18.06.2023 – COMMENTAIRE DES LECTURES DU 11ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 18 juin 2023

11e dimanche du Temps Ordinaire


PREMIERE LECTURE – Exode 19,2-6a

En ces jours-là,
2 les fils d’Israël arrivèrent dans le désert du Sinaï,
et ils y établirent leur camp
juste en face de la montagne.
3 Moïse monta vers Dieu.
Le SEIGNEUR l’appela du haut de la montagne :
« Tu diras à la maison de Jacob,
et tu annonceras aux fils d’Israël :
4 Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Egypte,
comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle
et vous ai amenés jusqu’à moi.
5 Maintenant donc, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance,
vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples,
car toute la terre m’appartient ;
6 mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres,
une nation sainte. »


JE VOUS AI PORTES COMME SUR LES AILES D’UN AIGLE
Ceci se passe au Sinaï, au moment où Dieu va conclure l’Alliance avec son peuple : l’Alliance qui engagera à tout jamais le Seigneur de l’univers et le tout petit peuple d’Israël. On peut dire qu’il s’agit du traité de paix le plus grave de toute l’histoire de l’humanité ! Et ce que nous lisons ce dimanche, c’est le prologue de l’Alliance, le discours d’ouverture prononcé par Dieu ; il commence par ces paroles : « Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Egypte, comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi ».
Le livre de l’Exode n’en dit pas plus ; mais l’image était certainement parlante pour ceux qui traversaient le désert. Car il paraît que les observateurs des oiseaux dans le Sinaï ont relevé que les aigles ont une manière toute particulière d’apprendre à leurs petits à voler. Lorsque les petits sont prêts à se lancer pour la première fois, les parents aigles sortent en portant les aiglons posés sur leurs ailes. Lorsque les petits se lancent, les parents continuent à planer en dessinant de larges cercles ; lorsque les aiglons sont fatigués, ils peuvent se re-poser (et se reposer) sur les ailes des parents ; ils recommenceront la tentative autant de fois qu’il faudra, jusqu’à ce qu’ils soient capables de « voler de leurs propres ailes », comme on dit. Le génie d’un auteur biblique a été d’appliquer cette image à Dieu : manière de dire que si Dieu porte son peuple, ce n’est pas pour en faire son esclave, c’est pour lui apprendre à voler de ses propres ailes… Dieu est vraiment le Dieu qui libère et qui éduque à la liberté.
Voici ce que rapporte le livre du Deutéronome : « Le SEIGNEUR rencontre son peuple au pays du désert, dans les solitudes remplies de hurlements sauvages ; il l’entoure, il l’instruit, il veille sur lui comme sur la prunelle de son oeil. Il est comme l’aigle qui encourage sa nichée ; il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sur ses ailes. » (Dt 32,10-11). Au passage, vous aurez noté l’expression : « Le SEIGNEUR veille sur son peuple comme sur la prunelle de son oeil » !
