Le Saint Nom de Marie, une fête à éclipses

Barbara Castello / GODONG

Dans l’Église, l’instauration ou la disparition d’une célébration est toujours révélatrice de son temps et de sa piété. Ainsi en est-il de celle que nous commémorons ce 12 septembre, dans l’octave de la Nativité de Notre-Dame, qui fut un temps rayée du calendrier après sa réforme de 1970 : le Saint Nom de Marie. 

Connaître le nom de quelqu’un, pouvoir l’appeler par son nom, c’est, d’une certaine façon, avoir un moyen de pression sur lui, raison pour laquelle dans certaines cultures, l’on cache soigneusement le véritable nom donné à un enfant. Dans le christianisme, c’est tout le contraire. Lorsque Gabriel annoncel’Incarnation du Fils de Dieu, il révèle aussitôt qu’il faudra nommer Jésus, c’est-à-dire « Dieu sauve », l’enfant à naître. Et de tous temps, l’Église a su que ce nom était en effet salvateur et qu’il mettait en fuite les puissances du Mal. C’est bien par ce nom que les apôtres et leurs continuateurs chasseront les démons et guériront les malades.

Une époque va venir, très vite, où les catholiques vont associer au saint Nom de Jésus celui de sa Mère car ils savent et les exorcistes le constatent, que le nom de Marie agit, lui aussi, efficacement et qu’un possédé, par exemple, ne peut plus le prononcer, révélant ainsi la nature de son état. Il est donc assez logique que l’Église ait songé à instaurer, peu après la fête de la Nativité de Notre-Dame une fête du saint Nom de Marie. Celle-ci apparaît pour la première fois en Espagne en 1513 et elle sera commémorée à Rome. Cependant, cette date coïncide avec les débuts de la Réforme et donc le rejet par les protestants du culte marial. Seules quelques nations l’adoptent, dont la Pologne, car elle apparaît comme une protection contre les hérésies.

La signification du prénom Marie

Sur l’étymologie et la signification du prénom Marie, les spécialistes demeurent partagés et la confusion avec le latin où il renvoie au mot désignant les « mers » ne va pas contribuer à s’y retrouver. Selon les uns, il signifierait Dame, Reine, Princesse, selon les autres, il évoquerait l’océan, là encore, et voudrait dire Étoile des mers, la Stella maris des antiennes mariales. Au vrai peu importe puisque, dans tous les cas, le nom sied à Celle qui l’a reçu. Dès l’Antiquité, les Pères et les Docteurs en ont vanté la puissance et ce n’est pas pour rien que la prière de l’Angelus tout comme le chapeletsont, finalement, un recours à ce saint nom de Marie dont la répétition attire sa protection sur les fidèles.

Sur les remparts de Vienne

Pourtant, bientôt deux siècles après sa création, la fête du Saint Nom de Marie n’est toujours pas étendue à l’Église universelle. Il faudra une intervention jugée miraculeuse dans une situation humainement désespérée pour que la papauté fasse le nécessaire. Nous sommes à l’été 1683 et les armées ottomanes assiègent Vienne que l’empereur Léopold a dû fuir. La ville résiste, mais au prix de lourdes pertes et dans l’attente de secours extérieurs qui tardent à venir. Sa reddition, en ce mois d’août, paraît imminente et les courages ne tiennent encore que parce que l’envoyé du pape, Marc d’Aviano, un franciscain, promet aux Viennois épuisés un secours céleste qui ne leur fera pas défaut. Il les incite à implorer Notre-Dame du Rosaire, rempart de la chrétienté qui, en tant d’occasions, a déjà fait reculer l’islam triomphant.

Pour l’heure, la prière est inefficace. Le 12 août, les Turcs prennent la contrescarpe et tuent des centaines de défenseurs. Début septembre, il n’y a presque plus de munitions et les fortifications semblent sur le point de tomber tandis que les canons turcs écrasent Vienne sous les boulets. Et les renforts lorrains et polonais promis n’arrivent pas… Mais l’on implore encore Notre-Dame des Victoires.

