Cardinal Czerny: la question migratoire est «le sacrement» du magistère François

Le cardinal canadien jésuite Michael Czerny, préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral, place Saint-Pierre. Le cardinal canadien jésuite Michael Czerny, préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral, place Saint-Pierre.

Cardinal Czerny: la question migratoire est «le sacrement» du magistère François

Le préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral, le cardinal canadien Michael Czerny, dresse le bilan de la décennie de Jorge Mario Bergoglio sur le trône de Pierre. Selon lui, la fraternité, la miséricorde et la sauvegarde de la Maison commune sont ses priorités.

Salvatore Cernuzio – Cité du Vatican

«Bon Samaritain», «fraternité», «Maison commune»; et «la migration» comme «sacrement»de tout ce magistère. Le cardinal jésuite Michael Czerny, préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral, résume en ces mots-clés les dix années du Pape François à la tête de l’Église universelle. Une Église qui, avec le Pape argentin, est devenue «plus inclusive envers les pauvres, les femmes, les déplacés et les marginalisés». Une Église également «plus attentive à la création et ouverte au dialogue interreligieux, plus synodale, plus miséricordieuse et éloignée de la culture du cléricalisme», ajoute le cardinal canadien dans un entretien aux médias du Vatican.

Éminence, comment résumeriez-vous la décennie de François sur le trône de Pierre?

Je la résumerais en quelques mots: bon samaritain, fraternité, maison commune. Ce ne sont pas des priorités abstraites mais globales; ce sont des priorités pour les dirigeants, les croyants et les personnes de bonne volonté, pour tous ceux qui se soucient de la vie humaine et de l’avenir de la famille humaine.

Selon vous, comment se déroulera le pontificat à l’avenir? Quelles sont les questions et les défis sur lesquels le magistère du Pape François devra se pencher?

Je crois que, grâce aussi à la réforme de la Curie romaine, le besoin le plus urgent est un «saut qualitatif» des Églises locales. Il ne s’agit pas d’un programme politique a priori, mais plutôt d’une invitation à la vocation et à la mission d’accompagner les Églises locales dans leurs priorités, dans leurs urgences.

C’est justement en regardant la réforme cristallisée dans la Constitution apostolique Praedicate Evangelium que le dicastère pour le Service du développement humain intégral que vous présidez s’est adapté à la «nature missionnaire» de la Curie voulue par le Pape, en changeant sa structure interne. Quelles sont vos évolutions?

Notre mission principale est d’essayer de tout faire pour écouter les Églises locales et tous ceux qui relèvent le défi du développement humain intégral. Nous nous tenons prêts à voir comment aider, encourager, stimuler et même critiquer, bref, aider l’Église à grandir et à donner des réponses au monde d’aujourd’hui. La question doit être la suivante: quels sont les principaux sujets de préoccupation pour les Églises locales? Les pauvres, la sauvegarde de la création, la santé, l'(in)sécurité, les migrations? Développons donc tout cela dans des relations mutuelles.

Ce monde est aujourd’hui blessé par la guerre, mais aussi par la migration. Il y a quelques jours, une tragédie a frappé le sud de l’Italie, causant la mort de plus de 70 personnes. Vous avez une longue expérience dans le domaine des migrations. Que pensez-vous de ce que beaucoup appellent «une tragédie annoncée»?

Ce n’était pas une tragédie annoncée, mais une tragédie dénoncée. Je pense qu’il est hypocrite de dire qu’il n’était pas possible de donner une réponse…. Non, nous n’avons pas pu ou voulu anticiper. Dans l’Église, à commencer par le Pape François, beaucoup l’ont souligné mille fois: il n’y a pas de surprise dans ces événements, ce sont des choses attendues et très politiques. Et aussi très tristes.

Lors de l’angélus du 5 mars dernier, le Pape a lancé un appel très fort demandant d’arrêter les trafiquants. Est-ce là le problème?

Oui. Je crois cependant que le problème sous-jacent est une confusion, une incohérence même dans la politique migratoire européenne. D’un côté, il y a les trafiquants. D’autre part, il y a les trafiquants qui sont rusés, entrepreneurs, et qui profitent de l’incohérence pour faire prospérer leurs affaires.