C’est à partir de cette expérience de la sollicitude d’un Dieu qui veut l’homme libre que le peuple a pu s’engager dans l’Alliance et promettre fidélité aux commandements. Une relation d’Alliance ne peut se bâtir que sur la confiance et la confiance naît de l’expérience : Dieu « a fait ses preuves », en quelque sorte. Dans toute l’histoire d’Israël, le rappel de l’oeuvre libératrice de Dieu précède toujours les commandements ; nous sommes ici dans le livre de l’Exode au chapitre 19, juste avant le don des commandements puisque le Décalogue est dicté au chapitre 20.
Le discours de Dieu continue : « Et maintenant, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier (ma « part personnelle » traduction TOB) parmi tous les peuples, – car toute la terre m’appartient – mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte ».
ROYAUME DE PRETRES, NATION SAINTE
Le choix que Dieu a fait de ce peuple pour sa part personnelle, comme dit le texte, c’est ce qu’on appelle l’élection d’Israël ; elle est un sujet constant d’émerveillement pour le peuple juif ; par exemple, voici quelques versets du psaume 99/100 que nous chantons ce dimanche : « Le SEIGNEUR est Dieu : il nous a faits et nous sommes à lui, nous, son peuple, son troupeau. »
J’ai bien dit « un sujet d’émerveillement » mais dans l’humilité : la Bible invite à le vivre comme une mission et non comme un sujet d’orgueil : « Si le SEIGNEUR s’est attaché à vous, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous. C’est par amour pour vous, et pour tenir le serment fait à vos pères, que le SEIGNEUR vous a fait sortir par la force de sa main, et vous a rachetés de la maison d’esclavage et de la main de Pharaon, roi d’Égypte. » (Dt 7,7-8).
Mais la pédagogie de Dieu ne s’est pas arêtée là : au long des siècles, les hommes de la Bible ont peu à peu compris que Dieu n’est pas pour autant seulement le Dieu d’Israël, il est le Dieu de toute la terre. Vous avez entendu ici la précision : « Vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples, car toute la terre m’appartient ».
Chez Jérémie on peut lire une variation superbe sur ce thème : « Suis-je Dieu de près – oracle du SEIGNEUR –, et non Dieu de loin ? Si un homme se dissimule dans des lieux cachés, ne le verrais-je pas ? – oracle du SEIGNEUR. Ne suis-je pas celui qui remplit ciel et terre ? – oracle du SEIGNEUR. » (Jr 23,23).*
Je reviens sur l’expression « royaume de prêtres, nation sainte », c’est-à-dire un peuple consacré au Seigneur. Le Livre des Nombres en avait tiré une conséquence trop peu connue : sachant que la couleur pourpre était réservée aux grands prêtres, il recommandait au peuple entier de tisser un fil de cette couleur dans leur vêtement ; au chapitre 15, on peut lire : « Le SEIGNEUR parla à Moïse. Il dit : Parle aux fils d’Israël. Tu leur diras qu’ils se fassent une frange aux pans de leurs vêtements, et ceci d’âge en âge, et qu’ils placent sur la frange du pan de leur vêtement un cordon de pourpre violette. » (Nb 15,37). Manière de dire que le peuple tout entier est sacerdotal !
Le Concile Vatican II à son tour, a repris cette découverte ; il insiste sur le sacerdocecommun des baptisés, en s’inspirant directement des paroles de l’apôtre Pierre : « Vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » (1 P 2,9).
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Note
La répétition de la formule « oracle du SEIGNEUR » prouve que le prophète avait besoin d’en appeler à l’autorité de Dieu pour faire accepter cette vérité à ses contemporains.


