Le Pape salue la libération de prisonniers arméniens et azerbaïdjanais

Le Pape salue la libération de prisonniers arméniens et azerbaïdjanais

À l’issue de l’angélus, dimanche 10 décembre place Saint-Pierre, le Souverain pontife a évoqué la récente percée dans les relations entre Bakou et Erevan, saluant la libération réciproque de prisonniers et appelant les deux parties à conclure rapidement un accord de paix. Le 7 décembre, les deux pays du Caucase publiaient une déclaration commune confirmant leur «intention de normalisation» après des décennies de guerre. 

Delphine Allaire – Cité du Vatican

«Je me réjouis de la libération d’un nombre significatif de prisonniers arméniens et azerbaïdjanais. Je regarde avec grande espérance ce signe positif pour les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et pour la paix dans le Caucase du Sud. J’encourage les parties et leurs dirigeants à conclure un traité de paix dès que possible.» En ces termes prononcés depuis la fenêtre des appartements pontificaux, dimanche 10 décembre, le Pape a réagi à la dernière avancée diplomatique entre les deux États, qui ont promis jeudi 7 décembre «des mesures concrètes» visant à «renforcer la confiance».

Arménie et Azerbaïdjan ont ainsi réaffirmé «leur intention de normaliser leurs liens et de signer un accord de paix», et se sont entendus sur la libération de 32 prisonniers de guerre arméniens, en échange de celle de deux soldats azerbaïdjanais.

Erevan et Bakou «continueront de discuter de mesures pour renforcer la confiance, qui seront prises dans un avenir proche, et appellent à un soutien de la communauté internationale», lit-on encore dans la déclaration commune publiée à l’issue de pourparlers entre le cabinet du Premier ministre arménien et la présidence azerbaïdjanaise.

Le jeu des négociations

Outre le Pape, les alliés des deux pays comme la Russie ou la Turquie se sont montrés satisfaits de cette inflexion. La diplomatie arménienne a affirmé jeudi avoir répondu «positivement» à une proposition du secrétaire d’État américain Antony Blinken d’organiser une rencontre des ministres arménien et azerbaïdjanais des Affaires étrangères à Washington.

Le secrétaire d’État adjoint américain était lui le 6 décembre à Bakou où il a eu des discussions «positives et constructives» avec le président Aliev visant à favoriser la paix, selon le département d’État. Des incidents armés ont toujours lieu régulièrement à la frontière entre les deux pays. L’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont livrés trois guerres en trente ans pour le contrôle de l’enclave arménienne du Haut-Karabagh, que Bakou a reconquise en septembre après une offensive éclair.

Source : VATICANNEWS, le 10 décembre 2023

Jean-Pierre Mahé: le christianisme arménien, mémoire orientale de l’Église

Le monastère de Tatev dans la région de Goris, à 316 km d’Erevan, au sud-est de l’Arménie, construit au Xe siècle. (©mantvydasd – stock.adobe.com)

Jean-Pierre Mahé: le christianisme arménien, mémoire orientale de l’Église

L’Arménie est le premier royaume à avoir adopté le christianisme comme religion d’État. Son patrimoine religieux spirituel et architectural bimillénaire témoigne de l’importance de maintenir vive et enracinée la présence chrétienne dans le Caucase. 

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

«Les églises et monastères du Haut-Karabagh doivent être respectés et protégés». Le Pape François a lancé cet appel dimanche 15 octobre après l’angélus, confiant sa préoccupation pour la situation humanitaire des déplacés. L’enclave arménienne s’est en effet vidée de 100 000 de ses habitants depuis l’agression militaire de Bakou lancée il y a un mois, le 19 septembre dernier.

Le patrimoine religieux chrétien bimillénaire de cette terre berceau spirituel de l’Arménie est désormais aux mains des Azerbaïdjanais. Selon un décompte du Défenseur des droits arméniens, près de 1 500 monuments arméniens étaient déjà passés sous contrôle de l’Azerbaïdjan après la guerre de 2020. Parmi eux, 161 monastères et églises. L’enjeu existentiel du maintien de la présence chrétienne et de la préservation de son patrimoine religieux remonte lui aux premiers siècles. Pays de l’Arche de Noé, l’Arménie adopte le christianisme comme religion d’État quelques années avant même Rome. L’orientaliste français, Jean-Pierre Mahé, spécialiste du christianisme arménien et directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, retrace les origines et particularités de cette Église-martyre dans la profondeur des siècles.

Comment le christianisme est-il arrivé, s’est-il répandu en Arménie et a-t-il été dès les origines intimement lié à l’unité du pays?

La christianisation est d’abord non officielle, tout simplement amenée par les échanges commerciaux, intellectuels et religieux, entre la Syrie et l’Arménie. Selon la Tradition, Thadée aurait été le premier apôtre de l’Arménie et se serait rendu auprès d’Abgar, le roi d’Édesse. Il aurait converti tout le royaume d’Abgar, dont la moitié sud était syriaque. La moitié nord était arménienne. Le souverain n’a pas déclaré que c’était une religion obligatoire. C’était une conversion personnelle de sa part. Beaucoup de ses sujets l’ont imité. Le langage religieux arménien emprunte des termes essentiels au syriaque. Par exemple, le vendredi et le samedi sont très importants, car le premier effet de la conversion au christianisme est de structurer la semaine. Nous sortons d’un régime de calendrier où le temps est divisé en mois lunaires pour rentrer dans un temps plus liturgique, où toutes les semaines sont marquées par la préparation du sabbat, urbat, le vendredi, ensuite le shabat le samedi, et ensuite le dimanche, premier jour de la semaine d’après, jour de la Résurrection.

Des communautés chrétiennes se sont donc installées dans le sud de l’Arménie à l’âge apostolique, dès la fin du Iᵉʳ siècle et probablement au début du IIᵉ siècle. Le nord de l’Arménie restait païen, converti non pas par le Sud, mais par l’Ouest. Grâce à l’apostolat de saint Paul, le christianisme s’est répandu en Asie Mineure et, depuis la Cappadoce, s’est aussi répandu en Arménie au début du IVᵉ siècle, au temps du roi Tiridate, établi sur le trône par l’empereur romain Dioclétien.

