « En ma prime jeunesse, je reconnais avoir pris un mauvais chemin, celui du mal qui mène à la ruine, influencé par la presse et les mauvais exemples que tant de jeunes gens suivent sans réfléchir. »
  • Dans ces conditions, après le crime qu’il a commis et qu’il purge avec colère, essayer de l’amender et de lui faire reconnaître ses fautes dépasse les forces humaines. Les prêtres qui s’y sont essayés et s’y essaient encore se heurtent aux crises de rage du jeune détenu, ses insultes, ses menaces, voire ses coups. S’ils s’obstinent à revenir, c’est pour exaucer le dernier vœu de sa victime.
  • Quelques minutes avant de succomber, le 6 juillet 1902, aux terribles blessures que Serenelli lui a assenées, à la question de son curé qui venait de lui administrer les derniers sacrements, lui demandant si elle pardonne à son assassin, Maria Goretti a répondu non seulement qu’elle lui pardonnait « pour l’amour de Jésus », mais aussi qu’elle « voulait qu’il aille au Ciel avec elle ». Il a fallu à la fillette à la fois une générosité héroïque pour accorder ce pardon et un sens remarquable des réalités éternelles. Elle agonise dans des souffrances atroces depuis vingt-quatre heures et les offre en vue du salut de son bourreau, en union avec la Passion du Christ.
  • Les derniers mots qu’Alessandro Serenelli a entendus de Maria, alors qu’il tentait de la violer, ont été : « Ne fais pas cela, Sandro, c’est un péché ! Arrête ! Tu iras en enfer ! » Si, rendu fou de rage par la résistance désespérée de la petite fille, cette menace ne l’a pas empêché de la frapper sept fois au ventre et à la poitrine, puis encore sept autres fois dans le dos alors qu’elle tentait de lui échapper, cette pensée de la damnation le tracasse malgré tout et, ses connaissances religieuses étant quasi nulles, ignorant tout de la miséricorde divine, il ne pense pas pouvoir y échapper. Il est donc difficile d’imaginer que son subconscient ait pu fabriquer de toutes pièces un rêve mettant en scène des notions de pardon, de rédemption, de communion de saints et de partage des mérites, qui lui sont totalement étrangères.
  • Sept ans ont passé depuis l’assassinat de Maria. Il ne parle jamais de la fillette et semble la tenir pour responsable de son crime, puisque c’est son refus et son « mépris » qui l’ont poussé à acheter un couteau, dans l’idée de l’effrayer et de l’obliger à céder. Dans un tel état d’esprit et de rancune contre celle qu’il a été « obligé » de tuer, il est improbable qu’il la voie en rêve comme un être bienveillant et aimant.
  • Le fameux rêve, Serenelli le raconte lui-même : « Je me voyais dans un jardin plein de lys blancs. J’ai vu Marietta venir à moi, belle et vêtue de blanc. Elle commença à cueillir des lys et à les déposer dans mes bras jusqu’à ce qu’ils en fussent pleins. Elle me souriait comme un ange. Puis, soudain, mes lys se sont transformés en roses rouges [une autre version parle également de torches enflammées]. Marietta me sourit encore puis elle disparut. » Pour un catholique pratiquant, la symbolique de ce songe est évidente, parlante, mais Alessandro ne la comprend pas ; il ne saurait donc l’avoir fabriqué.