Psaume 99 (100 )

Acclamez le SEIGNEUR, terre entière,
servez le SEIGNEUR dans l’allégresse,
venez à lui avec des chants de joie !

Reconnaissez que le SEIGNEUR est Dieu :
il nous a faits et nous sommes à lui,
nous, son peuple, son troupeau.

Oui, le SEIGNEUR est bon,
éternel est son amour,
sa fidélité demeure d’âge en âge.


RECONNAISSEZ QUE LE SEIGNEUR EST DIEU
Fait très rare dans la Bible, l’utilisation de ce psaume dans la liturgie nous est précisée : on nous dit qu’il a été composé exprès pour accompagner un sacrifice d’action de grâce. Il s’appelle « Psaume pour la todah » : aujourd’hui encore en hébreu, merci se dit « todah » comme en grec, merci se dit evXaristô (eucharistie). Effectivement, à la simple lecture, on voit bien que le psaume d’aujourd’hui est fait pour accompagner une célébration au Temple ! « Acclamez… Servez… venez à lui… » et dans le verset 4 que nous ne chantons pas ce dimanche : « Venez dans sa maison lui rendre grâce… dans sa demeure chanter ses louanges… bénissez son nom » ! Nous sommes en pleine liturgie, c’est évident ! Et le texte hébreu est plus parlant encore : il dit « Entrez devant sa Face, entrez par ses portes… dans ses parvis… » On a bien la preuve ici que le livre des psaumes est le recueil de cantiques du Temple de Jérusalem, après l’Exil à Babylone ; tout comme on trouve des manuels de chants à l’entrée de nos églises.
Ce psaume a donc été composé pour un sacrifice d’action de grâce ; et, en Israël, quand on rend grâce, c’est toujours pour l’Alliance ; là aussi, c’est très clair : ce psaume est très court mais chaque ligne évoque l’histoire tout entière d’Israël, la foi tout entière d’Israël ! Chacun de ses mots, presque, est un rappel de l’Alliance. Il ne faut jamais oublier que le centre de la tradition d’Israël, la mémoire qu’on se transmet de génération en génération, c’est Dieu nous a libérés et a fait Alliance avec nous ; voilà le coeur de la foi et de la prière de ce peuple. Plus exactement, ce qui fait d’Israël un peuple, c’est cette foi commune. Et le noyau de cette foi, c’est : Dieu a choisi ce peuple, (il l’a « élu », comme on dit), il l’a libéré, affermi, et fait Alliance avec lui (c’est justement le thème de notre première lecture pour ce Onzième dimanche). L’Alliance est vraiment au centre de la Bible. Pour nous en convaincre, il suffit de reprendre les versets, parfois même les mots, de ce psaume, un à un.
« Acclamez le SEIGNEUR, terre entière » : « le SEIGNEUR », c’est la traduction pour le chant liturgique ; mais dans le texte hébreu, ce sont les quatre lettres YHVH1: Moïse en a eu la révélation dans l’épisode du buisson ardent (Exode 3) : là, il a découvert à la fois la grandeur de Dieu, le Tout-Autre ET la proximité de Dieu, le Tout-Proche. Le Nom que Dieu a révélé alors à Moïse dit tout cela : ces fameuses quatre lettres, (le tétragramme) YHVH que nous ne savons même pas prononcer, que nous ne savons pas non plus traduire : elles disent bien que Dieu n’est pas à notre portée ! ET en même temps Moïse a eu la révélation de cette totale proximité de Dieu : « Oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple… J’ai entendu ses cris… Je connais ses souffrances… ».
« Acclamez » : le mot qui est employé ici, c’est le mot utilisé pour une acclamation spéciale, celle qui est réservée au nouveau roi, le jour de son sacre… Manière de dire « le vrai roi, c’est Dieu lui-même ! » « Terre entière » : là on anticipe ; Israël entrevoit déjà le jour où l’humanité tout entière viendra acclamer son Seigneur !