Au début, Tiridate était un païen militant, et pour cette raison, il a tué des religieuses qui s’étaient réfugiées de l’Empire romain en Arménie. À la suite de ce crime, il a été, dit la Tradition, transformé en porc sauvage. À ce moment-là, un chrétien qu’il avait mis en prison auparavant, saint Grégoire l’Illuminateur, est sorti de prison, et le convertit au christianisme dans les dix premières années du IVᵉ siècle.

En quoi cette pénétration du christianisme en Arménie diffère-t-elle de celle du Haut-Karabagh?

Le Haut-Karabagh appartient à une région montagneuse isolée concernée par le christianisme par d’autres voies. Un saint homme, Yeghishe ou Élisée, était selon les textes les plus anciens l’un des disciples de Jacques le Juste, frère du Seigneur. Il est venu dans le nord de l’Azerbaïdjan actuel, sur la rive gauche du fleuve Koura, où il a fondé la plus ancienne, la mère de toutes les églises du Caucase.

Par la suite, le christianisme s’est répandu dans le reste du pays, mais le christianisme du Haut-Karabagh est dû principalement à l’action d’un souverain Vatchagan le Pieux monté sur le trône en 484. Vatchagan le Pieux a construit une ville nouvelle. Il a purifié les lieux qui étaient occupés par les idoles païennes en répandant les reliques des saints, et nous lui devons en particulier la construction du monument religieux le plus ancien du Karabagh et de l’Azerbaïdjan, qui est le mausolée de Grigoris, petit-fils de saint Grégoire l’Illuminateur et catholicos d’Albanie du Caucase. Ce monument se trouve à Amaras aujourd’hui. Il y a aussi en dessous du Karabagh, dans le corridor de Latchine, une église très ancienne qui s’appelle le monastère de l’Hirondelle et dont les parties les plus anciennes conservées à l’heure actuelle datent du IVᵉ siècle.

Comment cette Église apostolique arménienne prend-elle ensuite son essor? Quel est l’état de ses relations avec les autres Églises chrétiennes, notamment Rome, durant la période dite de l’Église des Trois conciles?

Rome est très loin de l’Arménie. Pour des raisons géographiques, non dogmatiques, la relation importante était donc avec Jérusalem. Dès 324, le successeur de saint Grégoire l’Illuminateur, son fils qui s’appelait Aristakès, a participé au Concile de Nicée et été l’un des signataires du Concile de Nicée. Ensuite, le successeur d’Aristakès, Vertanès, lui aussi fils de saint Grégoire l’Illuminateur, a correspondu avec le patriarche Macaire de Jérusalem. Il avait été invité par le patriarche Macaire à l’inauguration de l’Église de l’Anastasis, le Saint-Sépulcre. Il n’a pas pu s’y rendre, mais les envoyés dépêchés à sa place ont assisté au baptême des catéchumènes pour la Pâque, interrogeant le patriarche Macaire sur la manière d’administrer le baptême. Cela a marqué le début d’une relation très profonde entre les Arméniens et l’Église mère de Jérusalem. C’est là qu’ils ont pris leurs habitudes et leur calendrier liturgique. L’une des originalités du calendrier liturgique arménien est la célébration d’un seul coup, le 6 janvier, de la fête de la Nativité, des Rois mages et du baptême du Christ, comme si les Rois mages étaient arrivés juste au moment où le Christ naissait. Et comme si, 30 ans plus tard, exactement le même jour et au même moment, le Christ avait reçu le baptême dans le Jourdain. C’est un rite très ancien de Jérusalem, modifié ensuite au IVe siècle, de façon à ce que l’on distingue bien la nature humaine de la nature divine du Christ, mais que les Arméniens n’ont jamais aboli.

Les rapports avec Rome sont plus tardifs et datent de l’époque des croisades, dès le début du XIᵉ siècle, même si certaines correspondances attestent de liens dès Charlemagne. Durant les croisades, les Francs n’hésitaient pas à recevoir les sacrements des prêtres arméniens, ni à épouser des femmes arméniennes. À cette époque, il y avait une familiarité très grande, une fraternité très grande entre les Francs et les Latins.

Les relations se sont envenimées autour du XIIIe siècle lorsque les Latins ont été informés de l’approche hérésiologique des Grecs envers les Arméniens. Les Grecs condamnaient les Arméniens comme hérétiques et schismatiques. Les Latins s’y sont penchés de plus près, et se sont mis à dresser les listes des erreurs des Arméniens et à entreprendre d’essayer de les convertir à la fois à la liturgie romaine et de forcer une union avec Rome.

Au fil de cette histoire et des dominations successives, quel type de persécutions ont subi les chrétiens arméniens? De qui sont-elles venues et avec quelles conséquences?

Les persécutions ont d’abord été zoroastriennes. Au moment où l’Arménie devient chrétienne, au début du IVe siècle, s’est installée en Iran une nouvelle monarchie perse, alors que la monarchie précédente était une monarchie parthe, amie des Arméniens.

Au contraire, les Perses ont prétendu rétablir intégralement la religion de Zoroastre, démolir «toutes les idoles» et établir le culte du feu sacré. Il s’est agi au départ de persécutions larvées, puis en 449 est paru un édit de conversion obligatoire pour tous les Arméniens sous peine de mort. À ce moment, les Arméniens se sont révoltés et ont affronté avec un très grand courage la menace des Perses, plus grande en termes de nombre et de modernité de l’armement. Ils ont donc été tous tués à une bataille en 451. Mais après la défaite, ils n’ont pas voulu abjurer et donc jusqu’à la fin de l’empire perse, jusqu’au milieu du VIIᵉ siècle, -l’empire perse a été battu par les Arabes en 653-, il y a eu des retours périodiques de persécution zoroastrienne en Arménie.