En parlant de migration et en revenant sur le pontificat, l’un des moments les plus symboliques a été le voyage de juillet 2013 à Lampedusa. Depuis, le Pape n’a cessé d’attirer l’attention du monde sur cette question et sur ces personnes contraintes de quitter leur pays…

On peut dire que la question migratoire est «le sacrement» du magistère du Pape François. Cette question, si concrète, si humaine et aussi si «sainte» dans le sens de sa grande importance, il a essayé de la communiquer à tous les fidèles et au-delà. À tous les habitants de la planète, le Pape a fait comprendre à quel point la dignité de la vie humaine est fondamentale et combien il est nécessaire de répondre à notre prochain. Il a rendu pertinent le phénomène de la migration, il a rendu évidente la présence de Jésus, de la Sainte Famille, parmi ceux qui fuient. Il a ouvert à tous la possibilité de répondre -en tant que chrétiens et en tant qu’hommes- par son enseignement: accueillir, promouvoir, protéger et intégrer.

À votre avis, ces quatre indications du Pape, même à la lumière des récentes tragédies, ont-elles été comprises et accueillies?

Il est certain que tout le monde a compris ce que le Pape a dit, même les responsables de ces soi-disant tragédies. Ce sont des résultats d’actions politiques. Il faut donc faire attention à ne pas mélanger les deux choses… Les paroles de François atteignent tout le monde, surtout les croyants, les personnes qui croient en Dieu, en la vie, en la fraternité, en la maison commune. Celles-là répondent aux paroles du Saint-Père et ne cèdent pas à un rejet cruel et inhumain de leur prochain.

Quel vœu souhaiteriez-vous adresser au Pape?

Plus qu’un vœu, c’est un désir fort qu’il reçoive encore la grâce et qu’il sache combien est infinie notre gratitude, la gratitude du monde entier pour ces dix années qui nous ont tous changés pour le meilleur.

Source : VATICANNEWS, le 10 mars 2023

Journée de la fraternité humaine, un témoignage de foi

Cardinal Michael Czerny, Préfet ad interim du Dicastère pour le Service du Développement Humain IntégralCardinal Michael Czerny, Préfet ad interim du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral

Journée de la fraternité humaine, un témoignage de foi

Vivre sa foi comme des frères et sœurs, changer le regard sur l’autre, résister à l’agressivité des discours extrémistes, sont autant d’appels lancés par le Cardinal Michael Czerny, Préfet ad interim du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral, à l’occasion de la célébration de la deuxième Journée mondiale de la fraternité humaine, ce 4 février.

Stanislas Kambashi,SJ – Cité du Vatican

La deuxième journée mondiale de la fraternité humaine aura lieu ce 4 février. En prélude à cette célébration, le Cardinal Michael Czerny, Préfet ad interim du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral, a souligné certains aspects importants en lien avec cette journée, qui est pour lui une occasion de vivre la foi comme un témoignage, dans la réalité de chaque jour.

Pour le Cardinal Czerny, la fraternité nous vient de Dieu. «Nous sommes des frères et des sœurs, car nous sommes fils et filles de notre Père Céleste; et suivre Jésus, c’est traiter les autres en frères et sœurs». Nonobstant quelques obstacles, il est possible de vivre cette fraternité et rendre grâce à Dieu pour les pas déjà accomplis, estime le Préfet ad interim du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral.

Aider l’autre, c’est vivre pleinement notre vocation humaine

Pour le Cardinal Czerny, toutes les fois que l’on aide une personne à vivre pleinement son humanité, on vit aussi soi-même sa vocation. Une attention particulière doit donc être portée à toutes les dimensions de la vie, notamment dans les aspects sociaux, spirituels, etc.

Le Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral, au service de la fraternité humaine

Tout ce sur quoi se penche le Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral peut être interprété dans la ligne de la fraternité humaine, indique le Cardinal Czerny. «Parler d’environnement, des Droits de l’homme, de la paix, de la réconciliation, de tous les aspects du vivre ensemble dans le monde», touche à la fraternité. Le dicastère est là pour aider les Églises locales à mieux répondre aux défis qui se posent dans différents contextes, explique le cardinal.