  • Dans la vision de Serenelli, les fleurs immaculées, symbole de la pureté et de la virginité de sa victime, se transforment en roses rouges, symbole du sang versé et du martyre, puis en flammes ardentes. Bizarrement, alors que le jeune homme, hanté par la peur de l’enfer, pourrait interpréter ces flammes comme une annonce de sa damnation et le plonger dans l’effroi, c’est tout le contraire qui se produit. Pour lui – son confesseur le confirmera –, ces flammes sont celles de l’amour du Christ, « fournaise ardente de charité », qui consument ses péchés et le sauvent de l’enfer. Serenelli conclut son récit par ces mots étonnants : « Je me réveillais en sursaut et je pensais : je suis sauvé car j’avais la certitude que Marietta était venue m’accorder son pardon. Désormais, je ne ressentis plus l’horreur de ma vie. » Cette conclusion ne peut lui venir que d’une inspiration divine tant elle est à l’opposé de sa vision des choses.
  • Prévenu, Mgr Blandini accourt et, après avoir écouté le récit de son rêve, lui dit que Maria lui a pardonné avant de mourir. En larmes, Serenelli tombe à ses genoux, manifestant une immense contrition de ses fautes, et fait une confession exemplaire, reconnaissant pour la première fois ses mauvaises habitudes, ses vices, sa passion maladive pour cette petite fille, sa colère de ne pas parvenir à abuser d’elle et sa rage en l’entendant lui répéter que c’était mal et que Dieu ne le permettait pas. La grâce de la contrition parfaite, surtout s’agissant d’un criminel obstiné, accordée en un instant, sans que rien le laisse prévoir, ne peut venir que de Dieu.
  • L’absolution reçue, Serenelli est méconnaissable, comme s’il s’était libéré, en plus de ses péchés, de tous les liens qui l’enchaînaient, et même de ses troubles mentaux. Dès lors, il devient et demeure un prisonnier exemplaire.
  • L’on ne peut pas penser à de la simulation ni à un calcul destiné à écourter son emprisonnement ou améliorer ses conditions d’incarcération. Seules l’excuse de la minorité et les circonstances atténuantes dues à son lamentable environnement familial et au passif psychiatrique des siens lui ont permis de sauver sa tête et d’éviter la perpétuité, lui valant une peine incompressible de trente ans. Il le sait, tout comme il sait que feindre des efforts d’amélioration ne lui servirait à rien. D’ailleurs, jouer la comédie du repentir et du prisonnier modèle pendant deux décennies serait très difficile. La conversion d’Alessandro est authentique et jamais il ne réclamera une libération anticipée, acceptant sa longue peine de prison comme le prix à payer pour son crime et sa rédemption. Il le dit : « À vingt ans, j’ai commis un crime passionnel dont le seul souvenir m’épouvante encore. Marietta, cette sainte, fut le bon ange que la providence mit sur ma route […]. Elle a prié et intercédé pour moi, son assassin. J’ai fait trente ans de prison […]. J’ai accepté cette sentence méritée et j’ai expié ma faute avec résignation. »
  • Lorsque Serenelli sort de prison, il comprend que son crime le poursuit et qu’il n’a plus sa place dans la société. Il décide alors de demander à être accueilli par les capucins du couvent d’Ascoli Piceno, à Macerata, dans les Marches. Avant d’y être reçu, il lui reste une dernière démarche, pénible, à accomplir : le jour de Noël 1935, il va voir Assunta Goretti, la mère de Maria, et, à genoux devant elle, implore son pardon. Madame Goretti répond : « Si Maria t’a pardonné, si Dieu t’a pardonné, Alessandro, moi aussi, je te pardonne. » Seul un grand et sincère repentir peut permettre un tel geste.
  • Serenelli entre chez les Fils de Saint-François « qui l’accueillent avec une charité séraphique » en 1936. C’est là qu’il meurt, le 16 mai 1970, après avoir passé le reste de ses jours dans la prière, en travaillant au jardin. Là encore, un si long repentir ne peut être feint. Par humilité, il demande à ce que son testament, dans lequel il confesse ses fautes et la miséricorde divine, rédigé en 1961, soit publié après sa mort.