Après cela, il y a eu le malentendu de la dispute avec les Byzantins. Les Byzantins ont accusé les Arméniens d’être monophysites, c’est-à-dire de nier la nature humaine de Jésus-Christ. En effet, dans l’Église arménienne, Jésus a une seule nature qui est éternelle, qui est la nature du Verbe de Dieu, et il a une humanité qui est une indulgence de Dieu, une économie de Dieu. C’est-à-dire que par grâce, le Verbe éternel s’est fait homme, mais son humanité est tout à fait réelle, c’est à dire que Jésus est pleinement homme et pleinement Dieu selon la doctrine arménienne. Mais les Byzantins ne l’ont pas entendu et ont persécuté les Arméniens à partir du Xᵉ siècle.

Puis, les Arméniens ont accueilli favorablement le califat arabe, pensant signer un accord de tolérance, monnayant un tribut et la poursuite du culte sans persécution. C’est ce qu’il s’est passé tant que les Arabes redoutaient les tribus du Caucase.

Mais à partir du VIIIe siècle, ils ont conquis l’Asie centrale, par conséquent les Arméniens ne leur servaient plus à rien d’un point de vue stratégique et ils ont commencé à les persécuter. Le VIIIᵉ siècle témoigne donc de persécutions musulmanes contre les Arméniens avant d’autres invasions. Avec les Turcs et les Mongols qui n’étaient pas musulmans dès le début, les Arméniens ont tenté de s’en tirer malgré les cruautés, mais quand ces peuples sont devenus islamiques, il y eut de très nombreux martyrs arméniens de l’islam.

Le XIXᵉ siècle a été la grande période de décomposition de l’Empire ottoman, lors laquelle les Arméniens ont été perçus comme une menace par les défenseurs de l’Empire et sont apparus les premiers projets de destruction massive, de massacres et d’élimination totale des Arméniens.

À l’aune de cette histoire mouvementée, comment caractériser la foi des Arméniens a-t-elle cette fameuse résistance spirituelle propre aux peuples persécutés, souvent nichés aux carrefours d’empires?

Le christianisme ne se pratique pas de la même façon en Orient qu’en Occident, et en particulier en Arménie. La liturgie prime, elle est le tout de la religion, vécue comme une anticipation des fins dernières. Une vraie liturgie arménienne dure 3 heures le dimanche: la première heure comme période de pénitence, après la liturgie proprement dit commence par la procession de la Croix, et puis vient la liturgie devant les anges. Dans la liturgie arménienne, ils sont représentés par des diacres qui tiennent des sistres séraphiques représentant le bruit des ailes des séraphins. La liturgie n’a pas seulement lieu sur la tribune de l’autel, elle se passe aussi sur l’autel céleste, le temple céleste décrit par Isaïe et par Ézéchiel. C’est le point le plus important de la liturgie. Et donc la résilience des Arméniens est très forte. Elle a été un attachement indéfectible au christianisme et un courage extraordinaire devant le martyre.

Pourquoi donc la survie de la chrétienté arménienne représente-t-elle un enjeu vital, existentiel pour le monde entier?

Le chapitre dédié aux Églises orientales du Concile Vatican II rédigé par les Pères conciliaires soutient qu’il y a des trésors des origines du christianisme conservés par les Églises d’Orient, aussi bien celles rattachés à Rome que celles qui sont indépendantes. Il y a plusieurs façons d’énoncer les mystères.

C’est la raison pour laquelle d’ailleurs le Pape François a consacré comme docteur universel de l’Église universelle en 2015 le grand poète mystique et théologien arménien saint Grégoire de Narek, poète de l’an 1000 qui énonce le dogme chrétien avec une parfaite orthodoxie, mais en même temps avec une indépendance certaine par rapport aux formulations de l’Occident.

Pour la conservation de la mémoire de la pensée chrétienne, c’est très important. Et il faut remarquer que l’Arménie et la Géorgie constituent des îlots de christianisme dans un océan d’islam. Les chrétiens arméniens et du Haut-Karabagh sont des témoins de cette mémoire.

Source : VATICANNEWS, le 19 octobre 2023

Haut Karabagh, une honte européenne

Une épuration ethnique est en cours au Haut Karabagh avec plus de 100 000 réfugiés qui ont dû fuir les massacres, les viols, la torture, à la suite de l’invasion de cette enclave arménienne par l’Azerbaïdjan. Mais cette fois, l’Europe des droits de l’homme a fait quasi silence, a lâchement fermé les yeux en dehors de quelques coups de menton ou communiqués verbeux. Mais il y a pire. C’était il y a un an, le 18 juillet 2022, Mme Ursula Von den Layen présidente de la Commission européenne rencontrait à Bakou le dictateur et bourreau des Arméniens, Ilham Aliev et se pavanait devant les caméras de télévision en signant un accord gazier avec ce dernier. L’idée était de remplacer médiatiquement le gaz russe par du gaz d’Azerbaïdjan. Depuis, Cette dame a-t-elle démissionné pour autant? Non, elle parade plus que jamais. Pourtant, par cette signature, les Européens donnaient une sorte de feu vert au massacre en cours et à nouvelle crise humanitaire. Mais celle-ci n’intéresse pas grand monde. Alors aujourd’hui, silence motus. Tabou sur les agissements de cette dame: il n’en est pas question, aucune critique à son encontre dans les médias officiels. Pourtant, le génocide arménien par les Turcs de 1915 (plus d’un million de morts) pourrait servir de leçon. Mais non, l’Europe ferme les yeux, cette fois-ci, pas de sanctions, pas de soutien militaire significatif à l’Arménie menacée à son tour. Peut-être que la haine de soi a encore frappé: dès lors que ce sont des musulmans qui massacrent des chrétiens, et non l’inverse, quelle importance? Ou bien encore, le Haut Karabagh et l’Arménie ne font-ils pas partie des projets de l’Occident, comme l’Ukraine? En tout cas, nous assistons à un formidable ballet d’hypocrisie: les droits de l’homme et l’indignation sélective: quand cela nous arrange, conformément à nos intérêts. Et quand cela ne nous arrange pas, on ferme les yeux, voire pire, non seulement on ne fait rien pour s’y opposer, mais on encourage le massacre par la signature d’un accord gazier scandaleux.