Changer le regard que l’on porte sur l’«autre»

Pour cheminer vers la fraternité humaine pleinement souhaitée, le cardinal Czerny propose un changement de regard sur l’autre. «Si je peux proposer une chose cette année, c’est de reprendre un conseil du Saint Père: reconnaitre l’autre non pas dans la catégorie de la différence, mais d’abord dans les catégories de l’unité et de la fraternité». Il s’agit d’avoir le cœur ouvert et les mains ouvertes pour reconnaitre l’autre comme un frère ou une sœur, sans préjugés ni autre étiquette.

Résister à l’agressivité du discours extrémiste

Pour le Cardinal Czerny, il est enfin nécessaire de faire attention aux manifestations de l’extrémisme dans nos milieux de vie et d’avoir le courage de résister jusqu’à la dernière énergie aux discours xénophobes et extrémistes qui peuvent être agressifs.

Source: VATICANNEWS, le 2 février 2022

Théologie : la synodalité au cœur des efforts de renouveau de l’Église, par le card. Czerny SJ (2)

P. Michael Czerny © Jesuitas de México
P. Michael Czerny © Jesuitas De México

Théologie : la synodalité au cœur des efforts de renouveau de l’Église, par le card. Czerny SJ (2)

Intervention à la conférence à Toronto

« La synodalité qui commence, se déroule et se termine par le dialogue (l’écoute !) est au cœur aujourd’hui des efforts de renouveau de l’Église », affirme le cardinal Michael Czerny s.j., responsable de la section Migrants et Réfugiés du Dicastère pour le service du développement humain intégral.

Il est intervenu le 19 novembre 2021 à la conférence du chancelier au Regis College à Toronto (Canada). Les participants à la conférence ont réfléchi sur le thème: « Le renouveau de la théologie comme dialogue de l’intérieur ».

Chaque dialogue, explique le cardinal, « nous rappelle la volonté divine d’entrer en relation avec l’humanité, et cela se fait à travers (día) le Christ ; chaque parcours synodal se projette au-delà du temps et nous rappelle que le but ultime est la pleine communion avec Dieu, que nous atteindrons ensemble (syn) ».

La première partie de notre synthèse se trouve ici.

  1. Le courage du discernement et du dialogue

Le courage est « une qualité du cœur qui, malgré de nombreuses difficultés, soutient le discernement et le dialogue », affirme le card. Czerny.

Le courage, note-t-il, signifie « ne pas se dérober à la tâche d’accroître la rencontre entre la foi et la science, entre l’annonce et la culture, entre les cultures et les religions, même s’il y a parfois un risque de confrontation ou de friction ». La volonté du Concile Vatican II « d’abandonner une certaine défensive ‘apologétique’ dans la manière d’aborder les études théologiques » a été portée « à un point de conscience plus élevé » dans la constitution apostolique du pape François sur les universités et les facultés ecclésiastiques Veritatis gaudium: « Une Église qui se comprend comme en sortie, non pas dans une confrontation ouverte avec la modernité, mais dans un dialogue ouvert avec le monde d’aujourd’hui. »

Cette insistance sur le courage, explique le cardinal, « reconnaît que le dialogue et le discernement ne sont pas seulement des techniques ou même des stratégies, mais des engagements coûteux qui nous imposent constamment les exigences les plus intrusives ».

Car « un discernement sincère », dit-il, « accepte le risque d’opter pour la volonté de Dieu qui veut le meilleur pour ses créatures ». « L’apprentissage et la pratique du discernement » peuvent inclure toute sorte de connaissances, mais « dépassant celles-ci ». Il faut se rappeler « toujours que le discernement est une grâce », « un don ».

Le dialogue, quant à lui, « suppose un engagement personnel à pratiquer l’accueil et l’hospitalité, et à promouvoir une culture de la rencontre ».

Le cardinal cite le pape François qui – se référant à Babel où l’on « ne comprend pas ce que l’autre dit » – « identifie le syndrome de Babel qui est un vrai danger » : « Ne pas écouter ce que l’autre dit et croire que je sais ce que l’autre pense et ce qu’il dira. C’est la peste ! », dit le pape.

L’attention et le courage, souligne le card. Czerny, résument les « éléments et des critères qui traduisent la manière selon laquelle l’Évangile a été vécu et annoncé par Jésus et avec laquelle aujourd’hui aussi il peut être transmis par ses disciples ».

