Carême: un jeûne des écrans pour réincarner la vie spirituelle

Le Saint-Père lors du Mercredi des Cendres 2018 en la basilique Sainte-Sabine de Rome. Le Saint-Père lors du Mercredi des Cendres 2018 en la basilique Sainte-Sabine de Rome.   (Vatican Media)

Carême: un jeûne des écrans pour réincarner la vie spirituelle 

Sens de l’intériorité, valeur du silence, recentrage spirituel, lien sacramentel : les bénéfices d’un réajustement de la relation aux écrans sont nombreux à faire valoir en cette période de Carême. Entretien avec le frère carme Jean-Alexandre ocd. 

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

Et si l’effort de Carême était numérique? La pratique du jeûne, souvent associée à la nourriture, peut concerner aujourd’hui une autre activité prépondérante: le rapport aux écrans et la consommation d’Internet.

Saturation d’informations, déconcentration, sursollicitation… Les méfaits d’y consacrer un temps trop important sont nombreux. Tout comme les conséquences sur la vie spirituelle, qui risque alors une évacuation «du cœur et du corps», de toute la dimension incarnée, qui passe par les sacrements, la prière, la rencontre physique.

Se déconnecter donc durant 40 jours pour se recentrer et réajuster son mode d’être et sa relation à Dieu, c’est ce que conseille frère Jean-Alexandre, carme à Paris.Entretien avec frère Jean-Alexandre ocd 

Radio Vatican: Pourquoi le Carême serait propice à une déconnexion des écrans?

La pédagogie du Carême propose le jeûne, souvent lié à la nourriture, mais je pense qu’il y aujourd’hui d’autres façons de se nourrir qui nous occupent un peu trop l’esprit au quotidien : c’est le rapport aux écrans et à la consommation d’Internet. Le jeune servirait donc non pas à diaboliser les écrans et Internet – de même que l’on ne diabolise pas la nourriture durant le Carême -, mais il s’agit de prendre de la distance par rapport à des choses qui en elles-mêmes peuvent être bonnes, mais qui parfois saturent un peu trop notre quotidien et nous pousse à des rapports idolâtriques, qui prennent trop de place dans nos vies. Il s’agit de nous réajuster dans notre relation aux écrans et aux nouvelles technologies pour mettre Dieu au centre. 

R.V: Quels peuvent être les bienfaits spirituels et les valeurs cultivées par un jeûne numérique?

Le sens de l’intériorité tout d’abord. Les écrans par la lumière qu’ils diffusent nous tirent hors de nous-mêmes, nous fascinent, nous scotchent; conséquence, l’on sort de soi au mauvais sens du terme, on ne vit plus à partir «de notre cœur» au sens biblique, de notre liberté, de notre conscience, mais l’on vit dans un rapport extérieur à nous-mêmes. Le jeûne numérique aide à recentrer notre vie sur l’intérieur. La foi chrétienne nous dit que notre intérieur n’est pas vide, il est habité par la présence de Dieu qui demeure au centre de nous-mêmes, et qui fait que nous ne sommes pas seuls, car souvent nous cherchons à fuir.

R.V: Pourrait-on comparer ces quarante jours du Christ qui lutte dans le désert à une attitude de lutte contre les illusions numériques durant ce Carême?

Ce qui me semble intéressant dans cette analogie, c’est que dans les tentations vécues par Jésus dans le désert, le démon se sert beaucoup à la fois de la puissance et de l’image. La puissance, c’est «Transforme ces pierres en pain», et en soit le Fils de l’Homme pourrait le faire. Nous pouvons nous aussi avoir cette illusion avec internet que nous-mêmes sommes très puissants, l’exemple du smartphone est éloquent à cet égard. Le Carême et le jeûne des écrans nous aide à revenir à la réalité, au-delà de nos rêves de puissance.

L’autre point sont les images, mode de fonctionnement fondamental des écrans. Ces images activent notre imagination pour le meilleur et pour le pire, nous faisant vivre dans un monde d’images qui peut, là aussi, être déconnecté de la réalité. Jésus dans le désert est attaqué par l’Adversaire sur l’image qu’il peut avoir de son Père, de Dieu, de la puissance. Toutes ces images parfois gravées en nous par la consultation massive des écrans peut polluer notre vie spirituelle.