Source : de Maxime Tandonnet sur son blog, le 2 octobre 2023

Haut-Karabakh : « Non à l’épuration ethnique ! »

Haut-Karabakh : près de 120 000 habitants doivent abandonner leurs biens. | REUTERS

« Il est inacceptable d’abandonner les Arméniens du Haut-Karabakh dans ce huis clos. La Russie qui devait garantir la paix selon les accords a laissé faire l’Azerbaïdjan. » Par Jeanne Emmanuelle Hutin, directrice de la recherche éditoriale à Ouest-France.

Dans un odieux silence, un peuple est livré aux mains de ses bourreaux : « S’ils ne partent pas, nous les chasserons comme des chiens, » déclarait le dictateur de l’Azerbaïdjan Ilham Aliev en 2020 au sujet des Arméniens du Haut-Karabakh (1). Après avoir assiégé pendant dix mois ces 120 000 Arméniens dont 30 000 enfants, l’Azerbaïdjan a attaqué ceux qu’il appelle « terroristes » et « séparatistes ».

Mais les terroristes ne sont-ils pas ceux qui affament et tirent sur les civils ? Et comment appeler « séparatistes » ces Arméniens vivant sur la terre de leurs ancêtres, le « berceau de l’Arménie » , une région autonome même sous le joug de l’Union Soviétique ? « Nous sommes tués parce que nous sommes Arméniens » , constate Hovhannès Guévorkian, le représentant du Haut-Karabakh en France (2).

En effet, c’est un « nettoyage ethnique à visée génocidaire » , dénonçait Jean-Louis Bourlanges, le Président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale. « L’armée azerbaïdjanaise contrôle tous les axes stratégiques et rend toute communication impossible. Nous avons vent d’exactions intolérables, avérées » , explique le chercheur Tigrane Yegavian. Exode contraint. Blessés sans soins. Aucune protection contre les viols, torture, arrestations, pillages et destruction du patrimoine culturel chrétien, l’un des plus anciens du monde.

Protection internationale

L’urgence est humanitaire et politique (2). L’ambassadrice d’Arménie en France Mme Tolmajian demande une protection internationale immédiate.

Mais la Communauté internationale qui n’a jamais reconnu l’indépendance du Haut-Karabakh regarde ailleurs. Elle feint de croire le dictateur Aliev quand il dit que les Arméniens deviendront des « citoyens égaux » alors qu’il réprime de manière sanguinaire toute opposition. Elle fait la sourde oreille aux nouvelles menaces de la Turquie et d’Aliev revendiquant le sud de l’Arménie.

Il est inacceptable d’abandonner les Arméniens du Haut-Karabakh dans ce huis clos. La Russie qui devait garantir la paix selon les accords a laissé faire l’Azerbaïdjan. Aucune condamnation vigoureuse ne s’est fait entendre même pas de la part du Vatican. Aucune sanction n’est brandie contre le dictateur d’Azerbaïdjan et ses suppôts. Les Européens ont versé 15,6 milliards d’€ à l’Azerbaïdjan en 2022 en échange de son gaz et ils annoncent doubler ces importations d’ici 2027 ! Les intérêts l’emportent !

Les députés européens protestent : « la faiblesse » et l’inaction des États membres « ont été comprises par Aliev comme un feu vert pour aller de l’avant […] Quelle autre catastrophe devons-nous attendre pour agir ? » , alerte l’eurodéputée Nathalie Loiseau. « S’il n’y a pas une action politique très forte, si on ne fait pas tout pour arrêter la destruction du peuple arménien, l’Arménie est en danger de mort », alerte Mme Tolmajian, ambassadrice d’Arménie en France.

C’est « la responsabilité du monde d’arrêter ce qui se passe sous ses yeux : le génocide arménien de 2023 » , appelle Luis Moreno Ocampo, ex-Premier procureur de la Cour pénale Internationale (3). Il rappelle que la communauté internationale a l’obligation de prévenir les génocides.

La passivité honteuse encourage les crimes d’aujourd’hui et prépare ceux de demain. C’est inacceptable. Il est grand temps que la France, membre du Conseil de Sécurité passe des paroles aux actes !

(1) Haut-Karabakh, Le livre noir, éd. Ellipses

(2) « Haut-Karabakh : Arméniens en danger », « Liberté & prospective », 25-9-23

(3) Washington Post le 22-9-22.

Source : OUEST FRANCE, le 27 septembre 2023

Arménie : l’abandon coupable d’une sœur de l’Occident

La colonne des Arméniens fuyant le Haut-Karabah par dizaines de milliers (capture d’écran : compte X @404Intel)

Arménie : l’abandon coupable d’une sœur de l’Occident

Depuis l’attaque menée par l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabagh le 19 septembre, aucune sanction d’envergure n’a été prise contre l’agresseur, aucun soutien réel n’a été apporté à l’Arménie, la sœur de l’Occident. En quoi cet abandon est-il grave ? Quelle responsabilité abdiquons-nous ? Que dit-il de nous ?

« Le peuple arménien ne nous était connu que par les coups qui le frappaient », écrivait en 1916 Anatole France. Le siècle qui nous sépare de cette phrase ne l’a hélas pas rendue caduque, et les coups continuent de pleuvoir. La rayure bleue qui traverse son drapeau symbolise la volonté qu’a l’Arménie de vivre sous un ciel paisible. Paisible, leur ciel l’est hélas bien peu depuis le 19 septembre dernier, depuis que des roquettes et des drones azerbaïdjanais sont venus le troubler, depuis que le hurlement des sirènes le déchire en continu… À l’heure où nous écrivons, des dizaines de milliers d’Arméniens du Haut-Karabagh sont sur les routes, fuyant l’invasion qui menace de n’être que la première étape d’une guerre bien plus totale. Depuis quelques mois, l’Azerbaïdjan les avait déjà affamés et affaiblis : aucune nourriture, aucun médicament, aucun gaz ne passaient plus la frontière du Haut-Karabagh. Mais le blocus n’a pas eu raison de la détermination arménienne ; les troupes de Bakou ont alors envahi ce territoire déjà exsangue par les privations.

