L’antienne Ô du 22 décembre : « Ô Roi des nations, désiré des peuples »

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P Deliss | Godong

L’antienne Ô du 22 décembre : « Ô Roi des nations, désiré des peuples »

Par Fr. Jean-Thomas de Beauregard, op – Publié le 21/12/20

Avec les frères étudiants dominicains du couvent de l’Angelicum, à Rome, écoutons les antiennes Ô de l’Avent. La sixième antienne honore la royauté du Christ, le Prince de la Paix, pierre angulaire de l’Église, ce Temple nouveau sur lequel l’homme avisé peut bâtir sa maison et toute sa vie.

Ô Rex gentium, et desideratus earum, lapisque angularis, qui facis utraque unum : veni, et salva hominem, quem de limo formasti — « Ô Roi des nations, désiré des peuples, pierre angulaire des deux [Israël et les païens] fait en un seul peuple, viens sauver l’homme que tu as fait du limon de la terre. »

« Nul n’est comme toi »

La sixième antienne Ô invoque le Christ « roi des nations et désiré des peuples ». Le thème de la royauté du Christ a déjà été développé dans les antiennes précédentes, mais on marque ici plus encore l’éminence de cette royauté par rapport à tous les autres rois de la terre, selon la parole du prophète Jérémie : « Qui ne te craindrait, roi des nations ? C’est bien cela qui te convient ! Car parmi tous les sages des nations et dans tous leurs royaumes, nul n’est comme toi » (Jr 10, 7). C’est une royauté universelle, fondée sur la sagesse de Celui qui l’exerce.

De ce point de vue, la royauté de Jésus est une autorité (auctoritas) plus encore qu’un pouvoir (potestas). En effet, la royauté du Christ ne s’exerce pas par la violence ou la force. La relation qui unit le Christ-Roi à son peuple s’impose par la seule vertu de la raison et de l’amour, qui font reconnaître à chacun la supériorité du Christ et son droit à gouverner les hommes. L’attestation des hauts faits de Dieu, entretenue dans la mémoire d’Israël et transmise à l’Église, fonde sa légitimité comme roi des nations : « Grandes et merveilleuses sont tes œuvres, Seigneur, Dieu Maître-de-tout ; justes et droites sont tes voies, ô Roi des nations » (Ap 15, 3).

Pierre de fondation

Le Christ est invoqué encore comme « pierre angulaire », c’est-à-dire la pierre principale du nouveau Temple qui est son Corps mystique, l’Église, Temple de l’Esprit saint. Il est le rocher solide sur lequel l’homme avisé peut bâtir sa maison, et toute sa vie : « C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur YHVH : Voici que je vais poser en Sion une pierre, une pierre de granit, pierre angulaire, pierre précieuse, pierre de fondation bien assise : celui qui s’y fie ne sera pas ébranlé » (Is 28, 16). Mais cet exhaussement du Christ au statut de pierre angulaire passe par la Croix, comme le prophétisait le psalmiste : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l’angle » (Ps 118, 22). Il fallut que le Christ soit d’abord rejeté par les scribes et les pharisiens dont c’était pourtant le rôle d’édifier le Temple. Ensuite seulement la Résurrection a fait du Christ le Temple nouveau, reconstruit en trois jours. Les premiers chrétiens en avaient une conscience très vive : « C’est lui [le Christ] la pierre que vous, les bâtisseurs, avez dédaignée, et qui est devenue la pierre d’angle » (Ac 4, 11). Celui qui bute sur cette pierre de fondation qu’est le Christ est voué à la perdition : « À vous donc, les croyants, l’honneur, mais pour les incrédules, la pierre qu’ont rejetée les constructeurs, celle-là est devenue la tête de l’angle, une pierre d’achoppement et un rocher qui fait tomber. Ils s’y heurtent parce qu’ils ne croient pas à la Parole ; c’est bien à cela qu’ils ont été destinés » (1 P 2, 7-8).

