L’INTERVIEW / HAUKE – Co-rédemption « inconvenante » ? Réprimander les saints et les médecins

Article tiré de la NBQ du 5 novembre 2025

Pour le directeur de la Société allemande de mariologie, le titre de Co-rédemtrice ne se prête pas à des malentendus sur la seule médiation salvifique du Christ. Si tel était le cas, il faudrait intervenir sur les écrits de Newman et Jean-Paul II.

Nous avons demandé un avis sur certains points critiques de la note doctrinale Mater populi fidelis à don Manfred Hauke, professeur de dogmatique à la faculté de théologie de Lugano, membre de la Pontificia Academia Mariana Internationalis et directeur de la Société allemande de mariologie.

La principale préoccupation de la Note semble se concentrer sur le fait que certains titres mariaux, comme celui de Corédemptrice et Médiatrice de toutes les grâces, occulteraient l’unicité de la médiation salvifique du Christ. À votre avis, ce risque existe-t-il vraiment ?
À mon avis, ce risque n’existe pas dans un contexte catéchétique et théologique sain. Qui pourrait accuser de déséquilibre, par exemple, saint Jean-Paul II, qui a utilisé à plusieurs reprises les deux titres que nous venons d’être mentionnés ? La note elle-même rappelle qu’il a utilisé le titre de « Corédemptrice » « au moins à sept reprises » (n. 18). Peut-être faudrait-il retirer le statut de « docteur de l’Église » au cardinal John Henry Newman, déclaré tel par le pape Léon XIV le 1er novembre dernier, parce que le converti anglais a défendu le titre de « Corédemptrice » contre l’anglican Edward Pusey ? Ou intervenir contre les écrits de saint Alphonse de Liguori, également docteur de l’Église ? Aller contre de nombreux saints, dont sainte Edith Stein et sainte Thérèse de Calcutta ? Les titres mariaux « seconde Eve », « mère de la vie » et « mère de Dieu », selon Newman, sont beaucoup plus forts que le titre critiqué (Lettre à Pusey). Ou peut-être faut-il réprimander le pape Léon XIII, loué par le Souverain Pontife régnant avec le choix de son nom pontifical, qui a accordé l’indulgence à une prière avec le titre marial (en italien) « Corédemptrice du Monde » (Acta Sanctæ Sedis 18, 93) ?
Au contraire, il est plus facile qu’il y ait des malentendus dans le monde protestant, qui nie la coopération de l’homme au salut avec le principe de la seule grâce. Pour cette raison, la Commission théologique du Vatican II a omis « certaines expressions et mots utilisés par les grands Pontifes, qui, bien qu’en eux-mêmes très vrais, ne pouvaient être que difficilement compréhensibles pour les frères séparés (en l’occurrence les protestants). Parmi les autres mots… « Corédemptrice du genre humain » (Acta synodalia, I, 99). Est-il juste de sacrifier une expression en soi « très vraie » pour des raisons œcuméniques ? Cependant, pour les protestants, il n’y a pas que le problème du vocabulaire, mais aussi de la doctrine enseignée par Vatican II sur la coopération singulière de Marie à la rédemption. Un faux œcuménisme peut nuire à la doctrine catholique qui doit être professée dans toute sa richesse. Si l’Église devait supprimer toutes les expressions mal aimées des protestants, elle devrait également supprimer le titre de la Mère de Dieu (Theotokos) mentionné dans la Note (nns. 9, 11, 15). Ici aussi, d’éventuelles idées fausses d’un tel titre pourraient être invoquées chez ceux qui ne sont pas bien catéchisés.