Le destin de l’Arménie… et bien plus encore

L’Arménie joue une part de son destin sur ces plateaux. Dressé sur leurs hauteurs, le monastère d’Amaras, fondé au IVe siècle par le moine qui a aussi créé l’alphabet arménien, témoigne et crie au monde entier que cette terre est arménienne, qu’elle est le berceau civilisationnel de tout un peuple. Elle n’est que plus arménienne depuis l’invasion et son cortège de morts : arménienne par le sang versé. Et pourtant foulée par des semelles azéries. Mais il se joue davantage encore que le sort d’une nation : c’est « l’avenir du droit international le plus élémentaire, le droit humanitaire »[1], qui se décide sur ce petit bout de terre. Un pays n’a pas le droit d’envahir son voisin dès lors qu’il le surpasse militairement. Un soldat conquérant n’a pas le droit de torturer des prisonniers, de mutiler des soldats, d’assassiner des civils. Le droit du plus fort ne prévaut pas. Ces principes simples structurent l’ordre international, sur eux repose la fragile paix du monde. Dès lors, quand un agresseur entreprend de rayer de la carte et de l’histoire son voisin et que la communauté internationale détourne les yeux, c’est cet ordre-là tout entier qu’elle laisse se défaire. Theodore Roosevelt avait tiré la leçon du génocide arménien : « le massacre des Arméniens fut le plus grand crime de la guerre [1914-1918], et ne pas agir contre la Turquie revient à le tolérer. Hésiter à prendre radicalement parti contre l’horreur turque signifie que toute parole garantissant la paix dans le monde à l’avenir n’est que baliverne », écrit-il en 1918.

Les malheurs de l’Arménie auraient-ils lassé notre pitié ?

Voulons-nous vraiment, à nouveau, « hésiter à prendre radicalement parti » contre le sombre plan d’Ilham Aliyev qui ressemble en tous points à une épuration ethnique ? Leur sang crie-t-il en vain à nos oreilles ? Les malheurs de l’Arménie auraient-ils lassé notre pitié ? L’Europe creuse le lit de son déshonneur quand elle annonce vouloir acheter plus de gaz à l’Azerbaïdjan. Quand un sursaut nous saisira-t-il enfin, quand allons-nous dénoncer le contrat pétrolier et gazier honteux qui nous lie les pieds et les mains ? Le silence de l’Occident est d’autant plus assourdissant que l’Arménie, premier peuple au monde à avoir adopté le christianisme comme religion d’État, est « unie à nous par les liens de famille », qu’elle « prolonge en Orient le génie latin ». Et Anatole France de continuer par ses mots qui devraient interpeler tous nos dirigeants : « nous comprîmes enfin que c’était notre sœur d’Orient qui mourait, et qui mourait parce qu’elle était notre sœur et pour le crime d’avoir partagé nos sentiments, d’avoir aimé ce que nous aimons, pensé ce que nous pensons, cru ce que nous croyons, goûté comme nous la sagesse, l’équité, la poésie, les arts. (…) Son histoire se résume dans un effort séculaire pour conserver l’héritage intellectuel et moral de la Grèce et de Rome. Puissante, l’Arménie le défendit par ses armes et ses lois ; vaincue, asservie, elle en garda le culte dans son cœur. »

Mais comment pourrions-nous nous rendre compte que l’Arménie est notre sœur et que c’est un morceau de notre civilisation qu’elle incarne et défend ? Nous ne savons même plus que nous sommes l’Occident, et qu’ailleurs certains « gens sans importance »[2] ont, eux, gardé le sens de qui ils sont et de ce à quoi ils tiennent.

Heureusement, le peuple arménien n’oublie pas ce que symbolise la rayure rouge de son drapeau : la lutte continue pour la survie, pour le maintien de la foi chrétienne, pour l’indépendance et la liberté de leur patrie. « Un peuple qui ne veut pas mourir ne meurt pas. »[3]

Elisabeth Geffroy

[1] François-Xavier Bellamy au Parlement européen le 20 septembre 2023.
[2] William Saroyan, Mon nom est Aram (1940).
[3] Anatole France, discours prononcé le 9 avril 1916 à la Sorbonne.

Source: la Nef, le 26 septembre 2023

L’appel du Pape pour la paix au Haut-Karabagh

Manifestation à Erevan ce mardi 19 septembre contre les actions militaires menées dans le Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan. (ANSA)

L’appel du Pape pour la paix au Haut-Karabagh

À l’issue de l’audience générale de ce mercredi 20 août, l’évêque de Rome a lancé un appel pour trouver des solutions pacifiques au Haut-Karabagh, province disputée entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Les autorités azerbaïdjanaises ont lancé une offensive militaire mardi 19 septembre dans l’enclave peuplée majoritairement d’arméniens. 

Vatican news avec AFP 

«Hier, j’ai reçu des nouvelles inquiétantes du Haut-Karabakh (…) où la situation humanitaire déjà critique est maintenant aggravée par de nouveaux affrontements armés» a déclaré le Pape François ce mercredi au terme de l’audience générale place Saint-Pierre.

«Je lance un appel urgent à toutes les parties prenantes et à la communauté internationale pour qu’elles fassent taire les armes et fassent tout leur possible pour trouver des solutions pacifiques pour le bien de la population et le respect de la dignité humaine» a-t-il ajouté.  

Erevan fait actuellement état de 32 morts et 200 blessées dans l’offensive lancée mardi 19 septembre par les forces azerbaïdjanaises dans le Haut-Karabagh, province enclavée du Caucase du Sud, située dans la chaîne montagneuse du Karabakh. L’Arménie et l’Azerbaïdjan se disputent depuis plus de trente ans le contrôle de cette province. Le dernier affrontement a eu lieu à l’automne 2020, avec une guerre qui s’est soldée par une déroute militaire arménienne et le déploiment de soldats de maintien de la paix russes dans la région. 

La réaction du patriarche catrholique arménien

Interrogé par Vatican News, avant l’appel du Pape François, Mgr Raphaël Bedros XXI Minassian, patriarche de Cilicie et chef spirituel des catholiques arméniens s’est dit désolé devant ce nouvel accès de violence, invitant la communauté internationale à tout faire pour qu’une «paix concrète» puisse avoir lieu.