R.V: Au-delà même du Carême, l’articulation est difficile à trouver entre le virtuel et l’incarné, dans le catholicisme particulièrement…

Dans le numérique, le corps est faiblement impliqué. Comment pendant le Carême je prends soin de mon corps, qui me rappelle à des limites, à la vie sacramentelle ? On le voit bien avec la pandémie cette année et les conséquences au niveau des sacrements. Il y a un décrochage, en tout cas en France, dans certains lieux, de la pratique dominicale. Certains pensent que la messe à la télévision est fantastique. Elle l’est pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, mais rien ne remplace la rencontre sacramentelle, fraternelle et la place du corps. L’un des gros enjeux de notre rapport au numérique est de prendre garde à la désincarnation.

Notre foi est incarnée, «le Verbe de Dieu s’est fait chair». Il ne s’agit pas de dire que le numérique est nul ou prend toute la place, mais de lui articuler une place. Et c’est toujours la prière qui réajuste les choses. Le Carême est un moment privilégié pour cela. Sans la prière, nous pouvons nous agiter dans tous les sens, avoir l’impression de sauver le monde, mais en fait, devant Dieu, on ne fait pas grand-chose. Celui qui prie découvre une autre qualité de vie et d’être. Il fait peut-être moins, mais au fond il change plus les choses car il se change lui-même. 

Source: VATICANNEWS, le 27b février 2021

Message du Saint-Père pour le Carême 2021

Message du Saint-Père pour le Carême 2021

MESSAGE DU SAINT-PERE POUR LE CAREME 2021

« Voici que nous montons à Jérusalem… » (Mt 20, 18)
Le Carême : un temps pour renouveler notre foi, notre espérance et notre charité

Chers Frères et Sœurs,

En annonçant à ses disciples sa Passion, sa mort et sa résurrection, accomplissant ainsi la volonté de son Père, Jésus leur révèle le sens ultime de sa mission et il les appelle à s’y associer, en vue du salut du monde.

En parcourant le chemin du Carême, qui nous conduit vers les célébrations pascales, nous faisons mémoire de Celui qui nous a aimés « devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix » (Ph 2,8). Dans ce temps de conversion, nous renouvelons notre foi, nous puisons « l’eau vive » de l’espérance et nous recevons le cœur ouvert l’amour de Dieu qui fait de nous des frères et des sœurs dans le Christ. Dans la Nuit de Pâques, nous renouvellerons les promesses de notre baptême pour renaître en hommes et femmes nouveaux par l’intervention du Saint Esprit. L’itinéraire du Carême, comme l’itinéraire chrétien, est déjà entièrement placé sous la lumière de la résurrection, qui inspire les sentiments, les attitudes ainsi que les choix de ceux qui veulent suivre le Christ.

Le jeûne, la prière et l’aumône, tels que Jésus les présente dans sa prédication (cf. Mt 6, 1-18) sont les conditions et les expressions de notre conversion. Le chemin de la pauvreté et du manque (le jeûne), le regard et les gestes d’amour vers l’homme blessé (l’aumône), et le dialogue filial avec le Père (la prière), nous permettent d’incarner une foi sincère, une vivante espérance et une charité active.

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1. La foi nous appelle à accueillir la Vérité et à en devenir des témoins, devant Dieu et devant tous nos frères et sœurs.

Pendant ce temps du Carême, recevoir et vivre la Vérité manifestée dans le Christ c’est avant tout se laisser toucher par la Parole de Dieu et qui nous est transmise, de générations en générations, par l’Eglise. Cette Vérité n’est pas une construction de l’esprit qui serait réservée à quelques intelligences supérieures ou séparées. Elle est un message que l’on reçoit et que l’on peut comprendre grâce à l’intelligence du cœur ouvert à la grandeur de Dieu qui nous aime, avant que nous-mêmes en ayons conscience. Cette Vérité c’est le Christ lui-même, qui, en assumant pleinement notre humanité, s’est fait Voie – exigeante, mais ouverte à tous – conduisant à la plénitude de la Vie.