  1. Le dialogue entre disciplines

Le cardinal parle de la « théologie de l’accueil » qui est appelée, comme dit le pape François, « à développer un dialogue sincère avec les institutions sociales et civiles, avec les centres universitaires et de recherche, avec les responsables religieux et avec toutes les femmes et les hommes de bonne volonté »

« Quelles exigences l’attention et le courage posent-ils aux habitudes du théologien ? » s’interroge le card. Czerny.

« Une théologie de l’accueil », explique-t-il, « a besoin de théologiens qui sachent travailler ensemble et sous forme interdisciplinaire ». Les facultés ecclésiastiques « doivent être capables de lancer des recherches spécialisées qui enrichissent l’Église en facilitant l’échange entre les différentes identités culturelles et en explorant de nouvelles voies de rencontre avec la réalité et l’actualité ». « Cela demande de l’attention et du courage », répète le responsable de la section Migrants et Réfugiés. Il est important, souligne-t-il, d’intégrer « le principe vital et intellectuel de l’unité du savoir dans la distinction et dans le respect de ses multiples expressions, corrélées et convergentes » ».

Les élèves, note-t-il, « commencent en mode pluridisciplinaire, par la découverte progressive de ce que les différentes disciplines disent sur une question ». Vient ensuite un mode interdisciplinaire: « cela consiste à accueillir dans ma discipline les notions et les modes de pensée élaborés par une autre discipline ».

Le cardinal rappelle « un autre principe clé du pape François », à savoir que « le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci ». Ce principe se manifeste dans l’encyclique Laudato si’, ce « grand essai de pensée transdisciplinaire » et de « dialogue avec tous ».

  1. Le travail en réseau

« Le travail en réseau », souligne le cardinal, « est indispensable dans un monde toujours plus interdépendant », « et, par conséquent, les problématiques de la théologie et la catholicité de l’Église l’exigent » : « La théologie, il n’y a pas de doute, doit être enracinée et fondée sur la Sainte Écriture et dans la Tradition vivante, mais cela justement doit accompagner simultanément les processus culturels et sociaux », lit-on dans Veritatis Gaudium.

Ainsi, les facultés de théologie et les universités ecclésiastiques sont appelées, selon les paroles du pape François, à contribuer « à l’édification d’une société juste et fraternelle ». « Les questions de notre peuple, dit le pape, ses peines, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation. » C’est ainsi que l’on peut « fuir les logiques auto-référentielles, compétitives et, de fait, aveuglantes qui existent souvent également dans nos institutions académiques ».

La théologie, dit le pape François, doit « se conformer à l’Esprit de Jésus Ressuscité, avec sa liberté d’aller dans le monde et d’atteindre les périphéries, même celles de la pensée. […] les grandes synthèses théologiques du passé sont des mines de sagesse théologique, mais elles ne peuvent pas s’appliquer de façon mécanique aux questions actuelles » (discours à Naples, 2019).

  1. Renouveler la théologie de l’intérieur

Le renouveau de la théologie « en tant que dialogue de l’intérieur, explique le card. Czerny, exige une docilité à l’Esprit pour que le dialogue puisse avoir lieu dans tous les intérieurs nécessaires : à l’intérieur du monde et de la culture des gens, en particulier ceux aux périphéries ; à l’intérieur de l’Église et de son histoire, surtout Vatican II ; à l’intérieur des différentes traditions religieuses ; et à l’intérieur du théologien ».

« Puis-je laisser les autres s’approprier mon idée sans insister pour qu’ils pensent comme moi ? » se demande le cardinal. « Cette réciprocité de l’accueil de l’autre et de l’accueil par l’autre est le signe d’une attitude dialogique et fraternelle : chercher ensemble la vérité, sans prétendre la dominer. »

Cette attitude, note-t-il, « s’épanouit dans l’oxygène du débat ». « La réflexion croyante – la théologie – atteint son but lorsqu’elle ouvre l’esprit dans la direction du cœur, c’est-à-dire qu’elle nous rend plus disposés à accueillir et à aimer, à avoir un grand cœur envers notre prochain », souligne le cardinal. Une théologie est « docile à l’Esprit » parce qu’elle « dialogue avec son contexte de vie en expansion et aime ceux qu’elle croise sur les chemins de la pensée ».