ACCLAMEZ LE SEIGNEUR, TERRE ENTIERE
Dieu est impatient que son salut soit annoncé à l’humanité tout entière… Reste à se poser la question « sommes-nous aussi impatients que lui ? » En tout cas il est très important de remarquer que le peuple d’Israël a bien compris que son élection est une vocation au service de tous. Dans les psaumes, en particulier, on retrouve constamment liés les deux thèmes de « l’élection d’Israël » ET de l’universalisme du salut proposé par Dieu. (Là encore on est en parfaite résonance avec la première lecture tirée du livre de l’Exode).
« Servez le SEIGNEUR dans l’allégresse » ; « servez » : dans la mémoire d’Israël, l’Egypte de leur esclavage sera appelée la « maison de servitude »… Désormais le peuple élu apprendra le « service » qui est un choix d’homme libre. Un certain livre très célèbre de commentaire sur le livre de l’Exode s’intitule « de la servitude au service ».
« Reconnaissez que le SEIGNEUR est Dieu ». On entend ici la profession de foi d’Israël, le « Shema Israël » : « ECOUTE Israël : le SEIGNEUR notre Dieu est l’Unique. » (Dt 6,4). « Il nous a faits et nous sommes à Lui » : c’est un rappel de la libération d’Egypte ; et du coup cette expression est devenue une formule habituelle de l’Alliance ; le peuple n’oublie pas qu’il était en esclavage en Egypte : c’est Dieu qui de ces esclaves a fait des hommes libres ; c’est Dieu qui, de ces fuyards, a fait un peuple. Et, tout au long de la traversée du Sinaï, sous la conduite de Moïse, ce peuple a appris à vivre dans l’Alliance proposée par Dieu. Quand on chante « C’est Lui qui nous a faits et nous sommes à Lui » il ne faut donc pas y entendre d’abord l’affirmation qu’Il est notre créateur : il faut entendre « c’est lui qui nous a faits comme peuple ».
Car le premier article du « Credo » d’Israël n’est pas « Je crois au Dieu créateur », c’est « J’entre dans l’Alliance ». C’est parce qu’on a découvert le Dieu libérateur que, plus tard, on en viendra à comprendre que cette oeuvre de libération n’a pas commencé avec nous, qu’elle dure depuis la Création du monde. Dans la Bible, la réflexion sur la Création est inspirée par la foi au Dieu qui libère. Ce qui veut dire que la Bible n’a pas été écrite dans l’ordre où nous la lisons : on n’a pas commencé par raconter la Création, puis, dans l’ordre, les événements de la vie du peuple élu, comme s’il s’agissait d’un reportage. La réflexion sur la Création n’est venue que dans un deuxième temps.
« Son peuple » : nous avons appris à reconnaître cette formule très typique de la foi juive ; à elle seule elle est un rappel de l’Alliance (et de même le peuple dit « notre Dieu »…) ; parce que la promesse de Dieu en proposant l’Alliance, s’exprimait par la formule : « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. »
« Eternel est son amour » : c’est encore un refrain de l’Alliance ; nous le connaissons bien parce qu’il est le refrain du psaume 135/136 : un psaume tout entier consacré au récit de la libération d’Egypte et chaque verset se termine par « Car éternel est son amour ».
« Sa fidélité demeure d’âge en âge » : cette expression est synonyme de « Eternel est son amour » mais ces deux versets nous font entendre également le couple de mots très habituel dans la Bible « amour et fidélité », c’est l’une des seules manières de parler de Dieu sans le trahir !