Le jeûne, vécu comme expérience du manque, conduit ceux et celles qui le vivent dans la simplicité du cœur à redécouvrir le don de Dieu et à comprendre notre réalité de créatures à son image et ressemblance qui trouvent en lui leur accomplissement. En faisant l’expérience d’une pauvreté consentie, ceux qui jeûnent deviennent pauvres avec les pauvres et ils « amassent » la richesse de l’amour reçu et partagé. Compris et vécu de cette façon, le jeûne nous aide à aimer Dieu et notre prochain car, comme Saint Thomas d’Aquin l’enseigne, il favorise le mouvement qui amène à concentrer l’attention sur l’autre en l’identifiant à soi-même (cf. Enc. Fratelli tutti, n. 93).

Le Carême est un temps pour croire, c’est-à-dire pour recevoir Dieu dans notre vie et pour le laisser “établir sa demeure” en nous (cf. Jn 14, 23). Jeûner consiste à libérer notre existence de tout ce qui l’encombre, même de ce trop-plein d’informations, vraies ou fausses, et de produits de consommation pour ouvrir la porte de notre cœur à celui qui vient jusqu’à nous, pauvre de tout mais « plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14) : le Fils du Dieu Sauveur.

2. L’espérance, comme “eau vive” qui nous permet de continuer notre chemin

La Samaritaine à qui Jésus demande à boire au bord du puit ne comprend pas lorsqu’il lui dit qu’il peut lui offrir une “eau vive” (Jn 4, 10). Au début, elle pense naturellement à l’eau matérielle. Mais Jésus parle de l’Esprit Saint qu’il offrira en abondance dans le Mystère pascal et qui nous remplira de l’espérance qui ne déçoit pas. Lorsqu’il évoque sa passion et sa mort, Jésus annonce déjà l’espérance en disant : « Le troisième jour, il ressuscitera » (Mt 20, 19). Jésus nous parle de l’avenir grand ouvert par la miséricorde du Père. Espérer, avec lui et grâce à lui, c’est croire que l’histoire n’est pas fermée sur nos erreurs, nos violences, nos injustices et sur le péché qui crucifie l’Amour. Espérer c’est puiser le pardon du Père de son Cœur ouvert.

Dans le contexte d’inquiétude que nous vivons, où tout apparaît fragile et incertain, parler d’espérance pourra sembler provocateur. Le temps du Carême est un temps pour espérer, pour tourner de nouveau le regard vers la patience de Dieu qui continue de prendre soin de sa Création, alors même que nous l’avons souvent maltraitée (cf. Laudato si’, nn. 32, 33, 43, 44).page2image10281840

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C’est l’espérance en la réconciliation à laquelle Saint Paul nous exhorte avec passion : « Laissez- vous réconcilier avec Dieu » (2Co 5, 20). En recevant le pardon, dans le sacrement qui est au cœur de notre démarche de conversion, nous devenons, à notre tour, des acteurs du pardon. Nous pouvons offrir le pardon que nous avons-nous-mêmes reçu, en vivant un dialogue bienveillant et en adoptant un comportement qui réconforte ceux qui sont blessés. Le pardon de Dieu permet de vivre une Pâque de fraternité aussi à travers nos paroles et nos gestes.

Pendant ce Carême, appliquons-nous à dire « des mots d’encouragements qui réconfortent qui fortifient, qui consolent, qui stimulent » au lieu de « paroles qui humilient, qui attristent, qui irritent, qui dénigrent » (Enc. Fratelli tutti [FR], n. 223). Parfois, pour offrir de l’espérance, il suffit d’être « une personne aimable, […], qui laisse de côté ses anxiétés et ses urgences pour prêter attention, pour offrir un sourire, pour dire une parole qui stimule, pour rendre possible un espace d’écoute au milieu de tant d’indifférence » (ibid., n. 224).