Source: ZENIT.ORG, le 23 novembre 2021

Théologie : «Partir d’un contact réel avec les drames réels de l’humanité», par le card. Czerny SJ (1)

Card. Michael Czeny SJ @ Dicastère pour le développement durable

Card. Michael Czeny SJ @ Dicastère Pour Le Développement Durable

Théologie : «Partir d’un contact réel avec les drames réels de l’humanité», par le card. Czerny SJ (1)

Intervention à la conférence à Toronto

« Aborder les problèmes de manière abstraite peut entraîner une ‘dépersonnalisation’ du contexte, alors que nous devrions toujours partir d’un contact réel avec les drames réels de l’humanité », affirme le cardinal Michael Czerny s.j., responsable de la section Migrants et Réfugiés du Dicastère pour le service du développement humain intégral.

Il interviendra ce vendredi 19 novembre 2021 à la conférence du chancelier au Regis College à Toronto (Canada). Le thème de la conférence est : « Le renouveau de la théologie comme dialogue de l’intérieur ».

Le samedi 20 novembre, au Regis College, il y aura la Convocation au cours de laquelle le cardinal Czerny recevra un docteur honoris causa en théologie. Le dimanche 21 novembre, fête du Christ-Roi, le cardinal présidera l’eucharistie à l’Oratoire Saint-Joseph de Montréal, célébrant également l’Année de saint Joseph qui se termine le 8 décembre prochain.

Le cardinal Czerny prononcera son discours en l’honneur du P. Peter Larisey, s.j., (1929-2020), jésuite canadien, membre de la Compagnie de Jésus pendant 68 ans, qui a fortement marqué le début de la vie du cardinal : « Les premiers souvenirs que je garde de Regis à Willowdale sont les expositions d’art révolutionnaires intitulées Canadian Religious Art Today, organisées par Peter Larisey en 1963 et 1966, se souvient le cardinal. Il voulait montrer aux artistes, pour le dire avec les mots de Gaudium et spes, ‘que l’Église reconnaît leur activité’ tout en accueillant aussi ‘les nouvelles formes d’art qui conviennent à nos contemporains, selon le génie des diverses nations et régions’ ».

Les deux expositions du P. Larisey à Regis, explique le cardinal, « sont une parabole du ‘dialogue de l’intérieur’ que le titre de cette conférence propose pour ‘le renouveau de la théologie’ qui se produit lorsque les personnes concernées sont ‘dociles aux signes et à l’action du Seigneur ressuscité et à son Esprit de paix’ ».

  1. Vatican II : «le changement de paradigme »

La réflexion de l’Église sur le dialogue et le renouveau « commence par le changement de paradigme qui s’est opéré dans l’Église avec le Concile Vatican II », écrit le cardinal. Il énumère les « tournants significatifs » de ce cheminement : avec la Constitution dogmatique Dei Verbum (le 18 novembre 1965), « l’Église a mis un terme définitif » à une « attitude défensive qui, depuis l’avènement de la modernité, avait conduit l’Église à se concevoir comme une forteresse assiégée par des ennemis de la foi internes et externes ». Vatican II, explique le cardinal, a choisi « un ton plus dialogique et constructif, ce fut le premier concile à ne pas prononcer d’anathèmes ». « La Révélation de Dieu est comprise comme son autocommunication à l’humanité et comme un appel à la communion avec Lui. »

La Constitution pastorale Gaudium et spes (le 8 décembre 1965), poursuit le cardinal, « a appelé l’Église à entrer en dialogue avec le monde, avec le présent, avec l’humanité entière ».

Ce dialogue « vise certainement à rendre plus efficace l’annonce de l’Évangile, mais il est encore plus nécessaire pour saisir les signes de la présence du Christ qui émergent de l’histoire ».

Le « grand changement » que Gaudium et spes a introduit « dans la manière dont l’Église se présente au monde ne pouvait manquer d’avoir d’énormes répercussions sur la manière de comprendre la théologie en tant que formation au ministère, ordonné, religieux et laïque », souligne le cardinal Czerny.

  1. Le dialogue au sein de l’Église enseignante

Le cardinal rappelle que le pape Paul VI a « préparé la constitution apostolique destinée à orienter et à diriger les études ecclésiastiques à la lumière du Concile », mais il « n’a pas vécu assez longtemps pour promulguer » Sapientia christiana. C’est ce qu’a fait le pape Jean-Paul II dès la première année de son pontificat, le 15 avril 1979.