Source : VATICANNEWS, le 20 septembre 2023

Mgr Minassian: la fermeture du corridor Latchin est un crime contre humanité

Check point sur la route reliant l'Arménie au Haut-Karabakh

Mgr Minassian: la fermeture du corridor Latchin est un crime contre humanité

Le patriarche de l’Église catholique arménienne appelle à l’action face à la tragédie en cours dans le territoire contrôlé par l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh, où 120 000 personnes vivent dans des conditions inhumaines. L’Arménie demande une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité de l’ONU.

Vatican News

Des mesures concrètes sont nécessaires, plus que des démonstrations de solidarité. Le patriarche de l’Église catholique arménienne, Raphaël Bedros XXI Minassian, s’adresse avec découragement à l’agence de presse de la Conférence épiscopale italienne, et lance un énième cri d’alarme sur ce qui se passe depuis plusieurs mois autour du corridor de Latchin, dans le Haut Karabakh. Le corridor, seule liaison terrestre entre l’enclave, peuplée majoritairement d’arméniens et la République d’Arménie, est bloqué par les Azéris depuis décembre 2022. 120 000 Arméniens, dont 30 000 enfants, sont de plus en plus isolés, sans approvisionnement en nourriture, médicaments, ou carburant. Personne n’entre ni ne sort de l’enclave et la situation humanitaire est au plus bas. Une tragédie qui a vu à plusieurs reprises le Pape manifester sa préoccupation et appeler à des solutions pacifiques pour le bien de la population. Mgr Minassian appelle toutes les personnes impliquées dans la protection des droits de l’homme à passer des déclarations à l’action.

Un nouveau génocide est en cours

«Ils avaient promis de laisser la voie libre», a dit le patriarche à l’agence de presse catholique italienne SIR, «au lieu de cela, le corridor reste encerclé et bloqué» depuis huit mois: «C’est un crime contre l’humanité. Il y a des enfants, des personnes âgées, des malades, des affamés. Et face à ce scénario de désespoir, personne ne fait rien. Déclarez au moins qu’un nouveau génocide est en train de se produire», lance la patriarche en direction des grandes puissances, l’Europe, les Etats-Unis, la Russie, qu’il estime «témoins d’un génocide du 21ème siècle» mais qui «ne font rien», exactement comme cela s’est passé en 1915, rappelle-t-il, lorsque «des ambassadeurs du monde entier étaient présents, témoins de ce qui se passait mais n’ont rien fait pour arrêter le génocide. Aujourd’hui, l’histoire se répète. Un accord de paix a été présenté, mais il n’est pas respecté. Nous sommes ouverts à la paix, mais sans conditions et sans injustice».

L’Arménie demande une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité de l’ONU

L’Arménie et l’Azerbaïdjan se disputent ce territoire, habité en majorité par des Arméniens, depuis plus de 30 ans. Après que la guerre a éclaté en 2020, la Russie a négocié un accord de cessez-le-feu qui a permis à l’Azerbaïdjan de reprendre une grande partie de ce territoire. La trêve n’a toutefois pas débouché sur la paix. Des pourparlers entre les deux parties, sous la médiation de l’Union européenne, sont en cours depuis environ deux ans. Aujourd’hui, l’Arménie demande aux Nations unies d’organiser une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité pour discuter de cette crise humanitaire.

Source : VATICANNEWS, le 13 août 2023

Raphaël Bedros XXI Minassian: « N’oubliez pas les Arméniens du Haut-Karabakh »

Le patriarche des Arméniens Minassian Le patriarche des Arméniens Minassian

Raphaël Bedros XXI Minassian: « N’oubliez pas les Arméniens du Haut-Karabakh »

Le patriarche de l’Église catholique arménienne appelle à diffuser « le message de fraternité dont le monde a besoin », à l’occasion de la célébration samedi 24 juin à Naples du 50e anniversaire de son ordination sacerdotale. Il demande avec force de soutenir les chrétiens du Liban et de tout le Proche-Orient « d’où le message de l’Évangile a été diffusé ».

Robert Attarian – Cité du Vatican

75 ans de vie, dont 50 consacrés au sacerdoce: pour le patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques, Raphaël Bedros XXI Minassian, la célébration de l’anniversaire de son ordination, samedi 24 juin, en l’église San Gregorio Armeno de Naples, a été un moment de grande émotion mais aussi de réflexion importante sur le destin des Arméniens et sur la nécessité de diffuser le message de fraternité dont le monde a besoin. Une date, celle de ce samedi, qui prend d’autant plus de sens qu’il y a sept ans, à cette même date, le Pape François se rendait en pèlerinage sur la terre de Hayk, en Arménie, le « premier pays chrétien« , sur les pentes du mont Ararat, où reposait l’arche de Noé et d’où la vie reprit son cours après le déluge universel.

Les nombreuses guerres oubliées

Depuis la célèbre église de la ville napolitaine qui abrite les reliques de saint Grégoire -à l’origine de la conversion au christianisme du peuple arménien, premier peuple d’ailleurs à avoir adopté la foi chrétienne comme foi d’État- le patriarche a retracé les étapes de sa vocation, marquée par 33 années «vécues dans la guerre», comme il le rappelle lui-même, passées d’abord comme prêtre, puis comme évêque d’Arménie et d’Europe de l’Est et maintenant comme patriarche. «Ici en Europe, a-t-il déclaré, tous les regards sont tournés vers la guerre en Ukraine, à juste titre. Mais il y a tant d’autres guerres et de misères dont on ne parle pas».

Se souvenir des chrétiens du Proche-Orient

Mgr Minassian a ensuite évoqué les difficultés que connaît encore le Liban, où est basé le patriarcat arménien catholique, un pays frappé d’abord par une guerre civile de plusieurs décennies, puis par une crise économique et politique qui a réduit la population à la famine. «Tout manque au Liban aujourd’hui. J’ose dire que même l’espoir manque», a déclaré le patriarche, invitant les personnes présentes à la célébration à ne pas oublier leurs frères dans le Christ, non seulement au Liban, mais «dans tout le Proche-Orient, d’où le message de l’Évangile a été diffusé».