Dans le recueillement et la prière silencieuse, l’espérance nous est donnée comme une inspiration et une lumière intérieure qui éclaire les défis et les choix de notre mission. Voilà pourquoi, il est déterminant de se retirer pour prier (cf. Mt 6, 6) et rejoindre, dans le secret, le Père de toute tendresse.

Vivre un Carême d’espérance, c’est percevoir que nous sommes, en Jésus-Christ, les témoins d’un temps nouveau, dans lequel Dieu veut « faire toutes choses nouvelles » (cf. Ap 21, 1-6). Il s’agit de recevoir et d’offrir l’espérance du Christ qui donne sa vie sur la croix et que Dieu ressuscite le troisième jour : « Soyez prêts à répondre à qui vous demande à rendre raison de l’espérance qui est en vous » (1P 3, 15).

3. La charité, quand nous la vivons à la manière du Christ, dans l’attention et la compassion à l’égard de chacun, est la plus haute expression de notre foi et de notre espérance.

La charité se réjouit de voir grandir l’autre. C’est la raison pour laquelle elle souffre quand l’autre est en souffrance : seul, malade, sans abri, méprisé, dans le besoin… La charité est l’élan du cœur qui nous fait sortir de nous-mêmes et qui crée le lien du partage et de la communion.

«Grâce à l’amour social, il est possible de progresser vers une civilisation de l’amour à laquelle nous pouvons nous sentir tous appelés. La charité, par son dynamisme universel, peut construire un monde nouveau, parce qu’elle n’est pas un sentiment stérile mais la meilleure manière d’atteindre des chemins efficaces de développement pour tous » (FT, n. 183).

La charité est don. Elle donne sens à notre vie. Grâce à elle, nous considérons celui qui est dans le manque comme un membre de notre propre famille, comme un ami, comme un frère. Le peu, quand il est partagé avec amour, ne s’épuise jamais mais devient une réserve de vie et de bonheur. Ainsi en fût-il de la farine et de l’huile de la veuve de Sarepta, quand elle offrit la galettepage3image10237840page3image24427904page3image24196992

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au Prophète Elie (cf. 1R 17, 7-16). Ainsi en fût-il des pains multipliés que Jésus bénit, rompit et donna aux apôtres pour qu’ils les offrent à la foule (cf. Mc, 6, 30-44). Ainsi en est-il de notre aumône, modeste ou grande, que nous offrons dans la joie et dans la simplicité.Vivre un Carême de charité, c’est prendre soin de ceux qui se trouvent dans des conditions de souffrance, de solitude ou d’angoisse à cause de la pandémie de la Covid-19. Dans l’impossibilité de prévoir ce que sera demain, souvenons-nous de la parole adressée par Dieu à son Serviteur : « Ne crains pas, car je t’ai racheté » (Is 43, 1), offrons avec notre aumône un message de confiance, et faisons sentir à l’autre que Dieu l’aime comme son propre enfant.«Ce n’est qu’avec un regard dont l’horizon est transformé par la charité, le conduisant à percevoir la dignité de l’autre, que les pauvres sont découverts et valorisés dans leur immense dignité, respectés dans leur mode de vie et leur culture, et par conséquent vraiment intégrés dans la société » (FT, n. 187).Chers frères et sœurs, chaque étape de la vie est un temps pour croire, espérer et aimer. Que cet appel à vivre le Carême comme un chemin de conversion, de prière et de partage, nous aide à revisiter, dans notre mémoire communautaire et personnelle, la foi qui vient du Christ vivant, l’espérance qui est dans le souffle de l’Esprit et l’amour dont la source inépuisable est le cœur miséricordieux du Père.Que Marie, Mère du Sauveur, fidèle au pied de la croix et au cœur de l’Eglise, nous soutienne par sa présence prévenante et que la bénédiction du Ressuscité nous accompagne dans ce chemin vers la lumière de Pâques.Donné à Rome, près de Saint Jean de Latran, 11 novembre 2020, mémoire de Saint Martin de ToursFrançois

Source: Conférence des Evêques Suisse, le 15 février