Auteur : Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.

Source: 1000 raisons de croire

06.07.2022 – SAINTE DU JOUR

Ste Maria Goretti

Ste Maria Goretti

VIERGE ET MARTYRE († 1902)

Sainte Maria Goretti
« martyre de la pureté » 
(1890-1902)

Maria naît dans le petit village de Corinaldo, le 16 octobre 1890, troisième d’une famille de sept enfants. En 1899, son père, cultivateur pauvre, déménagea dans une ferme au bord de la Méditerranée, près de Nettuno. Il mourut peu de temps après, laissant six enfants à nourrir.

Assunta, son épouse, décida de continuer la rude tâche à peine commencée et confia la garde des petits à Marietta, qui n’était alors âgée que de neuf ans. La petite fille d’une maturité précoce devint très vite une parfaite ménagère. Le jour de la Fête-Dieu, elle communia pour la première fois avec une ferveur angélique. Elle s’appliquait avec délices à la récitation quotidienne du chapelet. Maria Goretti ne put apprendre à lire, car la pauvreté et l’éloignement du village l’empêchèrent de fréquenter l’école. La pieuse enfant ne tint cependant aucun compte des difficultés et des distances à parcourir lorsqu’il s’agissait de recevoir Jésus dans le Saint Sacrement. « Je puis à peine attendre le moment où demain j’irai à la communion », dit-elle l’après-midi même où elle allait sceller de son sang sa fidélité à l’Époux des vierges. 

Les Serenelli, proches voisins de la famille Goretti, étaient des gens serviables et honnêtes, mais leur fils Alessandro se laissait entraîner par des camarades corrompus et des lectures pernicieuses. Il venait aider la famille Goretti pour des travaux agricoles trop pénibles. Maria l’accueillait, reconnaissante, trop pure pour se méfier. Ce jeune homme ne tarda pas à lui tenir des propos abjects, en lui défendant de les répéter. Sans bien comprendre le péril qui la menaçait et craignant d’être en faute, Maria avoua tout à sa mère. Avertie d’un danger qu’elle ignorait, elle promit de ne jamais céder. 

Alessandro Serenelli devenait de plus en plus pressant, mais prudente, l’adolescente s’esquivait le plus possible de sa présence. Furieux de cette sourde résistance, le jeune homme guettait le départ de la mère pour pouvoir réaliser ses desseins pervers. L’occasion tant attendue se présenta le matin du 6 juillet 1902. Alessandro se précipita brutalement sur Maria, alors seule et sans défense. Brandissant sous ses yeux un poinçon dont la lame acérée mesurait 24 centimètres, il lui fit cette menace : « Si tu ne cèdes pas, je vais te tuer ! » La jeune chrétienne s’écria : « Non! C’est un péché, Dieu le défend ! Vous iriez en enfer ! » Déchaîné par la passion, n’obéissant plus qu’à son instinct, l’assassin se jette sur sa proie et la laboure de quatorze coups de poinçon. 

Lorsque Assunta est mise au courant du drame, Maria gît mourante à l’hôpital de Nettuno. Le prêtre au chevet de la martyre, lui rappelle la mort de Jésus en croix, le coup de lance et la conversion du bon larron : « Et toi, Maria, pardonnes-tu ? lui demanda-t-il. – “Oh, oui ! murmura sans hésitation la douce victime, pour l’amour de Jésus, qu’il vienne avec moi au Paradis.” » Les dernières paroles que la Sainte prononça au milieu d’atroces douleurs, furent celles-ci : « Que fais-tu Alessandro ? Tu vas en enfer ! » et comme elle se détournait dans un ultime effort, son cœur cessa de battre. 

Alessandro Serenelli fut condamné à une peine de trente ans de prison. Après huit années d’incarcération, une nuit de 1910, il rêva que Maria lui offrait des lys qui se transformaient en lumières scintillantes. Ce rêve lui fit réaliser le mal qu’il avait fait et il se repentit. Il fut libéré en 1929, après vingt-sept années de détention.

Dans la nuit de Noël 1934, il alla jusqu’à Corinaldo, où était retournée la mère de Marietta, Assunta Goretti, qui à cette époque était au service du curé, et la supplia de lui pardonner. Elle accepta en disant : « Dieu vous a pardonné, ma Marietta vous a pardonné, moi aussi je vous pardonne. » Tous deux assistèrent à la messe ensemble le lendemain, recevant la Sainte Communion, l’un à côté de l’autre, sous le regard très étonné des paroissiens.