L’encyclique Sapientia christiana « s’appuie notamment sur les documents du Concile » et démontre que « l’Église du Christ cherche à porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité, de manière à pouvoir convertir la conscience personnelle et la conscience collective des hommes ».

Cependant, note le cardinal, « près de 40 ans plus tard, un renouveau est nécessaire de toute urgence, et le pape François le propose ‘avec une détermination réfléchie et prophétique’ dans une nouvelle constitution apostolique ‘sur les universités et les facultés ecclésiastiques’ intitulée Veritatis gaudium (le 8 décembre 2017).

Quatre ans plutôt, dans l’encyclique Evangelii gaudium (le 24 novembre 2013), le pape François « déclare la nécessité de repenser chaque domaine de l’activité ecclésiale dans une clé missionnaire ». « Cela signifie, explique le card. Czerny, que les études de théologie aussi doivent embrasser cette priorité et relever le défi d’affronter la nouvelle configuration du monde issue de la mondialisation. »

Le cardinal s’interroge si on peut « servir la foi en tant que charité intellectuelle », « si l’on reste à l’écart de la charité historique en tant que défense de la dignité humaine ».  « La foi sans la lutte pour la justice risque de s’abstraire de la réalité, d’être insignifiante, de se limiter à un simple culte et à un rituel, répond-il. Mais, en même temps, l’engagement pour la justice doit être nourri par une foi vivante, réfléchie et éduquée, sinon elle tombe dans l’idéologie. »

  1. La base pastorale pour le dialogue

L’encyclique Veritatis gaudium, explique le cardinal, pose « les bases des facultés ecclésiastiques ainsi : le Peuple de Dieu est en pèlerinage le long des chemins de l’histoire, en sincère et solidaire compagnie des hommes et des femmes de tous les peuples et de toutes les cultures, pour éclairer de la lumière de l’Évangile la marche de l’humanité vers la nouvelle civilisation de l’amour ».

En citant l’encyclique du pape François, le card. Czerny affirme que les études ecclésiastiques offrent « une sorte de laboratoire culturel providentiel où l’Église fait un exercice d’interprétation performative de la réalité ».

Ce que Veritatis gaudium « offre à nouveau » « c’est un encouragement à persister dans la direction indiquée par la Constitution apostolique de Paul VI et de Jean-Paul II, en la précisant davantage à la lumière de la réalité sociale et religieuse d’aujourd’hui, qui est toujours plus pluraliste et pourtant poussée vers l’uniformité par la mondialisation ».

  1. L’attention au kérygme et aux pauvres

« Une attention priante (contemplative, mystique) au kérygme » devrait être mise « au centre de la théologie », rappelle le cardinal. « Contempler ‘la Bonne Nouvelle toujours fraîche et attirante de l’Évangile de Jésus-Christ, qui continue à prendre chair dans la vie de l’Église et de l’humanité’ … nous introduit spirituellement, intellectuellement et existentiellement au cœur du kérygme », affirme-t-il.

« L’attention » signifie donc « être plus attentif aux contextes, aux réalités et à la diversité lors de l’élaboration de la théologie ». « Cela exige que le théologien et l’étudiant soient attentifs aux situations et aux défis concrets qui les entourent (sociaux, politiques, culturels, ecclésiaux, pastoraux, économiques, etc.), afin que la formation théologique puisse s’engager et répondre plus efficacement. »

« Une vraie attention prend inévitablement la forme de la compassion », déclare le cardinal.

« Sans la compassion, puisée au Cœur du Christ, cite-t-il le pape François, les théologiens risquent d’être engloutis dans la condition de privilège de celui qui se place prudemment en dehors du monde et ne partage rien de risqué avec la majorité de l’humanité. »

L’axiome selon lequel « la réalité est supérieure à l’idée », explique le cardinal, « nous avertit qu’aborder les problèmes de manière abstraite peut entraîner une « dépersonnalisation » du contexte, alors que nous devrions toujours partir d’un contact réel avec les drames réels de l’humanité ». C’est ce qui rend « l’attention théologique authentique », car, comme le souligne le pape dans Evangelii gaudium, « le kérygme possède un contenu inévitablement social : au cœur même de l’Évangile, il y a la vie communautaire et l’engagement avec les autres. »

(à suivre…)

Source: ZENIT.ORG, le 19 novembre 2021