La pierre angulaire, en architecture, se trouve à la jointure de deux murs, parfois aussi à la jointure d’un mur (dimension verticale) et du plafond (dimension horizontale). De fait, le Christ joint en sa personne, et singulièrement sur la Croix, la divinité et l’humanité, le Ciel et la Terre, mais aussi l’Ancien et le Nouveau Testament. Il est le « carrefour des nations ». En Lui qui est la pierre angulaire, le peuple élu d’Israël et le peuple de la gentilité (c’est-à-dire les païens) sont réunis dans l’unique Église du Christ. Ce qui valait en figure dans l’Ancien Testament pour la division du peuple de Dieu en deux royaumes, Juda et Israël, (cf. Ez 37, 22 : « J’en ferai une seule nation dans le pays, dans les montagnes d’Israël, et un seul roi sera leur roi à eux tous ; ils ne formeront plus deux nations, ils ne seront plus divisés en deux royaumes ») s’applique en réalité aux relations entre le peuple élu et la gentilité, et entre l’Église est les païens.

Le Prince de la Paix

C’est bien le Christ qui « de deux nations, fait un seul peuple ». C’est en cela aussi qu’il est le Prince de la Paix : « Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine » (Ep 2, 14). Il est bien le « désiré des nations », car tous désirent naturellement voir Dieu, même inconsciemment, même comme une idée du bien, de la vérité ou de la paix qu’ils poursuivent. Or cette paix ne peut subsister sans le Christ, et tous nos efforts humains pour la bâtir sont vains si nous ne posons le Christ comme fondation.

L’antienne s’achève par une supplication : « Viens sauver l’homme que tu as fait du limon de la terre. » La référence à l’Adam de la Genèse est claire : « Alors YHVH Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2, 7). Le limon est ici préféré à la glaise, mais cela est cohérent avec le même récit rapporté dans le livre de Tobie tel qu’il est rapporté dans la Vulgate : « C’est toi qui as créé Adam, c’est toi qui as créé Ève sa femme, pour être son secours et son appui, et la race humaine est née de ces deux-là. C’est toi qui as dit Il ne faut pas que l’homme reste seul, faisons-lui une aide semblable à lui [dans la Vulgate : Tu fecisti Adam de limo terræ dedistique ei adiutorium Evam] » (Tb 8, 6).

Une méditation sur le péché originel

À l’aube de la Nativité du Seigneur, la liturgie nous invite donc à méditer le motif de l’Incarnation, qui est le péché originel. La condition humaine d’Adam avant le péché n’était pas celle que nous connaissons aujourd’hui, marquée non seulement par la faiblesse mais encore par la division : entre l’âme et le corps, entre la raison et les passions, entre l’homme et la femme, entre les hommes et la nature. De ce champ de ruines ne peut que jaillir l’appel au Christ-Sauveur. L’enfant Jésus dans la Crèche est l’image de notre innocence retrouvée. Sa nudité, de la Crèche à la Croix, n’est plus symbole de honte comme celle d’Adam après le péché originel, mais symbole de l’innocence, de la pureté, et de l’abandon confiant à Dieu.

Pour en savoir plus : Angelicum

Source: ALETEIA, le 21 décembre 2020

L’antienne du 20 décembre : « Ô Clé de David, sceptre de la Maison d’Israël »

CHRYSTUS KRÓL

Renata Sedmakova | Shutterstock

L’antienne du 20 décembre : « Ô Clé de David, sceptre de la Maison d’Israël »

Par Fr. Jean-Thomas de Beauregard, op 

Écoutez les frères étudiants dominicains du couvent de l’Angelicum, à Rome, chanter les antiennes Ô de l’Avent. La quatrième antienne invoque la clé de la Croix que le Christ porte sur son épaule, et le sceptre, signe de son pouvoir sur la mort et les ténèbres de nos péchés.