C’est ensemble également qu’ils assistèrent le 27 avril 1947 aux cérémonies de la béatification et à celles de la canonisation de Marietta le 24 juin 1950, par le vénérable pape Pie XII (Eugenio Pacelli, 1939-1958). Ce fut la première fois qu’une mère assistait à la canonisation de sa fille.

Dans son allocution, le Saint-Père déclarait : « Elle est le fruit mûr d’une famille où l’on a prié tous les jours, où les enfants furent élevés dans la crainte du Seigneur, l’obéissance aux parents, la sincérité et la pudeur, où ils furent habitués à se contenter de peu, toujours disposés à aider aux travaux des champs et à la maison, où les conditions naturelles de vie et l’atmosphère religieuse qui les entouraient les aidaient puissamment à s’unir à Dieu et à croître en vertu. Elle n’était ni ignorante, ni insensible, ni froide, mais elle avait la force d’âme des vierges et des martyrs, cette force d’âme qui est à la fois la protection et le fruit de la virginité. »

Alessandro Serenelli, devenu membre du Tiers-Ordre franciscain, travaillait depuis 1936 en tant que jardinier du Couvent des Pères Capucins d’Ascoli Piceno, puis, plus tard, au couvent de Macerata où il passa le reste de sa vie à leur service. Il y mourut le 6 mai 1970, à l’âge de 88 ans, après avoir rédigé un testament des plus édifiants.

Alessandro Serenelli, testament autographe, 5 mai 1961:

« Je suis âgé de presque 80 ans, et ma journée va bientôt se terminer. Si je jette un regard sur mon passé, je reconnais que dans ma première jeunesse j’ai pris un mauvais chemin : celui du mal qui m’a conduit à la ruine ; j’ai été influencé par la presse, les spectacles et les mauvais exemples que la plupart des jeunes suivent sans réfléchir, mais je ne m’en souciais pas. J’avais auprès de moi des personnes croyantes et pratiquantes, mais je ne faisais pas attention à elles, aveuglé par une force brutale qui me poussait sur une route mauvaise. À vingt ans j’ai commis un crime passionnel, dont le seul souvenir me fait encore frémir aujourd’hui.

Maria Goretti, qui est aujourd’hui une sainte, a été le bon ange que la Providence avait mis devant mes pas. Dans mon cœur j’ai encore l’impression de ses paroles de reproche et de pardon. Elle a prié pour moi, intercédé pour moi, son assassin. Trente ans de prison ont suivi. Si je n’avais pas été mineur, j’aurais été condamné à vie. J’ai accepté la sentence méritée ; j’ai expié ma faute avec résignation. Marie a été vraiment ma lumière, ma Protectrice ; avec son aide j’ai acquis un bon comportement et j’ai cherché à vivre de façon honnête lorsque la société m’a accepté à nouveau parmi ses membres. Avec une charité séraphique les fils de saint François, les frères mineurs capucins des Marches, m’ont accueilli parmi eux non comme un serviteur, mais comme un frère. C’est avec eux que je vis depuis 1936. Et maintenant j’attends avec sérénité le moment où je serai admis à la vision de Dieu, où j’embrasserai de nouveau ceux qui me sont chers, où je serai près de mon ange gardien et de sa chère maman, Assunta.

Puissent ceux qui liront ma lettre en tirer l’heureuse leçon de fuir dès l’enfance le mal et de suivre le bien. Qu’ils pensent que la religion avec ses préceptes n’est pas une chose dont on puisse se passer, mais qu’elle est le vrai réconfort, la seule voie sûre dans toutes les circonstances, même les plus douloureuses de la vie. Pax et Bonum (Paix et bien !) ».

Ste Maria Goretti priez pour nous !