Les droits bafoués des Arméniens du Haut-Karabakh

Raphaël Bedros XXI a ensuite abordé le sujet qui lui tient à cœur depuis toujours, le sort des Arméniens du Haut-Karabakh, «cette bande de terre habitée depuis toujours par les Arméniens et entourée par le territoire azerbaïdjanais». Mgr Minassian a ensuite dénoncé comment «120 000 êtres humains sont isolés du monde depuis plus de 190 jours, après que les autorités azerbaïdjanaises ont décidé de bloquer la seule route reliant la région à l’Arménie et au reste du monde. 120 000 personnes, dont des personnes âgées, des femmes et des enfants, à qui l’on refuse la dignité de la vie». Une violation dramatique qui se déroule dans le «silence total» des médias, des autorités internationales et de ceux qui aujourd’hui «veulent faire prévaloir le conflit sur les valeurs», ces mêmes valeurs dont on parle tant aujourd’hui mais qui ne sont guère mises en pratique, comme «le respect, la liberté, la dignité, l’égalité, la fraternité». Au nom de ces valeurs, a conclu le patriarche des Arméniens catholiques de Cilicie, «je suis venu ici en pèlerin, en ce lieu sacré, pour demander avec vous l’intercession de saint Grégoire et des saints patrons de cette belle et grande ville, afin qu’ils nous aident tous à diffuser ensemble ce message de fraternité dont notre monde a besoin».

Source : VATICANNEWS, le 25 juin 2023

L’Occident ne doit pas abandonner l’Arménie

De Mark Movsesian sur First Things :

L’OCCIDENT NE DOIT PAS ABANDONNER L’ARMENIE

1er juin 2023

La crise actuelle est le dernier épisode d’un conflit qui remonte au génocide arménien de 1915, lorsque les Ottomans ont éliminé les chrétiens arméniens d’Anatolie dans l’espoir de créer un empire pan-turc qui s’étendrait de la Méditerranée à l’Asie centrale en passant par le Caucase. Le Karabakh a survécu au génocide et Joseph Staline en a fait une région autonome au sein de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan nouvellement créée (et à majorité musulmane) dans les années 1920. Lorsque l’Union soviétique s’est dissoute, les Arméniens du Karabakh ont déclaré leur indépendance. Une guerre brutale s’ensuivit, à l’issue de laquelle les Arméniens contrôlèrent le Karabakh et plusieurs régions environnantes qu’ils conservaient comme monnaie d’échange en vue d’un éventuel règlement.

Au cours des décennies suivantes, riche des revenus de son industrie du gaz naturel, l’Azerbaïdjan a renforcé son armée. En septembre 2020, les Azéris ont attaqué et reconquis toutes les régions environnantes et certaines parties du Karabakh. À l’époque, le président turc Erdogan se vante de « remplir la mission de nos grands-pères dans le Caucase ». La Russie, censée être le protecteur de l’Arménie, n’est intervenue qu’à la dernière minute et a conclu en novembre 2020 un accord de cessez-le-feu dont les parties ont convenu qu’il durerait cinq ans. 

Le cessez-le-feu négocié par la Russie a été une farce. Bien qu’elle dispose de quelque 2 000 soldats de la paix dans la région, la Russie s’est montrée incapable – ou, plus vraisemblablement, peu désireuse – de mettre un terme à l’agression azérie. Depuis la proclamation du cessez-le-feu, l’Azerbaïdjan a lancé deux invasions de grande envergure en Arménie, s’emparant de territoires importants alors que les forces de maintien de la paix russes restaient sur place. Depuis décembre, l’Azerbaïdjan bloque le Karabakh, créant une crise humanitaire. En février, la Cour internationale de justice a statué que le blocus violait le droit international et a ordonné à l’Azerbaïdjan de rouvrir la route qui relie le Karabakh au monde extérieur. Le gouvernement azerbaïdjanais a tout simplement ignoré cette décision.

L’Azerbaïdjan peut le faire en toute sécurité car il sait que la Russie bloquerait l’application de la décision de la CIJ au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Cela peut surprendre les Américains, qui supposent que l’Arménie et la Russie sont des partenaires. Ce n’est pas le cas depuis des années. Le gouvernement arménien actuel est pro-occidental et a tenté d’équilibrer les liens économiques et militaires du pays avec la Russie par de nouveaux liens avec l’Europe et les États-Unis. Les Arméniens regrettent que la Russie n’ait pas honoré ses obligations conventionnelles et n’ait pas protégé l’Arménie lors de l’invasion de l’Azerbaïdjan en septembre 2022, et le Premier ministre Nikol Pashinyan s’est publiquement interrogé sur le maintien de l’Arménie au sein de l’OTSC, l’organisation de sécurité dirigée par la Russie. Un récent sondage montre qu’une majorité d’Arméniens considèrent désormais la France et les États-Unis comme des partenaires politiques potentiels plutôt que la Russie.

En fait, c’est l’Azerbaïdjan, et non l’Arménie, qui est devenu le principal allié de la Russie dans le Caucase du Sud. Deux jours avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine, Aliyev s’est rendu à Moscou pour signer un accord de coopération avec le gouvernement russe – un accord, s’est-il vanté, « qui porte nos relations au niveau d’une alliance ». L’Azerbaïdjan se présente comme une source alternative de gaz naturel pour l’Europe, mais en réalité, il achète discrètement du gaz à des entreprises russes, permettant ainsi à la Russie d’éviter les sanctions occidentales. Il a récemment annoncé un partenariat entre l’Azerbaïdjan, la Russie et l’Iran pour la construction d’un corridor de transport reliant les trois pays et excluant les intérêts occidentaux de la plaque tournante du Caucase du Sud.

Les gouvernements occidentaux voient tout cela, ce qui explique pourquoi ils sont devenus de plus en plus actifs dans la région. Les États-Unis sont intervenus diplomatiquement pour mettre fin à l’invasion de l’Arménie par l’Azerbaïdjan en septembre 2022. Malgré les vives objections de la Russie, l’Union européenne a placé des observateurs civils à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Et, comme je l’ai écrit plus haut, l’Union européenne et les États-Unis rivalisent désormais avec la Russie pour résoudre la crise par des pourparlers diplomatiques – selon les termes occidentaux.