Ô Clavis David, et sceptrum domum Israel ; qui aperis, et nemo claudit ; claudis, et nemo aperit ; veni, et educ victum de domo carceris, sedentem in tenebris et umbra mortis — « Ô Clé de David et sceptre de la Maison d’Israël, Toi qui ouvres et nul ne ferme, Tu fermes et personne n’ouvrira ; viens sortir de la maison de captivité celui qui est assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort. »

La clé, c’est la Croix

La quatrième antienne Ô invoque le Christ « Clé de David et sceptre de la maison d’Israël ». La continuité thématique avec l’antienne précédente est évidente : il s’agit de souligner l’insertion du Christ dans la dynastie davidique, à la fois royale et messianique. Isaïe est de nouveau convoqué, qui faisait dire à Dieu : « Je mettrai la clé de la maison de David sur son épaule, s’il ouvre, personne ne fermera, s’il ferme, personne n’ouvrira » (Is 22, 22). La suite du passage est d’ailleurs intéressante, qui porte : « Et je l’enfoncerai comme un clou en un lieu solide ; il deviendra un trône de gloire pour la maison de son père. On y suspendra toute la gloire de la maison paternelle » (Is 22, 23-24). La clé que le Christ porte sur son épaule est bien la Croix, sur laquelle Il est enfoncé comme un clou, mais qui devient le trône de sa gloire : suspendu à la Croix glorieuse, le Christ est fait Seigneur sur toute la maison de son Père. Ce que le Christ était par droit de naissance (roi et seigneur de l’Univers), Il le devient plus encore par droit de conquête sur la Croix : c’est à la Croix, après avoir été couronné d’épines et revêtu de la pourpre royale, qu’il peut recevoir le sceptre de la maison d’Israël et mériter le titre que Pilate à fait inscrire sur l’écriteau au-dessus de Lui : « Jésus le Nazaréen, Roi des Juifs ».

Le Christ et l’Église, c’est tout un

La Croix est la clé des Écritures, la clé de la Révélation, mais aussi la clé du Ciel. Le Christ, juge des vivants et des morts, prononce des sentences définitives : celui auquel Il ouvre le Ciel connaîtra la béatitude éternelle et nul ne pourra l’en priver ; celui auquel Il ferme le Ciel connaîtra la damnation éternelle, dont nul ne pourra le sortir. Cette interprétation est d’ailleurs celle de saint Jean, qui réemploie cette image dans l’Apocalypse dans un contexte de Jugement : « Ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clef de David : s’il ouvre, nul ne fermera, et s’il ferme, nul n’ouvrira » (Ap 3, 7). Ce pouvoir est confié par le Christ à l’Église, et particulièrement à Pierre et ses successeurs : « Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié » (Mt 16, 19). Ainsi est manifesté que le Christ et l’Église, c’est tout un, jusque et y compris dans l’ordre du Jugement.

Il faut souligner que, dans l’économie de la Rédemption, le Christ est à la fois le chemin qui mène à la Vie, la Vie elle-même et donc le but du chemin, mais encore la porte qui y fait entrer, et enfin la clé qui permet d’ouvrir cette porte (Mt 7, 13-14 ; Jn 10, 7 ; Jn 14, 6). C’est dire qu’Il est bien l’unique médiateur entre Dieu et les hommes, à la fois prêtre, victime et autel du culte parfait qui plaît à Dieu. On peut noter au passage que la clé et le sceptre sont deux symboles associés : la clé donne le pouvoir sur la maison domestique, comme le sceptre donne le pouvoir sur la maison au sens de la dynastie et du peuple sur lequel cette dynastie règne. Le Christ a donc pouvoir à la fois sur l’intime des cœurs, et sur la marche des événements dans les sociétés humaines. Il est donc le roi par excellence, celui que le peuple d’Israël espérait pour l’avenir, seul à pouvoir légitimement prétendre au sceptre et issu de lui : « Je le vois — mais non pour maintenant, je l’aperçois — mais non de près : un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d’Israël » (Nb 24, 17).

L’espérance d’Israël

L’antienne conclut : « Viens sortir de la maison de captivité celui qui est assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort. » Cette supplication résonne de multiples échos dans l’Écriture : « Moi, YHVH, je t’ai appelé dans la justice, je t’ai saisi par la main, et je t’ai modelé, j’ai fait de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres » (Is 42, 7) ; « Habitants d’ombre et de ténèbres, captifs de la misère et des fers, pour avoir bravé l’ordre de Dieu et méprisé le projet du Très-Haut, il ploya leur cœur sous la peine, ils succombaient, et pas un pour les aider. Et ils criaient vers YHVH dans la détresse, de leur angoisse il les a délivrés, il les tira de l’ombre et la ténèbre et il rompit leurs entraves » (Ps 107, 10-14). C’est vraiment l’espérance d’Israël, jusqu’au temps du Messie, que de voir l’avènement de celui qui pourrait les tirer de la prison, des ténèbres et de la mort. Zacharie reflète fidèlement dans son cantique cette tradition dont il est le dernier maillon ; son fils Jean-Baptiste doit ouvrir le chemin de celui qui vient « pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix » (Lc 1, 79).