Jean Paul II la rétablit

Le 11 septembre, enfin, les renforts arrivent. Le dimanche 12, les troupes catholiques livrent à Kahlenberg, au cri de « Dieu est notre secours ! » une bataille décisive et, dans la soirée, les Polonais dévastent le camp turc. La déroute ottomane est totale. Et l’expansion musulmane arrêtée. Notre-Dame a eu pitié de l’Europe. Ce 12 septembre est la fête du Saint Nom de Marie. La Sainte Vierge par le choix de cette date, a prouvé son intervention. Reconnaissant, le pape Innocent XI étend aussitôt sa célébration à toute la catholicité.

Du moins jusqu’en 1970 où, emporté dans la vague de désamour et de rejet entourant la dévotion mariale, certains jugent bon de la supprimer comme inutile. En bon Polonais fidèle à l’héroïque mémoire de Jean Sobieski et de ses hussards, Jean Paul II la rétablit en 2002, car il est juste, bon et nécessaire de bénir le nom de Marie, Vierge et Mère, qui éloigne de nous les périls.

Source : ALETEIA, le 11 septembre 2023

LE SAINT NOM DE MARIE

La fête du Saint Nom de Marie, disparue aujourd’hui du calendrier liturgique, venait de la ville de Cuenca, en Espagne (Nouvelle-Castille), à qui elle fut concédée en 1513, sous le rite double. Un temps abrogée par saint Pie V (1570), la fête du Saint Nom de Marie fut rétablie par Sixte V (1585-1590) et assignée au 17 septembre. Réservée à Cuenca, au diocèse de Tolède, puis à toute l’Espagne, la fête du Saint Nom de Marie fut ensuite permise par Clément X au royaume de Naples (1671) ; le diocèse de Milan la célébra le 11 septembre et d’autres le 22 septembre. La fête du Saint Nom de Marie ne fut instituée à Rome qu’en 1683, par Innocent XI, en action de grâce pour la délivrance de Vienne assiégée par les Turcs (12 septembre 1683).

Tandis que la Hongrie se révoltait contre les Habsbourgs, les trois cent mille hommes des armées turques conduites par le grand vizir de Mehmed IV, Kara Mustapha Pacha, et guidées par le comte hongrois et protestant Tököly, bloquaient Vienne depuis le 14 juillet 1683. L’empereur Léopold I° (1640-1705) et son beau-frère, Charles de Lorraine, avaient déserté la ville où treize mille hommes attendaient sous le commandement du comte de Sarhenberg. Innocent XI qui eût voulu former une ligue catholique contre les Turcs, ne put compter que sur l’alliance de Jean III Sobieski  (1624-1696), roi de Pologne depuis 1674, que l’on joignit lors d’un pèlerinage à Chestokowa dont il partit le 15 août. Le dimanche 12 septembre 1683, Jean Sobieski servit la messe, communia, arma son fils chevalier et prit le commandement de l’armée catholique où, en plus de ses troupes polonaises, il y avait celles du duc de Lorraine et du prince de Waldeck ; « Aujourd’hui, s’écria-t-il, il y va tout ensemble de la délivrance de Vienne, de la conservation de la Pologne et du salut de la chrétienté entière ! » Puis, il se mit à la tête des coalisés et chargea en criant : « Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam ! » Les Ottomans furent battus à Kahlenberg et, dans Vienne délivrée, Jean Sobieski vint se prosterner avec ses généraux devant la statue de Notre-Dame de Lorette vénérée dans l’église des Augustins où l’on chanta un Te Deum ; ce jour-là, on avait fait à Rome une grande procession suivie, malgré sa goutte,  par la pape ; le 24 septembre, le cardinal-vicaire prescrit des sonneries de cloches et des prières d’action de grâces et, le 25 novembre, un décret établissait la fête du Saint Nom de Marie et l’assignait au dimanche dans l’octave de la Nativité de la Bienheureuse Vierge.

Innocent XIII étendit la fête du Saint Nom de Marie à l’Eglise universelle en 1721. La fête du Saint Nom de Marie fut placée au 12 septembre par Pie X lors de la grande réforme du  Bréviaire romain[1]. La fête du Saint Nom de Marie a disparu lors de la réforme du calendrier par Paul VI (1969), mais lui a laissé une messe votive ce qu’a ratifié Jean-Paul II dans Les messes en l’honneur de la Vierge Marie, publié à Rome le 15 août 1986, où la vingt-et-unième messe est en l’honneur du saint Nom de Marie.


[1] Pie X : constitution apostolique « Divino afflatu », 1° novembre 1911.

Source: Missel.free.fr