DEUXIEME LECTURE – Lettre de Paul aux Romains 5,6-11

Frères,
6 Alors que nous n’étions encore capables de rien,
le Christ, au temps fixé par Dieu,
est mort pour les coupables que nous étions.
7 Accepter de mourir pour un homme juste,
c’est déjà difficile ;
peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien.
8 Or, la preuve que Dieu nous aime,
c’est que le Christ est mort pour nous,
alors que nous étions encore pécheurs.
9 A plus forte raison, maintenant que le sang du Christ
nous a fait devenir des justes,
serons-nous sauvés par lui
de la colère de Dieu.
10 En effet, si nous avons été réconciliés avec Dieu
par la mort de son Fils,
alors que nous étions ses ennemis,
à plus forte raison,
maintenant que nous sommes réconciliés,
serons-nous sauvés en ayant part à sa vie.
11 Bien plus, nous mettons notre fierté en Dieu,
par notre Seigneur Jésus Christ
par qui, maintenant, nous avons reçu la réconciliation.


NOUS AVONS ETE RECONCILIES AVEC DIEU PAR LA MORT DE SON FILS
Pour Paul, il est évident que la venue de Jésus-Christ a marqué un tournant dans l’histoire de l’humanité : laissée à elle-même avant la venue de Jésus-Christ, elle ne pouvait que se fourvoyer ; elle était « dévoyée » comme il le dit dans la lettre aux Philippiens. En lisant le début de la lettre aux Romains qui décrit cet échec persistant, on ne peut pas s’empêcher de dire « pauvre humanité »… Voici une des phrases, par exemple, du début : « Tous, ils sont dévoyés ; tous ensemble, pervertis : pas un homme de bien, pas même un seul… ils ne connaissent pas le chemin de la paix. » (Rm 3,12 citant Is 59,7-8).
Quand Paul dit « Nous n’étions encore capables de rien », c’est cela qu’il veut dire : nous étions incapables de nous dégager du péché, ou si vous préférez, nous étions incapables de retrouver notre chemin ; nos pas nous éloignaient de plus en plus de Dieu et nous étions donc exposés à être pour toujours privés de Lui.
Mais Jésus Christ nous arrache à cet engrenage et nous met sur la bonne route. La grande annonce du texte d’aujourd’hui, c’est cela : nous avions pris la route du mauvais côté, Jésus nous remet sur la bonne route. C’est chose faite ; vous avez remarqué, les verbes sont au passé : « Le sang du Christ nous a fait devenir des justes… nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils ». Dans les deux formulations, c’est l’oeuvre de Dieu et du Christ, nous, nous en sommes bénéficiaires. « Vous avez reçu gratuitement » dit l’évangile de Matthieu.
Paul l’a déjà dit aussi clairement au début de cette lettre « Cette justice de Dieu, donnée par la foi en Jésus Christ, elle est offerte à tous ceux qui croient. En effet, il n’y a pas de différence : tous les hommes ont péché, ils sont privés de la gloire de Dieu, et lui, gratuitement, les fait devenir justes par sa grâce, en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus. » (Rm 3,22-24).
Reprenons la phrase « Nous avons été réconciliés* avec Dieu par la mort de son Fils » ; il y a plusieurs expressions semblables dans notre texte : « Le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions »… « Le Christ est mort pour nous »… « Le sang du Christ nous a fait devenir des justes »… Ces phrases nous sont très familières, nous répétons facilement « Le Christ est mort pour nos péchés », mais en même temps, elles restent bien difficiles et pour certains d’entre nous, scandaleuses. Dieu exigeait-il vraiment la mort sanglante de son Fils ? Lui qui est l’Amour ? Exigeait-il une compensation aussi terrible pour les fautes des hommes ? Lui qui a dit par la bouche du prophète « Je ne veux pas la mort du pécheur », peut-il vouloir la mort du juste à cause du péché des autres ?
EN JESUS CHRIST PARDONNANT, NOUS DECOUVRONS LE VRAI VISAGE DE DIEU