Le soleil de justice qui vient nous délivrer

C’est la prison et les ténèbres du péché, de l’ignorance et de la faiblesse, dont Jésus-Christ vient délivrer l’humanité. Le pécheur est « assis » dans les ténèbres, parce que le péché l’a recroquevillé sur lui-même, l’a courbé comme le serpent.  Jésus vient relever le pécheur, le libérer de ses chaînes pour en faire un homme debout, libre sous la grâce. Saint Jean de la Croix fait remarquer que les chaînes qui nous entravent dans notre ascension vers le Ciel sont parfois seulement un fil, un péché infime, mais auquel nous sommes littéralement attachés, que nous hésitons à couper. C’est celui-là qu’il faut discerner pour le couper et s’envoler vers le Ciel. Dans ce combat, le Christ est le soleil de justice, la lumière qui transperce les ténèbres du péché. Le péché est comme une maison, où l’on se complaît : on s’y sent chez soi, et on y vit dans l’obscurité, craignant la lumière parce qu’elle fait la vérité sur les zones d’ombre de notre vie. C’est la prison non pas de notre corps, mais de notre condition humaine déchue, dont Jésus vient nous délivrer en la restaurant dans sa splendeur première.

Pour en savoir plus : Angelicum.

Source: ALETEIA, le 19 décembre 2020

Ce que nous enseigne le « Oui » de Marie à l’Ange de l’Annonciation

FRA ANGELICO
Domaine Public – L’annonciation de Fra Angelico, Peint vers 1437, Fresque, 230 x 297 cm, Couvent San Marco – Florence (Italie).

Ce que nous enseigne le « Oui » de Marie à l’Ange de l’Annonciation

Par Fr. Jean-Thomas de Beauregard, op

Comme Marie, nous recevons aussi des visites de Dieu, et il nous faut toute l’intimité d’une vie de prière nourrie de l’Écriture et des sacrements pour y reconnaître ses messages et sa volonté.

Pourquoi la Vierge Marie n’a-t-elle pas exulté de joie dès l’instant de l’Annonciation ? Pourquoi a-t-elle attendu la Visitation pour exprimer sa joie en chantant son Magnificat ? L’Ange ne lui avait-il pas annoncé l’imminence d’une naissance miraculeuse qui aurait dû la réjouir immédiatement ? Et pourtant… C’est le temps long de la grâce ! Voyons la scène de plus près.

Dieu a préparé le terrain

Lorsque l’ange Gabriel se présente devant la Vierge Marie, l’événement fait irruption dans sa vie comme quelque chose d’extraordinaire et d’inattendu (Lc 1, 26-38). Mais en amont, Dieu a préparé le terrain. Marie a été conçue préservée du péché, et encore qu’elle n’en ait probablement aucune espèce d’intuition, son enfance et son adolescence ont eu la fraîcheur d’une innocence qu’on pensait oubliée depuis le matin du monde. Toutefois, cette innocence initiale de Marie aurait pu se flétrir avec le temps, lentement ou bien soudainement à l’instar de celle d’Ève. Ce ne fut pas le cas. Dieu veillait, et prévenait Marie de sa grâce à chaque instant. De son côté, Marie n’opposait aucune résistance à cette grâce. De la simple non-résistance au consentement actif, il y a un saut qualitatif que Marie a franchi en choisissant, dès l’enfance et à chaque instant, de se recevoir entièrement de Dieu.