Aujourd’hui, presque tous les journaux, y compris les journaux catholiques, ont le titre que Marie n’est pas Corédemptrice. On reste plutôt étonné de lire qu’un titre, comme celui de la Corédemptrice, qui est en fait entré dans le vocabulaire de la théologie, ainsi que dans l’enseignement des Papes, est soudainement déclaré par la Note “inapproprié” et “inconvenant”.
Le titre « Corédemptrice » est l’expression la plus courte pour exprimer la coopération singulière de Marie à la rédemption. Le malentendu selon lequel Marie serait mis sur un pied d’égalité avec Jésus est évité par la précision que la coopération de Marie dépend totalement du Christ et lui est subordonnée. Interdire un titre court qui exprime une vérité centrale enseignée avec une grande clarté par Vatican II serait assez difficile. Nous tenons cependant compte de la précision du cardinal Fernández dans la présentation initiale : « Il ne s’agit pas de corriger la piété du peuple fidèle de Dieu… ». Les expressions « Co-rédempteur de l’humanité » sont répandues dans le peuple croyant (par exemple dans les appels du message de Fatima de la vénérable servante de Dieu, soeur Lucie) et encore plus « Médiatrice de toutes les grâces » ; cette dernière invocation reprend le titre de la fête liturgique introduite par le pape Benoît XV en 1921 et a même été utilisée par les papes Benoît XVI (Lettre du 10 janvier 2013 à l’archevêque Sigismondo Zimowski) et François : « L’un des anciens titres avec lesquels les chrétiens ont invoqué la Vierge Marie est précisément « Médiatrice de toutes les grâces ». Confiez-lui vos aspirations et vos desseins de bien gardés au plus entime ; que ce soit vous qui vous infectiez la joie de suivre le Christ et de le servir avec un style humble et docile dans l’Église… » (Message à l’archevêque Gian Franco Saba de Sassari, Sardaigne, du 13 mai 2023).

À votre avis, la Note a-t-elle pour but de rejeter que le titre de Corédemptrice ou même des aspects importants de la coopération singulière de Marie à l’œuvre de la Rédemption ?
Malgré les observations critiques sur les deux titres, la Note rapporte la doctrine du magistère conciliaire et pontifical (nn. 4-15), notamment concernant la « coopération singulière de Marie dans le plan du salut » (n. 3 ; voir aussi n. 36s et 42). Le document cite également le texte le plus clair sur ce point, la catéchèse mariale de saint Jean-Paul II du 9 avril 1997, qui distingue la participation de Marie à la rédemption objective menée par le Christ sur terre de notre coopération dans le processus salvifique (n. 3, 37b).

Saint Pie X (Ad diem illum) enseignait que SS. Vierge, en vertu de sa sainteté singulière et association à l’œuvre de la Rédemption, « nous fournit par commodité (de congruo), comme on dit, ce que le Christ nous a procuré par mérite de justice (de condigno) ». Dans la Note, il semble y avoir un frein à cet égard, sinon un renversement, lorsqu’il est affirmé que « seuls les mérites de Jésus-Christ […] sont appliqués dans notre justification » (n. 47). Qu’en pensez-vous ?
La distinction importante de Pie X n’est pas mentionnée, mais il semble qu’il y ait un clin d’œil – malheureusement presque caché – à la distinction entre le mérite de la condigno du Christ et celui du congruo de Marie (nn. 47s). Pour parler d’une extension universelle de la médiation maternelle de Marie en Christ, un rappel à ce type de mérite est indispensable.

Dans les paragraphes de clôture de la Note, un sujet très discuté est proposé, à savoir que Marie SS., selon les mots du pape François, « est plus une disciple que une mère » (n. 73). Qu’y a-t-il de vrai dans cette expression et quels sont les pièges ?
Selon saint Augustin, Marie a conçu la Parole de Dieu d’abord dans son cœur, puis dans son sein (Sermon 215, 4). D’autre part, il n’est pas possible de séparer en Marie l’être disciple et l’être Mère de Dieu, ainsi que la “Mère du peuple fidèle”. La dignité spécifique de Marie vient précisément de sa mission d’être la Mère de Dieu, qui a engendré la nature humaine du Sauveur. C’est également là que se tise la base de toute sa coopération salvatrice.