Ce que nous lisions, chez Saint Paul, il y a un instant, sur la justification gratuite, par grâce, nous interdit de lire dans toutes ces formules sur la mort du Christ une espèce de compte à régler entre Dieu et nous ou entre Dieu et le Christ… Il n’existe pas de comptabiblité dans l’amour infini de Dieu ; même nous qui aimons si mal, nous savons dire « Quand on aime, on ne compte pas ».
Il faut donc que nous essayions de comprendre l’expression « le Christ est mort pour nous, pécheurs » hors de toute notion de calcul, de mérite. Prenons l’exemple d’une personne qui meurt en essayant d’en sauver une autre ; ce peut être le pompier qui meurt dans un incendie : il n’a pas « acheté » le sauvetage de ceux qui étaient menacés par l’incendie ; il a pris des risques pour les sauver et il en est mort, mais ni lui ni personne ne souhaitait sa mort ; le journal dira peut-être que sa mort était le prix à payer pour le sauvetage, qu’il a payé de sa vie, mais il ne s’agit pas en réalité de commerce ; ce qui a causé sa mort, c’est son dévouement poussé à l’extrême qui l’a amené à prendre des risques. Il a pris ces risques par amour des autres ; il savait que c’était risqué.
De la même manière, le Christ, en prêchant l’amour de Dieu et l’amour des autres, la non-violence et le pardon, a couru le risque de déplaire ; il a accepté ce risque et il a continué sa prédication ; il en est mort, victime de la haine et de la violence, du refus de cette parole d’amour et de pardon. Il n’est donc pas mort par la volonté de Dieu ; le Christ meurt de la main des hommes, pas de la main de Dieu. Mais la merveille de l’amour de Dieu, c’est qu’il est pardon ; et le Christ meurt en proclamant sa foi dans ce pardon.
Il n’y a pas le moindre marchandage là-dedans. Peut-être tout ceci nous permet-il de comprendre un peu ce que Saint Paul vise quand il parle de la « colère de Dieu » : quand nous prenons le chemin dans le mauvais sens, nous avons tourné le dos à Dieu et nous avons l’impression qu’il nous poursuit de sa colère ; mais si nous voulons bien lever les yeux vers la Croix, c’est en Jésus-Christ pardonnant que nous découvrons le vrai visage de Dieu qui est le Dieu d’amour et de pardon. Comme l’annonce le livre de Zacharie « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10). La parole de pardon nous réconcilie avec lui ; nous ne sommes plus en face d’un Dieu de colère, nous découvrons son vrai visage.
Désormais, comme le dit cette même lettre aux Romains juste avant le texte d’aujourd’hui « l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs » ; ce qui veut dire qu’avant la venue de Jésus-Christ, nos coeurs étaient fermés à l’amour de Dieu ; mais désormais nos coeurs sont ouverts, l’amour de Dieu peut s’y déployer : nous sommes remis sur le bon chemin. Nous sommes réintroduits dans l’intimité de la Trinité. Et Saint Jean l’annonce dès le début de son Evangile, en parlant du Christ : « A tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » (Jean 1,12).
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*Dieu nous a réconciliés
Paul y insiste puisqu’il emploie trois fois les mots de « réconciliés/réconciliation » dans ce passage. Mais, au fait, qui dit « réconciliation » dit querelle ! Où est la querelle ? C’est celle d’Adam (encore un thème cher à Paul), celui qui soupçonne Dieu de ne pas lui vouloir du bien. Or il y a en chacun de nous un Adam qui sommeille ; les rabbins, sagement, disent : « Chacun est Adam pour soi ». Désormais, animés par l’Esprit Saint, nous sommes libérés de cette querelle, nous sommes en paix, comme dit la lettre aux Ephésiens. Dans le verset qui précède tout juste notre lecture de ce dimanche, nous pouvons lire : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » (Rm 5,5).