Ce n’était pas de sa part une option fondamentale un peu vague ou une velléité. Se recevoir entièrement de Dieu, c’était d’abord méditer chaque jour sa Parole dans les Écritures. Et c’était laisser la Parole de Dieu littéralement façonner toute sa vie. L’Écriture, en elle, ne restait pas lettre morte, mais s’épanouissait en une vie toute discrète mais toute donnée déjà. Tout cela, l’Évangile ne nous le dit pas. Mais comment Marie aurait-elle pu accueillir la visite de l’ange si elle n’avait pas été familière des Écritures, si elle n’avait pas confusément reconnu dans l’événement un accomplissement des récits anciens qu’elle connaissait déjà ? 

La délicatesse de Dieu

En supposant tout cela, on ne cède pas à une mariolâtrie de mauvais aloi, en lui accordant tous les privilèges et toutes les perfections imaginables sans aucun rapport avec la Révélation. Au contraire, on se donne les moyens de comprendre comment une simple créature, une humble jeune fille d’Israël, semblable aux autres jeunes filles de Nazareth, a pu accueillir la nouvelle de sa maternité divine. Et en dehors de sa condition particulière préservée du péché originel, Marie a accueilli l’Annonciation exactement comme tout chrétien peut accueillir les visites de Dieu : en étant pétrie de l’Écriture, en consacrant du temps à la prière, en étant toute donnée dans le quotidien. C’est ainsi que nous autres chrétiens pouvons reconnaître la visite de Dieu lorsqu’elle se présente. Rien d’extraordinaire, que de l’ordinaire humblement soumis à la grâce.

Lorsque Dieu décide que le jour est venu de révéler sa vocation et sa mission à la Vierge Marie, il use d’une délicatesse infinie. Car enfin, s’il avait voulu forcer le résultat et s’assurer d’une réponse positive, il aurait pu choisir une apparition plus spectaculaire, voire même apparaître en personne, au sommet d’une montagne, dans un roulement de tonnerre. Mais quelle aurait été alors la liberté de Marie ? On ne peut rien refuser à Dieu qui se présente en majesté ! Au lieu de cela, Dieu envoie un ange, dans la discrétion et la quiétude de sa maison. C’est donc très librement que Marie peut donner son « oui ». Là encore, c’est une loi commune de la vie spirituelle, que Dieu communique avec nous par des médiations très simples : une rencontre, une lecture. Nous aussi recevons la visite d’anges, au sens littéral et étymologique d’envoyé, et il nous faut toute l’intimité d’une vie de prière nourrie de l’Écriture et des sacrements pour y reconnaître Dieu qui veut communiquer sa volonté.

L’Évangile ne cache rien

Mais là encore, Marie n’est pas en-dehors de la condition humaine. Sa réaction est très naturelle tout en étant baignée de surnaturel : elle est troublée, craintive et bouleversée. Si son obéissance religieuse est totale, elle n’exclut pas la prudence, et Marie ose demander : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » Dans cette question, il y a toute l’audace d’une fille d’Israël qui sait qu’on peut tout demander au Dieu d’amour. Il y a aussi la marque d’une grande intimité, puisqu’elle évoque très discrètement mais très simplement sa vie affective et sexuelle. Enfin il faut remarquer que par cette question, elle anticipe l’objection rationaliste tellement banale et récurrente de l’impossibilité de cette naissance sans homme pour participer à la conception. L’Évangile ne cache rien !

La littérature spirituelle a beaucoup médité, à raison, sur l’instant crucial de ce « oui ».

Sitôt que l’ange l’a rassurée, la Vierge Marie donne son « oui ». Ce faisant, c’est tout l’univers qui bascule, c’est toute l’Église passée, présente et à venir qui est engagée dans cette réponse. Comme à la Croix, lorsque Jésus donne Marie à Jean pour mère, c’est toute l’Église qui est concernée. La littérature spirituelle a beaucoup médité, à raison, sur l’instant crucial de ce « oui ». Mais là encore, la focalisation sur cet instant unique entre tous pourrait être trompeuse.