Il semble toutefois y avoir des limites à la volonté de l’Occident de repousser Aliyev. En dépit de ses liens avec Poutine, l’Occident considère Aliyev au moins comme une arme potentielle contre la Russie et, compte tenu du conflit ukrainien, l’Occident est prêt à fermer les yeux sur les menaces d’Aliyev à l’encontre de son voisin démocrate. L’Union européenne a signé un accord pour l’importation de gaz naturel en provenance d’Azerbaïdjan l’été dernier et a fait l’éloge d’Aliyev en tant que « partenaire énergétique fiable » et « crucial ». L’UE pourrait envoyer des observateurs civils, mais il est peu probable qu’elle adopte une ligne trop dure. Les États-Unis pensent qu’ils peuvent peut-être utiliser l’Azerbaïdjan pour tenir l’Iran voisin en échec ; Israël le pense aussi. Aliyev peut donc continuer à jouer un double jeu, en s’acoquinant avec la Russie tout en restant suffisamment intéressant pour l’Occident afin d’éviter des sanctions sérieuses.

Mais en l’absence de sanctions ou d’autres mesures sérieuses, Aliyev continuera à considérer les concessions arméniennes comme des invitations à poursuivre l’agression. Par exemple, lors de négociations à Bruxelles le mois dernier, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont accepté de reconnaître l’intégrité territoriale de l’autre et ont discuté de la réouverture des liaisons ferroviaires sur la base d’une réciprocité mutuelle. Pashinyan a ensuite confirmé que l’Arménie était prête à reconnaître la souveraineté azérie sur le Karabakh (à condition que des dispositions soient prises pour garantir la sécurité des Arméniens dans cette région) – une concession publique douloureuse, apparemment faite à la demande des États-Unis, qui a suscité la colère au Karabakh même.

Comment Aliyev a-t-il réagi ? Après la déclaration de Pashinyan, Aliyev a de nouveau menacé les Arméniens du Karabakh de nettoyage ethnique et, pour faire bonne mesure, a également menacé l’Arménie. Il a annoncé que l’Arménie devrait accepter les demandes de l’Azerbaïdjan en ce qui concerne la démarcation de la frontière, sous peine de subir une nouvelle agression. « La frontière passera là où nous le dirons », a déclaré M. Aliyev. « Ils savent que nous pouvons le faire. Personne ne les aidera. M. Pashinyan, déconcerté, a demandé si M. Aliyev abandonnait déjà la position qu’il avait adoptée à Bruxelles et a exigé des éclaircissements. Les États-Unis n’ont pas encore répondu.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les dirigeants américains et européens ont évoqué la nécessité de défendre la démocratie et l’autodétermination contre les agressions autoritaires. C’est précisément ce dont le Caucase du Sud a besoin aujourd’hui. À tout le moins, des sanctions occidentales contre le régime d’Aliyev devraient être envisagées. Même en termes réalistes, il ne serait pas dans l’intérêt de l’Occident d’abandonner l’Arménie, qui cherche à se réorienter et qui peut servir, à terme, de pont important entre l’Occident, le Caucase du Sud et au-delà. Toutefois, si l’Occident n’incite pas davantage l’Azerbaïdjan à négocier de bonne foi, une crise humanitaire semble sur le point d’éclater.

Mark Movsesian est professeur titulaire de la chaire Frederick A. Whitney et codirecteur du Centre pour le droit et la religion à l’université St.

Source : First Things, le 1er juin 2023

Corridor de Latchine: le Pape préoccupé par la situation humanitaire

Corridor de Latchine: le Pape préoccupé par la situation humanitaire

Le nonce apostolique en Arménie et en Géorgie, Mgr José Avelino Bettencourt, a salué l’appel du Pape François lors de l’angélus du 29 janvier, sur la grave situation humanitaire dans le corridor de Latchine, rappelant ses dernières prises de positions sur le sujet. 

Dans une publication sur le réseau social Facebook, Mgr José Avelino Bettencourt nonce apostolique en Arménie et en Géorgie, rappelle qu’au cours de ces deux derniers mois François lançait déjà des appels pour la résolution de la grave situation humanitaire dans le Haut-Karabagh.

Dimanche 18 septembre 2022, le Pape François s’est dit attristé par les récents combats entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, exprimant sa proximité spirituelle aux familles des victimes, tout en exhortant les parties à respecter le cessez-le-feu en vue d’un accord de paix. «N’oublions pas que la paix est possible lorsque les armes se taisent et que le dialogue s’engage», a lancé François, invitant à prier pour le peuple ukrainien qui souffre, et pour la paix dans toutes «les pays ensanglantées par la guerre».

Préoccupé également par la situation dans le corridor de Latchine, dans le Caucase du Sud, le Souverain pontife a déploré le 18 décembre 2022, les conditions humanitaires précaires de la population qui risquent de se détériorer davantage au cours de la saison hivernale. «Je demande à toutes les personnes concernées de s’engager à trouver des solutions pacifiques pour le bien de la population», a affirmé le Pape.

Favoriser le dialogue 

Lundi 10 janvier 2022, l’évêque de Rome, dans un discours adressé aux membres du corps diplomatique près le Saint-Siège déclarait: «La confiance réciproque et la disponibilité à s’engager dans une discussion sereine doivent également inspirer toutes les parties, afin de trouver des solutions acceptables et durables en Ukraine et dans le Caucase du Sud, et d’éviter l’éclatement de nouvelles crises dans les Balkans, principalement en Bosnie-Herzégovine».

Cela fait maintenant plus d’un mois que des Azerbaïdjanais se présentant comme des défenseurs de l’environnement manifestant contre des mines illégales bloquent le corridor de Latchine. Cette route de 32 km dans les montagnes, relie l’Arménie au territoire peuplé d’Arméniens du Haut-Karabagh.

Source : VATICANNEWS, le 30 janvier 2023