EVANGILE – selon Saint Matthieu 9,36-10,8

En ce temps-là,
9,36 Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles
parce qu’elles étaient désemparées et abattues
comme des brebis sans berger.
37 Il dit alors à ses disciples :
« La moisson est abondante,
mais les ouvriers sont peu nombreux.
38 Priez donc le maître de la moisson
d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »
10,1 Alors Jésus appela ses douze disciples
et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs
et de guérir toute maladie et toute infirmité.
2 Voici les noms des douze Apôtres :
le premier, Simon, nommé Pierre ;
André son frère ;
Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ;
3 Philippe et Barthélemy ;
Thomas et Matthieu le publicain ;
Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ;
4 Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra.
5 Ces douze, Jésus les envoya en mission
avec les instructions suivantes :
« Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes
et n’entrez dans aucune ville des Samaritains.
6 Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël.
7 Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche.
8 Guérissez les malades, ressuscitez les morts,
purifiez les lépreux, expulsez les démons.
Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. »


LA MISSION DES ENVOYES DE DIEU EST UNE MISSION DE GUERISON
Les hommes de l’Ancien Testament avaient découvert que Dieu est le Dieu de miséricorde, c’est-à-dire qu’il se penche sur la misère de l’homme ; à son tour, l’évangéliste présente Jésus comme celui qui est pris de compassion : les deux mots, miséricorde en hébreu et le mot grec traduit ici par compassion disent l’émotion qui saisit aux entrailles devant toute souffrance ; une émotion qui n’est pas seulement de l’ordre du sentiment puisque, très concrètement, elle s’accompagne d’une oeuvre de guérison.
Il est clair que la mission des envoyés de Dieu (que ce soit Jésus ou que ce soit les apôtres) est une mission de guérison : il suffit, pour s’en convaincre, de reprendre le programme de la tournée de Jésus, tel que Matthieu vient de le décrire : Jésus parcourait les villes et les villages, il enseignait, il proclamait le Royaume et il guérissait… ensuite, quand il appelle ses disciples, ce que Matthieu note en premier, avant même de nous donner leurs noms, c’est « Jésus leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité »… enfin, quand Jésus donne à ses apôtres le programme de leur mission, il leur dit « Proclamez que le Royaume des cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons ».
En même temps qu’ils proclament le Royaume, les envoyés du Seigneur sont donc invités à en donner des signes. Et la meilleure des proclamations du Royaume, c’est la victoire sur le mal sous toutes ses formes. Mais pour cela il faut être pris aux entrailles au spectacle des douleurs du monde.
Ce n’est pas seulement devant les douleurs individuelles que Jésus est pris de pitié, c’est devant son peuple : « Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. » Les quatre évangélistes, chacun à sa manière, présentent Jésus comme celui qui vient rassembler le peuple élu, manière de dire qu’en lui sont accomplies les promesses de l’Ancien Testament ; car le Messieattendu était souvent présenté sous les traits d’un berger. Par exemple, voilà comment l’annonçait Ezékiel : « Je viendrai au secours de mes brebis et elles ne seront plus une proie ; je jugerai entre brebis et brebis. Je susciterai à leur tête un seul berger ; lui les fera paître : ce sera mon serviteur David. Lui les fera paître, il sera leur berger. » (Ez 34,22-23).
A propos de peuple, vous avez remarqué la recommandation de Jésus : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains… Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » ce qu’on peut traduire « commencez par le peuple élu ; c’est lui ensuite qui convertira les païens » ; cela veut dire que dans la pensée de Jésus, il est de toute évidence qu’Israël reste le peuple élu, dont la mission est de convertir le monde.
VOUS AVEZ REÇU GRATUITEMENT : DONNEZ GRATUITEMENT
J’en viens au dernier conseil que Jésus donne à ceux qu’il envoie : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement ». C’est tout le programme de notre vie de foi qui est dit là en deux propositions : premièrement, le don de Dieu est gratuit : accueillons cette gratuité. Puis, deuxièmement, à notre tour, apprenons à vivre dans la gratuité.
Ces deux points, et particulièrement le premier, nous sont très difficiles ; reprenons les l’un après l’autre : premier point « le don de Dieu est gratuit » ; c’est le sens même du mot « grâce ». Mais, curieusement, nous avons un mal fou à accepter que le don de Dieu soit totalement gratuit ; la preuve c’est que nous sommes malgré tout souvent tentés de faire des comptabilités dans notre relation avec lui ; nous n’osons pas croire que Dieu nous donne tout gratuitement sans attendre que nous accumulions des mérites !
Deuxième point « donnez gratuitement » : en d’autres termes « agissez comme Dieu » ; cela veut dire plusieurs choses : d’abord « comme Dieu, n’attendez rien en retour », ne recherchez ni la considération ni la gloire ni l’amour ; que tout soit désintéressé car c’est comme cela que Dieu agit : « Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards … Quand donc tu fais l’aumône, ne le fais pas claironner devant toi… Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret… » (Mt 6,1-4). N’attendez pas non plus l’amour : « Si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ?… Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » (Mt 5,44… 47).
Enfin, pour aimer vos frères, n’attendez pas non plus qu’ils le méritent. Cela revient à dire « qu’on n’entende jamais dans votre bouche : ces gens-là ne sont pas intéressants… » Vous êtes sans cesse sauvés, pardonnés gratuitement, à votre tour, sachez pardonner, aider, relever sans conditions. Et si on veut pousser jusqu’au bout la ressemblance avec celui qui nous a envoyés, il faudra être capables d’appeler à notre tour des moissonneurs sans nous entourer de trop de garanties ; Jésus n’a guère fait d’entretiens d’embauche avant de choisir ses apôtres, mais il leur a fait confiance. Rien ne promettait que les pêcheurs du bord du lac, le publicain (collaborateur) et le zélote (résistant) puissent jamais constituer une équipe fiable et performante ; Jésus n’a pas hésité pour autant à leur confier la moisson car le temps pressait ; comme chacun sait, une moisson, cela n’attend pas !

Source : ÉGLISE CATHOLIQUE EN FRANCE

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