Un « oui » tous les jours

Car enfin, comme dans toute vocation, qu’il s’agisse d’une vocation religieuse, sacerdotale, maritale ou même professionnelle, ce n’est pas seulement le choix d’un instant donné qui en fait la beauté, mais la persévérance dans le consentement de toute une vie, à mesure qu’on est confronté aux conséquences non prévues de ce choix initial. Dans le cas de Marie, elle a dû affronter très tôt après à la prophétie de la Croix lors de la présentation de Jésus au Temple. Puis elle a dû supporter de voir Jésus accaparé par les foules mais incompris de ces mêmes foules. Enfin, il y eut la réalité de la Croix. À chaque fois, Marie a dû actualiser son « oui », consentir à nouveau, jour après jour.

C’est ici qu’on en revient à la question initiale. Pourquoi Marie a-t-elle attendu la Visitation pour exulter de joie en chantant son Magnificat ? Sans doute parce qu’entre ces deux événements, Marie a vécu son obéissance dans une certaine angoisse, lisant et relisant les Écritures, pour trouver dans le passé des figures d’identification qui puissent l’aider à comprendre ce qu’elle vivait : les femmes stériles gratifiées par Dieu d’une naissance miraculeuse (Sara, Anne, etc.), les hommes qui avaient dû poser un acte d’abandon confiant (AbrahamJob…). À nouveau, Marie suit le chemin ordinaire d’une vocation : après la révélation vient le temps de l’approfondissement, du mûrissement, des doutes possibles ; et c’est la rencontre d’un aîné dans la foi, plus expérimenté dans les voies du Seigneur, capable d’authentifier la vérité de ce qu’elle vit, Élisabeth dans ce cas précis, qui lui apporte la paix et lui permet d’exulter sa joie dans le Magnificat.

Évidemment, Marie occupe une place unique dans l’histoire du salut. Mais la manière dont Dieu lui a révélé sa vocation et la manière dont elle y a répondu sont un enseignement qui vaut pour tous les fidèles. Il s’agit toujours et dans tous les cas que la Parole de Dieu vienne prendre chair en nous. Le temps est tout proche.

Source: ALETEIA, le 19 décembre 2020

Le don de la Pentecôte

Fred de Noyelle I Godong – Chapelle royale de Dreux. Vitrail représentant la Pentecôte.

Le don de la Pentecôte

L’Église naît le jour de la Pentecôte avec le don permanent et visible de l’Esprit-Saint. D’où vient-il alors que l’Église semble faire écran à l’œuvre de l’Esprit Saint ? Mais dans le cœur des saints, l’Esprit veille toujours.

La Pentecôte, c’est le don de l’Esprit-Saint, et la naissance corrélative de l’Église. Pourtant, Jésus avait commencé à donner l’Esprit bien avant, depuis Cana jusqu’à la Croix où Il l’avait exhalé dans un souffle. Et l’Église n’était-elle pas déjà là dans l’appel et la formation des Apôtres, et avant cela, dans l’Alliance avec le peuple élu, et même dans le sacrifice offert par Abel le juste ? Qu’apporte donc de nouveau la Pentecôte ? On peut le définir en deux mots : permanence, visibilité.

L’hôte permanent de nos âmes

Permanence, d’abord. Jusque-là, l’Esprit-Saint se manifestait de manière ponctuelle à certains hommes particulièrement favorisés de Dieu, en vue d’une mission limitée. À partir de la Pentecôte, tous les chrétiens sont individuellement et collectivement le Temple de l’Esprit, où il fait sa demeure, pour faire de leur vie entière un sacerdoce spirituel. L’Esprit-Saint n’est plus un squatteur occasionnel, il devient le maître habituel des lieux, l’hôte permanent de nos âmes et de nos corps. Autrefois l’Esprit surgissait à l’improviste dans la vie de certains, aujourd’hui l’Esprit vient reposer à tout instant sur nous tous. L’Esprit-Saint vient habiter en nous dans le temps pour nous donner le goût d’habiter en Dieu pour l’éternité. Permanence, donc.

Permanence et visibilité, voilà ce que la Pentecôte apporte de neuf !

Visibilité, ensuite. Jusque-là, l’Esprit-Saint se manifestait dans des individus et de manière efficace mais discrète. Cela reste vrai ensuite, mais la présence agissante de l’Esprit acquiert une visibilité plus grande au travers de l’Église. Les langues de feu et le don des langues en sont la manifestation spectaculaire. Et cette Église qui préexistait dans quelques personnes choisies devient un organisme visible, une société identifiable, avec des ministères et charismes divers, en laquelle l’œuvre de l’Esprit se reconnaît de manière habituelle. Elle resplendit dans une communauté, dans la prédication de l’Évangile et dans les sacrements. L’invisible de la grâce devient visible dans la communauté. Permanence et visibilité, voilà ce que la Pentecôte apporte de neuf !

Dans l’Église, l’Esprit demeure

Par contraste, les symboles de l’action de l’Esprit dans l’Ancien Testament étaient toujours ponctuels et insaisissables. Certes, l’Esprit se manifestait dans l’eau, la colombe, le vent, ou le feu. Mais l’eau file, la colombe vole, le vent tourne et le feu s’éteint. Et tous ces éléments momentanément investis de la puissance de l’Esprit retournaient à leur vacuité. L’Église, elle, rassemble tous ces symboles, et devient le lieu permanent et visible de l’action de l’Esprit. Dans l’Église, l’eau coule mais ne s’enfuit pas, la colombe vole mais jamais ne s’échappe, le vent souffle mais ne se retourne pas, le feu brûle sans jamais s’éteindre.

Cette visibilité et cette permanence de l’œuvre de l’Esprit-Saint dans l’Église demeurent fragiles, et obscures. De même qu’aux jours de sa chair, l’humanité du Christ voilait sa divinité à certains et la manifestait à d’autres, de même aujourd’hui l’Église peut faire écran à l’Esprit autant qu’elle le manifeste, pour les chrétiens comme pour les autres. Comme pour le Christ, il faut poser un acte de foi pour voir dans l’Église le signe visible et permanent de la présence agissante de l’Esprit dans le monde. Car en effet dans l’Église, l’eau semble parfois croupie et sent les égouts ; la colombe prend des allures, au choix, de pigeon ou de charognard ; le vent charrie des odeurs pestilentielles ; du feu il ne reste que les cendres. Pourtant, mystérieusement, l’Esprit-Saint est là qui vivifie son Église.

L’Esprit-Saint se serait-il endormi ?

Depuis la Pentecôte, dans l’Église, l’Esprit, souffle de Dieu, est comme l’air qu’on respire. C’est une grâce infinie ! Or nous avons parfois l’impression, ces temps-ci, d’être en apnée, de ne plus respirer que péniblement. Est-ce l’Esprit qui vient à manquer ? Est-ce qu’à force de reposer sur nous, l’Esprit-Saint se serait endormi ? Non. Dans le cœur des saints, l’Esprit veille encore. Par le Christ et dans l’Esprit, l’Église prêche l’Évangile et célèbre les sacrements, sans lesquels il n’est pas de sainteté possible. Et des saints, l’Église en donne au monde ! Bien sûr, des idoles tombent, et le fracas de leur chute nous atteint. Le peuple de Dieu, ou plus exactement, la sociologie catholique, en mal de visibilité, se trouve régulièrement des figures de proue, des têtes de gondole. C’est normal : il y a un besoin d’incarnation, et le christianisme est affaire d’Incarnation. Il n’y a donc pas à le mépriser, mais à mieux discerner.

Alors il faut le redire : c’est en elle, l’Église, que l’Esprit veut continuer à agir visiblement et en permanence.

La Pentecôte nous rappelle que la permanence et la visibilité de la présence agissante de l’Esprit sont d’abord dans l’Église en tant qu’elle prêche l’Évangile et célèbre les sacrements. Ça, c’est objectif, et ça ne déçoit pas. Et en même temps c’est insuffisant : l’Église n’est parfaitement sainte que par des chrétiens qui sont saints. Là, on peut être déçu. Mais c’est indispensable ! Alors il faut le redire : c’est en elle, l’Église, que l’Esprit veut continuer à agir visiblement et en permanence. Mais c’est en nous, les baptisés, que cela commence aujourd’hui.

Source: ALETEIA, le 31 mai 2020 par Fr. Jean-Thomas de Beauregard, op